Popeye : Un homme à la mer

Popeye : Un homme à la mer

Les origines (peut-être) d’un marin mythique !

Qui ne connaît pas Popeye, l’homme aux biceps nourris d’épinards ?… Les auteurs de ce livre ont imaginé la manière dont il est devenu héros de bd…

Popeye © Michel Lafon

Ozanam au scénario et Lelis au dessin se lancent avec Popeye dans une entreprise particulière… Imaginer comment un personnage d’os et de chairs peut devenir héros de BD. Et, ce faisant, ils rendent vraiment hommage à Popeye, gloire immortelle de la bd américaine.

Pêcheur pauvre que la mer abandonne en ne lui offrant plus de poissons, artisan perdu dans un monde qui s’industrialise jusque sur la mer, Popeye se nourrit d’épinards parce qu’il a trouvé une réserve de conserves et qu’il est incapable de se payer autre chose, ou presque. Popeye cultive l’amitié, s’essaie à un autre métier, aime se castagner, vit une relation ambigüe avec son père, tombe amoureux d’Olive, une barmaid, et se lance dans une improbable course au trésor ! Tout cela sous le regard curieux d’un certain Elzie Crisler, dessinateur de comics strip.

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Popeye © Michel Lafon

C’est un livre dans lequel les auteurs se sont amusés, et on le ressent à la lecture.

Ils ont multiplié les seconds rôles, mais en leur donnant, à tous, une véritable texture, de la présence, en les faisant participer pleinement à l’action. Aux actions plurielles !

Ils se sont amusés aussi à utiliser tous les clichés propres à ce style de récit : clichés « marins », clichés de chasse au trésor, clichés de vie dans un port. Ses clichés allègrement détournés de bout en bout ! Et la gageure de détourner ces habitudes narratives tout en respectant le côté originel de Popeye est totalement atteinte et, ma foi, extrêmement réjouissante !

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Popeye © Michel Lafon

Ces détournements permettent aux deux auteurs d’actualiser leur récit, leur histoire. Le monde de la pêche, en crise, décrit dans ce livre est proche, extrêmement, de ce qu’il vit au jour le jour aujourd’hui. Le portrait social des marins et de leurs proches n’est pas éloigné du tout de ce qu’est la réalité des pêcheurs indépendants de nos jours. La description des nouvelles techniques de pêche, agressives quant à l’environnement marin, est totalement contemporaine aussi. Tout comme le plastique présent dans les océans…

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Popeye © Michel Lafon

Ozanam est un scénariste accompli, qui a à son actif quelques superbes réussites, comme le journal d’Anne Frank, chroniqué ici…

Ozanam et Lelis avaient déjà collaboré, pour l’excellent « Gueule noire ».

Et les voici donc réunis dans cet album qui parle d’aventure, d’amour, de poésie, d’amitié. Qui parle d’êtres humains qui survivent dans un monde qui les renie peu à peu. Qui nous dit aussi, finalement, que tout un chacun peut devenir héros de sa propre histoire.

Le texte d’Ozanam est ben charpenté, bien différencié aussi au niveau des dialogues dont on ressent, à la lecture, les accents.

Quant au dessin de Lelis, Brésilien extrêmement doué, il est fluide, diaphane parfois, comme s’il subissait les assauts tranquilles des embruns… Et la couleur, en tons pastels, ajoute une ambiance poétique supplémentaire à un récit intelligent, souriant, et ouvert aux réalités du monde d’aujourd’hui !

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Popeye © Michel Lafon

Jacques Schraûwen

Popeye : Un homme à la mer (dessin : Lelis – scénario : Ozanam – éditeur : Michel Lafon)

https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_journal-d-anne-frank-jacques-schrauwen?id=9250985

Pico Bogue : L’Heure Est Grave

Pico Bogue : L’Heure Est Grave

Humour, tendresse, poésie… sans aucune mièvrerie !

Onzième volume d’une série bd exceptionnelle ! Et je pense que Pico Bogue devrait être « l’ami » de toutes celles et de tous ceux pour qui l’enfance ne s’efface jamais !

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Pico Bogue © Dargaud

D’album en album, Alexis Dormal, le dessinateur, affirme l’originalité de son talent. Sans rien renier de ses influences totalement assumées, qu’elles soient celles de Sempé ou de Quino, il possède réellement un dessin à l’évidente personnalité. Ses traits, parfois à peine esquissés, mais toujours expressifs, en sont une des qualités… Mais la plus puissante de ses qualités et de ses originalités réside dans la couleur qui, transparente, lumineuse, fait de chaque dessin, ou presque, une petite aquarelle que l’on peut admirer dans la douce lenteur de l’instant qui passe.

