Noir Burlesque (récit complet en deux volumes)

Noir Burlesque (récit complet en deux volumes)

De la bande dessinée noire, du polar dur et puissant, de la violence, des femmes fatales, et un dessinateur hors pair…

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Enrico Marini, dessinateur des Aigles de Rome, du mythique Scorpion également, sans oublier d’un extraordinaire Batman, a décidé, en deux albums, de changer de registre, et de s’aventurer, avec NOIR BURLESQUE, dans une sorte d’hommage aux romans et au films sombres des années cinquante.

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Et on entre dans ce second volet sans difficulté aucune. Je dirais que le premier volume mettait en place les personnages, les lieux, l’époque : les années 50, Slick, le héros, un truand qui doit de l’argent à un ponte de la mafia, Caprice, une effeuilleuse qui semble appartenir à ce fameux patron de la mafia irlandaise après avoir eu une aventure avec Slick. Et tout cela baignait dans une ambiance lourde, violente, soumise au poids du destin… Tous les ingrédients chers à Hadley Chase, Carter Brown, étaient présents, des influences parfaitement assumées et maîtrisées par Enrico Marini. Un auteur heureux de donner vie à un personnage central hors du commun.

Enrico Marini: le personnage central

Et, dans ce deuxième opus, c’est l’action qui prime. Il y a l’organisation du vol d’un tableau, il y a l’apparition de la mafia italienne, il y a le neveu un peu simplet d’un des parrains, il y a un tueur complètement allumé qui se prend pour un Indien, il y a une nouvelle femme fatale, cruelle, il y a la famille de Slick, il y a toujours la sublime Caprice aux cheveux roux, aux rêves fous… Des personnages qui se multiplient sans alourdir le propos, loin de là.

Enrico Marini: les personnages

Ce qui est flagrant, de bout en bout, c’est le plaisir que Marini a pris à créer ces personnages, à leur donner chair, à en faire un des éléments essentiels de son rythme de narration.

Enrico Marini: de l’amusement

Dans cette seconde partie, on quitte le cinéma de Cassavetes pour entrer de plain-pied dans celui de Tarantino !

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Et Marini y prouve toute l’étendue de son talent de dessinateur, avec des pleines et des doubles pages imposantes, avec un sens du mouvement et un découpage qui se rapprochent du comics à l’américaine, mais avec des personnages « pleins », dans une ambiance sombre, une tonalité noire et blanche avec quelques touches de couleur rouge, ici et là, comme pour rythmer le récit… Comme pour rappeler que le sang et la volupté ont d’identiques couleurs.

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Marini y prouve aussi son talent de scénariste, capable d’entrer dans un univers et de s’y immerger totalement. Un univers, celui du polar noir, film ou roman, un monde parfaitement codifié depuis longtemps. Mais Enrico Marini joue formidablement bien avec ces codes !…

Enrico Marini: les codes

C’est un dessin somptueux, c’est du silence qui dégouline du bruit de la violence, c’est un récit dans lequel on se laisse emporter par le rythme plus, finalement, que par l’histoire…

copyright dargaud

Mais en aimant, comme leur auteur, les personnages tous plus démesurés les uns que les autres ! Et en adorant nous plonger, lecteurs, à la suite de Marini, dans l’ambiance à la fois glauque et lumineuse du « burlesque », cet art de l’effeuillage qui, finalement, ressemble fort à l’existence et à ses failles..

Enrico Marini: le burlesque

Oui, c’est dans la veine du meilleur Tarantino, et c’est dessiné par un des meilleurs dessinateurs actuels!…

Jacques et Josiane Schraûwen

Noir Burlesque (auteur : Enrico Marini – éditeur : Dargaud – novembre 2022)

copyright servais

Peut-on aimer la bande dessinée et ne pas aimer Tintin ? (Le Noir et Blanc)

Parlons, aujourd’hui, si vous le voulez bien, du « noir et blanc ». Dans un dictionnaire que je veux totalement subjectif. Plongeons-nous dans des lettres qui vont de C à V !

