Nestor Burma

Nestor Burma

Trois romans, dont un à ne pas rater, et un nouvel album bd !

Quand la littérature se fait bande dessinée, et que la réussite est totalement au rendez-vous! Et, en même temps, un roman de Michel Quint à ne rater sous aucun prétexte !

Nestor Burma © French Pulp

Nestor Burma, détective privé à la Chandler, mais typiquement et résolument parisien, est un de ces personnages de la littérature qui a donné ses lettres de noblesse au « polar « , au roman policier mâtiné de roman noir.

Léo Malet a puisé dans sa propre existence, dans ses propres aventures la matière vivante de ses romans, et Nestor Burma est, sans aucun doute possible, un homme à sa ressemblance.

Léo Malet fut poète, surréaliste, anarchiste…

Révolté toujours, il a voulu que Nestor soit, lui aussi, à côté de la société plutôt qu’ancré dans ses habitudes, ses morales et ses lois… Nestor Burma, finalement, c’est d’abord et avant tout un regard, celui de son auteur, sur le monde et ses dérives, sur les trahisons, sur les déceptions et les brutalités. Sur l’amour, la haine, le plaisir et la mort…

A ce titre, cet anti-héros de la littérature, et de la bd, restera toujours emblématique d’une nécessité de Burma comme de Malet à ne jamais correspondre à la bienséance des idées et des gestes !

Nestor Burma © Casterman
Nicolas Barral : Léo Malet

D’ailleurs, il est significatif, à ce sujet, de signaler qu’un éditeur (« french pulp ») vient de lancer une collection consacrée aux nouvelles enquêtes de Nestor Burma. Un insipide Dounovetz entame cette série, un facile et inutile Nadine Monfils laissent fort heureusement la place à un excellent Michel Quint ! Un livre qui rend hommage à Léo Malet sans le trahir (lui !…) !  » Les belles de Grenelle  » nous entraînent dans une enquête difficile de Nestor Burma, une enquête autour de l’assassinat de celle qui fut son premier amour !

Mais ici, avec la bande dessinée, on se trouve dans l’adaptation des romans originels de Malet, bien sûr.

Nous sommes dans les années 50. Et Burma se plonge, par hasard comme toujours, dans un monde qu’il ne connaît que très peu, celui du cinéma. Une starlette frétillante, quelques truands de haut vol ou de basse mouture, une actrice oubliée qui meurt d’une étrange overdose, voilà les ingrédients premiers de cet album.

Et Nicolas Barral s’en donne à cœur joie pour peupler ce livre de personnages secondaires, de silhouettes même, qui ont un lien avec la réalité du cinéma de cette époque. Ce sont toutes les trognes du cinoche à la française des années d’après-guerre qui se trouvent présentes dans ce livre endiablé et culturellement passionnant !

Mais, bien entendu, c’est Nestor Burma qui reste l’élément pivot de l’intrigue, donc du dessin. Et même si Barral, en prenant la suite de l’immense Tardi aux commandes de cette série, s’est voulu proche d’un graphisme superbe privilégiant les ambiances et les décors pour créer des intrigues terriblement graphiques, il faut reconnaître qu’avec cet album-ci, il s’écarte de cette influence pour, dans un style qui lui devient ainsi de plus en plus personnel, nous montrer un Nestor Burma quelque peu différent, moins spectateur peut-être de la ville qu’acteur de celle-ci au gré de ses errances…


Nestor Burma © Casterman

Nicolas Barral: les personnages

Nicolas Barral: Nestor

Cela dit, n’ayez aucune crainte. Le Nestor Burma de Nicolas Barral se trouve bien dans la continuité et le respect de celui de Tardi comme de celui de Malet !

Les décors, par exemple, y sont toujours bien présents et forment, comme chez l’écrivain, la trame géographique de l’intrigue.

Quant au scénario lui-même, la construction, le découpage permet des raccourcis que le roman évite à force de prouesses littéraires… Les prouesses, ici, sont celles du dessin qui, entre deux cases, réussit à raconter ce qu’il ne montre pas, en quelque sorte…

Et il y a aussi la couleur ! C’est peut-être la première fois, en lisant les quelque onze épisodes précédents de cette série, que j’ai ressenti la couleur comme étant un élément narratif à part entière. Avec Tardi, avec Barral aussi d’ailleurs, on sentait le  » noir et blanc « , somptueux chez Tardi, plus qu’intéressant chez Barral. Mais ici, c’est la couleur, en ombres et en lumières, en reliefs et en à-plats, qui rythme le récit et aide le lecteur à s’y retrouver, comme Nestor, dans les différents lieux visités. Et dans les différentes sensations et émotions vécues…


Nestor Burma © Casterman

Nicolas Barral: les décors

Nicolas Barral: le dessin et la couleur

Nicolas Barral s’est totalement approprié le personnage de Nestor Burma, c’est une évidence. Il ne fait pas oublier Tardi, il parvient, simplement, à créer quelque chose de différent, mais traité d’une manière graphique totalement respectueuse. C’est un peu comme si Janson prenait la place d’Audiard…

Parce que c’est le travail de metteur en scène, et, surtout peut-être, de dialoguiste, qui caractérise l’approche que Nicolas Barral fait de son personnage.

