La Petite Mort 1.5

La Petite Mort 1.5

Et si la Mort vivait en famille, comme tout le monde !

Il y a le père, la mère, la grand-mère, et le fils.

Ils vivent dans une maison presque banale, s’il n’y avait son jardin dans lequel viennent se pendre régulièrement des passants en mal de suicide.

Ils ont une existence presque normale, s’ils ne formaient pas ensemble la famille de la Mort !

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

Le fils, qu’on appelle donc « La petite mort », va à l’école comme tous les enfants. Il y a trouvé un ami, Ludo, un ami fidèle, un de ces êtres avec qui c’est à la vie à la mort, comme on dit.

L’autre ami qu’il a, c’est un chat, Sephi.

Il faut dire qu’avoir une vie sociale n’a rien d’évident lorsqu’on a une tête de squelette, tout comme ses parents.

Il en va de même pour les ambitions, les rêves d’avenir. La Petite mort deviendra, quand il sera grand, « faucheur », à son tour, comme son père. Faucheur de vie, faucheur d’espérances.

Et cela, la Petite mort ne le veut pas.

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

Son désir avoué et peu avouable, c’est de devenir fleuriste. C’est de meubler de couleurs et de sourires le noir de ses vêtements et la grisaille des jours et des années.

Ce livre, donc, nous raconte l’existence de cet être étrange qui nous ressemble tellement et qui, pourtant, ne veut, par obligation, que notre fin. Petite mort deviendra grand, il n’y a pas d’échappatoire.

Mais Petite mort rêve, encore, toujours…

Cyniquement, certes. Mais avec un regard sans concessions sur le monde dans lequel il vit. Même si ce verbe, vivre, n’a, tout compte fait, pas vraiment de sens pour lui …

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

Ce livre nous montre la Petite mort de jour en jour, de semaine en semaine, en famille, à l’école, avec Ludo. Il nous montre aussi ses travaux scolaires, ses carnets intimes dans lesquels il se dessine telle qu’il est et telle qu’il voudrait être. C’est parfois gore, c’est presque toujours attendrissant.

Mais voilà, même pour le futur « faucheur », l’existence est faite aussi de peines, de larmes, d’horreurs à assumer.

Ludo, son ami, cet humain normal avec qui il se sent en osmose, ce garçon heureux est atteint de leucémie. Et c’est à la petite mort qu’incombera le devoir de faucher cette existence. Ce qui donne l’occasion à Davy Mourier d’une page dans laquelle l’humour laisse totalement la place à l’émotion.

Alors, oui, c’est un livre d’humour. D’humour noir… Le dessin de Davy Mourier en est simple, expressif en même temps, usant essentiellement de noir et de blanc avec, par ci par là, des pages entières en couleurs, les pages qui, en fait, nous font entrer quelque peu dans les attentes et les espérances du personnage principal.

C’est un livre qui raconte une histoire, nourrie d’un imaginaire à la fois collectif et très individuel. On pourrait penser, bien évidemment, à « Pierre Tombal », de Marc Hardy. Mais si l’un et l’autre de ces auteurs prennent comme figure de proue une mort faucheuse de vies, ils le font très différemment. Et chacun avec un vrai talent… Tous publics pour Hardy, plus iconoclaste et plus adulte, sans doute, pour Mourier.

En une période où la mort, en chiffres invérifiables parce qu’officiels, occupe nos écrans, nos journaux, nos quotidiens, il est salutaire de la remettre dans la seule perspective humaine qu’elle peut accepter :

La Petite Mort 1.5 © Delcourt

la vie ! La mort est la seule compagne fidèle de l’existence, que nous le voulions ou non, elle est inéluctable.

En rire ou en sourire appartient dès lors à une thérapie salutaire et essentielle : faire de la ronde de nos heures des plaisirs à partager !

Et c’est pour cela, aussi, que je partage avec vous, ici, le plaisir que j’ai pris à lire ce petit album !

Jacques Schraûwen

La Petite Mort 1.5 (auteur : Davy Mourier – éditeur : Delcourt – 96 pages – novembre 2020)

Pierre Tombal et le Covid

Pierre Tombal et le Covid

Des dessins au jour le jour, pendant ce qu’on peut appeler le premier confinement et son déconfinement. Le regard d’un artiste au gré de ses convictions, mais avec humour, toujours, même très noir !

