Montana – Une Aventure de Tex

Montana – Une Aventure de Tex

Tex est un personnage mythique des fumetti, bandes dessinées italiennes publiées en petit format. Le voici aux mains de Giulio De Vita, interviewé dans cette chronique… Et la réussite est au rendez-vous!

Tex©Le Lombard

C’est en 1948 que ce cox-boy aventureux et quelque peu solitaire a pris vie en Italie sous la plume d’Aurelio Galleppini au dessin et de Gian Luigi Bonelli au scénario. Très vite, ce héros sans peur ni reproche, inscrit totalement dans la tradition du western traditionnel, a remporté les suffrages du public, jusqu’à devenir, d’année en année, la bd la plus vendue en Italie.
70 ans plus tard, Tex existe toujours… Je vous conseille, d’ailleurs, de retrouver les nombreux albums qui ont été édités en français, chez l’éditeur « Clair de Lune »…
Et aujourd’hui, revoici donc Tex, mais en grand format, et en couleurs. Le premier volume est paru chez l’éditeur Mosquito, superbement dessiné par le non moins superbe Serpieri, loin de l’érotisme torride de Druuna.
Et c’est au Lombard que la deuxième renaissance Tex est éditée.
Le dessinateur, Giulio de Vita, a choisi un style beaucoup plus classique que celui de Serpieri, c’est évident. Je dirais qu’il est plus dans la continuité du héros mythique de la bd italienne populaire, mais qu’il l’est avec un vrai sens de la modernisation. Tex est infiniment moins manichéen que dans les fumetti, il a un côté humain qui n’était pas toujours évident dans les petits formats dessinés, il faut bien le reconnaître, à la chaîne et avec une simplicité proche, souvent, du simplisme…

Giulio De Vita: Modernisation

Tex©Le Lombard

La modernisation de ce personnage se trouve également dans la narration. Là où, auparavant, Tex se contentait de vivre des aventures linéaires, tout à fait traditionnelles, Manfredi, le scénariste de ce « Montana » a quelque peu modifié la manière de raconter une histoire, la façon de mettre en scène ce cow-boy et ses errances, et ses combats.
Disons, plutôt, qu’il a respecté, dans la forme, l’esprit même des aventures de Tex : il y a des bons, des méchants, des cavalcades solitaires dans la nature, des coups de feu, des bagarres, de l’amitié…
Mais il y a aussi, en trame de fond, d’autres thèmes qui sont abordés : la trahison, l’amour, la lâcheté, le pardon, la violence gratuite, la bêtise humaine, le racisme.
Deux lectures sont possibles avec ce « Montana », et le dessin de de Vita accompagne parfaitement le scénario, réussissant ici à être spectaculaire, là à se faire intimiste.
Un scénario qui nous montre Tex à la poursuite d’une bande d’assassins tueurs d’Indiens, pour une vengeance qui ne peut être que sanglante…

Giulio De Vita: Thèmes

 

Tex©Le Lombard

Parlons-en de ce dessin…
Réaliste, classique, il ne cherche à aucun moment à éblouir, il se met au service d’une histoire solide, d’un personnage tout aussi solide, d’un environnement fabuleux aussi et surtout.
S’il est vrai que, quand on parle de western en bd, on pense immédiatement à Giraud et à son Blueberry, on ne peut cependant pas dire du tout que le graphisme de Giulio de Vita s’en inspire. Ce dessinateur est bien plus dans la filiation d’un Hermann, mitonné d’un Swolfs. Son dessin est lumineux, grâce entre autres à une couleur qui met en évidence, en les éclairant avec un vrai talent, les différents plans utilisés par de Vita. Son dessin est, comme la couleur d’ailleurs, cinématographique… Mais là aussi, de Vita se différencie des auteurs de western dessiné en ne privilégiant pas le côté « spaghetti », mais en se replongeant dans un classicisme qui n’empêche cependant nullement le réalisme dans la représentation des corps et des paysages.
Des paysages omniprésents… Tex, dans les fumetti, ne se confrontait pratiquement jamais à son environnement. Les cases, petites, ne le permettaient pas. Ici, l’environnement joue un rôle essentiel ! Décors de nature, décors de neige, décors de ville, décors d’intérieurs, le soin apporté par les auteurs à tous ces détails qui font que la représentation de la vie se fait avec fidélité, ce soin est absolument remarquable !

