Résilience : tome 2 – La Vallée Trahie

Résilience : tome 2 – La Vallée Trahie

Anticipation ou science-fiction, cette série nous parle de nous, de ce que nous mangeons, de ce que nous sommes, au travers d’une aventure à taille humaine avant tout… Et Augustin Lebon, son auteur, en parle avec passion dans cette chronique…

Fuir la ville…. Cette cité tentaculaire dans laquelle, avec l’alibi du progrès et du bonheur universel, l’être humain n’est plus qu’un objet aux mains d’un pouvoir qui veut tout gérer… A commencer par l’agriculture… Il y a là, sans aucun doute possible, un rapport évident et immédiat avec ce que nous vivons aujourd’hui, et la mainmise de quelques multinationales sur notre vie quotidienne, des multinationales soucieuses exclusivement de rentabilité. Avec des semences toutes semblables, toutes génétiquement modifiées, avec des bières et des vins au goût similaire d’un bout à l’autre de la terre, l’avenir qui nous est promis est un monde sans saveur, donc sans plaisir, donc sans révolte ni révolution !

A ce titre, cette série est véritablement une série  » engagée « . Pas de manière politique, heureusement, mais de façon véritablement écologique, au sens premier du terme, celui d’une science au service de l’homme et de ses aspirations comme de ses besoins.

A ce titre également, le propos d’Augustin Lebon est terriblement d’actualité, avec les ZAD par exemple… Avec cette nécessité de vivre une résistance qui, souvent, n’a rien de manichéen et peut très vite passer du pacifisme à la violence.

Augustin Lebon: un livre engagé…

 

Augustin Lebon: Résistance et violence

Les personnages du premier tome chroniqué ici en son temps, se sont donc enfuis, et se retrouvent dans une vallée normalement protégée par l’Unesco, une forêt dans laquelle se sont réunis des résistants désireux de continuer à cultiver -et le terme est particulièrement adéquat- leur différence, leur volonté de liberté, leur nécessité à ne pas se plier à des diktats destructeurs d’humanisme. Un lieu, on le devine, on le ressent, qui va être assiégé par ce fameux progrès que ces résistants refusent.

Ils sont trois, donc, Adam, Agnès et Ellen, à rejoindre ce qui ressemble à un paradis sur terre. Mais un paradis dans lequel leurs vécus amoureux ne vont qu’exacerber leur combat quotidien contre la normalisation imposée par Diosnyta, cette entité informe qui possède le pouvoir, presque TOUS les pouvoirs. Il y a donc, dans cet album, encore plus que dans le précédent, des sentiments nombreux, qui se mêlent, s’affrontent, se révèlent tantôt antinomiques, tantôt fusionnels.

Et c’est par la force de ces sentiments, par le talent aussi d’Augustin Lebon qui, par son dessin comme par ses dialogues, restitue avec force toutes les différences qui rendent unique chaque être humain, c’est par ce côté romanesque parfaitement assumé que cette série se fait passionnante, passionnelle autant qu’engagée !

Augustin Lebon: dessiner la différence

 

Augustin Lebon: les sentiments

 

Il y a, vous l’aurez compris, dans cette série, de quoi plaire à tout le monde, ou presque… Au travers d’un scénario de ce qui pourrait être de l’anticipation proche, Augustin Lebon cherche d’abord à construire une histoire qui tient en haleine, à le faire en mêlant les thèmes et en n’oubliant jamais de raconter une histoire de femmes et d’hommes en butte à leurs sentiments, à leurs sensations plus qu’à des réflexions politiques qui leur sont imposées par les aléas de l’existence.

Lebon, ainsi, nous plonge dans des jeux de regards, dans des décors qui varient, sans cesse, et il parvient à magnifier par son dessin, justement, les décors naturels de cette vallée dans laquelle la violence va faire irruption.

Par les couleurs, également celles de Hugo Poupelin, complice talentueux d’Augustin Lebon (crédité, d’ailleurs, à même la couverture de cet album, ce qui est à souligner !), des couleurs qui accentuent les ambiances et en font un élément de narration extrêmement vivant, vibrant, lumineux.

Augustin Lebon: les décors…
Augustin Lebon: les décors et la couleur…
Augustin Lebon: les couleurs…

J’avais beaucoup aimé le premier tome… Et j’aime énormément ce deuxième opus, qui nous prouve qu’Augustin Lebon est totalement capable de varier les plaisirs, le sien et ceux de ses lecteurs, en construisant des scénarios qui, de par leur contenu, ne ronronnent jamais dans des habitudes…

 » Résilience « , c’est une bande dessinée d’aventures, de réflexion, d’amour, de passion, qui s’inscrit résolument dans les préoccupations qui sont celles de notre monde contemporain… A lire et à partager, sans aucun doute!

