Le Petit Dickie Illustré – intégrale 2 (2011-2021)

Le Petit Dickie Illustré – intégrale 2 (2011-2021)

Gloire soit rendue à l’iconoclaste Pieter De Poortere de nous faire sourire sans retenue avec Dickie, son Beauf, et Vickie, sa petite femme libre et libertine, voire nymphomane !

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Première précision à donner : cet album de quelque 164 pages est totalement muet.

Deuxième précision : les « héros » qui y sévissent n’ont rien, strictement rien de bien-pensants, de respectueux, de polis et gentils.

Troisième précision : le mauvais goût est partie prenante de chaque gag, avec un sentiment jouissif évident.

Quatrième précision : les deux personnages, physiquement, sont récurrents tout au long de cet album, mais ils se baladent dans différentes époques, dans différents lieux, dans différents moments historiques aussi… Dickie, par exemple, incarne avec une réjouissante bêtise le personnage d’Hitler !…

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Vous l’aurez compris, Pieter De Poortere est à placer dans la famille d’Hara Kiri, de l’Echo des Savanes, ceux d’hier, voire d’avant-hier, bien plus qu’en compagnie de Tintin ou Spirou. Même si, graphiquement, on n’est pas très loin, avec Dickie, d’une certaine ligne claire…

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

La première grande réussite de cet album, de ce Dickie, c’est sa bonhomie… Son apparence est celle de monsieur tout-le-monde, un quidam perdu dans un monde qui le dépasse, mais un monde dans lequel il s’inscrit résolument, en y participant avec toutes les ressources infinies de sa fondamentale bêtise.

Alors, tout y passe…

Le romantisme amoureux sur les canaux de Venise…

Les duels dans l’ouest américain…

Les strip-tease vénaux…

La mode « feel good »…

Hitler et d’autres figures historiques, comme dans ce jeu d’échec dessiné mettant face à face les Blancs et les Noirs, Léopold II et Mobutu.

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Eh oui… Et à chaque page, ainsi, le politiquement correct est égratigné… En même temps que le handicap, les cimetières, la mort, la religion, le sport, la pandémie, la science, la guerre, le cinéma.

Ce faisant, et sans avoir vraiment l’air d’y toucher, Pieter De Poortere nous dresse le portrait délirant de notre société… Un portrait au vitriol, un portrait qui n’a pas peur du mauvais goût, loin s’en faut, et il nous montre ainsi qu’en guise de mauvais goût, finalement, voire même de provocation, les maîtres à penser, politiques, idéologies, scientifiques que plébiscitent les médias n’ont rien à envier à Dickie… Lui au moins, de par un dessin direct, sans effets spéciaux, de par une apparence cool, se révèle de manière certaine bête et méchant, mais avec une espèce de fausse gentillesse provocatrice…

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Oui, tout compte fait, ce livre iconoclaste, outre le fait qu’il nous fasse passer un bon moment, ne manque pas d’intelligence, et d’ouvertures nombreuses à des réflexions qui, elles, ne font pas vraiment rire…

Jacques Schraûwen

Le Petit Dickie Illustré – intégrale 2 (2011-2021) (auteur : Pieter De Poortere – éditeur : Glénat – octobre 2021 – 164 pages

Le peintre Hors-La-Loi

Le peintre Hors-La-Loi

Le portrait d’un peintre oublié…

Bande dessinée et Histoire peuvent se faire complices, comme dans ce livre, pour décrire d’une époque bien plus que les simples anecdotes factuelles…

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

C’est bien d’Histoire, oui, que nous parle cet album. Mais surtout n’ayez pas peur de ce mot… Frantz Duchazeau, son auteur, n’a rien de pédant ni de doctoral, loin s’en faut ! Il privilégie l’aventure, le ludique, l’humain… Et ses livres, toujours, sont extrêmement agréables à lire. Agréables, mais fidèles, aussi, à la grande Histoire.

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Tout commence, dans cet album, en 1793, le 21 janvier très exactement, par la décapitation de Louis XVI. Une exécution publique qui réveille ou révèle les aspects les plus abjects d’une foule. Une foule dans laquelle ne se trouve pas le peintre Lazare Bruandet, trop occupé à immortaliser les courbes d’une jeune femme aux rondeurs souveraines. Une femme qu’il abandonne, pour aller retrouver sa légitime… Qu’il pense apercevoir, sur son trajet, dans d’autres bras que les siens. Il en résulte une dispute au cours de laquelle meurt son épouse. Tout le récit va donc nous montrer qui est ce peintre obligé de fuir, hors-la-loi, qui trouve refuge à la campagne, auprès de moines.

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

On pourrait croire ce personnage né de l’imagination de Frantz Duchazeau, mais pas du tout ! Lazare a réellement existé, il a été ce que nous montre le dessinateur Frantz Duchazeau : un peintre, un ivrogne, un bretteur acariâtre, un misanthrope, un amant fuyant…

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Le talent de Duchazeau, c’est de nous le montrer en pleine action, en vie ai-je envie de dire. On ne voit pas ses tableaux, alors qu’il fut un grand précurseur dans l’histoire de l’art, soucieux de peindre en extérieur, soucieux de faire du réalisme une interprétation du réel. Il le dit à un certain moment : « l’exactitude n’est pas la vérité ».

