Rat & les Animaux Moches : une fable animale sur la beauté et la tolérance !

Rat & les Animaux Moches : une fable animale sur la beauté et la tolérance !

Le rat des villes, un jour, se fit chasser par une acariâtre mégère, de la maison où il coulait des jours heureux. Et il devint errant, jusqu’à arriver dans un étrange village…

Rat & les Animaux Moches©Delcourt

 

Un village dans lequel, loin du monde, se sont réfugiés des animaux, par dizaines… De ces animaux qui, parmi les humains, dans le monde « normal » font peur, doivent se cacher pour cacher leur laideur. Des animaux moches qui se sont retrouvés par le seul hasard de leur apparence monstrueuse.
Et Rat, évidemment, s’y installe, croyant trouver, sans difficulté, une espèce de paradis, enfin, où chacun ne peut plus être jugé qu’à l’aune de ses qualités (ou de ses défauts…).
Mais les apparences sont trompeuses, et dans ce lieu créé et habité par les refusés du monde, le bonheur est loin de régner.
Rat, alors, décide de remédier à cet état de fait qui empêche tout sourire d’éclairer ce village des chassés de partout !

 

Rat & les Animaux Moches©Delcourt

 

Lui, qui était presque en désespérance, se trouve investi, se veut investi d’une mission : tout faire pour que le village des animaux moches devienne un lieu de plaisir, de bonheur, de partage…
Voilà ce que nous raconte et nous montre cet album de bd très différent de tout ce qui se fait habituellement. Le dessin, animalier bien entendu, réussit à faire penser, parfois, à Macherot, voire à Hausman, et, à d’autres moments, ce dessin rappelle bien plus les gravures animalières des siècles passés.
Le texte se veut, quant à lui, simple et descriptif, un peu comme s’il était destiné, en priorité, à des enfants. Mais tel n’est pas le cas, ce livre étant, incontestablement, destiné à tout le monde, à tous les publics, à tous les âges.

Rat & les Animaux Moches©Delcourt

 

Cela dit, rien d’angélique dans ce livre. Aucune utopie n’est aisée à vivre, et les meilleures intentions du monde peuvent se révéler catastrophiques. Surtout lorsqu’arrive un personnage qui, de par sa beauté naturelle et de par son orgueil démesuré, ne supporte pas de se retrouver proche de la laideur et de la monstruosité. Le nom de ce personnage, un caniche royal ?… le « perdu »…
Tout est symbolique, en fait, dans ce livre, dans cette fable, comme est symbolique tout le contenu des fables d’Esope ou de La Fontaine. Mais tout est également traité avec légèreté, avec tendresses et avec infiniment d’humour. Ce qui rend la lecture, de bout en bout, souriante, comme le sont, finalement, tous ces personnages moches mais, au-delà de leurs apparences parfois hideuses, amusants, sympathiques, très humains !…

 

Rat & les Animaux Moches©Delcourt

 

Ce livre, vous l’aurez compris, possède plusieurs niveaux de lecture. Plusieurs niveaux de « vision » aussi, ai-je envie de dire. On peut le lire comme une bd, une bd à l’ancienne, comme les images d’Epinal, sans phylactères. On peut aussi y revenir, le feuilleter, s’arrêter sur des dessins, sur des phrases explicatives ou descriptives, sur des dialogues et des formes animales qui, repoussantes au premier abord, se dévoilent extrêmement expressives.

 

 

Rat & les Animaux Moches©Delcourt

 

Un livre qui dénote, sans aucun doute, dans la production souvent ronronnante de la bd contemporaine… Un livre qui met de bonne humeur, un livre qui ouvre les yeux, un livre qui fait sourire… et chaud au cœur !
A sa manière, ce « Rat » est un personnage hautement humaniste, dans un monde, le nôtre, où ce mot perd chaque jour un peu plus de son sens !
Un excellent livre, donc !…
Et soulignons la typographie, douce aux yeux, désuète et mignonne, due au talent de Capucine !

 

Jacques Schraûwen
Rat & les Animaux Moches (dessin : Jérôme d’Aviau – scénario : Sibylline – éditeur : Delcourt)

Ric Hochet : 3. Comment Réussir Un Assassinat

Ric Hochet : 3. Comment Réussir Un Assassinat

Scénarisé par Zidrou, dessiné par Van Liemt (interviewé dans cette chronique), le tout avec plus que l’approbation de Nicole Tibet, Ric Hochet est redevenu un personnage de bande dessinée ancré totalement dans notre époque ! Une renaissance qui s’avère véritablement un renouveau !

