Octofight – 1. Ô Vieillesse Ennemie

Octofight – 1. Ô Vieillesse Ennemie

De la politique-science-fiction qui fait froid dans le dos, parce que tout ce qui est raconté ici, finalement, est totalement plausible !

Octofight 1© Glénat treizeétrange

Nous sommes en 2050, en France. Un pays dirigé par un certain Mohamed-Maréchal Le Pen. Un pays totalitaire, sans aucun doute, mais dans lequel des spécificités politiques existent, malgré tout, autour d’une seule référence historico-politique : le gaullisme !

Vous voyez que, dès le départ, on se retrouve en terrain connu, même si ce terrain est celui d’un futur plus ou moins proche !

Un autre terrain connu, c’est celui de la trame essentielle de ce premier album d’une série qui doit se conjuguer en trois épisodes. Ce thème central, c’est le quatrième âge, les vieux de plus de 80 ans, ces « à peine humains » qui pèsent un terrible poids économique sur la société sans rapporter quoi que ce soit à cette même société !

Aujourd’hui, on les laisse tranquillement mourir dans des homes, à l’abri des regards, dans une solitude institutionnalisée.

Demain, d’après les auteurs de cette histoire, on pratiquera à grande échelle l’euthanasie civique !

Octofight 1© Glénat treizeétrange

Le personnage central de ce livre, Stéphane Legoadec, est contrôlé positif à la nicotine, et se voit donc radié de la sécurité sociale, condamné, dès lors, à devoir mourir… Son fils lui-même trouve cette mesure particulièrement juste. Dès lors, Stéphane et son épouse, Nadège, vont fuir… Pour où ?… Pour des territoires dirigés par les Néo-Ruraux , il n’y a pas d’autre alternative. Pour Stéphane et Nadège, c’est la plongée dans l’inconnu, avec, malgré tout, l’espérance d’y trouver de quoi faire plus que simplement survivre.

Mais ne vous fiez pas à ce terme presque gentil de « Néo-Ruraux » ! Si leur origine était sans dougte écologique, il n’en est plus rien… Il s’agit de bandes organisées dans lesquelles s’organisent des combats d’une extrême violence. Des combats qui mettent en face à face uniquement ces « vieux » qui ont cru à une fin de vie meilleure, ces « personnes à jeunesse réduite » récalcitrantes !

Octofight 1© Glénat treizeétrange

A partir de ce moment-là, on se retrouve dans une narration extrêmement mélangée.

D’une part, il y a le quotidien de Stéphane et de Nadège, les combats terribles que Stéphane, ancien membre du service d’ordre du Front National, se voit obligé d’accomplir pour pouvoir, simplement, avoir accès à ses médicaments.

D’autre part, il y a une espèce de manuel historique qui remet en perspective ce monde « vieux-interdits », et qui explique, par petites touches, comment une stratégie politique peut, en prenant son temps, imposer à tout un peuple un nouveau mode de vie. Là aussi, oui, nous sommes en face d’un miroir qui renvoie, à peine déformé, le reflet de nos sociétés contemporaines…

Octofight 1© Glénat treizeétrange

On pourrait croire, au départ, à un livre (trois livres, en fait, qui devraient paraître en une seule année) surfant sur le succès des Vieux Fourneaux, de Cauuet et Lupano. Mais là où, dans les Vieux Fourneaux, la violence n’est que verbale, la révolte plus poétique et humaniste que révolutionnaire, ici, c’est tout le contraire. Pour Nicolas Juncker, le scénariste, le propos est évidemment politique. Et sombre, et pessimiste. Il est comme un cri d’alarme face à un monde, le nôtre, qui dérape de plus en plus et oublie jusqu’à la notion d’humanisme. Mais son talent de raconteur d’histoire dépasse la simple vision intellectuelle pour nous raconter une histoire « charnelle », avec des tas de personnages, très typés, mais de ce fait très présents, et qui donnent un rythme endiablé au récit. Ce sont des vieux fourneaux, certes, mais qui ont croisé la route de Rambo…