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Pico Bogue © Dargaud

Pico Bogue est-il un personnage emblématique de ce qu’on appelle la littérature jeunesse ? Pas vraiment, non… Bien sûr, ses  » aventures  » (vécues à taille d’enfance) peuvent être lues et savourées par un jeune public qui s’y retrouvera, qui y retrouvera ses quotidiens, ses jeux, ses angoisses, ses éclats de rire, ses découvertes. Mais Pico Bogue est aussi un personnage merveilleusement adulte, par son côté moralisateur, mais dans le bon sens du terme, le sens à  » La Fontaine « , sans dogmatisme aucun. Et toujours pour le simple plaisir de partager ses impressions et ses questions avec des adultes qu’il ne comprend pas toujours, comme eux ne le comprennent pas non plus.

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Pico Bogue © Dargaud

Pico Bogue (et ses créateurs…) joue avec les mots et les idées. Il nous prouve que la vraie philosophie, loin des Serres ou BHL pontifiants, c’est l’enfance. Une enfance qui garde sans cesse les yeux ouverts, la mémoire en éveil, et le sentiment toujours présent. Une enfance qui n’est pas celle de l’âge, mais du regard, du rêve, de l’humour, de la poésie.

Pico Bogue, ainsi, nous parle de douleur, de beauté, d’éducation, il nous montre une famille, avec ses failles, certes, mais avec son amour et ses partages aussi, avec cette nécessité essentielle de parler, de communiquer. A ce titre, je trouve extrêmement intéressant et intelligent le fait que les auteurs nous montrent un univers dans lequel, la plupart du temps, les technologies actuelles (smartphone, tablette, etc.) sont inexistantes. L’essentiel de cette série, c’est l’échange, c’est la volonté de se découvrir les uns les autres, en face à face.

Oui, Pico Bogue est un philosophe humaniste et humanisant !

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Pico Bogue © Dargaud

 » Ca me nuit d’être exceptionnel « , nous dit Pico Bogue… Mais cett lucidité, tellement nécessaire dans un monde où Audiard ne saurait plus où donner de la tête et du mot, est d’une fraîcheur toujours prête à s’émerveiller. Et elle n’empêche nullement la poésie, celle des yeux qui se croisent, celle des silences qui s’entrecroisent, celle des tendresses qui s’avouent.

Et cette poésie, sans rimes, sans raison, mais avec passion, n’empêche nullement, elle, l’humour… Mais aussi d’aborder des réalités qui ne sont pas toujours réjouissantes : le sexisme, le commerce, l’éducation, la politique… Et la vie intérieure, les émotions amoureuses, l’amitié avec ceux qui ne nous ressemblent pas…

Et puis, il y a dans cet album-ci une longue histoire d’une quinzaine de planches, qui, elle, nous parle de la peur, de la vieillesse, de la maladie, de la mort… Tout en petites touches quotidiennes, ce récit, tout en émotion, nous montre un enfant qui découvre que l’éternité n’est jamais que celle du moment qui passe…

Pico Bogue vieillit, oui, d’album en album, sans jamais rien perdre de son besoin de ne pas correspondre à des  » codes  » imposés par une société dans laquelle, c’est vrai, il s’inscrit pleinement, tout en s’en éloignant par la seule force de ses sourires et de ses réflexions.

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Pico Bogue © Dargaud

Dominique Roques, la scénariste, ne cherche à aucun moment à  » éblouir  » par sa culture générale, par la pureté simple de ses textes. Tout comme Alexis Dormal, son dessinateur de fils, ne cherche nullement, lui, à faire étalage de ses talents de coloriste et de graphiste !

Pico Bogue, c’est une fusion entre deux auteurs… C’est une série essentielle qui se doit d’avoir sa place dans toutes les bibliothèques, et pas seulement celles consacrées à la bande dessinée !

Jacques Schraûwen

Pico Bogue : L’Heure Est Grave (dessin : Alexis Dormal – scénario : Dominique Roques – éditeur : Dargaud)

Bruxelles 2019 – A l’occasion de la Belgian Pride du 18 mai, trois albums bd à découvrir

Bruxelles 2019 – A l’occasion de la Belgian Pride du 18 mai, trois albums bd à découvrir

C’est en 1996 qu’a eu lieu, pour la première fois à Bruxelles, la Gay Pride. A l’époque, seules quelques petites centaines de militants festifs avaient défilé… Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, loin s’en faut, et, le 18 mai prochain, la foule sera au rendez-vous. L’occasion de découvrir la bd «gay» dans trois de ses aspects…

Un Monde De Différence (auteur : Howard Cruse – éditeur : Vertige Graphic – exposition au Comic Art Factory à Ixelles à partir du 17 mai 2019)

https://www.comicartfactory.com/

A quelque 75 ans, Howard Cruse, fils de prédicateur, est à inscrire dans deux courants artistiques américains complémentaires : d’une part, l’underground, qui osait, à l’instar de Crumb, un langage, tant dessiné que littéraire, opposé à tous les codes du bienséant, et, d’autre part, la tendance initiée par « Mad » et qui osait rire de tout avec un sens de l’absurde qui ne fut pas sans influencer Gotlib de ce côté-ci de l’Atlantique.

