La Maison Blanche

La Maison Blanche

Les élections américaines sont à la une de l’actualité. Et cette bd vient à son heure, incontestablement, elle qui nous raconte une « histoire illustrée des présidents des USA de Georges Washington à Donald Trump ».

La Maison Blanche © Casterman

C’est de la bande dessinée qu’on pourrait qualifier d’instructive. C’est de la bd fouillée, avec un dessin simple, nous offrant 45 portraits d’hommes qui, tous, ont dirigé les Etats-Unis, faisant de ce pays ce qu’il est devenu aujourd’hui, de ce qu’il a souvent revendiqué être, le « gendarme du monde » !…

Cela dit, ne vous attendez pas à une étude poussée des Etats-Unis, de leur politique, de la façon dont la démocratie y fut vécue, y est vécue de nos jours. Hervé Bourhis, l’auteur, n’hésite pas, certes, à aborder de front des réalités américaines peu ragoutantes, comme la guerre du Vietnam, le rôle de l’éminence grise Kissinger. Mais de loin… Ce sont les hommes qui l’intéressent, des hommes de pouvoir dont il nous livre les portraits.

Hervé Bourhis : le contenu de ce livre

Des portraits qui ne manquent pas de saveur, très souvent. Il faut dire que le travail de l’auteur nous montre à voir une partie de l’évolution de la représentation politique aux USA, toujours au travers de ces présidents dont on connaît peu, de notre côté de l’Atlantique, les patronymes. La fonction présidentielle, au dix-neuvième siècle, n’avait par exemple strictement rien à voir avec que qu’elle est aujourd’hui.

La Maison Blanche © Casterman
Hervé Bourhis : les présidents au 19ème siècle

Pour chaque président, Hervé Bourhis travaille un peu à la manière d’un journaliste. En deux pages le plus souvent, il nous rend compte des éléments biographiques élémentaires d’un homme qui fut dirigeant d’un des pays les plus importants de la planète, tout en nous montrant, au travers de ce qui peut s’assimiler à des petits articles de journal, les événements marquants de son mandat, ses réalisations, ses réussites, ses échecs. Ainsi, l’auteur de ce livre ne se contente pas des discours officiels, et réussit, grâce à ses recherches en amont, à nous faire des vrais portraits humains, objectifs et sans langue de bois…

Hervé Bourhis : une forme journalistique
La Maison Blanche © Casterman

Hervé Bourhis a choisi une voie qui n’est jamais totalement celle de la vision officielle des hommes qu’il nous présente. Ainsi, il nous fait découvrir un aspect méconnu de Lincoln, ou de Lyndon Johnson, faisant preuve d’une objectivité qui, elle aussi, est signe d’un travail journalistique.

Hervé Bourhis : Lyndon Johnson

45 Présidents se retrouvent donc sous la loupe graphique d’Hervé Bourhis. 45 Présidents qui esquissent l’ébauche d’une Histoire des Etats-Unis, mais à taille humaine, d’abord et avant tout.

La Maison Blanche © Casterman

45 Présidents, en attendant le 46ème, et, pour les deux derniers, Hervé Bourhis ne manque pas non plus de ruer un peu dans les brancards de la renommée !…

Hervé Bourhis : Obama
Hervé Bourhis : Trump
La Maison Blanche © Casterman

Ce livre n’a rien d’un pensum. Il est bien construit, simple dans son dessin, journalistique dans son propos. Il n’est pas un panorama savant de l’histoire des USA, mais une approche de cette Histoire au travers d’hommes, tout simplement. Et ce qui est vraiment très agréable avec ce livre, c’est que le lecteur peut picorer, ici et là, comme il en a envie, sans être obligé de suivre un canevas tout fait…

Jacques Schraûwen

La Maison Blanche (auteur : Hervé Bourhis – éditeur : Casterman – 160 pages – octobre 2020)

Le Repas Des Hyènes

Le Repas Des Hyènes

Un livre coup de cœur…

L’Afrique, la magie, l’enfance… Et le rêve, surtout, celui des histoires qu’on se raconte en souriant pour avoir un peu peur, pour se sentir bien de vouloir rester vivants…

Le Repas Des Hyènes © Delcourt/Mirages

Aurélien Ducoudray est un de ces scénaristes pour qui aucune histoire ne peut être totalement gratuite. Il a besoin, intellectuellement, philosophiquement, de nous parler de nos présents, même en nous racontant des histoires improbables ou en nous plongeant dans des récits historiques. Capable de se faire le chantre de l’aventure la plus traditionnelle, capable d’une forme narrative de poésie, capable d’humour, Ducoudray réussit souvent, très souvent même, à nous étonner. De « Bob Morane » à « Monsieur Jules », de « Kidz » à « Camp Poutine », son imaginaire est toujours touche-à-tout.