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Gamin, dans un pays que Tintin avait, en son temps, visité sans polémiques, j’avais à ma disposition ces fameux albums de Tintin en noir et blanc. Eh bien, je me souviens parfaitement du plaisir que j’ai eu, plusieurs fois, et pendant de longs moments, à m’arrêter aux pleines planches qui, ici et là, et en couleurs s’il vous plaît, émaillaient ces livres… Par contre, du haut de mes huit ans, les aventures de Tintin ne m’intéressaient guère. Ces livres sont restés quelque part le long du lac Tanganyika, et j’ai pu, en Belgique, découvrir que le travail du noir et blanc, en bd, pouvait n’avoir rien de gratuit ni de dépendant de seules conditions éditoriales.

J’ai compris que la couleur pouvait cacher l’essentiel d’un dessin : le trait, sa vigueur ou sa douceur, sa façon toujours unique de participer à une forme narrative, son importance évidente dans la mise en scène d’une séquence, d’un geste, d’un regard, d’un paysage.

Je l’ai découvert d’abord chez un auteur oublié, Pierre Forget, dans un album intitulé « Le Secret de l’Emir ». Le talent de ce dessinateur fut d’utiliser l’absence de couleur pour privilégier les reliefs des personnages et des lieux, les perspectives des mouvements grâce à des jeux d’ombres et de lumières envoûtants.

copyright joubert

Cet illustrateur de romans « scouts » m’a fait entrer dans l’univers de Pierre Joubert. Même s’il n’a jamais fait de bande dessinée, il a influencé des dizaines d’auteurs essentiels du neuvième art. Son noir et blanc tantôt hachuré pour créer des angles solides aux héros des romans illustrés, tantôt en une sorte de sépia qui, tout au contraire, privilégiait les sensations à l’action, est d’une qualité jamais égalée !

copyright pratt

A partir de ces deux auteurs s’est forgée au fil des ans ma culture « bédéiste ». Avec, évidemment, le choc de « La ballade de la mer salée », d’Hugo Pratt. Le premier livre, sans doute, qui m’a prouvé que les mots comme la couleur pouvaient n’exister qu’à peine, à condition que le lecteur devienne complice du récit.

J’ai découvert plus tard, avec Vianello, que cette technique utilisée dans les fumetti comme dans des œuvres plus ambitieuses pouvait encore être plus vibrante.

copyright vianello

Et puis, bien entendu, il y a eu la perfection technique exceptionnelle de Chabouté, et de  Comès, surtout dans « La Belette ». Chez cet auteur qui a mis pas mal de temps avant de trouver sa voie et son style, il est impossible de séparer son noir et blanc des histoires qu’il nous raconte. Ses albums ne peuvent avoir de lumière que dans l’absence de couleurs !

copyright comès

En fait, dans l’approche qu’un auteur fait de son livre, dans la façon dont il décide de le construire, d’en raconter les mille et un paysages, le choix des couleurs ou de leur absence devrait n’être jamais gratuit. Force est de reconnaître que tel n’est pas le cas, et que des tirages dits de luxe en noir et blanc, nombreux ces dernières années, nous ont maintes fois montré que tous les « noirs et blancs » ne sont pas utiles, loin s’en faut !

Rendons donc, tout simplement justice aux vrais artistes…

copyright Chabouté

Comme Servais, dont le graphisme épuré se fait l’allié de la description d’un quotidien toujours en demi-teintes.

Et comment ne pas parler de l’expressionnisme, parfois proche d’une forme de surréalisme sombre, d’un José Munoz, tout au long des aventures d’Alack Sinner, tout au long d’une complicité artistique époustouflante avec son scénariste Carlos Sampayo.

copyright Munoz

Oui, le « noir et blanc », c’est une du dessin de la création, narrative et graphique qui, chez beaucoup d’auteurs, se révèle une magie plastique de ce qui fera toujours la force première d’une bd : l’émotion qu’un auteur partage avec ses lecteurs… Et à ce titre, pour en revenir à l’intitulé de mes articles, oui, on peut aimer la bande dessinée et ne pas aimer Tintin qui, pour réussir à prendre quelque peu vie, a toujours eu besoin de couleurs ! Au contraire des idées noires de Franquin !…

copyright Franquin

Jacques et Josiane Schraûwen (article paru dans l’excellente revue 64_page)