Mais pour Howard Cruse, l’important fut très vite de dépasser ces frontières culturelles pour parler, simplement, de la liberté, de toutes les libertés. Et c’est ainsi que, dans « Un monde de différence », c’est un peu lui qu’il dessine sous les traits de Toland Polk, un homme du sud des Etats-Unis cherchant d’abord à nier ses « penchants homosexuels », mais amené, peu à peu, à les accepter, à les revendiquer, et ce dans un monde en changement (comme le disait Bob Dylan). Dans un monde où la marginalité était plurielle, où les différences et leurs revendications se côtoyaient dans ces marginalités. Dans un univers où résister à la pression d’une politique et d’une philosophie de vie déshumanisantes amenait toutes les différences à s’accepter les unes les autres pour un combat de tous les jours destiné à la recherche d’une vraie liberté de vivre et de penser, d’aimer et d’être aimé.

Ce livre raconte la grande Histoire de la lutte Gay, entre autres, il est le récit d’une quête identitaire et initiatique, spirituelle et sexuelle. Avec un dessin extrêmement précis et personnel, Howard Cruse a signé un vrai document important de la société gay… A découvrir jusqu’en juillet dans une galerie bruxelloise, le Comic Art Factory !

Freddie Mercury (auteur : Alfonso Casas – éditeur : Paquet)

Avec ce livre-ci, les éditions Paquet peuvent donner l‘impression de surfer sur le succès cinématographique de ces derniers mois. Mais qu’on ne s’y trompe pas, on ne se trouve pas en présence d’un simple biopic, mais d’une analyse assez fouillée de l’œuvre de Freddie Mercury, illustrée de dessins qui rendent autant hommage à l’artiste qu’il était qu’au contenu de ses chansons et qu’aux combats libertaires que ces chansons représentaient.

Ce livre, ainsi, est destiné à tous les admirateurs de Mercury. Mais son intérêt réside aussi dans la façon dont son auteur dresse un portrait sans avoir l’air d’y toucher, en partant, d’abord et avant tout, de ce qu’était l’essence même de la vie de Mercury : la création, la musique, le spectacle. Et à ce titre, ce « Freddie Mercury » s’adresse vraiment à un public très large !

Les Petites Faveurs (auteure : Colleen Cover – éditeur : Glénat Porn’pop)

Graphiquement entre Wallace Wood et Lucques, voici un livre résolument érotico-pornographique, souriant, inventif, et parlant de femmes qui aiment les femmes, et destiné aux femmes, sans aucun doute ! Aux lesbiennes… Aux autres… Et, ma foi, aux hommes, aussi, désireux de découvrir que l’appartenance sexuelle d’un auteur (homme ou femme) influence d’évidence ses récits et les moteurs intimes qui les sous-tendent, mais n’influence en rien le talent. Et Colleen Coover n’en manque pas, de talent, sans aucun doute possible !

Annie, l’héroïne, n’a pas grand-chose à voir avec son aînée « Little Annie »… Dévergondée, adorant les amusements solitaires, elle se découvre soudain une conscience… Et une gardienne cosmique de sa conscience, la blonde Nibbil. Blonde, inventive, et charnellement torride!

Cela dit, quand on parle de conscience, c’est de conscience de désir, de plaisir, de jouissance, de rires heureux, de bonheurs partagé, de folies fantasmées qu’il s’agit, d’abord et avant tout! !

Oui, c’est une bd lesbienne et pornographique, une bd qui n’est pas sans rappeler que l’« Alice au pays des merveilles » chère à Disney ne manquait pas de symbolismes qui étaient tout sauf sages et bien-pensants !

Une lecture à réserver à un public adulte, donc, avec un dessin vif, enjoué, intelligent, des scénarios qui illustrent de l’amour toutes les fantaisies, voilà ce qu’offre ce livre étonnant aux qualités évidentes !

Une Belgian Pride… Trois bandes dessinées très différentes les unes des autres, qui mènent du militantisme à la biographie, en passant par le plaisir des sens… De quoi, simplement, comprendre par tout un chacun que l’homosexualité est une réalité aux mille talents…

Jacques Schraûwen