Raven : 1. Némésis

Raven : 1. Némésis

Des Pirates, un trésor, des cannibales, une femme cruelle, une jeune noble presque féministe : Raven, c’est un monde maritime, un monde de passions humaines, une grande aventure merveilleusement amorale !

Raven 1 © Dargaud

Raven est un pirate… Un combattant d’une efficacité redoutable dans ses luttes, dans les abordages comme sur la terre ferme. Un homme qui manque souvent de chance, aussi, qui porte même la poisse comme le disent ses collègues sur l’Île de la Tortue. Il a frôlé la mort bien des fois, et c’est encore dans une situation de ce genre qu’on le retrouve dès la première page de cet album : accroché à une ancre, au fond de l’eau, à quelques secondes sans doute d’un adieu définitif à la vie.

Raven 1 © Dargaud

Mais voilà, Raven a aussi de la chance… Celle d’avoir des amis qui le sauvent, par exemple !

A partir de cette première scène, Lauffray construit son album avec des flash-backs, des changements de lieux, des récits parallèles aussi. C’est ainsi, par petites touches qui ressemblent à des pièces de puzzle, qu’il met en place tous les personnages qui, plus anti-héros qu’héros, vont donner vie à une histoire de violence, de tueries, de vacarme, de canons, de naufrages, de sang et, parfois, de désir.

Je ne vais pas vous raconter quoi que ce soit de cet album qui ne se contente pas d’être une simple présentation des protagonistes d’une série d’aventure, mais sachez que l’action ne manque pas, sachez que vous ne pourrez que parfois sourire aux frasques de Raven, rêver aux charmes de deux femmes totalement différentes l’une de l’autre, et, tout comme moi, la dernière page tournée, attendre avec impatience le tome suivant !

On est dans de la bonne bande dessinée d’aventure, oui, presque à l’ancienne, mais avec un regard actuel et une plume, celle du scénariste Lauffray comme celle du dessinateur Lauffray, qui est totalement actuelle dans la description de l’horreur quotidienne qu’engendrait, en ces temps qui n’étaient ni héroïques ni épiques, la recherche d’un improbable trésor.

Raven 1 © Dargaud

Mathieu Lauffray a toujours aimé la mer, l’océan. Même en s’aventurant dans d’autres univers, il lui faut dessiner cet élément liquide qui construit majoritairement notre Terre, donc notre humanité…

Il fait ainsi partie de quelques auteurs rares capables d’enflammer l’imaginaire de leurs lecteurs grâce à la puissance graphique et narrative des décors marins. Je pense à Lepage, bien évidemment, à Follet, à Vance, à Delitte…

Je ne veux pas dire par là que Lauffray manque d’originalité, loin s’en faut ! La mer, l’océan, les fleuves perdus dans les jungles sauvages, ce sont bien plus que de simples éléments de décor. L’eau, cela bouge, cela se transforme, cela change de lumière et d’apparence en quelques secondes. Et chez Lauffray, c’est sans doute cette vérité liquide qui devient, le plus souvent, le vrai personnage central de ses récits. Comme dans Long John Silver, une série absolument superbe… Comme ici… Raven et son ennemie dont on devine qu’elle va devenir intime, Lady Darksee, ne prennent vie qu’en s’ancrant profondément dans l’existence de l’océan et des navires qui osent affronter toutes les vagues de l’aventure…

Raven 1 © Dargaud

Raven, c’est de la bande dessinée efficace, avec un sens du mouvement exceptionnel, avec une puissance d’évocation dans les visages et les attitudes comme dans les décors, avec une couleur omniprésente qui n’a pas peur de se perdre dans des verts profonds. Librement inspiré par un roman de Robert E. Howard, le personnage de Raven n’est pas loin de rappeler Conan : un humain brut de

coffrage qui, au-delà de la seule apparence de cruauté et de violence, connaît quelques failles qui le rendent presque humain…

Et je n’ai pas pu m’empêcher, le livre refermé, à penser à Baudelaire…

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !

