Nous nous trouvons dans une période particulière, entre la Saint-Nicolas et, dans quelques petites semaines, Noël et les fêtes de fin d’année. Une période pendant laquelle l’enfance et ses magies, et ses possibles, peuvent et doivent être mis en évidence.
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C’est là la raison pour laquelle, pendant quelques jours, je vais partager ici des chroniques express, consacrées à des livres destinés à un jeune public, des livres ludiques ou sérieux, qui trouveront leur place, j’en suis certain, dans les piles de cadeaux de cette fin 2025.
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Avec, tout d’abord, une bande dessinée, due à une des autrices phares des éditions Casterman, Anne Herbauts. Cette Bruxelloise nous raconte ici, avec un dessin coloré et simple, simplement beau et agréable à regarder, le quotidien d’un gamin qui aime jouer à sa console de jeux, et de son amie Sacoche, une chèvre qui n’y comprend rien…
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Mais rien n’est explicable dans l’amitié, et cette histoire se balade sans cesse entre réel et jeu vidéo, entre devoirs scolaires et animaux de toutes sortes. C’est un livre qui fait de la grammaire dans en avoir l’air, c’est un petit album absurde, rafraîchissant, drôlement fou, à lire dès six ans… Il y a le jeu, il y a les leçons à étudier, il y a Sacoche et Miette, le moineau, il y a la nature, il y a aussi le sens de l’amitié, de la connivence, et le fait qu’un jeu, quel qu’il soit, peut (et doit ?) s’adapter aux besoins et aux plaisirs de ceux qui y jouent !
Jacques et Josiane Schraûwen
On A Perdu Sacoche (autrice : Anne Herbauts – éditeur : Casterman – avril 2025 – Dès six ans)
J’ai toujours aimé le dessin de Xavier, son sens aigu du réalisme. Après « Le serpent et le coyote », le voici de retour dans un polar scénarisé par Matz.
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Dans cet album, même si les personnages y sont nombreux et nourrissent l’intrigue, les deux « acteurs » principaux y sont la voiture et le paysage ! A certains moments, j’ai d’ailleurs retrouvé des sortes de références à un autre grand dessinateur réaliste, Mézières, pas le Mézières de Valérian, non, mais celui qui aimait les Etats-Unis et en dessiner les déserts comme les villes.
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Tout le récit commence en voiture : une voiture quitte la ville, s’enfonce dans le désert, un homme au volant, une femme à ses côtés, et la fumée de deux cigarettes dans l’habitacle… Et le récit se termine presque de la même manière : une route qui mène de nulle part à nulle part, un camping-car qui soulève une poussière torride, un conducteur, les yeux perdus dans le vague, la cigarette aux lèvres…
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Entre ces deux bagnoles, il y a une histoire. Un polar… Chuck vient de sortir de prison. Il retrouve son amie intime, la blonde Kat. A deux, ils vont partir dans l’Amérique profonde, afin de récupérer un magot que Chuck a planqué avant d’être arrêté et condamné. Seulement, comme dans tout polar qui se respecte, les choses ne vont évidemment pas se révéler simples !
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Parce que va se mêler à tout cela un autre ancien détenu, homosexuel marié à un Indien… Plus un Black débarquant dans cette histoire par hasard… Plus des « américains profonds » croisés au gré des routes suivies par Chuck et Kat… Plus la déchirure de leur couple, malgré quelques ébats passionnés… Plus des trahisons en veux-tu en voilà ! On est loin, très loin même, d’un quelconque code d’honneur entre truands !
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Ce qui va également se mélanger à toutes ces intrigues, emmêlées et prenant sens grâce à quelques flash-backs, un autre personnage, le fameux spectre… Un vieillard sans doute fou cherchant à retrouver ses lingots d’or dans une petite ville fantôme… Beau personnage, d’ailleurs, que ce spectre, qui n’est pas sans rappeler un autre spectre, celui possédant des balles d’or, et dessiné par Giraud, sur un superbe scénario de Charlier.
