Martine ! Une héroïne de ce qu’on n’appelait pas à l’époque de sa naissance, en 1954, la littérature jeunesse, une enfant qui a vécu une soixantaine d’aventures simples et quotidiennes, traduites dans une trentaine de langues, dont le chinois.
Cette héroïne n’appartient pas à l’univers de la bande dessinée, mais bien des dessinateurs admirent sans réserve le talent du dessinateur de cette série de livres pour enfants ! Une héroïne qui fête donc cette année ses septante printemps, avec un livre de Laurence Boudart qui lui est consacré, et qui s’attache aux pas de cette gamine espiègle et souriante, se baladant au fil des années dans un monde qui a été le nôtre et qui reste attirant, encore et toujours, avec un succès qui ne faiblit pas. Une petite fille, oui, qu’on ne peut qu’aimer, parce qu’elle « fait du bien » !
On peut, c’est vrai, se demander les raisons qui font que cette série garde envers et contre tout un véritable intérêt, qui n’est pas d’ailleurs que celui de la nostalgie.
Je pense que le talent de l’écrivain, Gibert Delahaye, y est pour beaucoup. Poète avant tout, en parallèle de Maurice Carême, il a réussi à créer, avec des textes simples, une forme tranquille, enfantine sans être mièvre, de la poésie quotidienne.
Et c’est bien de cette poésie, de cette magie que Laurence Boudart nous parle dans un livre construit en chapitres clairs et sans ostentation. Des chapitres qui remettent en perspective historique les histoires de Martine pendant plus d’un demi-siècle. Et, ce faisant, l’autrice de ce livre remarquable, répond ainsi au reproche qu’une certaine frange d’intellectuels actuels font à Martine : le fait qu’elle soit tristement « genrée » !
Il y a, c’est vrai, un côté désuet dans ces albums de Martine qui, pourtant, réussissent à nous donner une image presque sociologique des époques pendant lesquelles elles ont été écrites et dessinées. Je pense à l’intérêt pour la nature, aux classes vertes, à l’évolution des pensées, simplement… A la mode, aussi, celle de tous les jours, que Martine suit d’année en année avec gentillesse et simplicité…
Elle est ainsi devenue une sorte d’icône immuable, idéalisant en quelque sorte les époques qu’elle a traversées, des époques en formidables mutations. Il en naît une sorte d’ambiguïté entre réel et imaginaire, mais qui s’estompe, voire qui s’efface grâce au dessin somptueux de Marcel Marlier.
Un dessin digne des plus grands des illustrateurs du vingtième siècle.
Cela dit, il est évident que les aventures de Martine sont « datées ». Mais elles sont ainsi le reflet du monde tel qu’il a été, tel qu’il s’est construit jusqu’à devenir le nôtre. Elle reste ainsi, lorsqu’on veut bien la regarder sans idéologie, le témoin tout en sourires des années qui nous ont construits, toutes et tous…
Martine, c’est une universalité, une pérennité exceptionnelles dans le monde de l’édition ! Et les raisons en sont multiples, sans aucun doute. L’époque de sa création qui était celle d’un besoin de renouveau des valeurs humaines et humanistes… Le besoin des lectrices et lecteurs de pouvoir s’identifier à un personnage de papier vivant les mêmes quotidiens qu’eux…
Mais la raison principale de ce succès qui ne de dément pas, c’est que cette série d’albums pour petites filles (mais que bien des garçons ont aimés aussi) nous dresse le portrait de l’enfance, et que l’enfance reste le lieu magique de toute existence humaine… En souvenance, certes, en espérance aussi…
Martine, une œuvre qui appartient au patrimoine culturel belge, et à laquelle un musée est consacré, d’ailleurs, à Mouscron. Un musée que je vous invite à découvrir…
Jacques et Josiane Schraûwen
L’Eternelle Jeunesse D’Une Icône (autrice : Laurence Boudart – éditeur : Casterman – 2024)