Photo©Fabien Van Eeckhaut

L’histoire que nous raconte cet album est tout aussi compliquée et bien construite qu’une intrigue à la Agatha Christie. D’ailleurs, dans cette enquête autour de plusieurs meurtres commis dans l’environnement d’une maison d’édition, on reconnaît quelques thèmes narratifs chers à l’auteur de « L’inconnu du Nord Express ».
A l’origine de ces meurtres, et donc de l’enquête menée par Ric Hochet, son amie Nadine et le commissaire Bourdon, il y a un livre. Un petit « Marabout Flash » intitulé « Comment réussir un assassinat ».
Les éditions Marabout ont été particulièrement prolifiques entre l’après-guerre et les années 80, avec des auteurs comme Seignolle, Ray, ou Prévot, mais aussi Pierre Pelot et son extraordinaire Dylan Stark, ou Bob Morane de Vernes, ou Sylvie, qui a fait rêver des générations de jeunes filles. Avec, aussi, cette collection « Flash », des livres de petit format qui abordaient de manière sérieuse des thèmes quotidiens, qui allaient du bricolage à la psychologie, des jeux au savoir-vivre…
Et donc, notre héros sans peur et sans reproche va se plonger dans les méandres parfois nauséabonds du monde de l’édition pour découvrir qui a bien pu « éditer » ce livre pirate et, ainsi, pousser des lecteurs en « rupture » à des gestes ultimes !
Cela dit, si tout se passe, comme dans les albums originels, à la fin des années 60, voire au début des années 70, qu’on ne s’y trompe pas ! Ric Hochet est devenu, par la grâce de Zidrou et Van Liemt, un personnage terriblement humain ! Mal rasé, parfois, osant des regards quelque peu grivois de temps en temps, et ne résistant pas à la courbe des fesses de Nadine…
Il s’agit bien d’un renouveau, que Nicole Tibet et son fils « Bibi » apprécient totalement !

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Simon Van Liemt: renouveau
Mme TIBET et son fils

Photo©Fabien Van Eeckhaut

 

Cela dit, tous les codes qui, en leur temps, furent créés par Tibet et Duchâteau, sont ici bien présents. Ce qui change, ce qui rend Ric Hochet actuel, c’est le traitement qu’en fait Zidrou. Un Zidrou qui, incontestablement, s’est lâché, dans les clins d’œil qui parsèment son scénario. On voit, par exemple, Ric Hochet, le regard égrillard, s’arrêter devant un magazine « Lui ». On découvre aussi un portrait de Henri Vernes, le créateur de Bob Morane, qui ne lui rend pas vraiment hommage et qui correspond, sans doute, plus à la réalité qu’à, la légende que ce dernier s’est forgée au cours des années. On voit Nadine, en petite tenue. Et je ne vous parle pas du texte de Zidrou, qui ne manque pas de « saillies », de jeux de mots (« scoop toujours »), et qui font que l’ensemble de cet album peut être qualifié de « politiquement incorrect » ! Surtout quand, la dernière page tournée, on se rend compte que la bonne morale n’est pas vraiment victorieuse !
Émaillé de références, de clins d’œil, avec, entre autres, un personnage absolument irrésistible, celui de « Grévisse », le Ric Hochet de Van Liemt et Zidrou perd avec bonheur son côté trop lisse et nous fait autant rire qu’il nous passionne par ses enquêtes…

 

Photo©Fabien Van Eeckhaut

Simon Van Liemt: références

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Ce que j’apprécie énormément chez Zidrou, c’est ce mélange qui le caractérise de conjuguer le sérieux et l’humour, de nous parler, par exemple, du désespoir de l’amour, un désespoir qui peut mener au meurtre, et de nous parler en même temps du langage qui, vecteur des émotions, se veut aussi totalement délirant !
Le tout, chez lui, et donc aussi chez Van Liemt, le dessinateur, saupoudré d’un besoin de véracité historique. Construire une intrigue qui se déroule à la fin des années 60 demande qu’il y ait un travail de restitution de cette époque, à tous les niveaux… Jusqu’à celui des couvertures de la fameuse collection « Pocket », des couvertures dessinées par l’immense Pierre Joubert ! Qui, de cette façon, reçoit ici un hommage discret et parfaitement mérité.

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Simon Van Liemt: Joubert

 

Voici donc Ric Hochet reparti pour de nombreuses aventures passionnantes et souriantes ! Des aventures qui seront des réussites tant que Zidrou et Van Liemt garderont cette belle complicité qui leur permet, dans ce troisième opus du retour de Ric Hochet, de délirer, mais de le faire avec justesse, dans le ton comme dans le dessin ! Et il me faut aussi souligner l’excellent travail du coloriste qui, plus que dans les deux précédents albums, réussit, dans les ombres, les lumières, les détails, les ambiances, à nous offrir une couleur qui devient à certains moments un vrai moteur de la narration.

 

Ric Hochet 3 © Le Lombard

Le travail à deux

 

Ric Hochet vit dans ce livre-ci sa troisième nouvelle aventure. Et je lui en souhaite bien d’autres encore, sans nostalgie, avec respect mais aussi avec humour et dérision ! Et si vous avez envie d’en savoir plus sur l’extraordinaire auteur qu’était Tibet, plongez-vous dans le livre qui lui a été consacré : Mystères ! Une biographie de Tibet en images (auteur : Vincent Odin – éditeur : Editions Daniel Maghen).