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Il y a donc, vous l’aurez compris, plusieurs références dans cet album. Une référence évidente, également, à l’immense Hermann… Il y a surtout, pour illustrer un récit dont la construction est quelque peu anarchique, une présence graphique extrêmement intéressante. Xavier est un dessinateur réaliste d’une belle efficacité, c’est une évidence… Il est aussi un dessinateur qui aime varier les approches de son art, choisissant parfois quelques démesures rythmant ses récits, choisissant parfois aussi une relation plus intimiste avec sa narration. Ici, il est plus intimiste, un peu à la façon de ces westerns des années 50 qui prenaient le temps de « montrer »… De faire vibrer l’image… Cet album, c’est peut-être, graphiquement parlant, celui qui permet le mieux de découvrir la nature originelle de Xavier…
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A ce titre, il faut absolument souligner le travail essentiel du coloriste, Jérôme Maffre. Il est, me semble-il, co-auteur totalement de cet album d’errance, de sang et de dérives humaines. Le scénario, quant à lui, contient tout ce qui correspond aux codes du genre… Peut-être, dès lors, est-il trop attendu… Trop lisse, alors que le sujet aurait pu demander, justement, quelque chose de plus abrupt… Matz, à mon humble avis, ne manque pas d’efficacité, mais il a déjà fait mieux… Ses retours en arrière, cette façon de se laisser entraîner par une histoire plutôt que de la diriger, tout cela rend l’album, parfois, manquant d’envolée, d’ambition… N’est pas, ai-je envie de dire, Leone ou Coppola qui veut !
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Cela dit, ce livre est extrêmement agréable à lire. A lire, oui, parce que le dessin de Xavier, justement, est extrêmement narratif, il raconte ce que les mots ne font qu’aborder, il montre les sensations et les émotions des personnages, ce que le scénario ne fait pas vraiment… Un livre à la fois brutal et lent, à la fois sanglant et bien codifié, un livre qu’on lit donc avec plaisir, sans aucun doute… De la bd « délassante », qui change un peu, et c’est tant mieux, de la pléthore d’albums tristement voulus comme intellos et ancrés sur les modes ! Avec Xavier et Matz, on fait de la bd, on ne suit pas la mode, et c’est à applaudir !
Jacques et Josiane Schraûwen
L’Or du Spectre – Une bd comme un road movie (dessin : Xavier – scénario : Matz – couleurs : Maffre – éditeur : Lombard – mai 2025 – 116 pages)
Je l’ai déjà dit, mais je me répète… En bd comme en toute littérature, les modes provoquent bien des livres sans grand intérêt ! Mais il y a aussi, dans cette masse de propositions plus ou moins artistiques, quelques merveilles réelles. Quelques livres qui DOIVENT être lus. C’est le cas avec celui-ci !
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Nombreuses et nombreux sont les auteurs qui parlent de la sexualité humaine et de ses dérives… De ses horreurs restées tellement longtemps cachées dans des placards au fond de greniers poussiéreux. De ces destructions d’enfance que la mémoire, parfois, refuse de nommer. De nos jours, les prises de parole des « victimes », même si, parfois, elles s’avèrent judiciairement fausses, même si restent en liberté tranquille des salauds incontestables comme l’innommable Matzneff, ces prises de parole dénonciatrices sont évidemment importantes… Pour faire évoluer les regards de tout un chacun sur des réalités lourdes à reconnaître, pour changer le monde, petit à petit…
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La « mode », dont je parlais tantôt, s’attarde beaucoup sur les viols, sur les agressions sexuelles concernant des « people ». Il est toujours agréable, pour « les gens », de voir une statue se faire déboulonner ! Les prises de parole, dès lors, débouchent sur une haine qui, finalement, ne sert strictement à rien. Cela dit, on parle peu (et mal) de ce que ces agressions ont de plus répugnant, lorsqu’elles s’attaquent (il n’y a pas d’autre mot) à des enfants. Ce qui, statistiquement, a lieu le plus souvent dans le cadre familial…