Un détective qui met le mystère k.o., certes, mais qui, surtout, garde avec Barral une existence qu’il faut aimer, absolument, si on dit aimer le neuvième art !


Nestor Burma © Casterman

Nicolas Barral: mise en scène

Amoureux du Polar, qu’il soit dessiné ou écrit, amoureux des histoires qui se construisent à taille humaine, amoureux des références et des clins d’œil, vous ne pouvez pas ne pas aimer Nestor Buma… Ni, donc, Léo Malet, ni Jacques Tardi, ni Nicolas Barral !

Jacques Schraûwen

Nestor Burma : Corrida Aux Champs Elysées (auteur : Nicolas Barral d’après Léo Malet – couleurs : Nicolas Barral et Philippe de la Fuente – éditeur : Casterman)


Nestor Burma © Casterman
Le Maître Chocolatier

Le Maître Chocolatier

Une bande dessinée qui s’interesse à Bruxelles de très près…
Le chocolat et Bruxelles: un couple solide, depuis bien longtemps! Et les auteurs de cette bande dessinée nous montrent un Bruxelles d’aujourd’hui, graphiquement totalement plausible, littérairement réussi… Un album très « belge »…

Le Maître Chocolatier © Le Lombard

Alexis est un jeune homme que sa passion éloigne de sa famille bourgeoise et riche. Une passion amoureuse ?… En quelque sorte, oui : Alexis est passionné par le chocolat, par toutes les variations que cet aliment peut créer. Il travaille dans l’ombre, dans les coulisses d’un marchand prospère dont le magasin se situe dans la Galerie de la Reine, à Bruxelles, haut lieu touristique s’il en est.

Mais voilà… Ce marchand prospère se révèle surtout un être imbuvable, un de ces patrons pour qui le petit personnel ne mérite qu’une attention très hautaine. A sa manière, ce « vendeur » se rapproche bien plus des parents d’Alexis que des artisans pour qui le jeune homme voue une véritable admiration.

C’est un scénario assez classique dans sa construction, vous l’aurez compris : une intrigue centrale, qui nous montre l’ascension sociale d’un artiste gourmet, quelques intrigues en second plan, un peu de polar, un peu d’amour, un peu de relations familiales. Et Eric Corbeyran, dont l’amour de la bonne chère est bien connu dans le monde du neuvième art, s’en donne à cœur joie pour mélanger tous ces thèmes et leur donner, ma foi, une belle linéarité.


Le Maître Chocolatier © Le Lombard

Eric Corbeyran: le scénario

Tout bon scénario « tous publics », pour une bd d’aventure au sens large du terme se doit de mettre en scène des personnages forts, des personnages dont la personnalité crève l’écran de papier que représente un album dessiné. Des personnages, finalement, comme dans le cinéma et le roman, qui sont toujours symboliques… Du bien, du mal, de la lumière, de l’ombre, de l’ambition, du plaisir… Et c’est exactement le cas, ici, avec Alexis, d’une part, l’artiste, et celui qui va le pousser à assumer pleinement son art, Benjamin, un jeune homme en bute à bien des problèmes, des soucis, un anti-héros, en sorte, qui apporte à la narration le grain de folie et de « polar » propre à lier la sauce du scénario.


Le Maître Chocolatier © Le Lombard
Bénédicte Gourdon: les personnages secondaires

Eric Corbeyran: benjamin et Alexis

Il y a d’autres personnages, bien entendu. Eric Corbeyran et Bénédicte Gourdon, en bons raconteurs d’histoire, nous font découvrir des truands, des femmes aussi… Personnages secondaires, ces femmes, d’ailleurs, sont des éléments majeurs du récit… Elles sont deux, et assument pleinement leur « différence » dans un univers très codifié. L’une, dont Alexis est secrètement amoureux, a la peau sombre… L’autre, assistante d’Alexis, est sourde profonde…

Et puis, il y a, et c’est vraiment le cas, les deux vrais héros de ce livre, les deux axes narratifs essentiels ! D’une part, le chocolat, dont les auteurs nous parlent avec un sens didactique qui touche au savoureux. D’autre part, il y a Bruxelles, une ville que cet album nous montre tel qu’elle est aujourd’hui, du quartier de la Grand Place à celui du canal, de la Place du Jeu de Balle (avec, au passage, un petit hommage à Hergé…) au quartier populaire de Molenbeek.

Et là, au-delà du scénario, il faut souligner le travail du dessinateur, Denis Chetville, qui s’approprie vraiment Bruxelles, avec un style réaliste parfois presque photographique. Et il faut souligner aussi la qualité du travail de la colorisation de Mikl, qui restitue véritablement les ambiances lumineuses ou grises propres à Bruxelles !


Le Maître Chocolatier © Le Lombard

Bénédicte Gourdon: le chocolat

Eric Corbeyran: Bruxelles

Cette série devrait se conjuguer en trois volumes. Ce premier tome met en place à la fois les protagonistes du récit et les thèmes qui vont être abordés plus profondément : l’ambition, l’art culinaire, le poids de la tradition et celui de la famille, la lutte entre l’ancien et le moderne.

