L’obsolescence programmée de nos sentiments : l’amour, le désir, le bonheur et le temps qui passe…

L’obsolescence programmée de nos sentiments : l’amour, le désir, le bonheur et le temps qui passe…

Zidrou, d’album en album, aime nous étonner tout autant qu’il s’étonne lui-même, par la variété de ses choix scénaristiques, et par la poésie profondément humaine de toutes ses aventures en compagnie de dessinateurs toujours inspirés…

On parle beaucoup, ces derniers temps, de l’obsolescence programmée de tous les appareils électro-ménagers (au sens le plus large du terme…) qui remplissent de plus en plus notre quotidien.

En même temps, nous vivons une époque où l’être humain lui-même se trouve en danger de perte de (re)connaissance, face à un univers dans lequel la technologie prend de plus en plus le pouvoir.

La technologie et l’âge. Certes, le  » jeunisme  » ne date pas d’aujourd’hui, et il a déjà quelques belles années derrière lui, mais il est de plus en plus présent, évident, dans toutes les couches de notre société. Le temps qui passe serait-il donc devenu, pour l’homme et la femme, le signe inéluctable d’une déchéance, d’un effacement de tous les bonheurs de la vie ? Vieillir serait-il le signe charnel d’une obsolescence programmée des sentiments humains ?

C’est là tout le thème de cet album qui ne ressemble à aucun autre, qui aborde, de front, avec tendresse et poésie, la beauté de l’âme et du corps qui, en se sachant vieillis, face à leurs propres miroirs, face aussi et surtout aux miroirs des regards des autres, se veulent encore et toujours aptes au désir, au plaisir, donc à l’existence !

Zidrou: le thème de ce livre

Le résumé de ce livre est tout simple. Ulysse, veuf, perd son emploi à presque 60 ans. Seul dans la vie, il promène son ennui entre ses quatre murs. Méditerranée, elle, est commerçante et célibataire, et vient de perdre sa mère, avec qui, sans doute, elle vivait une relation privilégiée depuis toujours. Ulysse était déménageur. Méditerranée fut, il y a des années, modèle de charme, ayant même fait la couverture du magazine Lui.

Isolés, perclus de solitude, prêts presque à se laisser aller à un long et lent trajet vers la mort, ils vont se croiser, par hasard. Ils vont se regarder l’un l’autre. Ils vont, non pas rajeunir, mais s’apprivoiser et, ce faisant, apprivoiser le temps, LEUR temps.

Lorsqu’un tel sujet est abordé, en littérature, en chanson, il faut reconnaitre que ce sont souvent les  » clichés  » qui deviennent le fil conducteur d’un récit plus ou moins bien-pensant et  » politiquement  » correct.

Avec Zidrou, ce n’est pas du tout le cas, tout comme avec Aimée De Jongh, l’époustouflante dessinatrice de cet album. Pour aborder le thème du vieillissement des sentiments, celui des chairs, ils battent tous les deux en brèche les habitudes visuelles et littéraires rattachées à la réalité de l’âge humain. Il y a les mots de Zidrou qui, à aucun moment, ne sonnent faux. Il y a le dessin d’Aimée De Jongh qui n’embellit rien, qui ose montrer les corps tels qu’ils sont et pas tels qu’on pourrait les rêver, et qui le fait sans voyeurisme, mais avec une véritable sensualité.

Zidrou: Les clichés

C’est ce qui est frappant, dans cet ouvrage, très vite, d’ailleurs, cette osmose entre texte et graphisme, entre l’image et le mot, entre les visions que les deux auteurs, de générations très différentes, partagent de l’humanité, du corps dans toutes ses évolutions, du sentiment qui, si on le veut, peut ne jamais souffrir d’obsolescence, tant il est vrai qu’aucun être humain n’est un cliché! S’il fallait trouver une morale à cette histoire, c’est que le sentiment amoureux est la seule et véritable jeunesse de la chair comme de l’âme, du cœur comme de l’intelligence.

Et, à ce titre, la couverture de cet album est parfaitement emblématique. Nos deux héros sont nus, mais de dos… Se parlent-ils ou, silencieux, regardent-ils côte à côte leurs nouveaux horizons ? Et s’ils sont amoureux, ils ne le sont qu’en prémices, qu’en frôlements, qu’en espérances…

Cet album est un livre profondément et exclusivement humain, ai-je envie de dire. Un livre dans lequel on sent, avec intensité, que tous les personnages, centraux ou secondaires, ont leur importance, ont leur existence propre. Comme cette professionnelle de l’amour, aperçue deux fois, et dont le dessin montre, plus que ce qu’auraient pu faire les seuls mots, toute la détresse de voir un client fidèle, un ami intime donc, la quitter par amour…

La pauvreté de l’avant-vieillesse devient richesse grâce à un dessin tout en douceur, tout en poésie à la fois pudique et subtilement sensuelle. Aimée De Jongh joue avec les regards, avec les ombres sur les corps dénudés, avec les sourires de chacun de ses personnages… Et elle fait avec un indéniable talent!

