Hugues Labiano au sommet de son art dans cet album qui s’expose dans la Galerie de la Bande Dessinée – 237, chaussée de Wavre – 1050 Bruxelles
Ce livre est, on peut le dire, d’une facture classique, dans son propos, dans sa thématique, dans le récit qu’il nous fait d’une tranche de vie sans morale ni compassion.
Le personnage central, Ethan, a trahi le chef de la pègre de Cleveland. Un truand qui s’est vengé en tuant la femme d’Ethan, de manière horrible, en la démembrant… Et le voilà, cet homme en costard et cravate, de retour dans sa ville. Pour s’y venger en utilisant la police et ses ripoux… Dans sa ville, oui pour y vomir sa haine.
Cet album s’accompagne d’un dossier parfaitement illustré et consacré aux « films noirs ». Un peu pour nous dire, sans doute, que ce livre est un hommage à un univers cinématographique précis. Avec des références évidentes ou discrètes à Fritz Lang comme à Orson Welles, au mythe universel de la femme fatale, à Coppola aussi, sans doute. Au niveau du dessin, du découpage, du travail sur un noir et blanc qui n’est pas toujours ce qu’il a l’air, du travail sur la couleur et ses infinies variations presque abstraites.
Mais, à mon (très) humble avis, je parlerais ici, en guise de filiation, de la littérature « noire » bien plus que du cinéma… Parce que Philippe Pelaez, le scénariste, nous plonge à sa manière dans un monde extrêmement écrit, celui de Chandler, de Hadley Chase, de Carter Brown. Mais aussi, à petites touches, au pendant français du roman noir ou policier, avec la trilogie noire du génial Léo Malet, voire même à Steeman et son fameux assassin vivant au 21…
Oui, c’est bien de littérature aussi) qu’il s’agit. Et Philippe Pelaez s’est ainsi amusé à créer un univers très personnel tout en le nourrissant de milliers de détails que, lecteurs de polars, nous savons importants à la gradation d’un récit… Ce sont ce que d’aucuns appellent les poncifs du genre, et qui sont surtout des éléments essentiels au rythme d’une narration. Bien sûr, il y a une empreinte dans l’histoire racontée de la Grande Histoire… Cela se passe en 1936… On voit comment fonctionne la police, la traque que l’on fait aux homosexuels… Mais au-delà de cet enfouissement dans une époque précise, il y a le flic pas très malin qui se prend au sérieux, le chef de gang caricaturé, les commentaires sur les assassinats, les flics pourris, la corruption, les femmes… Et c’est cette trame-là aussi, traditionnelle ai-je envie de dire, qui fait tout l’intérêt et toute la réussite de cet album.
Enfin, quand je dis « toute », ce n’est bien entendu pas exact… Parce que Hugues Labiano, le dessinateur, nous livre ici, graphiquement, un de ses albums les plus aboutis… Avec, c’est vrai, des références cinématographiques nombreuses. Mais avec, également, des regards sur le neuvième art… On ne peut pas, en parcourant ce livre, ne pas penser à Chabouté, à Jean-Claude Claeys, par exemple. Et on ne peut pas non plus parler de ce livre noir sans en souligner la couleur, absolument époustouflante, due à Jérôme Maffre.
Un polar, cela se lit, cela se savoure, ou pas…
Ici, la saveur est celle d’une plongée dans une horreur quotidienne proche, finalement, de toutes les tragédies que l’être humain est condamné parfois à vivre…
Jacques et Josiane Schraûwen
Quelque Chose De Froid (dessin : Hugues Labiano – scénario : Philippe Pelaez – couleurs : Jérôme Maffre – éditeur : Glénat – mars 2024 – 63 pages)