Cela peut sembler touffu… Mais cela ne l’est pas, et la lecture de ce premier album se fait avec plaisir… Le plaisir des yeux, certes, celui aussi de plonger dans deux histoires parallèles qui se complètent.

Et ce plaisir, je le disais, s’ouvre à tous les publics… J’ai rencontré, au Salon du Chocolat qui a eu lieu à Bruxelles il y a quelques semaines, un jeune lecteur enthousiaste, Yvan…

Yvan

C’est de la bd classique. Mais c’est aussi de la bd respectueuse de ses lecteurs, par la construction du scénario, d’une part, par la fidélité, aussi (et surtout, peut-être…) à l’environnement de l’histoire racontée! Toutes celles et tous ceux qui connaissent Bruxelles prendront un vrai plaisir, tout comme moi, à se balader dans ses rues en même temps que dans un récit intelligemment mené.

Jacques Schraûwen

Le Maître Chocolatier: 1. La Boutique (dessin: Denis Chetville – scénario: Bénédicte Gourdon et Eric Corbeyran – couleurs: Mikl – éditeur: Le Lombard

La Minute Belge

La Minute Belge

Spécificités du langage belge et zwanze assurées !

La richesse savoureuse de ces expressions qu’on appelle belgicismes ! Une BD souriante et, ma foi, rendant hommage à la culture de la belgitude!… Une chronique dans laquelle les trois auteurs ont été interviewés.

la minute belge
la minute belge – © Dupuis

A l’heure où d’aucuns veulent à tout prix simplifier le langage, à l’heure où les tics de la téléphonie mobile détruisent peu à peu grammaire et orthographe, à l’heure où la mondialisation s’insinue jusque dans la communication entre les humains, il est réjouissant de se plonger dans un livre comme celui-ci !

A l’origine de cet album bd, il y a deux scénaristes qui ont uni leur goût immodéré pour un langage qui n’a pas peur de se moquer de lui-même, pour un langage, surtout, qui, toujours imagé, devient presque poétique. Le langage de tous les jours… Le langage des Belges, du nord au sud de ce petit royaume, en passant par Bruxelles, capitale de l’Europe, certes, mais capitale, surtout, de la  » zwanze « … Une manière bon enfant de se moquer des autres et de soi, mais en  » n’étant jamais contraire  » !

Fabrice Armand: l’origine de ce livre
Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt: travailler ensemble
la minute belge
la minute belge – © Dupuis

En se lançant dans cette aventure à la fois linguistique, donc scientifique, et surréaliste, nos deux compères se sont surtout lancés à la poursuite d’expressions variées, imagées le plus souvent, comme je l’ai dit, mais des expressions, aussi, qui aiment  » spiter  » dans tous les sens pour faire sourire, pour oublier aussi et surtout d’attraper le  » dikkenek « .

Cela dit, au-delà de l’amusement pur, dans le choix des expressions et des mots à traiter, il y a de la part de ces deux complices un vrai travail de fond, un vrai boulot didactique, n’ayons pas peur des mots !

C’est que les belgicismes sont aussi, fréquemment, nés d’expressions anciennes, perdues dans les oubliettes d’une histoire aux mémoires sélectives… On  » soupe « , en Belgique, comme on le faisait en France jusqu’au début du vingtième siècle si mes souvenirs ne me racontent pas de  » carabistouilles « .

Chaque page de cet album, ainsi, nous parle d’un mot bien précis. En donnant son sens en bon français. Mais en élargissant le propos, également, nous donnant des synonymes, des mises en situation, des déclinaisons, en quelque sorte. Et, ce faisant, les auteurs démontrent, avec le sourire toujours, que la langue est partie prenante, totalement, de la culture, de l’appartenance à une culture plutôt.


Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt: les belgicismes

Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt: langue et culture
la minute belge
la minute belge – © Dupuis

Cela dit, on se trouve bien dans l’univers de la bande dessinée, n’ayez pas peur ! Il y a du texte, mais il y a aussi du dessin. Un dessin que je qualifierais d’intemporel, ancré bien plus dans les années 60 et 70 que dans le graphisme actuel. Il y a du  » Shadoks « , c’est évident, dans le trait de Medhi Dewalle, un ket qui peaufine en simplicité ses dessins qui ne ressemblent jamais à des  » ratchatcha  » !


Fabrice Armand, Dimitri Ryelandt et Mehdi Dewalle: le dessin

Livre d’humour intemporel, cette minute belge est passionnante et souriante, de bout en bout. Et je n’ai plus qu’une envie, en refermant cet album : celle d’aller jouer une bonne partie de  » kicker « , avec des amies aux chevelures pleines de  » crolles « , et de guindailler un peu, tout en babelant à tout va !

Le tout, bien sûr, loin de nos draches nationales, qui sont aussi, par ailleurs, celles du nord de la France !

http://www.laminutebelge.com

Jacques Schraûwen

La Minute Belge (dessin : Mehdi Dewalle – scénario : Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt – éditeur : Dupuis)