Giulio De Vita: Dessins
Giulio De Vita: Couleur

Tex©Le Lombard

Amateurs de western amateurs de dessin réaliste particulièrement abouti, amateurs de bonnes histoires qui aiment aussi les digressions, vous ne serez pas déçus, croyez-moi, par cet excellent retour du cow-boy Tex !…

Jacques Schraûwen
Montana – Une Aventure de Tex (dessin: Giulio de Vita – scénario: Gianfranco Manfredi – couleur : Matteo Vattani – éditeur: Le Lombard)

Le Père Turc – à la recherche de Mustafa Kemal

Le Père Turc – à la recherche de Mustafa Kemal

Mêlant le passé, celui de la Turquie laïque de Kemal Atatürk, et le présent, celui de l’intégrisme meurtrier, ce livre réussit à allier le plaisir à l’Histoire. A nous faire redécouvrir une part du passé de l’Europe. Dans cette chronique, vous pouvez écouter le scénariste Loulou Dedola, passionné par son sujet…

Le père turc – © Glénat

Deux époques, en parallèle… Le début du vingtième siècle, et le début du vingt-et-unième siècle. Une femme Turque d’aujourd’hui, Afife, qui porte le même prénom qu’une féministe turque d’hier… Le radicalisme d’aujourd’hui, et la lutte, hier, de Kemal Atatürk contre tous les intégrismes et pour laïciser son pays, son peuple.
Le canevas de cette histoire part de ce qu’est la réalité d’aujourd’hui, puisqu’elle nous montre cette grande bourgeoise, Afife, s’efforcer d’aider son jeune neveu, Mehmet, vivant en France, de s’échapper à la fois de la délinquance et de la prise en main par des radicaux brandissant la foi comme une arme.
Le récit de ce combat est passionnant, émouvant même, et les portraits de tous les personnages entourant Afife et Mehmet, entourant, en d’autres temps, Atatürk, ces portraits sont d’une véracité sans faille.

Ce qui est sans faille aussi, dans ce livre, c’est de permettre aux lecteurs de découvrir ce qu’est et ce qu’était la Turquie, historiquement, humainement, en nous parlant d’aventure, certes, mais aussi de dictature, de dictatures plurielles même. Et le personnage central de cet album, Afife, revêt un intérêt totalement humaniste : elle résiste, mais cette résistance ne se fait pas  » contre « , mais  » pour  » !…

Loulou Dedola: résister
Loulou Dedola: la dictature

 

 

Le père turc – © Glénat

Pour s’occuper de son neveu et tenter de le libérer des chaînes guerrières et pseudo-religieuses qu’on veut lui imposer, Afife fait le choix de l’Histoire…
Un pays sans légende, disait je ne sais plus qui, est un pays condamné à mourir de froid… Churchill (ardent opposant de Kemal Atatürk en son temps) ne disait pas autre chose lorsqu’il disait à peu près qu’un pays perdant la mémoire de son histoire était condamné à la revivre.
Pour Afife, comme pour Atatürk en son temps, le chemin de la libération ne peut que passer par la connaissance. Par la prise en compte de ce que sont les racines qui nous construisent. Vivre et évoluer, en s’ouvrant à la puissance du rêve et de ses accomplissements, cela ne peut se faire qu’en ancrant ses pieds et son âme dans tout ce qui nous a créé, dans tout ce qui continue à nous inventer, dans tout ce que nous allons demain vouloir partager. A ce titre, ce livre s’adresse aussi, et surtout peut-être, à un public jeune en manque de repères…
Et Loulou Edola, le scénariste, pour accentuer le côté  » passage de témoin  » de son héroïne Afife, en fait une  » chamane « , ce qui ajoute

Loulou Dedola: Histoire et jeunesse

 

Loulou Dedola: chamanisme

 