Et le dessin de Chico Pacheco accompagne à merveille le côté trépidant de l’histoire racontée. C’est du dessin rapide, vif, en mouvements et en gros plans des visages et de leurs expressions. Plus que de l’influence, on peut dire qu’on se trouve vraiment dans un manga à l’européenne… Et, pour une fois, ce n’est pas une critique négative de ma part…

Un scénario solide, bien charpenté, un dessin qui choisit d’abord et avant tout l’efficacité, le tout pour un livre dont on ne peut qu’attendre la suite avec impatience !

Octofight 1© Glénat treizeétrange
Nicolas Juncker
Nicolas Juncker © Jacques Schraûwen

Jacques Schraûwen

Octofight – 1. Ô Vieillesse Ennemie (dessin : Chico Pacheco – scénario : Nicolas Juncker – éditeur : Glénat treizeétrange – 126 pages – juin 2020)

On est chez nous : 1. Soleil Brun

On est chez nous : 1. Soleil Brun

L’actualité, depuis pas mal de temps, se focalise sur les migrants, sur l’extrême droite. Le monde de la culture n’a rien d’évanescent et s’intéresse souvent de très près à l’actualité… La bande dessinée, par exemple, est un média qui n’a pas peur de parler de notre société… Et c’est bien le cas avec cet album puissant…

On est chez nous. 1 © Robinson

En mars 2020, nos voisins français vont voter pour les municipales. Et le parti de Marine Le Pen espère bien utiliser ces élections comme tremplin pour les prochaines présidentielles ! A partir de cette réalité, Sylvain Runberg et Olivier Truc ont imaginé une bd, dessinée par Nicolas Otero, qui mêle politique, journalisme, et polar…

On est chez nous. 1 © Robinson

Et c’est un mélange qui fonctionne à la perfection !…

Le scénario, même s’il annonce que toute ressemblance avec quelqu’un d’existant serait fortuite, est transparent quant aux personnages mis en scène… On se trouve dans le sud de la France, dans une petite ville dirigée depuis plusieurs années par un maire d’extrême droite. Et voilà que le parti catapulte dans cette ville la blonde et charismatique Chloé Vanel, qui fut égérie de ce parti politique avant de prendre du recul et de se refaire une sorte de virginité… Pour elle, se faire élire sera le premier pas essentiel pour, deux ans plus tard, se retrouver en bonne place pour remplacer Macron !

Pour couvrir ce retour à la vie politique d’une icône de l’extrême-droite, les journalistes se multiplient dans cette petite cité. Parmi eux, Mongin Son reportage sur une mairie d’extrême-droite et ses dérives quotidiennes passe très vite au second plan…. C’est qu’on retrouve un, et puis deux cadavres de migrants, pendus haut et court, et chacun portant une pancarte : « on est chez nous » ! Le slogan qui est, justement, celui de la campagne électorale de Chloé Vanel…

On est chez nous. 1 © Robinson

On devine bien, dans cet album, des endroits connus, comme Orange, ou Vitrolles, dans un sud français où le soleil est « brun » comme était brun le soleil de l’Allemagne en 40/45… On reconnaît des personnages, aussi, comme Marion Maréchal Le Pen, ou Robert Ménard… Mais ce côté très politique ne rend pas la lecture de cette bd ardue, loin s’en faut !

D’abord parce que Runberg est un scénariste aguerri, qui sait raconter des histoires… Le biais qu’il prend pour construire sa narration, suivant pas à pas ou presque les pas d’un journaliste libre et indépendant, permet à l‘intrigue de ne pas se perdre dans les événements, mais, tout au contraire, d’être homogène à la lecture, sans pour autant estomper les réalités rencontrées par le personnage central : le mépris ressenti par les petites villes à l’égard de la capitale, par exemple, les médias bien installés pour lesquels seul compte le « sensationnel »… Les luttes internes au parti d’extrême-droite, aussi… Il y a très peu de manichéisme dans ce livre, mais il y a un vrai engagement, politique, ou, plutôt, humaniste.

