Pin-Up – La French Touch

Pin-Up – La French Touch

L’érotisme discret et souriant de Patrick Hitte.

S’il est vrai que Patrick Hitte n’est pas un dessinateur de bande dessinée, force est cependant de reconnaître, d’emblée, que les femmes qu’il dessine mériteraient toutes d’être des héroïnes du neuvième art !

Pin-Up © Paquet

C’est dans les années 40 que le terme « pin-up » apparaît. C’était l’époque où les aviateurs dessinaient sur la carlingue de leur engin de mort une femme dévêtue. Un peu, sans doute, pour se rappeler à eux-mêmes qu’ils étaient encore humains, donc capables d’amour et de désir !

Mais la réalité des « pin-up », filles de papier à accrocher aux murs d’une chambre pour des rêves tout en douceur, cette réalité existe depuis bien plus longtemps que la guerre 40/45 !

Dès le dix-huitième siècle, les estampes légères et légèrement osées (voire bien plus !) ne manquaient pas. Et d’année en année, de siècle en siècle, de gravure en dessin, de peinture en photographie, de bd en illustration pure, la pin-up a fini par faire partie intégrante de la réalité sociologique de notre civilisation. Pour preuve, je vous invite à (re)découvrir toutes les revues légères de l’entre-deux guerres, Froufrou ou Le Sourire, qui mettaient en évidence les charmes tout aussi évidents de la Parisienne… Il en a été de même, quelques années plus tard, avec les premières revues consacrées au naturisme, des revues achetées par bien des non-adeptes de nudité publique !


Pin-Up © Paquet

Sociologique, oui, tant il est vrai qu’à chaque époque les « pin-up », quel que soit le nom qu’on leur donnait, se firent l’image même des idéaux féminins en cours, de la manière dont une société, à un moment précis de son histoire, de son évolution, créait ses propres codes, ses propres canons de la beauté.

Les femmes se devaient d’êtres pâles et corsetées au dix-neuvième siècle, puis rondes et pulpeuses, puis « garçonnes », puis vêtues de seules transparences, puis fines et élancées, puis ménagères, puis sportives…

Les pin-up, ainsi, de tout temps, ont été les miroirs des goûts amoureux et libertins d’un moment choisi de la grande histoire humaine !

Cela dit, une pin-up, c’est d’abord et avant tout un plaisir rapide, souriant, une sorte de gourmandise vite savourée… C’est une image de femme, une image qui réduit, c’est vrai, la femme à se révéler d’abord et avant tout en paysage d’intimes rêveries, mais qui, ce faisant, en fait également l’axe essentiel de ce qu’est la beauté. Donc de ce qu’est l’art, et l’envie que l’humain aura toujours de se faire le miroir de cette beauté quand elle se veut érotique.


Pin-Up © Paquet

Patrick Hitte est un dessinateur, un illustrateur. Un amoureux de la femme, aussi, libertine de façon à la fois discrète et évidente. Dans la filiation de Gil Elvgren et dans le compagnonnage de Hugault (ou de Dany), il nous montre des femmes souriantes, des regards qui fixent le lecteur-spectateur, il nous les montre à peine vêtues, ou déjà quelque peu dévêtues, il les immortalise dans des situations qui, le plus souvent, sont celles du quotidien et de l’habitude.

Le trait est souple, le mouvement toujours présent, la couleur est lumineuse.

Et la touche française, annoncée dans le titre, réside dans une proximité offerte au spectateur, une proximité toujours non caricaturale, toujours amusée, une proximité qui fait de ces femmes dessinées des êtres humains qui s’amusent à se montrer, à se dévoiler, à nous amuser !…

Jacques Schraûwen

Pin-Up – La French Touch (auteur : Patrick Hitte – éditeur : Paquet)


Pin-Up © Paquet
La perle

La perle

Une adaptation de Steinbeck respectueuse et réussie !

Adapter un roman écrit par un prestigieux prix Nobel de littérature, ce n’était pas gagné d’avance ! Mais Jean-Luc Cornette a, incontestablement, été à la hauteur de la tâche !

La Perle © Futuropolis

Soyons honnête… Les adaptations ne m’ont jamais énormément attiré… Que ce soit du roman à la bd, du roman ou de la bd au grand écran : il y a eu Gaston, de bien triste mémoire, le Tintin de Spielberg sans grand intérêt, la grande tristesse bleue des Schtroumpfs, ou l’extraordinairement poétique « l’écume des jours » de l’immense Vian transformée en une bd vraiment lourdingue ; intello et indigeste. Les exemples ne manquent pas de ratages conséquents lorsque de pseudo-artistes décident d’adapter de vrais créateurs !

Mais je tiens d’emblée à souligner qu’ici, il n’en est rien. Et John Steinbeck, prix Nobel de littérature, n’aurait sans doute pas à rougir de cette adaptation tout en nuances.