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal © BlackWhite

J’ai déjà rencontré quelques fois Marc Hardy. Avec lui, on a parlé de son métier, bien évidemment, de « Pierre Tombal », une série populaire malgré le fond grave, finalement, de son propos. On a parlé de sa vie, des souffrances qui furent siennes au fil des années, de son expo dans laquelle j’ai découvert son talent réaliste autour de Bob Morane, on a parlé de René Hausman, de la rencontre avec ses lecteurs, essence même de son métier me disait-il. On a parlé de l’importance du mot « populaire » dans l’histoire du neuvième art, dans sa propre histoire de créateur aussi.

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal © BlackWhite

Le connaissant, connaissant un petit peu des épreuves qu’il a vécues, il était normal qu’il se sente extrêmement concerné par le coronavirus et ses gestions de jour en jour.

Le résultat de ce « travail » d’observateur, de « sociologue décalé », le voici donc réuni en un album de quelque 128 pages.

Un album étonnant, à bien des points de vue.

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal © BlackWhite

Un album engagé, en tout cas, aux côtés des experts de tout poil qui influent depuis des mois sur le quotidien des Belges.

Disons-le tout de suite, je suis loin d’être en accord avec toutes les convictions de Marc Hardy et tous les appels qu’il fait, de page en page, pour que se respectent des mesures qu’il considère essentielles. Mais cette différence de vue est normale, naturelle, souhaitable même. Je ne veux pas, et lui non plus, j’en suis certain, vivre dans un monde où tout le monde aurait le même regard, où tout le monde devrait, finalement, avoir le même vécu.

Et ce qui est vraiment étonnant, dans ce livre, c’est l’aspect presque schizophrénique qu’il revêt.

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal © BlackWhite

D’un côté, il y a les dessins, à l’humour sombre, des dessins souvent politiquement incorrects, des dessins qui parviennent à mêler à l’horreur de la mort les sourires d’un désespoir teinté d’érotisme. Des dessins souvent rapides, comme créés dans l’urgence, pour que lui d’abord, ses lecteurs ensuite, n’oublient jamais qu’ils sont humains, et que l’humanité est aussi affaire de plaisir, de désir, de rêves. Et de tristesses, comme cette page sur laquelle Marc Hardy nous parle, avec une belle poésie et une superbe retenue, du décès de sa maman.

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal © BlackWhite

Et puis, de l’autre côté, il y a les commentaires, souvent copiés tels quels des réactions eues sur facebook. Et là, on se trouve dans un autre regard, un regard totalement politiquement correct, un regard artiste dans lequel, de dessin en dessin, on sent s’installer chez Hardy une peur qui prend de plus en plus de place. Il y a des appels à la culpabilisation, même s’il s’en cache, des « autres », de ceux qui « ne respectent pas les ordres »… Mais, en même temps, il y a des remarques, ici et là, qui montrent que Marc Hardy, comme tout artiste, même touché au plus profond de lui-même, est un homme qui a besoin du doute pour exister, et créer. Il définit ainsi ses dessins comme étant « l’éphémère reflet d’une émotion ». Il se pose la question aussi de « la vie après la vie, et de la vie sans la vie »…

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal © BlackWhite

Au travers de ses positions, de ses dessins d’abord et avant tout, Marc Hardy s’intéresse, en s’interrogeant, au sens du mot liberté, à ce qui est vraiment essentiel pour l’être humain, l’écologie, l’économie ?… Il se pose la question, et nous la pose en même temps, de savoir ce que sont, aujourd’hui, pendant cette pandémie, les valeurs de la vie qu’il nous reste à revendiquer…

Je pense, honnêtement, que les commentaires dans ce livre sont quelque peu superflus. Certes, ils sont comme des têtes de chapitre. Mais la force de cet album, ce sont les dessins… Ce sont aussi, dans ces dessins, les pauses que Marc Hardy a faites, comme pour rappeler qu’au-delà de l’humour, il y a la sensation, l’érotisme grivois, une forme légère de poésie. Lolo et Sucette sont présentes, tout comme bien d’autres jeunes femmes accortes et très peu vêtues.