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« On ne parle pas de ces choses-là », à ce titre, est un livre-choc… Un livre intelligent… Un livre auto-biographique… Un livre qui, avec une véritable pudeur, parle de l’inceste ! Autobiographique, oui, et suivant une enquête pratiquement intime qu’a effectuée Marine Courtade, la scénariste de cet album. Une enquête qui commence en mars 2020. Marine déménage, son père vient lui donner un coup de main. La vue que Marine a depuis sa nouvelle demeure est étrange : un cimetière… Et son père lui dit qu’il aimerait être enterré dans le caveau familial, auprès de son propre père. C’est à partir de cette réflexion que cette jeune femme va sentir s’ouvrir une blessure secrète… Une blessure imposée par ce grand père qui a meurtri son passé, son enfance et qui continue à la meurtrir. Pourquoi, au fil des années, ce silence autour de ce que tout le monde savait ?… Pourquoi cet « honneur de la famille » à protéger ?…
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Et Marine, à partir des souvenirs qui, cruellement, viennent la rejoindre, la retrouver, va s’en aller à la recherche journalistique de ce qu’est ce silence… Et des raisons, ou plutôt des déraisons, qui en font, pour elle et pour tant d’autres garçons et filles à travers le monde, des victimes sans visage, des victimes qui, vieillissant, occultent ces gestes obscènes que nul n’a condamnés…
Pour ce faire, Marine va, personnellement totalement engagée, user de son métier de journaliste. Elle va faire le tour, micro à la main, de tous les membres de sa famille qui savaient, qui n‘ont rien dit, et ne disant rien, ont permis que ces choses-là puissent exister !
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Ce livre, donc, nous relate cette enquête journalistique… Et chaque interview, et chaque rencontre que fait Marine l’enfouissent de mille et une manière dans ce qu’est le monde du silence, le vrai, le douloureux, le traumatisant… Un silence qui est celui de ces « témoins » immobilisés pour des raisons de toutes sortes, par des fuites adultes de leur propre enfance peut-être… C’est un livre sombre qui, à la suite de Marine, nous entraîne dans les méandres lâches et bien-pensants de l’âme humaine, de ce que sont les gens « normaux »… Je parlais de pudeur dans les mots, parfois même d’une certaine froideur, d’une certaine distance. Je peux parler aussi d’une identique pudeur dans le dessin d’Alexandra Petit. Un dessin vif, souple, comme tracé et colorisé dans l’urgence de l’immédiateté, qui réussit, en quelques traits, et au-delà des mots, à exprimer une personnalité, des sensations, des sentiments, des fuites, des manques de regrets, des impossibilités à remettre en question la « nécessité » du grand silence ! Ce dessin, à la frontière du réalisme, accompagne la douleur de Marine tout au long du livre, sa douleur, ses larmes aussi, silencieuses parfois également, ce dessin fusionne complètement avec le texte, avec le récit, avec l’histoire racontée et qui n’a rien d’imaginaire…
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Vous l’aurez compris, « On ne parle pas de ces choses-là » n’est pas un livre « facile »… Il se lit au rythme de ses propres interrogations, de ses propres souvenances. Il est aussi une œuvre mémorielle dans laquelle la victime ne fait état, à aucun moment, de haine… Ce n’est pas un livre qui juge… C’est un livre qui montre… Et qui, malgré la noirceur qui s’y étale au fil des interviews, n’est jamais totalement négatif… Et qui se termine sur un dossier sérieux, qui décrit et analyse l’inceste en France… C’est une bd qui, surtout, se termine comme en un rayon d’espoir avec ces quelques lignes… « J’ai souvent pensé la vie en noir et blanc. Soit j’aime, soit je déteste. Je considérais le silence de ma famille comme noir. Comment peut-on se taire face à un tel crime ? J’ai compris, en discutant avec chacun d’entre eux, que le silence est en fait une couleur grise. »
Jacques et Josiane Schraûwen
On Ne Parle Pas De Ces Choses-là (dessin : Alexandra Petit – scénario : Marine Courtade – éditeur : Casterman – avril 2025 – 223 pages)