Le père turc – © Glénat

Ce que j’ai vraiment apprécié dans ce livre, au-delà de l’intrigue, au-delà de la narration vive et rythmée, c’est son côté didactique. La Turquie, de nos jours, est au centre de toutes les actualités. Mais qu’en connaît-on, finalement, que sait-on vraiment, en Occident, de son Histoire, de ce Kémalisme contre lequel s’est dressé à sa manière Erdogan aujourd’hui ?
Dans ce livre, on remet ainsi en perspective la Turquie d’aujourd’hui en l’ancrant dans ce qu’elle fut, en nous montrant à voir ce que fut le combat de Kemal Atatürk pour faire de son pays un pays moderne, un pays qui ne soit plus dirigé par la religion, quelle qu’elle soit. Un pays qui, avant la guerre 40/45, a accueilli sur son territoire quelques grands scientifiques juifs chassés d’une Allemagne dictatoriale et raciste…
Il y a dans ce livre un profond humanisme, à l’instar de la devise de Kemal Atatürk :  » Paix dans le pays, paix dans le monde  » !
Mais une bonne bd, c’est quand même d’abord une lecture divertissante, et c’est bien le cas ici. On est dans l’action, on est dans le portrait, on est dans l’émotion, aussi, sans mièvrerie. Grâce au scénario de Dedola, évidemment, mais grâce aussi au dessin de Lelio Bonaccorso. A la fois moderne, dans l’approche des visages par exemple, ou dans le découpage, et à la fois classique dans le sens de la mise en scène de chaque planche, ce dessin rythme l’histoire qui nous est racontée, la rend linéaire, alors que les flash-backs sont nombreux, et permet ainsi au lecteur de ne jamais se perdre en cours de route.

Loulou Dedola: le dessin

 

Loulou Dedola: le rythme

 

 

Le père turc – © Glénat

Il faut aussi souligner le travail des coloristes, Stefanio Aquaro et Alessandro Buffa dont la palette permet des allers-retours sans accroc entre hier et aujourd’hui.
Ce livre, sans aucun doute, est un livre  » engagé « … Un livre important, donc, dans le monde qui est le nôtre et dans lequel la violence, avec mille et un alibis inacceptables, prend de plus en plus de place, de plus en plus de pouvoir.
Résister… Tel est le message d’Afife… Tel est le message de ce livre qui s’ouvre à la vie, à ses possibles, malgré l’inévitable présence de la mort et de ses désespérances…

Jacques Schraûwen
Le Père Turc – à la recherche de Mustafa Kemal (dessin: Lelio Bonaccorso – scénario: Loulou Dedola – couleurs: Stefania Aquaro et Alessandro Buffa – éditeur: Glénat)

Ric Hochet : 3. Comment Réussir Un Assassinat

Ric Hochet : 3. Comment Réussir Un Assassinat

Scénarisé par Zidrou, dessiné par Van Liemt (interviewé dans cette chronique), le tout avec plus que l’approbation de Nicole Tibet, Ric Hochet est redevenu un personnage de bande dessinée ancré totalement dans notre époque ! Une renaissance qui s’avère véritablement un renouveau !

Photo©Fabien Van Eeckhaut

L’histoire que nous raconte cet album est tout aussi compliquée et bien construite qu’une intrigue à la Agatha Christie. D’ailleurs, dans cette enquête autour de plusieurs meurtres commis dans l’environnement d’une maison d’édition, on reconnaît quelques thèmes narratifs chers à l’auteur de « L’inconnu du Nord Express ».
A l’origine de ces meurtres, et donc de l’enquête menée par Ric Hochet, son amie Nadine et le commissaire Bourdon, il y a un livre. Un petit « Marabout Flash » intitulé « Comment réussir un assassinat ».
Les éditions Marabout ont été particulièrement prolifiques entre l’après-guerre et les années 80, avec des auteurs comme Seignolle, Ray, ou Prévot, mais aussi Pierre Pelot et son extraordinaire Dylan Stark, ou Bob Morane de Vernes, ou Sylvie, qui a fait rêver des générations de jeunes filles. Avec, aussi, cette collection « Flash », des livres de petit format qui abordaient de manière sérieuse des thèmes quotidiens, qui allaient du bricolage à la psychologie, des jeux au savoir-vivre…
Et donc, notre héros sans peur et sans reproche va se plonger dans les méandres parfois nauséabonds du monde de l’édition pour découvrir qui a bien pu « éditer » ce livre pirate et, ainsi, pousser des lecteurs en « rupture » à des gestes ultimes !
Cela dit, si tout se passe, comme dans les albums originels, à la fin des années 60, voire au début des années 70, qu’on ne s’y trompe pas ! Ric Hochet est devenu, par la grâce de Zidrou et Van Liemt, un personnage terriblement humain ! Mal rasé, parfois, osant des regards quelque peu grivois de temps en temps, et ne résistant pas à la courbe des fesses de Nadine…
Il s’agit bien d’un renouveau, que Nicole Tibet et son fils « Bibi » apprécient totalement !