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal © BlackWhite

Créer n’est-il pas finalement, toujours, une façon d’exorciser le présent ?

Exorcisez-le en vous plongeant dans ce livre qui vient à son heure et qui est le miroir d’un artiste, tout compte fait, plus que d’une époque…

Jacques Schraûwen

Petites chroniques illustrées du temps du Covid selon Pierre Tombal (auteur : Marc Hardy – éditeur : Black and White – décembre 2020 – 128 pages)

Louis Le Hir

Louis Le Hir

Le décès d’un jeune dessinateur aux promesses infinies !

Il avait 34 ans. Il était illustrateur, bouquiniste, et auteur BD presque débutant.

Louis Le Hir © Mosquito

Pour lui rendre hommage, et le remercier de son talent, je vous propose de vous plonger dans un de ses rares albums…

Le Petit Poucet © Mosquito

Le Petit Poucet

(scénario : Jean-Louis Le Hir – dessin : Louis Le Hir – éditeur : Mosquito)

La bande dessinée come le roman plongent leurs inspirations, parfois, dans l’imaginaire collectif, dans ce que la culture peut avoir de plus populaire.

Depuis quelques années, ainsi, les contes de notre enfance se retrouvent adaptés de mille et une manières, avec, le plus souvent, une relecture psycho-psychiatrique chère à quelques penseurs des années 70 et 80.

IL est vrai que les versions édulcorées de ces contes de Perrault ou de Grimm ont privilégié la gentillesse imaginée de l’enfance au détriment de ce qu’ils étaient, originellement.

Le Petit Poucet © Mosquito

A l’origine, oui, tous ces contes, ou presque, parlaient des vrais apprentissages de l’existence, des vrais remous de toute vie. Donc de peur, de haine, de guerre, de violence et de mort.

C’est cette voie-là que Louis Le Hir et son père ont choisi pour créer une trame narrative de ce conte qui ne manque ni de force d’évocation, ni d’intelligence de ton, ni d’écriture véritablement littéraire.

Ils ont pris comme base d’intégrer cette histoire pendant les horreurs de la guerre de cent ans. Ils ont pris comme base aussi de faire du Petit Poucet, cadet d’une fratrie de sept enfants, un petit gars courageux et intelligent, certes, mais intégré totalement dans son époque, et donc rêvant de luttes, de combats, et sachant ce qu’est la mort rencontrée au jour le jour.

Tous les ingrédients du conte connu sont bien là. Il y a les miettes de main, les enfants perdus en pleine forêt, il y a l’ogre, il y a les bottes de sept lieues.

Le Petit Poucet © Mosquito

Mais tous ces ingrédients, ces codes chers à Perrault, n’ont rien d’enfantin, que du contraire. Le principal fil conducteur de ce livre, c’est la mort bien plus que l’injustice. Le Petit Poucet face à l’Ogre, c’est David face à Goliath. La distribution que le Petit Poucet fait des richesses volées à l’ogre, c’est Robin des Bois vainqueur du shérif de Nottingham

Le scénario, vous l’aurez compris, est bien charpenté et sans faux fuyant. Le dessin, quant à lui, révèle un talent de graphiste d’un expressionnisme superbe, et un talent de coloriste, aussi, qui dépasse la simple nécessité de créer, grâce à la couleur, des ambiances.

Le Petit Poucet © Mosquito

Avec Louis Le Hir, on se retrouve en face d’un dessin qui réussit, avec une maestria extraordinaire, à réconcilier les styles proches de l’épure d’un Munoz, d’une part, et ceux d’une approche du mouvement chère aux meilleurs des mangakas.

C’est de la bande dessinée européenne, cependant, pleinement, qui fait parfois penser aussi aux illustrations tchèques des livres pour jeunes lecteurs.

Lisez ce livre… il est passionnant, et beau, profondément beau, jusque dans la démesure des tueries qu’il met en scène.

Lisez ce livre, et remerciez ainsi ce dessinateur dont on peut avoir la certitude qu’il avait tout pour devenir un grand du neuvième art.

Jacques Schraûwen