Et avec ce livre-ci, il nous étonne encore, en nous immergeant dans une Afrique rêvée, une Afrique dans laquelle le passé reste omniprésent grâce aux légendes, grâce aux récits des anciens, grâce à des organisations politiques élémentaires et efficaces au quotidien des villages reculés. Des légendes, oui, qui, toutes, sont des quêtes identitaires, des voyages qui mènent de l’enfance à l’âge adulte souvent, avec un symbolisme évident de l’épreuve à franchir pour se rapprocher de soi, de ce qu’on est, intrinsèquement, en se confrontant à la mort.

Le Repas Des Hyènes © Delcourt/Mirages

C’est une fable qu’il nous raconte. Une fable africaine ? Par le choix de son environnement, sans aucun doute, mais universelle aussi par les réflexions qu’elle amène.

Le rire des hyènes a un pouvoir qu’il s’agit de combattre : celui de faire revenir de l’au-delà les défunts. Et pour empêcher que cela arrive, il faut nourrir ces animaux, avec sur le visage un masque qui leur fait croire qu’aucun humain ne s’y cache. Les nourrir parce que, le ventre plein, ces animaux magiques ne peuvent plus rire.

Au cours de cette cérémonie, un gamin, Kana, réveille un Yéban, un esprit maléfique qui l’oblige à l’accompagner pour retrouver son chemin. Un chemin vers un but que cet esprit prenant la forme d’une hyène géante ne connaît pas lui-même.

Le Repas Des Hyènes © Delcourt/Mirages

Et c’est ainsi que, côte à côte, un gamin et un esprit sans doute malfaisant vont suivre une route faite de hasards et de peurs, de sourires plus que de rires, d’aventures et de rêveries. De rencontres aussi… Avec des êtres à la peau blanche contre lesquels le Yéban ne peut rien, puisqu’ils appartiennent à un autre monde qu’à celui de l’Afrique !

C’est là, pour le scénariste, le chemin qu’il choisit, lui, pour nous parler de violence, de haine, d’esclavagisme, de domination !

Depuis Esope, on sait que les fables, le plus souvent, se terminent mal. Et c’est bien le cas avec ce repas des hyènes… Quoique… Puisque c’est une fable, ce n’est sans doute qu’un récit raconté à qui veut bien par un vieillard sur une place publique. Ou pas…

Pour Ducoudray, un des thèmes essentiels de ses inspirations touche aux apparences, trompeuses, sans cesse changeantes. C’est au travers de celles-ci qu’à chaque fois, ou presque, il se laisse aller à une vraie poésie, dans le langage comme dans l’action racontée.

Le Repas Des Hyènes © Delcourt/Mirages

Et pour accompagner ce récit qui, finalement, n’est pas réellement initiatique, il fallait aux mots de Ducoudray un dessin choisissant la voie d’une originalité respectueuse de l’art africain… Mélanie Allag s’est plongée totalement dans la narration de Ducoudray, et elle a réussi à faire de ce livre un mélange étonnant et détonnant de styles parfaitement maîtrisés. Avec un trait qui refuse le réalisme, elle parvient à rendre compte de la réalité d’un village perdu au plus profond d’une Afrique à la fois réelle et imaginée. Avec un trait qui choisit d’être expressionniste, elle réussit à ce que l’humour ne soit jamais totalement absent de ses pages, de ses cases. Et puis, avec des couleurs presque brutales, elle crée des séquences aux ambiances puissantes, passant d’une vie quotidienne à des fantasmagories époustouflantes.

Le Repas Des Hyènes © Delcourt/Mirages

Si ce livre est éminemment poétique, il le doit énormément à cette dessinatrice dont la sensibilité graphique, pour influencée qu’elle soit encore par le cinéma d’animation, permet à la fable de Ducoudray de sortir, en quelque sorte, des cases et des pages de cet album !

Un livre à lire, par tout le monde… Un coup de cœur, véritablement…

Jacques Schraûwen

Le Repas Des Hyènes (dessin et couleur : Mélanie Allag – scénario : Aurélien Ducoudray – éditeur : Delcourt/Mirages – 150 pages – septembre 2020)

L’Oiseau Rare : 1. Eugénie

L’Oiseau Rare : 1. Eugénie

A la fin du dix-neuvième siècle, Paris n’est ville lumière que pour les nantis… L’Oiseau Rare nous montre l’autre face d’une cité admirée par le monde entier : la vie dans le bidonville qui entourait la ville !

L’Oiseau Rare 1 © GrandAngle

« L’Oiseau Rare », c’est un cabaret… C’était, plutôt, puisqu’il a brûlé depuis quelques années déjà lorsque commence cette histoire. Il a brûlé, rendant orpheline Eugénie, prise en charge par son grand-père, par un ancien forain, Tibor, et par deux adolescents délurés.

