Ce livre est paru une première fois, en noir et blanc, il y a une dizaine d’années, en une époque où on ne parlait pratiquement pas de ce qui était pourtant, déjà, et depuis toujours sans doute, une réalité scolaire : le harcèlement…
Et les éditions Casterman ont eu la bonne idée de rééditer ce petit livre simple, intelligent, sans tape-à-l’œil, sans mélo, qui, en 2024, parle infiniment plus à tout un chacun. L’histoire se passe au Canada, dans des paysages tantôt citadins, tantôt naturels et sauvages auxquels la couleur de Nicolas Vilet apporte une superbe luminosité.
Joe, le personnage central, est humilié, battu, volé, harcelé donc par Jason, le petit chef de son école, de sa classe en tout cas…
Cela va de l’enferment dans une toilette au passage à tabac, du vol de ses affaires à la destruction de ce à quoi il tient. Et dans ce monde des élèves, tout se fait et se vit dans une sorte de silence apeuré… Quant aux adultes, ils ne voient rien, ou ne veulent rien voir, et quand ce n’est pas le cas, quand l’infirmière de l’école, par exemple, comprend parfaitement ce qui arrive, elle préfère, à une intervention adulte, tenter de pousser la victime à réagir… Voilà le canevas de cet album…
C’est un sujet difficile, délicat, dur même… Un sujet que Max de Radiguès, l’auteur de cet Orignal, traite avec pudeur, même dans une scène qui se révèle sexuellement humiliante. On pourrait presque parler d’une bd observatrice, réalisée comme à distance. Mais il n’en est rien, tant il est vrai que le lecteur ne peut que ressentir l’émotion que l’auteur réussit à tracer en dessins clairs, simples sans jamais être simplistes.
Une émotion, d’ailleurs, que la fiction du scénario rend tangible puisqu’elle naît d’une situation précise et nauséabonde, mais dans un cadre où des tas de thématiques différentes sont présentes : la littérature, le courage, la lâcheté, les couples gays… C’est en petites touches que de Radiguès fait progresser son récit, faisant de celui-ci, par la magie de son talent de scénariste, un drame sombre…
Un drame dont la fin, d’ailleurs, peut surprendre, étonner, rendre mal à l’aise, également.
Mais ce livre est bien un livre de fiction, et tout y participe à ce que le lecteur se sente obligé de dépasser les simples apparences de l’imaginaire pour réfléchir aussi au réel…
On peut se poser la question du titre de cet album… Que vient faire cet animal dans un récit tristement humain ?
Il est là parce que Joe, dans ses fuites du réel, croise la route de cet Elan américain… Et que c’est lui, symbole d’une nature qui n’a rien d’angélique et qui peut se révéler à la fois bienfaisante et cruelle, c’est cet animal sauvage qui va ponctuer le récit de cet album… Le dessin de Max de Radiguès est souple, rapide, il ne s’encombre pas de détails. Mais, incontestablement, il prend ici toute sa puissance par la grâce de cette nature qu’il nous dessine et se révèle partie prenante du récit, puisque c’est dans cette nature que la vie va pouvoir reprendre le dessus, en quelque sorte…
Une nature omniprésente, presque palpable, que Max de Radiguès parvient à partager, au sens profond du terme, avec ses lecteurs… Comme un souvenir que le temps n’efface pas !
Orignal… Un livre original, intelligent, parfaitement maîtrisé… Et dont la réédition arrive à son heure, avec une couleur qui rythme les ambiances et estompe légèrement le propos… Un livre pour nous aider, peut-être, à ne plus nous aveugler…
Jacques et Josiane Schraûwen
Orignal (auteur : Max de Radiguès – couleur : Nicolas Vilet – éditeur : Casterman – février 2024 – 160 pages)