Les Petites Femmes – L’Intégrale

Les Petites Femmes – L’Intégrale

L’érotisme, malgré les tristes puritains qui envahissent de plus en plus notre société, fait partie intégrante de toute culture digne de ce nom… En Bande Dessinée, les portes ouvertes sur cet univers de désirs et de plaisirs sont nombreuses. Et parmi celles-ci, je vous invite à (re)découvrir Les Petites Femmes de Pierre Seron !



© Copyright Éditions Joker


Pierre Seron, décédé en 2017, a fait les beaux jours des éditions Dupuis, avec sa fameuse série des « Petits Hommes » (plus de 40 volumes !), d’une part, et avec « Les Centaures », d’autre part, scénarisés par Stephen Desberg.

Son trajet professionnel est assez limpide, tout compte fait. Il a collaboré avec Dino Attanasio, à la grande époque de ce dessinateur populaire, il a ensuite dessiné sous le pseudo de Fohal dans Pif Gadget, et s’est totalement révélé au grand public grâce à ses Petits Hommes, vivant mille et une aventures à la fois très humaines, très humanistes aussi, et fantastiques de par leur existence même dans un monde inclus dans le monde des grands, le nôtre… C’était, en quelque sorte, comme une fable autour de l’enfance et de son âme essentielle à l’homme adulte. Mais avec humour, toujours !

Et puis, un jour, à la fin des années 90, il a créé cette série des Petites Femmes ! On aurait pu croire à une série parallèle à celle qui faisait tout son succès, mais il n’en a rien été ! Ces femmes minuscules sont libres, libertines, frissonnantes, terriblement aguicheuses, maîtresses et amantes…



© Copyright Éditions Joker

Tout se passe dans des îles paradisiaques, dans des décors à couper le souffle, des décors dans lesquels s’imbriquent hommes et femmes pour des heures de libertinage effréné.




© Copyright Éditions Joker

Certes, les anatomies des protagonistes ne sont pratiquement pas masquées ! S’agit-il pour autant de « pornographie » ?… Cette pornographie dont Breton, je crois, disait qu’elle était l’érotisme des autres ?… Peut-être… Mais si peu, finalement, parce que ce qui compte dans cette série de six albums réédités en une belle intégrale, c’est bien entendu les nudités exacerbées des hommes et des femmes qui se rencontrent, s’aiment sans se poser d’autres questions que celles de leurs plaisirs à partager. Mais c’est aussi l’humour, un humour débridé, un humour gaulois, un humour bon enfant, un humour libertin, donc libre !



© Copyright Éditions Joker

Les « puristes » du neuvième art ont souvent reproché à Seron d’être une espèce de clone graphique de Franquin. Il est certain que Franquin et son génie ont fait plus qu’influencer Seron, comme, d’ailleurs, bien d’autres dessinateurs ! Mais il y a aussi chez Seron, et, singulièrement, dans ses Petites Femmes, un talent incontestable dans la construction des décors, des architectures, dans le travail des profondeurs, des perspectives, dans l’inventivité de personnages improbables, dans la construction graphique des planches, également… Une construction classique, mais, en même temps, qui aime à s’égarer pour étonner le lecteur, autant que le dessinateur sans doute !



© Copyright Éditions Joker


Alors, croyez-moi, ne perdez pas de temps et plongez-vous dans les aventures érotico-délirantes de petites femmes qui ne manquent ni d’atouts, ni d’intérêt, ni de liberté !

Josiane et Jacques Schraûwen

Les Petites Femmes – L’Intégrale (auteur : Seron – éditeur : Joker – 304 pages – novembre 2021)

Le Petit Dickie Illustré – intégrale 2 (2011-2021)

Le Petit Dickie Illustré – intégrale 2 (2011-2021)

Gloire soit rendue à l’iconoclaste Pieter De Poortere de nous faire sourire sans retenue avec Dickie, son Beauf, et Vickie, sa petite femme libre et libertine, voire nymphomane !

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Première précision à donner : cet album de quelque 164 pages est totalement muet.

Deuxième précision : les « héros » qui y sévissent n’ont rien, strictement rien de bien-pensants, de respectueux, de polis et gentils.

Troisième précision : le mauvais goût est partie prenante de chaque gag, avec un sentiment jouissif évident.

Quatrième précision : les deux personnages, physiquement, sont récurrents tout au long de cet album, mais ils se baladent dans différentes époques, dans différents lieux, dans différents moments historiques aussi… Dickie, par exemple, incarne avec une réjouissante bêtise le personnage d’Hitler !…

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Vous l’aurez compris, Pieter De Poortere est à placer dans la famille d’Hara Kiri, de l’Echo des Savanes, ceux d’hier, voire d’avant-hier, bien plus qu’en compagnie de Tintin ou Spirou. Même si, graphiquement, on n’est pas très loin, avec Dickie, d’une certaine ligne claire…

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

La première grande réussite de cet album, de ce Dickie, c’est sa bonhomie… Son apparence est celle de monsieur tout-le-monde, un quidam perdu dans un monde qui le dépasse, mais un monde dans lequel il s’inscrit résolument, en y participant avec toutes les ressources infinies de sa fondamentale bêtise.