Leurs moyens de substance sont d’une simplicité élémentaire dans le quart monde qui est le leur : le vol… Les larcins, en pleine rue, l’art de vider les poches de bourgeois toujours trop sûrs d’eux-mêmes. Pour ce faire, cette bande a une arme secrète : le talent de chanteuse et de comédienne de la jeune Eugénie, qui attire l’attention des passants, et les rend vulnérables.

L’Oiseau Rare 1 © GrandAngle

Parce que cette gamine, oui, est douée… Elle poursuit inlassablement son rêve, celui de reconstruire le cabaret de ses parents, celui de monter sur une scène et d’éblouir des spectateurs venus rien que pour elle. Et c’est pour pouvoir réaliser ce rêve que tous les billets de banque volés sont mis dans une boîte au seul but de recréer « L’Oiseau Rare ».

Eugénie a aussi un autre rêve, celui de rencontrer la diva du théâtre de cette époque, Sarah Bernhardt.

Mais voilà… En cette fin de dix-neuvième siècle, les mondes ne se mélangent pas, et les apparences remplacent les vérités.

L’Oiseau Rare 1 © GrandAngle

Voilà ce qui crée le canevas de cette série. Cédric Simon en est le scénariste, Eric Stalner en est le dessinateur. Une association familiale qui enfouit ces deux auteurs et les lecteurs à leur suite dans les méandres de l’Histoire vue par le petit bout de la lorgnette…

Cédric Simon : l’Histoire, l’importance de la documentation

Eric Stalner est un dessinateur prolifique, sans aucun doute, et le plus souvent ancré dans la grande Histoire, mais toujours en dehors des sentiers battus, même quand il sacrifie aux codes de ce genre, dans « La Croix de Cazenac par exemple. Il a à son actif une bonne septantaine d’albums qui, tous ou presque, lui permettent d’exprimer ses sentiments face à un monde, celui d’hier et d’avant-hier, dans lequel l’injustice sociale est une réalité… Un monde, finalement, dont les ambitions ressemblent terriblement, et de plus en plus, au nôtre. Un monde dans lequel certains mots comme « honneur » ne gardent leur sens qu’en dehors de la bourgeoisie et des pouvoirs qu’elle représente.

Cédric Simon : l’honneur…
L’Oiseau Rare 1 © GrandAngle

On peut, je pense, dire d’Eric Stalner et de Cédric Simon, père et fils vivant les mêmes aventures créatrices, qu’ils sont « engagés ». Pas politiquement, non, mais socialement, humainement… Et cet Oiseau Rare ne déroge pas à la règle. Ce qui intéresse ces deux auteurs, c’est d’abord et avant tout de nous montrer des personnages qui ont tous des failles, et de le faire avec une aventure sans temps morts, passionnante, parfaitement menée graphiquement comme littérairement. Entre Dickens et Poulbot, ils créent dans cet album un univers passionnel et humaniste !

Cédric Simon : des personnages qui ont des failles

Cela dit, au-delà de ce qu’on pourrait appeler la structure narrative de ce livre, à côté des aventures qui y sont racontées et montrées, dans des décors qui participent pleinement à l’action, cette série est profondément humaine et humaniste, oui. Parce que, finalement, le thème central du récit, c’est l’espoir… Celui des laissés pour compte de pouvoir encore rêver et d’avoir le pouvoir de donner vie à leurs rêves… Celui, pour l’enfance, de dépasser le deuil et la douleur pour oser créer, inventer, s’affirmer, se définir.

Cédric Simon : l’espoir
L’Oiseau Rare 1 © GrandAngle

Le dessin d’Eric Stalner est d’un réalisme efficace, et son trait, précis, donne du relief tant aux décors qu’aux personnages. Des découpages éclatés, des perspectives accentuées, des cadrages qui auraient plu à Orson Welles, un sens réaliste du paysage urbain « quotidien » qu’on trouve rarement dans les bandes dessinées historiques, voilà quelques signes évidents du talent « classique » indéniable de Stalner. Un talent d’une efficacité certaine, comme je le disais, et que le talent de la coloriste Florence Fantini accompagne d’une façon assez exceptionnelle. Elle parvient à ne pas faire oublier le noir et blanc puissant de Stalner, tout en participant pleinement à l’élaboration d’ambiances qui forment des séquences et rythment le récit de bout en bout.

Cédric Simon : de la bd « classique »
Cédric Simon : la couleur

Un livre excellent, donc, dans lequel on voit l’héroïne changer de rêve et d’espoir pour mieux vivre, et ne pas uniquement survivre… Un livre qui appelle une suite dont j’espère qu’elle ne se fera pas attendre trop longtemps ! L’histoire complète est en effet prévue, intelligemment, en deux volumes…

Jacques Schraûwen

L’Oiseau Rare : 1. Eugénie (dessin : Eric Stalner – scénario : Cédric Simon – couleurs : Florence Fantini – éditeur : Grandangle – 64 pages (dont un dossier historique) – août 2020)

Cédric Simon © Jacques Schraûwen