Un Putain de Salopard – tome 1: Isabel

Un Putain de Salopard – tome 1: Isabel

Régis Loisel au scénario et Olivier Pont au dessin: une équipe de choc pour une aventure dans laquelle les femmes ont le premier rôle! Et une chronique qui laisse la parole à ces deux auteurs!


Putain de salopard © Rue de Sèvres

Il est évidemment inutile de présenter Régis Loisel. Il est de ceux qui ont fait de la bande dessinée ce qu’elle est aujourd’hui : un creuset de création qui ne renie rien de ses origines tout en réussissant sans cesse à innover, à inventer. « Peter Pan », « Le Grand Mort », « Magasin Général » sont autant de séries dans lesquelles il prouve depuis bien longtemps ses talents à la fois de dessinateur et de scénariste.

Olivier Pont, son cadet, ne manque pas de talent non plus, et il est l’auteur de l’extraordinaire « Où le regard ne porte pas ».

Et les voici tous deux, donc, réunis pour une série d’aventures tropicales et humaines aux mille sensations…

Max, à la mort de sa mère, découvre dans son héritage deux photos. Deux clichés où il se reconnaît, tout enfant, au Brésil, en compagnie de sa mère. Mais aussi en compagnie, sur chaque photo, d’un homme différent. L’un des deux, il en a la conviction, doit être son père.

Et donc, il retourne au Brésil, et commence pour lui une aventure de laquelle, on le sait, on le sent, il ne sortira pas indemne. Parce qu’un des deux hommes présents sur les photos est un putain de salopard… Ce sera donc une aventure qui va lui offrir quelques rencontres hautes en couleur, des femmes, surtout, deux infirmières gay, une baba cool aussi qui l’enfouit en deux temps trois mouvements au fond de son lit…

Les personnages sont nombreux… Et tous, par la magie d’un Loisel passionné par l’âme humaine et toutes ses dérives, même charnelles et violentes, forment la trame d’un récit écrit et dessiné à taille humaine. Loisel et Pont sont de superbes raconteurs d’histoire(s) !


Régis Loisel: les personnages

Régis Loisel et Olivier Pont: Loisel, raconteur d’histoires

Putain de salopard © Rue de Sèvres

Il n’y a pas qu’un seul récit, dans ce premier tome… Tout est multiple, mélangé, les récits se croisent, se fuient, se retrouvent. Ils sont des regards portés sur la différence, celle de l’héroïne, muette, celle des deux infirmières, lesbiennes. Des regards accrochés, également, à la douleur, à la résistance, à la non-civilisation comme échappatoire à la mort programmée.

Ces regards, qui auraient pu être disparates et faire perdre son unité à l’histoire qui nous est narrée, c’est Olivier Pont qui les met en scène, en transformant en dessins des mouvements cinématographiques comme les champs/contrechamps, les plongées, les contre-plongées… Et puis, il y a dans ce livre un élément majeur, moteur même à certains moments, et c’est la couleur. J’avoue que le travail de François Lapierre m’a totalement ébloui. On ressent vraiment, grâce à sa couleur, la densité et la moiteur des matières, la sueur et la fraîcheur épaisse des sous-bois, la brutalité de la pluie qui tombe sans s’arrêter.

Et ce qui fait la totale réussite de cet album, c’est le mélange parfaitement dosé entre le texte, le sens du dialogue, le dessin, ses envolées somptueuses et ses trognes presque caricaturales, et la couleur d’une puissance d’évocation exceptionnelle !


Olivier Pont: la mise en scène

Régis Loisel: la couleur

Putain de salopard © Rue de Sèvres

Le dessin non réaliste d’olivier Pont lui permet, en racontant une histoire, qui, elle, est parfois d’un réalisme brutal, de différencier par le trait, le visage, les expressions, tous les personnages imaginés par Régis Loisel. Il y a comme une continuité entre l’idée, le texte et l’image, qui n’est pas vraiment fréquente dans la bande dessinée.

Ce trait aime la courbe de l’humain et la mêle aux arêtes de certains décors, et, de ce fait, ne magnifie rien, ni les physionomies ni les environnements. De ce fait aussi, les canons de la beauté n’intéressent pas vraiment Olivier Pont. Et il nous démontre ainsi que la beauté est d’abord et avant tout affaire de regard… De regards pluriels… Les femmes qu’il dessine sont des femmes vraies, vivantes, attirantes et attendrissantes parce qu’elles sont, tout simplement, les vrais miroirs du quotidien, de tous nos quotidiens !


