Humour, tendresse, poésie… sans aucune mièvrerie !
Onzième volume d’une série bd exceptionnelle ! Et je pense que Pico Bogue devrait être « l’ami » de toutes celles et de tous ceux pour qui l’enfance ne s’efface jamais !
D’album en album, Alexis Dormal, le dessinateur, affirme l’originalité de son talent. Sans rien renier de ses influences totalement assumées, qu’elles soient celles de Sempé ou de Quino, il possède réellement un dessin à l’évidente personnalité. Ses traits, parfois à peine esquissés, mais toujours expressifs, en sont une des qualités… Mais la plus puissante de ses qualités et de ses originalités réside dans la couleur qui, transparente, lumineuse, fait de chaque dessin, ou presque, une petite aquarelle que l’on peut admirer dans la douce lenteur de l’instant qui passe.
Pico Bogue est-il un personnage emblématique de ce qu’on appelle la littérature jeunesse ? Pas vraiment, non… Bien sûr, ses » aventures » (vécues à taille d’enfance) peuvent être lues et savourées par un jeune public qui s’y retrouvera, qui y retrouvera ses quotidiens, ses jeux, ses angoisses, ses éclats de rire, ses découvertes. Mais Pico Bogue est aussi un personnage merveilleusement adulte, par son côté moralisateur, mais dans le bon sens du terme, le sens à » La Fontaine « , sans dogmatisme aucun. Et toujours pour le simple plaisir de partager ses impressions et ses questions avec des adultes qu’il ne comprend pas toujours, comme eux ne le comprennent pas non plus.
Pico Bogue (et ses créateurs…) joue avec les mots et les idées. Il nous prouve que la vraie philosophie, loin des Serres ou BHL pontifiants, c’est l’enfance. Une enfance qui garde sans cesse les yeux ouverts, la mémoire en éveil, et le sentiment toujours présent. Une enfance qui n’est pas celle de l’âge, mais du regard, du rêve, de l’humour, de la poésie.
Pico Bogue, ainsi, nous parle de douleur, de beauté, d’éducation, il nous montre une famille, avec ses failles, certes, mais avec son amour et ses partages aussi, avec cette nécessité essentielle de parler, de communiquer. A ce titre, je trouve extrêmement intéressant et intelligent le fait que les auteurs nous montrent un univers dans lequel, la plupart du temps, les technologies actuelles (smartphone, tablette, etc.) sont inexistantes. L’essentiel de cette série, c’est l’échange, c’est la volonté de se découvrir les uns les autres, en face à face.
Oui, Pico Bogue est un philosophe humaniste et humanisant !
» Ca me nuit d’être exceptionnel « , nous dit Pico Bogue… Mais cett lucidité, tellement nécessaire dans un monde où Audiard ne saurait plus où donner de la tête et du mot, est d’une fraîcheur toujours prête à s’émerveiller. Et elle n’empêche nullement la poésie, celle des yeux qui se croisent, celle des silences qui s’entrecroisent, celle des tendresses qui s’avouent.
Et cette poésie, sans rimes, sans raison, mais avec passion, n’empêche nullement, elle, l’humour… Mais aussi d’aborder des réalités qui ne sont pas toujours réjouissantes : le sexisme, le commerce, l’éducation, la politique… Et la vie intérieure, les émotions amoureuses, l’amitié avec ceux qui ne nous ressemblent pas…
Et puis, il y a dans cet album-ci une longue histoire d’une quinzaine de planches, qui, elle, nous parle de la peur, de la vieillesse, de la maladie, de la mort… Tout en petites touches quotidiennes, ce récit, tout en émotion, nous montre un enfant qui découvre que l’éternité n’est jamais que celle du moment qui passe…
Pico Bogue vieillit, oui, d’album en album, sans jamais rien perdre de son besoin de ne pas correspondre à des » codes » imposés par une société dans laquelle, c’est vrai, il s’inscrit pleinement, tout en s’en éloignant par la seule force de ses sourires et de ses réflexions.
Dominique Roques, la scénariste, ne cherche à aucun moment à » éblouir » par sa culture générale, par la pureté simple de ses textes. Tout comme Alexis Dormal, son dessinateur de fils, ne cherche nullement, lui, à faire étalage de ses talents de coloriste et de graphiste !
Pico Bogue, c’est une fusion entre deux auteurs… C’est une série essentielle qui se doit d’avoir sa place dans toutes les bibliothèques, et pas seulement celles consacrées à la bande dessinée !
Jacques Schraûwen
Pico Bogue : L’Heure Est Grave (dessin : Alexis Dormal – scénario : Dominique Roques – éditeur : Dargaud)