Les Reportages De Lefranc : Les Batailles De Moselle

Les Reportages De Lefranc : Les Batailles De Moselle

Chronique de Jacques Schraûwen, publiée sur le site de la RTBF le samedi 20 janvier 2018 à 12h20

 

La Moselle a toujours été, en France, de par sa proximité avec l’Allemagne, un terrain de batailles farouches et meurtrières. Trois d’entre elles sont décrites et analysées dans cet album historique de fort belle tenue.

C’est en 1952, avec la parution des premières planches de  » La Grande Menace « , dans les pages du  » journal de Tintin  » et dessiné par Jacques Martin, que le personnage du journaliste Guy Lefranc prend vie.

Dans cette après-guerre, Guy Lefranc a été un héros dans la lignée de Valhardi : sans peur, sans reproche, se battant pour la paix, contre les méchants de l’époque qui, bien entendu, étaient d’anciens nazis, ou de terribles communistes, très souvent.

Jacques Martin, en créant son héros, s’inscrivait dans son époque, de manière talentueuse, en racontant des histoires d’aventure au premier degré, mais extrêmement bien construites, toujours. Peut-être parce que, comme Jacobs de son côté avec Olrik, il mettait en face de Lefranc un vrai  » méchant  » superbe, l’infâme Borg !

Au fil des années, après le décès de Jacques Martin, Guy Lefranc, avec des hauts et des bas, a survécu. Il a aussi donné naissance à quelques albums qui ne sont pas de la bande dessinée, mais des reportages historiques illustrés.

C’est à cette collection que  » Les Batailles de Moselle  » appartient.

Le département de la Moselle, de par sa position entre deux pays historiquement ennemis, l’Allemagne et la France, a toujours été un enjeu à la fois politique et militaire. C’est une région de France qui a été, de ce fait, le théâtre de combats souvent extrêmement meurtriers.

Et dans ce livre-ci, les auteurs s’attardent sur trois de ces batailles, au cours de trois guerres différentes : Gravelotte en août 1870, Morhange en août 1914, et Dornot-Corny en septembre 1944.

Olivier Weinberg: trois batailles emblématiques

 

 

Je le disais, il ne s’agit nullement d’une bande dessinée, mais d’un véritable livre d’histoire, avec une documentation fouillée, avec un texte clair, avec des photos d’époque, avec une remise en perspective de chaque événement décrit et raconté.

A ce titre, Olivier Weinberg, le dessinateur-illustrateur attitré de cette série, se devait de rendre son dessin d’abord et avant tout parlant, de par les lieux dessinés, de par les mouvements de troupe qui y sont décrits, de par un réalisme qui se doit de montrer l’horreur d’un combat sans pour autant s’en faire le voyeur. Il se devait aussi de se révéler didactique. Il s’agit pour lui, au profond de chacune des trois batailles présentes de ce livre-ci, de ne pas trahir la vérité historique du texte, de montrer sans s’appesantir, de raconter sans avoir besoin de codes narratifs précis… Et à ce titre, on peut dire que son travail est une réussite. Un peu, mais de manière plus moderne, comme l’étaient les chromos qu’on trouvait dans des barres chocolatées ou, plus loin encore, comme l’étaient les images d’Epinal.

Olivier Weinberg: un dessin didactique

Les passionnés d’Histoire, celle des guerres, certes, mais celle, surtout qui a construit la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, trouveront leur content, sans aucun doute, dans cet album. Les curieux aussi, ceux qui aiment, simplement, les récits qui évitent les grandes envolées lyriques pour s’attarder, finalement, sur l’humain, d’abord et avant tout.

Un bon livre, donc, instructif, comme le sont tous les reportages de Lefranc depuis quelques années.

 

Jacques Schraûwen

Les Reportages De Lefranc : Les Batailles De Moselle (auteur : Olivier Weinberg, d’après Jacques Martin – couleurs : Emmanuel Bonnet – textes : Marc Houver et Jean-François Patricola – éditeur : Casterman et le Département de la Moselle)

Pico Bogue : 10. L’Amour De L’Art

Pico Bogue : 10. L’Amour De L’Art

Chronique de Jacques Schraûwen, publiée sur le site de la RTBF, le mardi 26 décembre 2017 à 11h16

 

Pour bien terminer l’année et bien commencer la suivante, voici un livre indispensable ! Tendresse, humour, intelligence et poésie vous y attendent ! Avec une question essentielle, amusante et amusée: qu’est-ce que l’art!…

 

Dès le départ de cette série, j’ai été séduit par son graphisme, dans la filiation de Sempé, par ses dialogues qui se révélaient cousins de Mafalda et de Snoopy. Cela faisait bien longtemps qu’aucune suite de  » gags  » en une page (ou en une demi-page…) n’avaient éveillé ainsi ma passion ! Et j’en avais parlé ici-même.