Olivier Pont: la beauté…

Putain de salopard © Rue de Sèvres

Tout vrai créateur a ses lignes de force. Régis Loisel, quoi qu’il en dise, n’échappe pas à la règle. On ne parle bien, finalement, que de ce qu’on connaît, de ce qu’on a vécu, de ce qu’on a subi. Ainsi, tous les livres de Loisel parlent de l’amour, de la naissance de l’amour, surtout, dans un monde qui cherche sans cesse à le refuser. Il est aussi le chantre de la différence, sexuelle, intellectuelle, physique. Ses livres sont toujours aussi, un peu des quêtes, identitaires, familiales même. Il s’en défend en affirmant que tout cela est inconscient et qu’il n’est finalement qu’un passeur d’histoires.

Et c’est ce rôle de raconteur qui le pousse aussi, souvent, à ouvrir dans le quotidien des failles qui permettent au fantastique d’influencer l’intrigue et ses péripéties.

C’est encore le cas dans ce « Putain de salopard », avec un fantôme qui apparaît, de manière très floue d’abord, et puis de plus en plus nette…


Régis Loisel et Olivier Pont: le fantastique

Régis Loisel et Olivier Pont © JJ Procureur

Je ne vous cacherai pas que j’ai toujours aimé les livres de Régis Loisel, qu’il soit dessinateur ou scénariste.

J’avais d’ailleurs eu l’intention de chroniquer ici la fin du « Grand Mort », superbe série profondément fantastique et profondément humaine en même temps, avec un déroulé temporel surprenant et envoûtant.

Mais « Un putain de salopard » est arrivé, et j’ai été plus que séduit, immédiatement, par l’alchimie qui réunit les trois auteurs à part entière de cette série naissante.

Et la dernière page tournée, une pleine page qui est une porte ouverte sur des ailleurs à venir, l’impatience m’est venue d’en découvrir la suite le plus vite possible !…

Jacques Schraûwen

Un Putain de Salopard – tome 1 dessin : Olivier Pont – scénario : Régis Loisel – couleur : François Lapierre – éditeur : Rue de Sèvres)

Pulp Mixtions : Petit Illustré de la Cruauté Ordinaire

Pulp Mixtions : Petit Illustré de la Cruauté Ordinaire

Petit livre, petits dessins, humour noir… Le quotidien de l’info telle qu’on ne vous la donne jamais ! Des faits divers pourtant tous vrais !

Pulp Mixtions © Anamosa

D’accord, c’est plus du dessin d’humour que de la bande dessinée… Du dessin de presse, même, dans l’acceptation la plus large de ce terme souvent galvaudé.

C’est, de toute façon, du dessin simple, sans fioritures, et dont le but n’est certainement pas d’être esthétique.

En fait, Matthieu Chiara se fait l’illustrateur d’une des parts les plus étranges, les plus sournoises, les moins ragoûtantes de l’être humain, dans sa grande majorité. Je veux parler d’une forme routinière du voyeurisme…

Il suffit, pour se convaincre de cette réalité humaine si peu humaniste, de regarder un journal télévisé et de voir les sujets mis à la une… Il suffit de regarder, lorsqu’un accident a lieu, la foule qui, très vite, s’agglutine…

Le fait divers, qu’on le veuille ou non, attire, intéresse, fait partie de nos conversations au jour le jour.

Le fait divers est la matière première de ces « Pulp Mixtions ».


Pulp Mixtions © Anamosa

Mais n’allez pas croire que Matthieu Chiara ratisse large… Que du contraire ! Il ne s’intéresse qu’au pire du pire, qu’à ses petites histoires qui démontrent que l’horreur fait partie intégrante de l’âme humaine, il n’illustre que tout ce qui, dans l’actualité, démontre la laideur, la bassesse, la bêtise des hommes et des femmes qui nous ressemblent…

Il nous raconte un homme qui bat son voisin avec un grille-pain, il nous parle d’un mari empoisonné par sa femme le jour de la Saint-Valentin, il nous dessine une grand-mère qui casse tous les rétroviseurs qu’elle croise !

Notre monde est sordide, semble-t-il ainsi nous dire, de page en page, de dessin en dessin. Sordide, certes, mais d’une turpitude qui, tout compte fait, mise en pleine lumière, fait aussi sourire… De quoi, peut-être, nous rendre toutes et tous moins voyeurs, donc moins cons !


Pulp Mixtions © Anamosa

Soyons honnête, ce livre s’inscrit dans une tradition française qui a vu éclore les talents de gens comme Siné, Vuillemin, Reiser, et bien d’autres, mais avec un dessin qui manque parfois de consistance.

Cela dit, je ne boude pas mon plaisir, et, ma foi, c’est bien du plaisir que j’ai ressenti en lisant ces quelque 90 dessins. Mais un plaisir, et c’est tant mieux, qui ouvre la porte aussi à bien des réflexions !

Je ne suis pas certain que ce petit livre se trouve facilement… Mais j’imagine que vous pourrez le commander chez votre libraire préféré, voire à contacter directement son auteur sur son site .