La Perle © Futuropolis
Jean-Luc Cornette: l’adaptation

L’histoire de Steinbeck est simple, tout compte fait, construite de manière très linéaire et très proche des personnages qu’elle décrit et raconte.

Dans un pays d’Amérique centrale, Kino est pêcheur. Marié à Juana, il voit son petit garçon piqué par un scorpion. Mais ils sont pauvres, et pour des pauvres, le médecin de la ville ne se déplace pas. Alors, Kino plonge… Et il découvre la plus grosse perle du monde ! Tous les espoirs, dès lors, lui sont permis, le médecin se déplace, il pense à pouvoir payer des études à son gamin, à se marier richement à l’église.

Mais, bien évidemment, tout ne va pas du tout se dérouler sans accrocs… La richesse provoque l’espoir, certes, mais aussi la jalousie, la haine, la violence, la désespérance et la mort…

Et c’est à partir de cet espoir « simple » que le roman de Steinbeck et la bd de Cornette prennent tout leur poids, toute leur puissance. Parce que c’est d’existence qu’il s’agit, d’une survie aux quotidiens sans cesse répétés. C’est cela qui fait de ce livre une vraie fable à taille humaine !

Comme le disait John Steinbeck lui-même : Si cette histoire est une parabole, peut-être que chacun y donnera du sens et y verra le reflet de sa propre vie »…


La Perle © Futuropolis
Jean-Luc Cornette: la fable

Les écrivains américains de la seconde partie du vingtième siècle ont été, plus peut-être qu’en Europe, témoins littéraires d’un monde en changement, d’un monde dans lequel les laissés pour compte d’une nouvelle « civilisation » basée sur le profit et la rentabilité étaient de plus en plus nombreux.

Steinbeck comme Hemingway se sont ainsi révélés également comme miroirs de la société dans laquelle ils vivaient. Une société dans laquelle les femmes ne pouvaient avoir qu’une place secondaire.

Mais le personnage féminin de ce livre, Juana, pour effacée qu’elle soit, est en quelque sorte l’axe central du récit. C’est elle qui accepte les rêves de son mari, c’est elle surtout qui, très vite, comprend que la richesse n’est qu’un leurre, et qu’avec elle ne peut que jaillir la déshumanisation.


La Perle © Futuropolis
Jean-Luc Cornette: la femme

Cornette, en suivant de page en page, de case en case, les personnages créés par Steinbeck, nous les montre en mouvement, en silence, en attentes, et, finalement, en violence extrême et en angoisse indéfinissable.

Par un dessin très épuré, très anguleux, très coloré, Jean-Luc Cornette interprète, finalement, plus qu’il n’adapte le roman originel de Steinbeck. Son dessin se fait d’abord et avant tout « observateur » de l’histoire racontée. Tout comme Steinbeck était observateur littéraire des vies qu’il décrivait…

Le dessin de Cornette est un dessin résolument moderne, mais vif, symbolique même, dans la couleur comme dans le trait.

Et puis, il y a la construction narrative, pour user d’un mot pseudo-savant ! Et là, l’intelligence de Cornette a été de s’effacer derrière Steinbeck. Pas derrière les mots de Steinbeck, non, mais derrière son histoire…

Jean-Luc Cornette: dessin d’observation

Très peu de texte… Une couleur somptueuse, des décors épurés et porteurs d’émotion, des visages aux expressions réelles bien que souvent figées…

Cela faisait bien longtemps que Jean-Luc Cornette se contentait d’être scénariste. Avec talent, d’ailleurs… Et souvent au service de personnalités choisies en dehors du monde de la bande dessinée, comme Klimt, ou Frida Khalo.

Et aujourd’hui, son retour au dessin est, croyez-moi, une belle réussite ! Pour une fable dont les accents, ma foi, sont extrêmement actuels !

Jacques Schraûwen

La perle (auteur : Jean-Luc Cornette, d’après le roman de John Steinbeck – éditeur : Futuropolis)

Paris 2119

Paris 2119

Que sera notre futur immédiat ?

Une « anticipation » qui ne peut que faire réfléchir, et faire froid dans le dos! Signé ZEP pour le scénario et BERTAIL pour le dessin, voici un livre qui vient à son heure…

Paris 2119 © Rue de Sèvres

Notre planète se meurt lentement de trop de pollution, de trop d’indifférence. Le monde politique, depuis cinquante ans, n’a plus que l’illusion du pouvoir, lui qui a laissé l’économie et le libéralisme fou tout diriger, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Les jeunes défilent dans les rues des villes belges et demandent, d’une manière peut-être trop « ludique », certes, mais bien réelle, que quelqu’un agisse.