La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame,

Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer »

Raven 1 © Dargaud

Mathieu Lauffray, dans ce livre, a toutes les commandes en main, et il nous prouve que son talent est loin, très loin même, de se perdre dans les flots de la mode et de ses indifférences ! Et j’aime assez le titre de ce premier opus, qui fait référence à la mythologie grecque, à la vengeance, à une âme identique, finalement, à celle dont nous parlait Baudelaire, l’âme du gouffre…

Jacques Schraûwen

Raven : 1. Némésis (auteur : Mathieu Lauffray – éditeur : Dargaud – 54 pages – avril 2020)

Octofight – 1. Ô Vieillesse Ennemie

Octofight – 1. Ô Vieillesse Ennemie

De la politique-science-fiction qui fait froid dans le dos, parce que tout ce qui est raconté ici, finalement, est totalement plausible !

Octofight 1© Glénat treizeétrange

Nous sommes en 2050, en France. Un pays dirigé par un certain Mohamed-Maréchal Le Pen. Un pays totalitaire, sans aucun doute, mais dans lequel des spécificités politiques existent, malgré tout, autour d’une seule référence historico-politique : le gaullisme !

Vous voyez que, dès le départ, on se retrouve en terrain connu, même si ce terrain est celui d’un futur plus ou moins proche !

Un autre terrain connu, c’est celui de la trame essentielle de ce premier album d’une série qui doit se conjuguer en trois épisodes. Ce thème central, c’est le quatrième âge, les vieux de plus de 80 ans, ces « à peine humains » qui pèsent un terrible poids économique sur la société sans rapporter quoi que ce soit à cette même société !

Aujourd’hui, on les laisse tranquillement mourir dans des homes, à l’abri des regards, dans une solitude institutionnalisée.

Demain, d’après les auteurs de cette histoire, on pratiquera à grande échelle l’euthanasie civique !

Octofight 1© Glénat treizeétrange

Le personnage central de ce livre, Stéphane Legoadec, est contrôlé positif à la nicotine, et se voit donc radié de la sécurité sociale, condamné, dès lors, à devoir mourir… Son fils lui-même trouve cette mesure particulièrement juste. Dès lors, Stéphane et son épouse, Nadège, vont fuir… Pour où ?… Pour des territoires dirigés par les Néo-Ruraux , il n’y a pas d’autre alternative. Pour Stéphane et Nadège, c’est la plongée dans l’inconnu, avec, malgré tout, l’espérance d’y trouver de quoi faire plus que simplement survivre.

Mais ne vous fiez pas à ce terme presque gentil de « Néo-Ruraux » ! Si leur origine était sans dougte écologique, il n’en est plus rien… Il s’agit de bandes organisées dans lesquelles s’organisent des combats d’une extrême violence. Des combats qui mettent en face à face uniquement ces « vieux » qui ont cru à une fin de vie meilleure, ces « personnes à jeunesse réduite » récalcitrantes !

Octofight 1© Glénat treizeétrange

A partir de ce moment-là, on se retrouve dans une narration extrêmement mélangée.

D’une part, il y a le quotidien de Stéphane et de Nadège, les combats terribles que Stéphane, ancien membre du service d’ordre du Front National, se voit obligé d’accomplir pour pouvoir, simplement, avoir accès à ses médicaments.

D’autre part, il y a une espèce de manuel historique qui remet en perspective ce monde « vieux-interdits », et qui explique, par petites touches, comment une stratégie politique peut, en prenant son temps, imposer à tout un peuple un nouveau mode de vie. Là aussi, oui, nous sommes en face d’un miroir qui renvoie, à peine déformé, le reflet de nos sociétés contemporaines…

Octofight 1© Glénat treizeétrange

On pourrait croire, au départ, à un livre (trois livres, en fait, qui devraient paraître en une seule année) surfant sur le succès des Vieux Fourneaux, de Cauuet et Lupano. Mais là où, dans les Vieux Fourneaux, la violence n’est que verbale, la révolte plus poétique et humaniste que révolutionnaire, ici, c’est tout le contraire. Pour Nicolas Juncker, le scénariste, le propos est évidemment politique. Et sombre, et pessimiste. Il est comme un cri d’alarme face à un monde, le nôtre, qui dérape de plus en plus et oublie jusqu’à la notion d’humanisme. Mais son talent de raconteur d’histoire dépasse la simple vision intellectuelle pour nous raconter une histoire « charnelle », avec des tas de personnages, très typés, mais de ce fait très présents, et qui donnent un rythme endiablé au récit. Ce sont des vieux fourneaux, certes, mais qui ont croisé la route de Rambo…

Et le dessin de Chico Pacheco accompagne à merveille le côté trépidant de l’histoire racontée. C’est du dessin rapide, vif, en mouvements et en gros plans des visages et de leurs expressions. Plus que de l’influence, on peut dire qu’on se trouve vraiment dans un manga à l’européenne… Et, pour une fois, ce n’est pas une critique négative de ma part…

Un scénario solide, bien charpenté, un dessin qui choisit d’abord et avant tout l’efficacité, le tout pour un livre dont on ne peut qu’attendre la suite avec impatience !