Jacques Schraûwen

Résilience : tome 2 – La Vallée Trahie (auteur : Augustin Lebon – scénario : Augustin Lebon et Louise Joor – couleurs : Hugo Poupelin – éditeur : Casterman)

Play With Me

Play With Me

Un « artbook » consacré à Nicoletta Ceccoli… Plongez-vous dans l’univers d’une enfance qui n’a sans doute pas grand-chose de réjouissant ! Le tout en quatre chapitres somptueux !

 

Premier chapitre : Candyland

 

Play With Me©Soleil-Venusdea

 

 

Nicoletta Ceccoli est une illustratrice dont vous avez certainement déjà croisé les œuvres, par exemple en couverture du « Prédicateur », polar venu du nord et froid comme la désespérance.

Dans ce livre-ci, elle construit un univers qui, né du quotidien de l’enfance, de toutes les enfances, se révèle très vite envoûtant et pesant tout à la fois, aérien et désespéré, désespérant et souriant.

Dans le premier chapitre, Nicoletta Ceccoli nous offre quelques dessins dans lesquels le péché mignon de tous les enfants est mis en évidence : la gourmandise… Le  plaisir de manger, le plaisir de découvrir, avec les yeux d’abord, avec l’âme  ensuite, des saveurs nouvelles, des sucreries aux âcretés inattendues. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, avec Nicoletta Ceccoli : l’inattendu ! Un inattendu qui, sous les couleurs pastel de scènes qui pourraient être sages et sereines, se dévoile au travers de détails qui flirtent avec l’horreur, avec le fantastique, avec le merveilleux lorsqu’il dévie de ses intentions premières.

 

Deuxième chapitre : Wild Beauties

 

 

Play With Me©Soleil-Venusdea

 

 

Dans la deuxième partie de ce livre d’art, l’auteure nous convie à découvrir les liens étroits que l’enfance construit au quotidien avec la nature. Mais là encore, au-delà de l’image d’Epinal habituelle à ce genre de sujet, Nicoletta Ceccoli met en scène des enfants qui ne sourient pas, des enfants dont le regard se pose plus loin que celui du spectateur, comme au travers d’improbables photographies dans lesquelles les modèles se soumettent aux poses les plus étranges. Il y a du mal-être, de la désespérance, dans le sérieux presque absent des petites filles sans sagesse que nous présente Ceccoli.

 

Troisième chapitre : Come Play With Me

 

 

Play With Me©Soleil-Venusdea

 

Peut-on avoir vraiment envie de jouer avec ces petites filles dont les jouets servent à des mises en scène qui n’ont rien d’enfantin, qui parlent de mort, de larmes, de déchirures, de failles à sans cesse venir ? Le monde des poupées, des pantins, des peluches qui, dans ce chapitre, accompagne et peut-être crée les rêves de gamines qui y pénètrent, ce monde est d’un sérieux qui fait peur… Une peur semblable, il est vrai, à ces cauchemars impossibles à raconter que, toutes et tous, nous avons faits enfants !

 

Quatrième chapitre : Tales From Wonderland

 

 

Play With Me©Soleil-Venusdea

 

 

Dans le dernier chapitre de ce livre, Nicoletta Ceccoli nous convie à la suivre dans l’univers des contes pour enfants. Mais là aussi, de labyrinthe en prince charmant fuyant les tentacules du désir, la magie des belles histoires disparaît pour laisser la place à des châteaux de cartes toujours prêts à s’écrouler,à des sirènes qui ne sont que de dangereuses méduses… Le pays des merveilles dans lequel Nicoletta Ceccoli nous fait entrer n’est pas celui d’Alice… Il y ressemble un peu, de par ses couleurs, de par ses thèmes, mais il s’en éloigne par l’intensité d’un sentiment qui, de bout en bout de ce chapitre et de tout ce livre est omniprésent : l’absence ! Absence de sentiments, de sensations, de rêves nouveaux, absence de l’enfance à elle-même !…

 

 

Formellement beau, à tous les niveaux, le graphisme, la composition, la couleur, ce livre est d’une totale impudeur. Nicoletta Ceccoli appartient à cette race de dessinateurs pour qui la réalité n’est jamais ce reflet que l’habitude nous montre d’elle… Il y a du désespoir, dans ses dessins, comme chez  Topor, comme chez Bosc, comme chez Ungerer, mais il y a une façon de traiter ce désespoir quotidien qui choisit l’anecdote pour fouiller au plus profond de toutes les angoisses que l’enfance fait naître, éternellement, dans l’âme des adultes…

 

Un livre superbe, à feuilleter, à regarder, encore, et encore… Pour se faire peur ?… Un peu, par ce que la peur, comme l’amour et la tendresse, sont les horizons qui nous font toutes et tous vivants !