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Simon Van Liemt: renouveau
Mme TIBET et son fils

Photo©Fabien Van Eeckhaut

 

Cela dit, tous les codes qui, en leur temps, furent créés par Tibet et Duchâteau, sont ici bien présents. Ce qui change, ce qui rend Ric Hochet actuel, c’est le traitement qu’en fait Zidrou. Un Zidrou qui, incontestablement, s’est lâché, dans les clins d’œil qui parsèment son scénario. On voit, par exemple, Ric Hochet, le regard égrillard, s’arrêter devant un magazine « Lui ». On découvre aussi un portrait de Henri Vernes, le créateur de Bob Morane, qui ne lui rend pas vraiment hommage et qui correspond, sans doute, plus à la réalité qu’à, la légende que ce dernier s’est forgée au cours des années. On voit Nadine, en petite tenue. Et je ne vous parle pas du texte de Zidrou, qui ne manque pas de « saillies », de jeux de mots (« scoop toujours »), et qui font que l’ensemble de cet album peut être qualifié de « politiquement incorrect » ! Surtout quand, la dernière page tournée, on se rend compte que la bonne morale n’est pas vraiment victorieuse !
Émaillé de références, de clins d’œil, avec, entre autres, un personnage absolument irrésistible, celui de « Grévisse », le Ric Hochet de Van Liemt et Zidrou perd avec bonheur son côté trop lisse et nous fait autant rire qu’il nous passionne par ses enquêtes…

 

Photo©Fabien Van Eeckhaut

Simon Van Liemt: références

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Ce que j’apprécie énormément chez Zidrou, c’est ce mélange qui le caractérise de conjuguer le sérieux et l’humour, de nous parler, par exemple, du désespoir de l’amour, un désespoir qui peut mener au meurtre, et de nous parler en même temps du langage qui, vecteur des émotions, se veut aussi totalement délirant !
Le tout, chez lui, et donc aussi chez Van Liemt, le dessinateur, saupoudré d’un besoin de véracité historique. Construire une intrigue qui se déroule à la fin des années 60 demande qu’il y ait un travail de restitution de cette époque, à tous les niveaux… Jusqu’à celui des couvertures de la fameuse collection « Pocket », des couvertures dessinées par l’immense Pierre Joubert ! Qui, de cette façon, reçoit ici un hommage discret et parfaitement mérité.

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Simon Van Liemt: Joubert

 

Voici donc Ric Hochet reparti pour de nombreuses aventures passionnantes et souriantes ! Des aventures qui seront des réussites tant que Zidrou et Van Liemt garderont cette belle complicité qui leur permet, dans ce troisième opus du retour de Ric Hochet, de délirer, mais de le faire avec justesse, dans le ton comme dans le dessin ! Et il me faut aussi souligner l’excellent travail du coloriste qui, plus que dans les deux précédents albums, réussit, dans les ombres, les lumières, les détails, les ambiances, à nous offrir une couleur qui devient à certains moments un vrai moteur de la narration.

 

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Le travail à deux

 

Ric Hochet vit dans ce livre-ci sa troisième nouvelle aventure. Et je lui en souhaite bien d’autres encore, sans nostalgie, avec respect mais aussi avec humour et dérision ! Et si vous avez envie d’en savoir plus sur l’extraordinaire auteur qu’était Tibet, plongez-vous dans le livre qui lui a été consacré : Mystères ! Une biographie de Tibet en images (auteur : Vincent Odin – éditeur : Editions Daniel Maghen).

 

Jacques Schaûwen
Ric Hochet : 3. Comment Réussir Un Assassinat – d’après Tibet et Duchâteau (dessin : Van Liemt – scénario : Zidrou – couleurs : Cerminaro – éditeur : Le Lombard)

 

Photo©Fabien Van Eeckhaut