Octofight 1© Glénat treizeétrange
Nicolas Juncker
Nicolas Juncker © Jacques Schraûwen

Jacques Schraûwen

Octofight – 1. Ô Vieillesse Ennemie (dessin : Chico Pacheco – scénario : Nicolas Juncker – éditeur : Glénat treizeétrange – 126 pages – juin 2020)

Mortel

Mortel

Humour noir avec la mort pour compagne…

La collection Pataquès, de chez Delcourt, aime ruer dans les brancards, avec un côté « sale gosse » réjouissant ! Et c’est bien le cas avec ce petit livre qui se lit la faux à la main !

Mortel © Delcourt/Pataquès

« Que serait la vie sans la mort ? »

« Que serait la mort sans le hasard ? »

« Que serait le désespoir sans l’humour ? »

Ne vous en faites pas, ces questions sont là, simplement, pour vous montrer quel est le canevas de ce livre qui rit et fait rire jaune. Pas question d’intellectualisme dans ce « Mortel », même si, malgré tout, l’aspect sociologique n’en est pas totalement absent !

Mortel © Delcourt/Pataquès

Ce sont cent manières de mourir que nous montre cet album, cent façons de perdre son combat contre la grande faucheuse, chaque combat perdu d’avance faisant l’objet d’une petite page de quatre dessins.

La mort revêt ici son apparence habituelle : visage d’os dans un capuchon sombre, orbites des yeux vides de tout regard, longue bure couleur de nuit, et sur l’épaule une faux usée par les siècles d‘usage intensif.

Mais elle devient, dans ce livre (comme chez Hardy et son Pierre Tombal), compagne de vie, compagne de quotidien de celles et ceux qu’elle va faire passer de vie à trépas.

Mortel © Delcourt/Pataquès

Elle n’est pas une envoyée d’un dieu quelconque. Elle est l’employée d’une administration dont elle ne connaît pas les rouages, une connaissance qui ne l’intéresse nullement, d’ailleurs. Elle est même mariée, elle a un mari, une fille. Elle devient ainsi le symbole d’une mort omniprésente que tout le monde redoute sans remarquer qu’elle est là, à nos côtés, sans arrêt.

Mais c’est d’abord avant tout un livre d’humour. De l’humour noir (ou jaune, ou rouge, ou blanc, à votre choix…). De l’humour qui fait sourire bien plus que rire, et encore, en grinçant des dents de temps à autre.

Mortel © Delcourt/Pataquès

Jeux de hasard se multiplient, dans ce petit ouvrage, jeux de rencontres, jeux d‘espérance, jeux à l’issue toujours connue. Et j’aime ce procédé narratif, utilisé par Midam, entre autres, qui fait que le lecteur connaît la fin, tout de suite, mais s’intéresse à la manière dont l’auteur va y arriver.

Les auteurs, parlons-en…

Le scénariste belge Marc Dubuisson aime, c’est une évidence, casser les codes, allers au-delà de la simple apparence, s’attaquer sans en avoir l’air au politiquement correct. Ses scénarios sont vifs, rapides, sans mots inutiles.

Le dessin de Thierry Martin, du coup, va à l’essentiel, sans chercher à éblouir par les décors, les angles de vue. Il est frontal, rapide, compréhensible et linéaire sans difficulté. IL adore jouer avec les mimiques de ses personnages et avec les couleurs qui donnent vie aux actions qu’il nous dessine.

Mortel © Delcourt/Pataquès

Un petit livre amusant, sans prétention, et, de ce fait, intéressant… Nous vivons une époque où l’intransigeance et le « sérieux » prennent le pouvoir, au détriment du plaisir et de la liberté de ton, et cela fait de cet album un objet intelligent, donc important !

Jacques Schraûwen

Mortel (dessin : Thierry Martin – scénario : Marc Dubuisson – éditeur : Delcourt/Pataquès – 104 pages – mars 2020)