Pico Bogue : XIV. Un Calme Fou

Pico Bogue : XIV. Un Calme Fou

Un calme fait, aussi, d’éclats de rire partagés… Une folie, celle des mots et des idées au travers des yeux d’une enfance sans cesse recommencée…

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Alexis Dormal au dessin et Dominique Roques au scénario ont inventé, il y a quelque quatorze ans, un gamin espiègle qui aborde le monde grâce au regard qu’il porte sur tout ce qui l’entoure, sa petite sœur, Ana, qui prend de plus en plus de place dans sa vie comme dans les livres qui lui sont consacrés, ses parents, ses amis, ses enseignants, les commerçants…

Et ce regard est à la fois plein d’humour, de tendresse, de jugement péremptoire, d’absurde, de définitif…

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Ana rêve d’être choisie par l’éducation nationale pour tourner dans un film qui doit faire la promotion de l’enseignement. Mais malgré ses efforts et sa volonté, ce n’est pas elle qui est choisie, mais sa meilleure amie…

Colère, jalousie, mots échangés qui deviennent cruels et méchants, lutte de personnalités, tel est le lot, désormais, de ces deux gamines s’opposant pour des raisons qui semblent réussir à détruire la réalité d’une amitié.

Mais l’amitié, comme l’amour, finalement, cela ne se détruit pas, et Dominique Roques et Alexis Dormal, empreints d’une affection réelle pour leurs personnages, ne pouvaient pas les laisser désemparés bien longtemps !

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Mais qu’on ne s’y trompe pas : il n’y a aucune mièvrerie, loin de là, dans les gags qui construisent ce livre !

C’est un peu de l’enfance qui nous est montré, dévoilé, et je soupçonne les deux auteurs fusionnels de cette série de ne jamais avoir réussi à quitter leurs univers de gosses… Evidemment, ce ne sont pas, au sens premier du terme, des moments vécus qu’ils nous racontent, en mots-sourires, en dessins-émotions… Pico Bogue, c’est un mélange intime, et intimement réussi, de souvenances d’enfance et de réalités d’un âge dit mûr mais qui se refuse à s’enfouir en des routines de grisaille.

Pico Bogue, ce sont des tranches de vies, des petits instants montrés, des tranquilles bonheurs au quotidien d’une vie qui, pourtant, n’a rien de totalement joyeux, jamais. Mais Pico Bogue et toute la compagnie humaine qui est sienne semblent ne jamais oublier que leur bonheur se vit d’instant en instant, de mémoire en mémoire, de lucidité en éclat de rire.

A ce titre, cette série est une série qui fait du bien… Qui fait sourire… Qui fait croire en une éternité du souvenir, une éternité réellement capable de pouvoir vieillir sans être adulte, comme le chantait Brel.

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Dans ce quatorzième album, tous les gags tournent autour de la création, qu’elle soit littéraire ou cinématographique, avec, entre autres, une superbe leçon d’interview entre deux petites filles aux rires communicatifs !

Je pense que pas mal de journalistes pourraient y trouver matière à réflexion, pour le moins !

La création, jeu personnel, jeu de personnalité…

La création, au sens le plus large du terme et qui, dès lors, devient le signe d’une lucidité qui permet au temps de s’écouler avec plaisir, avec plaisirs pluriels…

copyright dargaud

Pico Bogue, c’est une réussite totale, qui ne s’essouffle pas, que du contraire, qui réussit à continuer à étonner dans chaque nouvel opus… Pico Bogue, c’est une bd aussi importante que Mafalda, ou les Peanuts… Et, en même temps, superbement personnelle ! Fantastiquement originale !

Pico Bogue, c’est un ensemble d’albums qui font du bien, avec intelligence, avec passion, avec douceur, avec pudeur… Ce sont donc, à mon humble avis, des livres qui devraient se retrouver dans toutes vos bibliothèques !

Jacques et Josiane Schraûwen

Pico Bogue : XIV. Un Calme Fou (dessin : Alexis Dormal – scénario : Dominique Roques – éditeur : Dargaud – septembre 2022 – 48 pages)