On est chez nous. 1 © Robinson

Ensuite, Il y a le dessin de Nicolas Otero, d’un superbe expressionnisme, dans le sens premier du terme… Sa façon de construire une planche, avec très peu d’effets spéciaux, est classique et moderne tout à la fois. Et son approche graphique des visages, des expressions, des bouches surtout, est remarquable. La couleur, également, joue un rôle important dans la réussite de ce livre. Elle apporte une lumière qui se fait contraste avec le sombre d’une réalité politique quotidienne.

Runberg est un scénariste que j’aime beaucoup, et Otero fait partie de ces dessinateurs modernes capables de vraies prouesses graphiques, mais narratives aussi ! Et c’est bien ce qu’il fallait pour faire d’un album de politique-fiction une vraie réussite !

Jacques Schraûwen

On est chez nous : 1. Soleil Brun (dessin : Nicolas Otero – scénario : Sylvain Runberg et Olivier Truc – éditeur : Robinson – 64 pages et un dossier – parution : septembre 2019)

On est chez nous. 1 © Robinson
Les Ogres-Dieux: 3. Le Grand Homme

Les Ogres-Dieux: 3. Le Grand Homme

Un monde baroque dans lequel les ogres-dieux sont tout-puissants… Un monde dans lequel les révoltes sont la seule manière de se senti vivants… Et un sang-mêlé qui, par amour, va peut-être restaurer l’espoir d’un univers meilleur!


Les Ogres-Dieux © Soleil

La première qualité de cette série réside dans la manière dont Hubert, le scénariste, a imaginé et rendu plausible un univers mêlant à la fois les images qui nous viennent des contes de nos enfances, à la fois les clichés nés de quelques séries télé à grand succès, et à la fois, surtout, des références évidentes avec les problématiques de nos propres réalités. Et la mise en scène graphique de ce monde, due à l’époustouflant Bertrand Gatignol, ajoute encore à la puissance de ces livres.

Chaque livre peut se lire individuellement, même si plusieurs personnages traversent les différents tomes de leurs présences charismatiques.

Ainsi, dans ce troisième volume, on retrouve  » Petit « , l’enfant d’un ogre et d’une  » humaine « . On retrouve aussi un chambellan ambitieux et cruel. Mais nul n’est besoin, fondamentalement (à la différence d’œuvres comme « game of thrones « ) d’avoir tout lu pour  » entrer  » dans cet épisode !

La raison en est à trouver dans la construction narrative de Hubert, qui, certes, nous raconte une histoire dessinée, mais le fait en accompagnant ce récit de textes dont l’aspect et l’ambition littéraires sont évidents. Le personnage central de ce troisième tome,  » Lours « , se devait d’être défini, par son présent comme par son passé, et ces textes, intitulés  » Les dits de Lours  » sont là pour le faire, avec un vrai talent d’écriture.

La deuxième qualité de ce livre est celle du dessin… Les deux premiers titres de cette série se révélaient résolument baroques, gothiques même, et se déroulaient essentiellement dans un univers urbain, celui des lustres et des bas-fonds de la cité et du château des Ogres-dieux.

Ici, Gatignol a quelque peu changé sa manière de dessiner. Ou, plutôt, il s’inspire moins de quelques grands auteurs de comics américains et laisse son trait se référer, graphiquement, à l’art du manga. Mais sans caricature, jamais, sans découpage stéréotypé, et avec une véritable personnalité. Une personnalité qui explose dans sa façon de traiter les physionomies de ses personnages, et singulièrement leurs regards. Gatignol nous fait profondément ressentir la bonté, la révolte, la haine, au seul travers des yeux qu’il dessine. Et, sous ses traits, la forêt imaginée par Hubert devient vivante, devient un personnage absolument essentiel.


