La bande dessinée peut être délassante, sérieuse, historique, d’aventure. Elle peut aussi être émouvante, et poser des questions importantes sur la vie, ses larmes, ses colères, ses chagrins. C’est un peu de tout cela que vous trouverez dans ces trois albums.
Peau d’Homme
(dessin : Zanzim – scénario : Hubert – 160 pages – juin 2020)
C’est en février dernier qu’un des scénaristes les plus intéressants et les plus surprenants de ces dernières années quittait la scène de la vie et de la bande dessinée. Mais l’auteur des « Ogres-Dieux », audacieuse série qui mêle, avec une intelligence dans la construction exceptionnelle, littérature et neuvième art, cet auteur-là ne peut que laisser une trace profonde dans le paysage de la culture.
Le thème essentiel de tous ses scénarios a toujours, quel que soit le récit, tourné autour de « la différence ». Celle de nains dans des pays de géants (l’inverse de l’albatros de Baudelaire…), celle aussi de personnages en quête d’eux-mêmes, en recherche d’une personnalité assumée dans un monde qui s’uniformise. Et cela passait, dans tous ses scénarios, aussi par un questionnement sur la sexualité. La plus grandes des différences humaines n’est-elle pas, en effet, celle qui existe entre la femme et l’homme ?
Et ce livre-ci, « Peau d’Homme » ne déroge pas à cette thématique chère à Hubert.
L’histoire est simple, tout compte fait. Dans une ville de la fin du Moyen-Age, la belle Bianca doit se marier, mais sans vrai plaisir, loin de là. Ce qu’elle voudrait, c’est « choisir son époux selon son cœur ». C’est alors que sa marraine lui fait découvrir le secret des femmes de sa famille : une peau d’homme !
Et c’est ainsi que Bianca va revêtir cette peau, devenir, pleinement, le temps qu’elle la porte, un homme, un « mâle ». Et, de ce fait, pouvoir découvrir que son futur mari est infiniment plus attiré par ce qu’elle devient, Lorenzo, un jeune homme avenant et séduisant, que par la future épousée qu’elle est derrière son charnel déguisement. Elle découvre en même temps que le plaisir et le désir sont les axes essentiels de toutes les relations humaines.
Bianca est un personnage très moderne, une femme Indépendante, désireuse de donner à la femme une place reconnue dans une société dirigée par une religion manichéenne qui dénie à l’humain toute autorisation d’aimer dans la chair ses envolées libertines, parce que libres.
Le dessin de Zanzim colle à merveille à ce scénario à la fois léger et universel dans son propos. Souple et simple, moderne dans sa construction, ce dessin rappelle en même temps les enluminures des livres d’autrefois, en ces temps où on disait que l’amour était courtois… C’est un dessin sensuel pour un récit qui l’est tout autant… Un récit qui est un appel vibrant, mais souriant, à ce que toute intolérance disparaisse de la vie, et donc de la vie amoureuse…
Nous Sommes Tous Des Anges Gardiens
(dessin : Franck Biancarelli et Laurent Gnoni – scénario : Toldac – 80 pages – août 2020)
Ne vous arrêtez pas à ce titre, ni à la postface très « mystique », voire ésotérique, de ce livre… Il n’y a dans cet album rien de religieux, pas ouvertement en tout cas. Par contre, il y a une véritable émotion, de bout en bout, un côté presque journalistique de parler de l’horreur quotidienne vécue par quelques personnages.
Nous sommes à Sidney. Un couple regarde à la télé les infos, et le sauvetage d’une fillette kidnappée. La femme de ce couple, Abby, va mettre au monde un enfant mort-né et, quelques années plus tard, un deuxième enfant qui, en prenant son biberon, mourra empoisonné. Et Abby, soutenue totalement par son mari, va être accusée du meurtre de ses deux enfants.
C’est à partir de ce moment-là que le titre de ce livre prend toute sa valeur. Il y a la rencontre avec une femme de ménage aborigène, il y a un avocat, aborigène également, qui va accepter de défendre la jeune femme emprisonnée, il y a le père de la fillette kidnappée des années plus tôt qui va remplir un rôle important.
Ce livre nous parle des rencontres qui nous construisent, il nous parle du hasard et de ses possibles, il nous parle de la vie et de la mort, il nous dit aussi que toutes et tous nous sommes responsables les uns des autres, dans une sorte d’existentialisme idéalisé.
Je le disais, ce qui m’a frappé et plu dans ce livre, c’est le traitement émotionnel de l’intrigue, c’est aussi la volonté des auteurs de ne raconter leur histoire qu’en prenant comme base l’humanité et donc l’humanisme de tous les protagonistes.
Le scénario est très cinématographique, très construit autour de séquences bien orchestrées. Le dessin, réaliste, et proche tout le temps des visages de tous les personnages croisés au fil des pages, évite tout voyeurisme, toute démesure dans le rendu de l’émotion et des sentiments. On n’est pas dans de la « bd-réalité », mais dans une réalité racontée en bande dessinée. Un livre sombre et lumineux tout à la fois, comme le sont toujours les hasards de nos rencontres.
Retour De Flammes
(dessin : Alicia Grande – scénario : Laurent Galandon – couleur : Elvire De Cock et Jean-Baptiste Merle – 64 pages – février 2020)
Je tiens d’abord à dire que j’ai toujours beaucoup aimé les scénarios de Laurent Galandon. Quel que soit le thème abordé, quelle que soit l’époque des récits qu’il orchestre, son empreinte est celle d’un homme engagé, dans ses idées comme dans ses mots. Un être libre épris de liberté d’expression également et surtout.
Dans ce premier tome d’un diptyque, il en va de même. Bien sûr, c’est aussi et surtout une excellente bande dessinée qui se plonge, au travers de deux enquêtes policières parallèles, dans un Paris occupé par les Allemands…
D’une part, il y a des cabines de projection de films allemands auxquels on boute le feu. D’autre part, il y a une actrice débutante et peu avare de ses charmes qu’on retrouve assassinée.
Le commissaire Engelbert Lange mène ces deux enquêtes, étroitement surveillé par la police allemande et par des supérieurs (et subordonnés) français soucieux de pratiquer efficacement la collaboration.
En utilisant les codes du polar, Galandon aborde de front la réalité de ces années sombres d’occupation par l’ennemi de la ville lumière. Une ville dans laquelle, les lumières, celles des stars, ne se sont pas éteintes… Galandon nous montre à voir Fernandel, Suzy Delair, Clouzot, et quelques autres vedettes pour qui ces heures allemandes ne furent pas synonymes de chômage ni de pauvreté.
En utilisant un langage de l’époque, le scénariste nous raconte l’histoire du cinéma d’une époque bien précise, de manière fouillée sans jamais être pesante.
Mais il nous parle, ce faisant, de l’homosexualité, condamnée par les nazis autant que le fait d’être Juif, il nous parle du rôle des artistes, des compromissions, du pouvoir militaire et du pouvoir de l’argent, de l’honnêteté intellectuelle de certains et de collaboration d’autres dans la police que l’on disait française…
Cela dit, c’est un vrai polar, bien mené, et dessiné avec une belle vivacité, avec un vrai sens du mouvement. Et la couleur accentue les ambiances, certes, mais elle réussit également à mettre en évidence les sourires des personnages, leurs peurs dans le regard, également.
Trois livres très différents les uns des autres, trois albums qui ne dépareilleront pas dans votre bibliothèque, c’est une évidence !
Jacques Schraûwen