La vérité de Lazare, c’est de regarder, de ne « peindre que pour le plaisir de l’instant », d’être capable « d’en revenir à la solitude »…

Sa vérité, c’est aussi de permettre à son épée d’intervenir dans des situations que cette époque de terreur, de mort, impose à ceux qu’il se choisit comme amis, ou comme proches.

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Ce livre, c’est le portrait d’un homme qui est peintre, qui ne cherche aucunement la gloire ou la reconnaissance, qui peint à en mourir, qui s’enivre à en faire mourir, qui ne guérit pas de son enfance et des horreurs qu’il y a subies. C’est le portrait d’un personnage presque rabelaisien, un être humain qui, au bout de son pinceau ou au bout de son épée, ose des réflexions qui dépassent l’art, tout en le magnifiant. Au nom de la révolution et de la liberté, que d’injustices ! Au nom de la vie, que de morts ! Au nom de l’art, que de combats perdus !

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Le graphisme de Duchazeau n’a jamais, pour moi, été aussi efficace… Dans les décors, par exemple, ceux de la nature comme ceux des rues des cités… Et le travail du coloriste Drac est époustouflant, vraiment… La couleur appartient totalement au récit et à son rythme, à ses rythmes… C’est vraiment un très bel album, que je ne peux que conseiller aux amoureux de la grande Histoire, de la Peinture, et de l’aventure à taille humaine !

Jacques Schraûwen

Le Peintre Hors-La-Loi (auteur : Frantz Duchazeau – couleurs : Drac – éditeur : Casterman – mars 2021 – 94 pages)

La Petite Mort 1.5

La Petite Mort 1.5

Et si la Mort vivait en famille, comme tout le monde !

Il y a le père, la mère, la grand-mère, et le fils.

Ils vivent dans une maison presque banale, s’il n’y avait son jardin dans lequel viennent se pendre régulièrement des passants en mal de suicide.

Ils ont une existence presque normale, s’ils ne formaient pas ensemble la famille de la Mort !

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

Le fils, qu’on appelle donc « La petite mort », va à l’école comme tous les enfants. Il y a trouvé un ami, Ludo, un ami fidèle, un de ces êtres avec qui c’est à la vie à la mort, comme on dit.

L’autre ami qu’il a, c’est un chat, Sephi.

Il faut dire qu’avoir une vie sociale n’a rien d’évident lorsqu’on a une tête de squelette, tout comme ses parents.

Il en va de même pour les ambitions, les rêves d’avenir. La Petite mort deviendra, quand il sera grand, « faucheur », à son tour, comme son père. Faucheur de vie, faucheur d’espérances.

Et cela, la Petite mort ne le veut pas.

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

Son désir avoué et peu avouable, c’est de devenir fleuriste. C’est de meubler de couleurs et de sourires le noir de ses vêtements et la grisaille des jours et des années.

Ce livre, donc, nous raconte l’existence de cet être étrange qui nous ressemble tellement et qui, pourtant, ne veut, par obligation, que notre fin. Petite mort deviendra grand, il n’y a pas d’échappatoire.

Mais Petite mort rêve, encore, toujours…

Cyniquement, certes. Mais avec un regard sans concessions sur le monde dans lequel il vit. Même si ce verbe, vivre, n’a, tout compte fait, pas vraiment de sens pour lui …

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

Ce livre nous montre la Petite mort de jour en jour, de semaine en semaine, en famille, à l’école, avec Ludo. Il nous montre aussi ses travaux scolaires, ses carnets intimes dans lesquels il se dessine telle qu’il est et telle qu’il voudrait être. C’est parfois gore, c’est presque toujours attendrissant.

Mais voilà, même pour le futur « faucheur », l’existence est faite aussi de peines, de larmes, d’horreurs à assumer.

Ludo, son ami, cet humain normal avec qui il se sent en osmose, ce garçon heureux est atteint de leucémie. Et c’est à la petite mort qu’incombera le devoir de faucher cette existence. Ce qui donne l’occasion à Davy Mourier d’une page dans laquelle l’humour laisse totalement la place à l’émotion.

Alors, oui, c’est un livre d’humour. D’humour noir… Le dessin de Davy Mourier en est simple, expressif en même temps, usant essentiellement de noir et de blanc avec, par ci par là, des pages entières en couleurs, les pages qui, en fait, nous font entrer quelque peu dans les attentes et les espérances du personnage principal.

C’est un livre qui raconte une histoire, nourrie d’un imaginaire à la fois collectif et très individuel. On pourrait penser, bien évidemment, à « Pierre Tombal », de Marc Hardy. Mais si l’un et l’autre de ces auteurs prennent comme figure de proue une mort faucheuse de vies, ils le font très différemment. Et chacun avec un vrai talent… Tous publics pour Hardy, plus iconoclaste et plus adulte, sans doute, pour Mourier.

En une période où la mort, en chiffres invérifiables parce qu’officiels, occupe nos écrans, nos journaux, nos quotidiens, il est salutaire de la remettre dans la seule perspective humaine qu’elle peut accepter :

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

la vie ! La mort est la seule compagne fidèle de l’existence, que nous le voulions ou non, elle est inéluctable.

En rire ou en sourire appartient dès lors à une thérapie salutaire et essentielle : faire de la ronde de nos heures des plaisirs à partager !

Et c’est pour cela, aussi, que je partage avec vous, ici, le plaisir que j’ai pris à lire ce petit album !

Jacques Schraûwen

La Petite Mort 1.5 (auteur : Davy Mourier – éditeur : Delcourt – 96 pages – novembre 2020)