Les Ogres-Dieux © Soleil
LE TEXTE
Hubert
DESSIN, REGARDS, NATURE

Hubert

Dans ce livre, on suit de tout près la quête de  » Petit « , refusant de devenir roi comme l’était son père, un souverain de cruauté et d’injustice. On suit aussi la quête d’un chambellan qui, pour continuer à profiter d’un pouvoir absolu, doit avoir au-dessus de lui cet Ogre de sang-mêlé qui le fuit. On suit la fuite de  » Petit « , son combat avec les forces armées du pouvoir, l’enlèvement de sa bien-aimée. On suit, surtout, la lutte des  » Niveleurs « , un groupe dirigé par Lours, personnage plein de mystères quant à ses origines, quant à ses relations avec le monde des  » nantis « , des  » bien-nés « …

Et c’est dans l’alchimie réussie de tous ces ingrédients que réside la troisième qualité de ce livre. Narration éclatée, passage de la bande dessinée au seul dessin d’illustration pour des textes qui, sans aucune linéarité, parviennent à retracer au papier les routes du passé, de plusieurs passés, tout cela participe à une aventure graphique et littéraire parfaitement assumée et impeccablement réussie !


Les Ogres-Dieux © Soleil
NARRATION, MYSTERE

Hubert

Et puis, toutes les autres qualités de ce livre, au scénario particulièrement endiablé, aux péripéties nombreuses, aux scènes de lutte éclatées, aux rebondissements incessants, toutes ces autres qualités sont celles du « propos « … C’est, et ce depuis le premier album, d’identité et de différence que  » Les Ogres-Dieux  » nous parlent…

Comme le dit Lours, d’ailleurs…  » Ils nomment étrangers ceux qui viennent du village d’à côté « . Et à ce titre, au-delà des jeux de pouvoir, au-delà des diktats de la religion, quelle qu’elle soit, au-delà de la justice, de la mort cependant omniprésente, du destin qui seul peut décider de rendre roi ou pas celui qui le refuse, au-delà d’une construction presque d’héroic-fantasy, cette série se dévoile humaniste. C’est par l’acceptation de l’autre, tel qu’il est, que le monde des ogres-dieux peut voir la chance de ne plus être exclusivement injuste et assassin… La violence des situations décrites et merveilleusement dessinées n’est là, finalement, que comme le miroir des sentiments qui, dans ce monde où les ogres sont dieux et rois comme dans nos quotidiens les plus banals, forment la vraie trame de l’Humain, avec un H majuscule !


Les Ogres-Dieux © Soleil
DIFFERENCE, IDENTITE

Hubert

La grande idée-force de cet album, à la différence des deux premiers, c’est la nécessité, pour être Humain, justement, de se révolter…

Quelques phrases, ainsi, émaillent le livre, comme des points de repère dans une action qui ne peut être que celle de la révolte, voire de la révolution :  » La politique ne se limite pas à la stratégie.  » –  » On est une poignée ! Et on se bat pour tout un pays… Les gens s’en foutent. Ils restent là, l’œil vide.  » –  » Admirez le grand homme : tout s’écroule sur son passage ».

Là aussi, les ponts entre l’imaginaire des auteurs et notre réalité sont évidents…

Les Ogres-Dieux © Soleil
REVOLTE

Hubert

Ne résistez pas…. Foncez chez votre libraire, allez découvrir si vous ne la connaissez pas, cette série, cette saga… Et offrez-lui une place de choix dans votre bibliothèque et dans celle de vos vrais amis !…

Jacques Schraûwen

Les Ogres-Dieux: 3. Le Grand Homme (dessin : Bertrand Gatignol – scénario : Hubert – éditeur : Soleil, collection Métamorphose)