 

Jacques Schaûwen
Ric Hochet : 3. Comment Réussir Un Assassinat – d’après Tibet et Duchâteau (dessin : Van Liemt – scénario : Zidrou – couleurs : Cerminaro – éditeur : Le Lombard)

 

Photo©Fabien Van Eeckhaut

Résilience : tome 2 – La Vallée Trahie

Résilience : tome 2 – La Vallée Trahie

Anticipation ou science-fiction, cette série nous parle de nous, de ce que nous mangeons, de ce que nous sommes, au travers d’une aventure à taille humaine avant tout… Et Augustin Lebon, son auteur, en parle avec passion dans cette chronique…

Fuir la ville…. Cette cité tentaculaire dans laquelle, avec l’alibi du progrès et du bonheur universel, l’être humain n’est plus qu’un objet aux mains d’un pouvoir qui veut tout gérer… A commencer par l’agriculture… Il y a là, sans aucun doute possible, un rapport évident et immédiat avec ce que nous vivons aujourd’hui, et la mainmise de quelques multinationales sur notre vie quotidienne, des multinationales soucieuses exclusivement de rentabilité. Avec des semences toutes semblables, toutes génétiquement modifiées, avec des bières et des vins au goût similaire d’un bout à l’autre de la terre, l’avenir qui nous est promis est un monde sans saveur, donc sans plaisir, donc sans révolte ni révolution !

A ce titre, cette série est véritablement une série  » engagée « . Pas de manière politique, heureusement, mais de façon véritablement écologique, au sens premier du terme, celui d’une science au service de l’homme et de ses aspirations comme de ses besoins.

A ce titre également, le propos d’Augustin Lebon est terriblement d’actualité, avec les ZAD par exemple… Avec cette nécessité de vivre une résistance qui, souvent, n’a rien de manichéen et peut très vite passer du pacifisme à la violence.

Augustin Lebon: un livre engagé…

 

Augustin Lebon: Résistance et violence

Les personnages du premier tome chroniqué ici en son temps, se sont donc enfuis, et se retrouvent dans une vallée normalement protégée par l’Unesco, une forêt dans laquelle se sont réunis des résistants désireux de continuer à cultiver -et le terme est particulièrement adéquat- leur différence, leur volonté de liberté, leur nécessité à ne pas se plier à des diktats destructeurs d’humanisme. Un lieu, on le devine, on le ressent, qui va être assiégé par ce fameux progrès que ces résistants refusent.

Ils sont trois, donc, Adam, Agnès et Ellen, à rejoindre ce qui ressemble à un paradis sur terre. Mais un paradis dans lequel leurs vécus amoureux ne vont qu’exacerber leur combat quotidien contre la normalisation imposée par Diosnyta, cette entité informe qui possède le pouvoir, presque TOUS les pouvoirs. Il y a donc, dans cet album, encore plus que dans le précédent, des sentiments nombreux, qui se mêlent, s’affrontent, se révèlent tantôt antinomiques, tantôt fusionnels.

Et c’est par la force de ces sentiments, par le talent aussi d’Augustin Lebon qui, par son dessin comme par ses dialogues, restitue avec force toutes les différences qui rendent unique chaque être humain, c’est par ce côté romanesque parfaitement assumé que cette série se fait passionnante, passionnelle autant qu’engagée !

Augustin Lebon: dessiner la différence

 

Augustin Lebon: les sentiments

 

Il y a, vous l’aurez compris, dans cette série, de quoi plaire à tout le monde, ou presque… Au travers d’un scénario de ce qui pourrait être de l’anticipation proche, Augustin Lebon cherche d’abord à construire une histoire qui tient en haleine, à le faire en mêlant les thèmes et en n’oubliant jamais de raconter une histoire de femmes et d’hommes en butte à leurs sentiments, à leurs sensations plus qu’à des réflexions politiques qui leur sont imposées par les aléas de l’existence.

Lebon, ainsi, nous plonge dans des jeux de regards, dans des décors qui varient, sans cesse, et il parvient à magnifier par son dessin, justement, les décors naturels de cette vallée dans laquelle la violence va faire irruption.

Par les couleurs, également celles de Hugo Poupelin, complice talentueux d’Augustin Lebon (crédité, d’ailleurs, à même la couverture de cet album, ce qui est à souligner !), des couleurs qui accentuent les ambiances et en font un élément de narration extrêmement vivant, vibrant, lumineux.

Augustin Lebon: les décors…
Augustin Lebon: les décors et la couleur…
Augustin Lebon: les couleurs…

J’avais beaucoup aimé le premier tome… Et j’aime énormément ce deuxième opus, qui nous prouve qu’Augustin Lebon est totalement capable de varier les plaisirs, le sien et ceux de ses lecteurs, en construisant des scénarios qui, de par leur contenu, ne ronronnent jamais dans des habitudes…

 » Résilience « , c’est une bande dessinée d’aventures, de réflexion, d’amour, de passion, qui s’inscrit résolument dans les préoccupations qui sont celles de notre monde contemporain… A lire et à partager, sans aucun doute!

Jacques Schraûwen

Résilience : tome 2 – La Vallée Trahie (auteur : Augustin Lebon – scénario : Augustin Lebon et Louise Joor – couleurs : Hugo Poupelin – éditeur : Casterman)