Et il est normal que, face à cet avenir dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est incertain, les artistes réagissent, eux aussi. Littérature, cinéma, peinture, bande dessinée s’ouvrent de plus en plus à cette peur qui s’installe dans notre univers (surtout occidental, il faut bien le reconnaître… Le dire…). Zep, dans son livre précédent, « The End », abordait déjà ce thème, en s’inspirant des découvertes faites au sujet des arbres et de leur possible communication. Dans ce livre, il nous montrait une nature qui décidait de se nettoyer de l’humain, grand parasite de la planète Terre…

Ici, il imagine une planète qui a trouvé la solution, grâce à la technologie. Les « pollutions » qui condamnaient la Terre sont pratiquement supprimées, grâce, entre autres, à la téléportation, voyage instantané sans aucun émanation de co2 ou de quoique ce soit d’autre.

Paris 2119 © Rue de Sèvres

Le problème, dans cet univers qu’il nous raconte, qu’il nous décrit, c’est qu’il a bien fallu que cette haute technologie salvatrice s’impose. Et que, pour ce faire, c’est une dictature universelle qui s’est installée.

De nos jours, déjà, ne sommes-nous pas toutes et tous fichés, suivis à la trace ?… Nos déplacements n’ont aucun secret, peuvent en tout cas ne pas en avoir, grâce à nos téléphones qui ne nous servent même plus à communiquer. L’homme de 2019 est déjà un objet… De surveillance, de consommation, de pouvoir !

Et donc, dans un siècle selon Zep et Bertail, notre planète est vivable, totalement, mais la liberté n’y est qu’un mirage auquel tout le monde croit. Tout le monde, ou presque… Parce que, tout comme aujourd’hui d’ailleurs, les grandes cités comme Paris ne cachent qu’à peine des chancres déshumanisés.

D’ailleurs, dans la description que nous font les auteurs d’un Paris devenu musée à ciel ouvert, surveillé par des vigiles, des drones, des hologrammes, on n’est pas loin du tout de ce que Schuiten nous montrait il y a quelques années dans « Revoir Paris ».

Paris 2119 © Rue de Sèvres

Dans cet univers, donc, tout le monde n’est pas dupe. Tristan, par exemple, qui continue à vivre « comme avant », aimant se balader dans les rues, aimant lire, de ces œuvres d’un siècle passé, d’un siècle ancien, d’une culture prête à disparaître. Il vit avec Kloé, une femme à la peau d’ébène et résolument plongée dans le modernisme.

Le premier ressort de l’anticipation, voire du fantastique, c’est de parvenir, insidieusement, dans un univers inventé ou recréé, à ouvrir une faille. Le quotidien, alors, s’y engouffre, lentement, et le récit peut s’enfouir dans de neuves réalités… même imaginées !

Ce ressort narratif, Zep l’utilise à merveille dans cet album. Et le récit devient vibrant et très contemporain au moment précis où le rétif Tristan découvre cette faille dans l’organisation technologique où l’humain est plongé.

Paris 2119 © Rue de Sèvres

Mais, en même temps, Zep garde sa vue très personnelle de ce qui nous attend. Et il remet, par petites touches, la nature et les arbres au sein même de son récit, comme des espèces d’ultimes barrières face à la normalisation du désespoir.

Et puis, comme toujours chez Zep, il y a dans son scénario autre chose qu’une vision sombre de qui nous sommes, il y a toujours la nécessité d’une possible espérance.

Et l’histoire d’amour qui unit Tristan et Kloé sera cette possibilité, infime mais vraie, d’une renaissance, d’une résistance.

L’amour, oui… Et la mémoire, surtout, elle qui ne meurt jamais totalement, elle qui, en osant regarder vers hier, peut empêcher l’aujourd’hui de n’être qu’un miroir déformant de nos rêves et de nos attentes.

paris 2119 © Rue de Sèvres

Il y a donc le scénario de Zep.

Le dessin de Dominique Bertail ne le trahit d’aucune manière, il s’inspire, c’est une évidence, du style de Zep, mais en créant des espaces graphiques moins portés à la seule esthétique et osant des décors aux imaginaires puissants.

La couleur, quant à elle, participe pleinement à l’ambiance de ce récit. Elle se conjugue très fort dans les tons de gris, de bleu, de vert, comme pour mieux symboliser l’univers contraignant qui est raconté. La couleur joue aussi avec les oppositions, le noir et le blanc, un peu de soleil, un peu de pluie…

Au total, même si, du côté du dessin, quelques influences sont parfois un peu trop évidentes, ce livre est extrêmement bien construit. Zep et Bertail utilisent à la perfection les codes de l’anticipation, chers autrefois à des gens comme le méconnu Andrevon ou le génial Sternberg, et l’album qu’ils nous offrent

aujourd’hui est poseur de questions auxquelles notre société devra bien répondre sans détruire ni l’humanité ni l’humain !

Jacques Schraûwen

Paris 2119 (dessin : Dominique Bertail – scénario et story-board : Zep – couleurs : Gaétan Georges et Dominique Bertail – éditeur : Rue De Sèvres)

Paris 2119 © Rue de Sèvres