Alors, tout y passe…

Le romantisme amoureux sur les canaux de Venise…

Les duels dans l’ouest américain…

Les strip-tease vénaux…

La mode « feel good »…

Hitler et d’autres figures historiques, comme dans ce jeu d’échec dessiné mettant face à face les Blancs et les Noirs, Léopold II et Mobutu.

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Eh oui… Et à chaque page, ainsi, le politiquement correct est égratigné… En même temps que le handicap, les cimetières, la mort, la religion, le sport, la pandémie, la science, la guerre, le cinéma.

Ce faisant, et sans avoir vraiment l’air d’y toucher, Pieter De Poortere nous dresse le portrait délirant de notre société… Un portrait au vitriol, un portrait qui n’a pas peur du mauvais goût, loin s’en faut, et il nous montre ainsi qu’en guise de mauvais goût, finalement, voire même de provocation, les maîtres à penser, politiques, idéologies, scientifiques que plébiscitent les médias n’ont rien à envier à Dickie… Lui au moins, de par un dessin direct, sans effets spéciaux, de par une apparence cool, se révèle de manière certaine bête et méchant, mais avec une espèce de fausse gentillesse provocatrice…

Le Petit Dickie Illustré © Glénat

Oui, tout compte fait, ce livre iconoclaste, outre le fait qu’il nous fasse passer un bon moment, ne manque pas d’intelligence, et d’ouvertures nombreuses à des réflexions qui, elles, ne font pas vraiment rire…

Jacques Schraûwen

Le Petit Dickie Illustré – intégrale 2 (2011-2021) (auteur : Pieter De Poortere – éditeur : Glénat – octobre 2021 – 164 pages

Le peintre Hors-La-Loi

Le peintre Hors-La-Loi

Le portrait d’un peintre oublié…

Bande dessinée et Histoire peuvent se faire complices, comme dans ce livre, pour décrire d’une époque bien plus que les simples anecdotes factuelles…

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

C’est bien d’Histoire, oui, que nous parle cet album. Mais surtout n’ayez pas peur de ce mot… Frantz Duchazeau, son auteur, n’a rien de pédant ni de doctoral, loin s’en faut ! Il privilégie l’aventure, le ludique, l’humain… Et ses livres, toujours, sont extrêmement agréables à lire. Agréables, mais fidèles, aussi, à la grande Histoire.

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Tout commence, dans cet album, en 1793, le 21 janvier très exactement, par la décapitation de Louis XVI. Une exécution publique qui réveille ou révèle les aspects les plus abjects d’une foule. Une foule dans laquelle ne se trouve pas le peintre Lazare Bruandet, trop occupé à immortaliser les courbes d’une jeune femme aux rondeurs souveraines. Une femme qu’il abandonne, pour aller retrouver sa légitime… Qu’il pense apercevoir, sur son trajet, dans d’autres bras que les siens. Il en résulte une dispute au cours de laquelle meurt son épouse. Tout le récit va donc nous montrer qui est ce peintre obligé de fuir, hors-la-loi, qui trouve refuge à la campagne, auprès de moines.

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

On pourrait croire ce personnage né de l’imagination de Frantz Duchazeau, mais pas du tout ! Lazare a réellement existé, il a été ce que nous montre le dessinateur Frantz Duchazeau : un peintre, un ivrogne, un bretteur acariâtre, un misanthrope, un amant fuyant…

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Le talent de Duchazeau, c’est de nous le montrer en pleine action, en vie ai-je envie de dire. On ne voit pas ses tableaux, alors qu’il fut un grand précurseur dans l’histoire de l’art, soucieux de peindre en extérieur, soucieux de faire du réalisme une interprétation du réel. Il le dit à un certain moment : « l’exactitude n’est pas la vérité ».

La vérité de Lazare, c’est de regarder, de ne « peindre que pour le plaisir de l’instant », d’être capable « d’en revenir à la solitude »…

Sa vérité, c’est aussi de permettre à son épée d’intervenir dans des situations que cette époque de terreur, de mort, impose à ceux qu’il se choisit comme amis, ou comme proches.

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Ce livre, c’est le portrait d’un homme qui est peintre, qui ne cherche aucunement la gloire ou la reconnaissance, qui peint à en mourir, qui s’enivre à en faire mourir, qui ne guérit pas de son enfance et des horreurs qu’il y a subies. C’est le portrait d’un personnage presque rabelaisien, un être humain qui, au bout de son pinceau ou au bout de son épée, ose des réflexions qui dépassent l’art, tout en le magnifiant. Au nom de la révolution et de la liberté, que d’injustices ! Au nom de la vie, que de morts ! Au nom de l’art, que de combats perdus !

Le Peintre Hors-La-Loi © Casterman

Le graphisme de Duchazeau n’a jamais, pour moi, été aussi efficace… Dans les décors, par exemple, ceux de la nature comme ceux des rues des cités… Et le travail du coloriste Drac est époustouflant, vraiment… La couleur appartient totalement au récit et à son rythme, à ses rythmes… C’est vraiment un très bel album, que je ne peux que conseiller aux amoureux de la grande Histoire, de la Peinture, et de l’aventure à taille humaine !

Jacques Schraûwen

Le Peintre Hors-La-Loi (auteur : Frantz Duchazeau – couleurs : Drac – éditeur : Casterman – mars 2021 – 94 pages)