 

Jacques Schraûwen

Play With Me (auteure : Nicoletta Ceccoli – éditeur : Soleil-Venusdea)

Moments Clés Du Journal De Spirou

Moments Clés Du Journal De Spirou

François Ayroles (interviewé dans cette chronique) trace un portrait à la fois souriant et sérieux des années 1937-1985 d’un magazine encore et toujours mythique…

C’est le 21 avril 1938 que le Journal de Spirou sort officiellement de presse, devenant très rapidement le magazine de référence pour les enfants de l’avant-guerre!

Tintin étant, ailleurs, un personnage emblématique de la bande dessinée, il fallait à ce nouveau journal une  » star  » capable de lui faire concurrence. Pour ce faire, la famille Dupuis a été chercher un ancien steward de transatlantique, Robert Velter. Ce dernier crée le personnage du groom Spirou, en puisant dans ses souvenirs. Je ne peux d’ailleurs que vous pousser à découvrir au plus vite cette histoire romancée dans l’excellent album  » Il s’appelait Ptirou « , de Sente et Verron !

A partir de cette création, c’est tout un univers qui s’est créé, autour, surtout, de quelques-uns des noms essentiels de la grande histoire du neuvième art !

François Ayroles a choisi, pour raconter ce journal de Spirou, de nous faire part de ce qu’il considère, plus ou moins subjectivement (ou objectivement, c’est selon !…) comme des moments clés de l’évolution de ce magazine. Cela fait quelque 300 instantanés…

Personnellement, j’épinglerais un des grands oubliés de la bande dessinée, Jean Doisy, et le non-engagement de Hergé par monsieur Dupuis… Mais pour François Ayroles, ses choix sont quelque peu différents…

Et j’insiste, de mon côté, sur l’ouverture de  » Spirou « , toujours, à des jeunes auteurs comme Frank, ou aussi Wasterlain, qui ont réussi à amener du sang neuf à ce magazine tout compte fait exceptionnel…

 

François Ayroles: SES moments clés
François Ayroles: Wasterlain

 

 

Dessin simple, humoristique, dans la lignée de ce qu’on a appelé l’école de Charleroi, et textes sérieux, voilà ce qui forme la trame de cet album. Et c’est un vrai plaisir, pour l’amateur  » éclairé  » de la bd, au fil des pages, de voir apparaître Franquin, Tillieux, Delporte, Morris, Gaston, Natacha, tous croqués à sa manière par Ayroles. C’est un vrai plaisir, aussi, que de lire les textes illustrant les dessins (oui, cette fois, ce sont les textes qui servent d’illustrations !…). Et là, même parmi les amoureux les plus fidèles du journal de Spirou, chacun découvrira des faits, tous avérés, qui étaient méconnus ou inconnus….

François Ayroles: La construction du livre

On peut, en lisant ce livre, se demander pourquoi, parmi tous les magazines de bd qui ont existé, seul Spirou résiste encore. Et pourquoi les exégèses de la BD se contentent-ils trop souvent de ne faire que le citer, et de mettre en avant d’autres revues (A Suivre, Métal Hurlant, Circus, Charlie mensuel, excellent et essentiels, eux aussi, au demeurant !) ! La raison en est peut-être à trouver dans la vocation, depuis toujours, de  » Spirou « , de s’adresser à la jeunesse… Idéologiquement, pendant la guerre, sous la houlette du résistant Doisy, plus ludiquement depuis lors… Mais avec toujours la volonté d’avoir les pieds et les idées bien ancrés dans la réalité des jeunes auxquels on s’adresse !

On peut se demander aussi pourquoi, au-delà de cette persistance évidente, François Ayroles a décidé d’arrêter son livre en 1985. La raison, là, me paraît simple… 1985, c’est la fin d’une époque, celle de la famille Dupuis, et le début d’une autre période, celle du placement financier et rentable…

 

François Ayroles: la persistance d’un titre
François Ayroles: l’après-famille Dupuis

Savant et amusant, anecdotique et amusé, ce livre ne peut que plaire à tous ceux qui, un jour ou l’autre, ont vibré de plaisir en lisant le journal de Spirou, mais aussi à tous ceux qui veulent découvrir les dessous de l’Histoire du neuvième art, et ce au travers d’un magazine qui a vu passer dans ses pages quelques créateurs inoubliables !

 

Jacques Schraûwen

Moments Clés Du Journal De Spirou (auteur : François Ayroles – éditeur : Dupuis)