On aurait pu croire, au fil du temps, au fil des albums donc, que cette veine originelle, de tendresse, d’observation amusée d’un monde qui est le nôtre, que tout ce qui faisait l’inventivité et la fraîcheur de cette série allait s’essouffler, perdre de ses sourires et de son mordant, de sa spontanéité… Il n’en a rien été, et il n’en est toujours rien, que du contraire !

Pico Bogue, ses copains de classe, sa petite sœur Ana Ana, son institutrice, ses parents, tout ce petit monde continue à observer notre société et à nous pousser, ainsi, à mieux la regarder, à enfin la voir, telle qu’elle est peut-être, telle qu’elle pourrait être sans doute.

Dans cet album-ci, le monde de Pico Bogue évolue quelque peu. Bien sûr, il possède toujours la même passion des mots, de leurs origines, et donc de toutes leurs possibilités de significations. Mais cette passion devient aussi celle de sa petite sœur Ana Ana.

Ana Ana qui, deuxième évolution de cette série, occupe une place de plus en plus importante. Il faut dire qu’elle le mérite, cette petite fille aux éclats de rire tonitruants, et dont on se demande si elle est capable d’être triste  un jour…

La troisième évolution se situe, elle, dans le thème abordé tout au long de cet album. Un thème sérieux, pratiquement philosophique, essentiel même, une question que chacune et chacun se pose un jour ou l’autre : qu’est-ce que l’art ? Un thème, n’ayez pas peur, qui évite tout verbiage inutile pour ne s’attarder que sur ce qui caractérise totalement tous les personnages de cette série : le besoin de l’enfance de rester l’enfance, et donc de trouver rêves et jeux, amusements et partages dans tout, même dans ce qui pourrait ressembler à une obligation, familiale ou, ici, scolaire.

Parce que si tous ces enfants se mêlent du  » grand art « , c’est parce qu’ils doivent, pour leur fête scolaire, réaliser chacun une œuvre d’art, tout simplement ! Et ce qu’ils découvrent, en définitive, c’est que l’art est, par définition, impossible à définir, multiforme et, surtout, uniquement capable d’émouvoir à partir du moment où l’œuvre naît d’une émotion !

 

On a un peu l’impression avec cet  » Amour de l’art  » que les auteurs deviennent un peu plus adultes dans leurs choix narratifs. Mais ce n’est  qu’une apparence, parce que l’essentiel reste le regard que pose tout un chacun sur l’art, l’enfance, et donc l’enfance de l’art… On pourrait presque résumer le propos de ce livre de cette manière : si l’art, c’est de raconter des histoires, s’il dépend à la fois de l’éducation et de la sensibilité personnelle, s’il ne peut jamais n’être qu’une  » fonction « , l’essentiel reste, toujours :  » être joyeux tous ensemble  » !

Et encore une fois, j’insiste, c’est bien de plaisir, de rires, de sourires, de joie de vivre, d’étonnements communicatifs qu’il s’agit dans ce dixième volume consacré aux mille quotidiens de Pico Bogue et de tous ceux qui l’entourent. S’amuser ne devrait pas empêcher de réfléchir et de chercher à recréer dans la grisaille des jours quelques arcs-en-ciel qui ne demandent qu’à prendre vie !

C’est peut-être cela, finalement, la  » morale  » de Pico Bogue : donnons vie à tout ce qui peut nous rendre heureux !

 

Jacques Schraûwen

Pico Bogue : 10. L’Amour De L’Art (dessin : Alexis Dormal – scénario : Dominique Roques – éditeur : Dargaud)

Plus près de toi

Plus près de toi

Nombreux ont été, pendant la deuxième guerre mondiale, les militaires venus d’Afrique pour défendre ce qui était leur patrie, la France !… C’est à une partie d’entre eux que s’intéresse ce superbe livre, premier d’un diptyque…

 

          Plus près de toi©Dupuis

 

1939, au Sénégal. Addi est séminariste, il va bientôt devenir prêtre. Mais il est Français, aussi, et ce pays, qui vient d’entrer en guerre avec l’Allemagne, a besoin de lui ! Après son père qui s’était retrouvé dans les tranchées de 14-18, voilà donc Addi obligé d’abandonner sa soutane et de porter un uniforme français.