Zidrou: osmose ente dessin et texte
Zidrou: La couverture
Zidrou: Les personnages, en accord total avec la dessinatrice

Ce livre aurait pu être désespéré, voire désespérant, et il n’en est rien, que du contraire. Cette histoire que nous racontent Zidrou et De Jongh est rafraîchissante, souriante, heureuse… Je ne peux pas résister à une citation, d’ailleurs :  » devenir vieux, c’est un métier d’avenir « .

La vie est faite d’étapes, paraît-il… L’étape que franchissent Ulysse et Méditerranée est essentielle , puisqu’ils ont enfin dépassé l’âge d’être raisonnables !

Zidrou, lui aussi, a dépassé cet âge, depuis quelques années déjà, des années au cours desquelles il parvient, de livre en livre, à se renouveler, mais à le faire sans aucune routine, en parvenant à raconter des histoires toutes différentes les unes des autres, sans aucun doute, mais toutes animées d’une même volonté : celle de nous faire aimer des personnages, même horribles (comme dans  » La petite souriante « ), et de le faire avec un vrai talent littéraire, avec un regard à la fois tendre et poétique, souriant et acerbe, un de ces regards capables de magnifier un quotidien toujours trop lourd à supporter…

En quelques années, d’étonnement en étonnement, Zidrou s’est installé dans l’univers du neuvième art comme un des scénaristes les plus importants !

Zidrou: être scénariste

 » L’obsolescence programmée des sentiments  » est un livre traditionnel dans sa construction, tant graphique que littéraire. Mais c’est surtout un livre résolument moderne dans son traitement…

C’est aussi un livre qui ne parle, finalement, que du quotidien, dans ce qu’il peut avoir de plus ouvert au rêve et à ses réalisations.

C’est aussi un album émouvant, optimiste, positif, intelligent, avec un humour qui est celui de tout un chacun, tantôt tendre, tantôt grivois…

Et j’aime, en lisant un album de bd, être ému, sourire, réfléchir, changer mon point de vue, même, sur différentes réalités humaines.

Et j’aime donc, énormément, ce livre tout en intelligence, qui affirme encore plus le talent de Zidrou et fait, d’ores et déjà, d’Aimée De Jongh une de ces dessinatrices avec qui il faut désormais compter dans le monde du neuvième art!

 

Jacques Schraûwen

L’obsolescence programmée de nos sentiments (dessin : Aimée De Jongh – scénario : Zidrou – éditeur : Dargaud)

Les Ombres de la Sierra Madre : 1. La Nina Bronca

Les Ombres de la Sierra Madre : 1. La Nina Bronca

Les ombres de la Sierra Madre sont nombreuses… Elles sont celles de la guerre de 14/18… Elles sont celles des Mormons… Elles sont celles des derniers Apaches et de leur colère meurtrière… Et elles construisent ici un western quelque peu à contre-courant des codes propres à ce genre…

Les Ombres de la Sierra Madre©sandawe.com

1917. Dans les tranchées de la forêt d’Argonne, la première guerre mondiale fait rage. Moroni Fenn y vit, au quotidien, l’horreur quotidienne de la mort, de la violence. Son appartenance à « l’Eglise des Saints des Derniers Jours » ne l’aide pas à supporter ce conflit dans lequel l’humanité n’a plus droit de cité.

1920. De retour à Salt Lake City, Moroni Fenn sombre dans l’alcool, les cauchemars, le mal vivre, l’agressivité. Sa violence incontrôlable et peu en accord avec les principes des Mormons pousse les sages de cette communauté à l’envoyer protéger leur colonie installée au Mexique. A peine arrivé, il fait la connaissance d’un vieux fou, Merejildo, de sa nièce, la belle Guadalupe, et il arrache des griffes d’un margoulin une jeune indienne exhibée comme une bête de foire.

1923. Moroni est marié avec Guadalupe, qui attend un enfant, et la petite indienne, Bui, est leur fille adoptive. Quant à Merejildo, il veille sur eux, en attendant, inlassablement, la venue d’Apaches, disparus pourtant depuis bien longtemps de cette région.

Les Ombres de la Sierra Madre©sandawe.com

 

A partir de ce canevas, Philippe Nihoul raconte une histoire ancrée dans la grande Histoire, de manière évidente. Fouillé, documenté, son scénario répond, certes, aux besoins du genre western, avec Indiens, combats, chevaux, mais il s’en éloigne par l’époque, d’abord, le début du vingtième siècle, par le personnage central, ensuite, un Mormon fier de l’être, malgré ses problèmes identitaires. Bien entendu, le thème central reste la différence, la confrontation de différentes cultures, l’hégémonie d’une race sur l’autre, la puissance, non pas de la religion, quelle qu’elle soit, la force, aussi, de la résistance, même la plus inutile.

