Réel et imaginaire se mêlent en un somptueux album aux saveurs évidentes des feuilletons d’antan !
Dès le titre de ce livre, le lecteur est plongé dans un monde dont il sait que toute réalité ne peut que cacher des secrets. Plus que de surréalisme, c’est de sur-réel qu’il s’agit dans cette aventure qui louche avec bonheur vers Jules Vernes, vers Eugène Sue, Féval, Dumas, vers tous ces auteurs un peu oubliés qui feuilletonnaient dans les journaux jusqu’au début du vingtième siècle, pour le plaisir des lecteurs !
Être au-delà du réel, mais s’y vouloir immergé… C’est déjà ce que le feuilleton de Pierre Souvestre, Fantômas, faisait, s’attirant ainsi les intérêts de Breton et de ses surréalistes, tout autant influencés par Freud et ses approches du rêve. Et sans doute, mais sans l’avouer? par le père Hugo et ses passions pour un ésotérisme de carton-pâte.
C’est donc, vous l’aurez compris, un album qui se balade dans des tas d’univers différents. Deux personnages centraux, Théo et son ami Hugo, s’y trouvent confrontés à des événements qui ont tout l’air d’être surnaturels, le tout dans ambiance de recherche au trésor, un trésor phénicien bien ancien qui attire d’étranges convoitises ! Outre ces deux personnages, il faut souligner la présence d’une jeune femme, Victoria, dont on devine que son rôle, au fil du récit, et de ses différents tomes, ne peut que s’accentuer…
A partir du postulat que nous nous trouvons bien dans une narration usant des codes du feuilleton littéraire, nous savons que les péripéties vont se multiplier, qu’il va y avoir des rebondissements, et que, surtout, c’est toute une époque, presque sociologiquement, qui va nous être montrée.
En abandonnant les années 50 chères à son commissaire Raffini, entre autres, le scénariste Rodolphe prouve qu’il fait partie incontestablement des grands raconteurs d’histoires.
Je parlais des codes du roman-feuilleton, et c’est particulièrement visible dans la façon dont différents éléments de l‘intrigue sont mis en scène, sont annoncés par des expressions comme « or… », « précisément… », « cette huit-là… », « plus tard… ».
La force des romans-feuilletons d’avant-hier, c’était aussi que les lecteurs y reconnaissaient des personnages réels, ou plausibles, des lieux, des événements.
Là aussi, Rodolphe est fidèle à ce style qu’il s’est choisi. Il place côte à côte des personnages imaginaires et des noms connus… De ces noms qu’on retrouve dans les pages du Journal de Léautaud : Montesquiou, Proust, Drovetti, Wilde, Loti, Milord l’Arsouille… Et en guise de décors, matériels ou humains: les voitures, la durée des trajets, « Le petit journal », les « invertis », ces deux établissements l’un à côté de l’autre, « Le ciel » et « L’enfer »… C’est donc tout le portrait d’un monde mondain qu’il dresse, ajoutant de la véracité à la puissance de son imagination.
Une imagination très littéraire, sans doute, mais fluide, entraînante, sans cesse étonnante. Avec des hommages, glissés ici et là, à Gaston Leroux, à Maurice Leblanc, et même à Hergé et ses sept boules de cristal.
Quant au dessin d’Oriol j’ai déjà dit par ailleurs combien ce dessinateur possède un style extrêmement personnel. Il prouve ici qu’il peut mettre ce style au service de récits extrêmement variés. Après ses collaborations complices avec Zidrou, il fait corps, ici, avec les mots de Rodolphe.
Dans son dessin d’ailleurs, comme dans le texte de Rodolphe, les références et les hommages picturaux sont nombreux. Toulouse Lautrec, la Goulue et Valentin le désossé en sont des exemples marquants.
Et comment ne pas parler de sa palette de couleurs ! Avec des visages parfois presque estompés, avec des regards qui dévorent toute une figure, ce sont ses couleurs qui donnent vie et rythme à la narration. On peut parler d’expressionnisme, on peut se souvenir aussi de Munch, de Fritz Lang.
Ce livre est passionnant, et on sent, de bout en bout, le plaisir que ses auteurs ont pris à nous l’offrir. Le seul bémol, c’est qu’il est « à suivre »… Comme dans les vrais feuilletons d’une époque certes révolue mais porteuse de charmes infinis.
Rodolphe joue avec les codes du feuilleton, mais aussi avec ceux du polar, du fantastique, de l’Histoire, et même du livre d’art au travers du graphisme somptueux d’Oriol.
Cet album est une totale réussite, ludique, littéraire, passionnée et passionnante, d’une qualité d’édition, en outre, parfaite… A ne pas rater, donc !
Jacques et Josiane Schraûwen
L’Or Du Temps – Première partie (dessin et couleur : Oriol – scénario : Rodolphe – éditeur : Daniel Maghen – 80 pages – 2021)