Le voilà surtout obligé de quitter son Afrique pour aller se battre en Europe.

Se battre, oui, avec son lot d’horreurs, de balles tirées à bout portant par des Allemands vainqueurs dans la tête de ces soldats à la peau noire ou brune qui ne sont, pour eux, que des sous-hommes.

Se battre, oui, mais si peu, puisque, avec ses compagnons d’infortune, tous venus d’Afrique, qu’elle soit du centre ou du nord, il est fait prisonnier, et envoyé dans un camp à Guingamp, dans une Bretagne battue par le vent et la pluie.

Un camp de « nègres » et de « bronzés » en pleine Bretagne, c’est une réalité historique, oubliée de nos jours. Une réalité qui, sans aucun doute, méritait d’être racontée…

          Plus près de toi©Dupuis

 

Et Kris, le scénariste de cet album, premier d’un diptyque, a décidé de décrire cette vie de prisonniers africains sur le sol français en utilisant la lorgnette de son talent et de son imagination par le petit bout. C’est de quotidien qu’il nous parle : la nourriture, l’horreur, la maladie, la mort, mais aussi et surtout les rapports humains. Et donc, bien évidemment, il nous montre les regards que portait la population bretonne sur ces étranges hommes à la peau sombre.

Kris utilise un langage simple, avec un humour dans ses dialogues qui dénote et rafraîchit par rapport aux quelques scènes d’horreur et de haine qu’il nous raconte.

Un langage, aussi, qui correspond très exactement à la manière dont les Africains étaient considérés, dans ces années 40… Une manière de les voir qui n’a guère chanté jusque dans des années beaucoup plus proches des nôtres ! Un langage frappé du scea de la véracité, aussi…

On parle, par exemple, des Noirs « évolués »…

On voit un missionnaire blanc, au Sénégal, dire : « Addi, c’est le plus PROMETTEUR de nos élèves africains »… Ou une Bretonne se précipiter à l’arrivée du convoi de prisonniers africains dire, le sourire aux lèvres : « je veux les voir. Je n’ai jamais vu de noir »

Un Sénégalais catholique à un Sénégalais musulman : « tu crois que ton dieu ne comprend pas la langue chrétienne » ? »

 

 

          Plus près de toi©Dupuis

 

Ce qui est frappant aussi, dans ce livre, c’est le côté charmant, charmeur du dessin, pour nous parler d’une époque qui, elle n’avait rien de charmant…

Jean-Claude Fournier est un vieux routier de la bande dessinée. Il a par exemple été un des auteurs de Spirou, il est le créateur de Bizu, des Chevaux du Vent…

C’est donc de la bd franco-belge dans toute sa splendeur. Mais avec des personnages qui, sous l’aspect très simple qu’ils ont, dans leurs proportions par exemple, réussissent toujours à être extrêmement expressifs.

Ici, pour dessiner une histoire qui, finalement, est d’un humanisme extraordinaire, et tellement important de nos jours, il a choisi un découpage tout à fait classique. Mais un découpage qui lui permet, encore plus que dans ses séries précédentes, de mettre en évidence ce qu’il veut : les regards, les sourires, et les trognes de ses personnages. Non réaliste pour une histoire à la réalité horrible, son dessin aime aussi la caricature : les « méchants » sont reconnaissables tout de suite.  Et c’est ce qui fait de cet album, aussi, un livre à lire par tout le monde, par tous les âges.

C’est un livre qui parle des Africains en Europe, du racisme donc.  Mais, étrangement, c’est d’abord un livre qui parle d’êtres humains qui se rencontrent et s’acceptent les uns les autres, au travers de moments d’humour, de tendresse, de partage, d’horreur, de larmes, de lumière et de désespérance… C’est un livre, qui nous parle, au-delà des apparences et donc des races, d’amour, tout en prenant Dieu comme fil conducteur mais ténu, quel que soit le nom qu’on lui donne…

Vivement la suite…. Qu’on devine, déjà, désespérée peut-être, puisque les premiers dessins sont, en fait, déjà la fin de l’histoire…

 

Jacques Schraûwen

Plus près de toi (dessin : Fournier – scénario : Kris – éditeur : Dupuis)