Classique dans sa construction, le scénario de Philippe Nihoul ne manque vraiment pas d’intérêt, de rebondissements, de réflexions sur l’humanité et ses dérives ; notre humanité, donc…

Quant au dessin de Daniel Brecht, il est lui aussi d’une facture très classique, avec d’évidences influences de Giraud et de Cosey… Mais sa manière de travailler la couleur, en une dominante de bruns, d’ocres, et de bleus légers donne à son style une vraie présence, une belle personnalité, même si, de ci de là, quelques erreurs graphiques, dans les perspectives et proportions existent.

Cela dit, ce livre est aussi une belle plongée dans l’enfance, et ce qu’elle peut avoir de plus sombre et de plus lumineux en même temps. Et ce premier volume appelle une suite qui, espérons-le, viendra vite ponctuer une histoire réellement passionnante !…

Jacques Schraûwen

Les Ombres de la Sierra Madre : 1. La Nina Bronca (dessin : Daniel Brecht – scénario : Philippe Nihoul – éditeur : sandawe.com)

Olympus Mons : 1. Anomalie Un

Olympus Mons : 1. Anomalie Un

« Olympus Mons », c’est un volcan situé sur la planète Mars, d’une hauteur de plus de 22 kilomètres. C’est aussi, bien évidemment, une référence à la mythologie grecque. Et ici, c’est une aventure dans laquelle les extraterrestres occupent la place centrale !

 

Voici un livre qui ne peut absolument pas être résumé ! Le scénario s’apparente plutôt à un puzzle qu’à un récit linéaire. Un puzzle de lieux, de situations, de personnages.

Jugez-en… Pour une part de l’histoire racontée, on est sur la planète Mars, face à ce fameux Olympus Mons, en compagnie d’une équipe russe. Pour une autre part, c’est en 1492 qu’on se retrouve, avec Christophe Colomb face à une montagne rouge. Pour une autre part encore, c’est dans la Mer de Barents qu’on plonge à la découverte d’un objet qui semble posé sur une colline sous-marine. Un autre groupe de personnages monte une montagne en Turquie, et un dernier héros, médium, a des visions qui le mettent en présence d’extraterrestres enfouis sous la mer…

Et toutes ces histoires, morcelées, se mélangent dans cet album, se suivent, s’arrêtent, recommencent, d’une façon qui a l’air totalement anarchique. Mais qui ne l’est pas, puisqu’on comprend, assez vite, qu’un point commun les unit, au-delà des lieux et des époques, et que ce lien, fait d’anomalies, géologiques surtout, génétiques peut-être, fera toute la trame de cette série !

 

Il y a énormément de texte, dans cet album, trop peut-être !… Mais ce texte permet, en même temps, de donner une assise sérieuse, voire scientifique, à ce qui nous est raconté. Le texte est, finalement, le seul liant de ce livre, un liant qui, peu à peu, abandonne la réflexion pure pour entrer de plain-pied dans l’aventure.

C’est de la science-fiction, bien sûr, une science-fiction qui utilise quelques-uns des poncifs habituels au genre : la présence « d’anomalies », l’existence de civilisations extraterrestres, le besoin humain de dépasser ses limites, quelles qu’elles soient, la prépondérance dans notre société du pouvoir militaire. Ce qu’on dit officiellement, ce qu’on tait…

Mais l’intérêt de ce livre, premier de ce qui doit être une saga, on le devine, est de ne pas faire de ces poncifs des éléments pesants, mais de les utiliser comme des codes chers au genre sf, mais permettant des trouées vers le monde qui est le nôtre, aujourd’hui. On est moins dans la veine d’Asimov que dans celle de Bradbury.

 

Mais on reste dans une approche assez classique de la SF, malgré tout. Par le scénario, bien sûr, par le dessin aussi qui, malgré quelques prouesses techniques (et colorisées…) se révèle d’abord et avant tout d’un réalisme assez statique. Mais parfaitement assumé !

Ce n’est pas un mauvais livre, loin de là ! Mais c’est un premier tome…. Et j’attends, pour avoir un jugement plus complet sur cette aventure humaine et extraterrestre, de voir ce que la suite de cette série va nous réserver…

Cela dit, il plaira, très certainement, à tous les amateurs du genre, et je sais qu’ils sont nombreux !

A découvrir, donc, sans arrière-pensée…

 

 

Jacques Schraûwen

Olympus Mons : 1. Anomalie Un (dessin : Stefano Raffaele – scénario : Christophe Bec – éditeur : Soleil)