Bonne lecture !

Jacques Schraûwen

Pulp Mixtions (auteur : Matthieu Chiara – éditeur : Anamosa)

http://matthieuchiara.eklablog.com/

Les Petites Cartes Secrètes

Les Petites Cartes Secrètes

Familles recomposées et bande dessinée : un récit tout en tendresse et intelligence !

Tom et Lili sont frère et sœur. Séparés parce que leurs parents le sont et ont choisi de se partager leurs enfants. Tom et Lili sont fusionnels, également. Et, loin l’un de l’autre, ils s’écrivent et rêvent ensemble que leurs parents retombent amoureux l’un de l’autre !


Les Petites Cartes Secrètes © Delcourt

Le divorce, la séparation de deux enfants qui s’aiment, voilà le centre vital de ce livre.

Réussir à faire un livre amusant, tendre, romantique, désespérant, souriant, poétique, dramatique, tout cela en même temps, en prenant comme thème principal un vrai sujet de société, ce n’était pas évident du tout, certainement. Mais le résultat est à la hauteur de la gageure, sans aucun doute, et cet album est bien plus qu’une réussite : une véritable émotion d’écriture et de dessin !

Lili, la cadette des deux enfants héros (malgré eux) de cette histoire, vit avec sa mère. Tom, lui, vit avec son père.

La maman est dépressive, et Lili a toutes les peines du monde à lui rendre le sourire.

Le papa, lui, décide de refaire sa vie avec une autre femme, ce que refuse Tom.

Et Tom et Lili cultivent, au fil de leurs échanges de mots grâce à de simples cartes postales, un but identique, revivre ensemble, sans nuages, sans peine et sans haine !


Les Petites Cartes Secrètes © Delcourt

Et Tom, meneur naturel, imagine plan après plan pour rabibocher leurs parents, des plans que Lili, loin de lui, l’aide à réaliser. Des plans, évidement, qui ne fonctionnent pas, qui ne peuvent fonctionner, tant il est vrai que le monde de l’enfance et ses espérances ne peut que se heurter à la violente intransigeance de l’existence adulte !

Le canevas de ce récit est celui de ces cartes postales échangées, qui rythment à la fois la narration et l’appréhension du réel par ces deux enfants perdus et éperdus.

Tout se construit à partir de ces échanges épistolaires, dans un monde d’enfance qui n’est pas « connecté » et qui prend le temps de donner aux mots leur vraie puissance, celle de la vérité des sentiments exprimés !


Les Petites Cartes Secrètes © Delcourt

On pourrait s’attendre à une histoire « angélique », mettant en évidence la poésie et ses possibles, et mettant en avant la réussite de l’espérance.

Mais il n’en est rien, et ce livre, avec un dessin tout en douceur, tout en souplesse, un dessin simple comme le sont les sentiments des deux héros enfants, avec des couleurs et un graphisme qui pourraient être ceux d’un livre destiné à la seule jeunesse, ce livre, oui, n’évite aucunement les vraies difficultés à vivre la situation qui est imposée à ces deux enfants. Et la construction du scénario est telle que les rebondissements existent, savoureux parfois, profondément tristes d’autres fois, mais toujours traités à hauteur d’enfance !


Les Petites Cartes Secrètes © Delcourt

Je parlais d’un livre destiné à la seule jeunesse. Il n’en est rien, vous l’aurez compris. Mais c’est pourtant un livre « également » ouvert à un lectorat adolescent. Un lectorat qui sait, très souvent, ce qu’est la situation vécue par Tom et Lili. Des lecteurs qui prendront plaisir à voir que le drame peut aussi se révéler une porte ouverte vers de nouveaux chemins aux neuves promesses.

Ce livre m’a séduit, totalement. Sans aucune mièvrerie, il aborde de front un des réalités sociologiques de plus en plus présentes dans notre époque. Et il le fait avec intelligence, dans le propos comme dans le graphisme, il le fait avec réalisme et poésie en même temps, il le fait en laissant les événements eux-mêmes dramatiser les quotidiens qu’il nous raconte.

La Bande Dessinée s’attache souvent à nous donner une image du monde tel que nous le connaissons au jour le jour. Elle le fait rarement avec un regard qui reste celui de l’enfance, même lorsque l’horreur quotidienne prend vie.

Un livre, donc, qui ne pose pas de questions directes, mais qui permet à tous ses lectrices et lecteurs de s’en poser, en pensant à eux et à leurs proches.

Jacques Schraûwen

Les Petites Cartes Secrètes (dessin et couleur : Cyrielle – scénario et cartes postales : Anaïs Vachez – éditeur : Delcourt/une case en moins)


Les Petites Cartes Secrètes © Delcourt