Tucker – Chroniques D’Autres Mondes

Tucker – Chroniques D’Autres Mondes

(auteur : Marc Wasterlain – éditions du Tiroir) 

Tucker © éditions du Tiroir

A 75 ans, Wasterlain n’en a pas fini de nous étonner, avec un dessin reconnaissable entre tous, avec des scénarios échevelés qui laissent la part belle à la science-fiction, à l’aventure, à l’humour, à la fable très ancrée, également, dans nos quotidiens…  

Tucker © éditions du Tiroir

J’ai chroniqué son dernier album ce samedi matin sur l’antenne de La Première RTBF… Ecoutez !… 

Jacques Schraûwen 

https://www.rtbf.be/auvio/detail_les-cases-de-l-oncle-jacques?id=2861074

Tucker © éditions du Tiroir
Les Tribulations de Louison Cresson : 1. Rock’n Roll à Pied-L’Abbé

Les Tribulations de Louison Cresson : 1. Rock’n Roll à Pied-L’Abbé

Une réédition bienvenue !….

La société dite de la culture est quelquefois, souvent même, sans mémoire… Oublieuse d’artistes qui, pourtant, ont eu, non pas leur heure de gloire, mais des moments de partage. C’est vrai dans le septième art, dans la peinture, dans la chanson, et plus encore dans la bande dessinée !

Il est vrai que le neuvième art voit se publier d’année en année des milliers d’albums, sans cesse à la recherche d’un public.

Il est tout aussi vrai que la BD est un monde dans lequel les collectionneurs sont nombreux, et ce sont eux, le plus souvent, qui permettent à des livres anciens de ne pas se perdre au néant de mémoires partisanes…

Et puis, il y a les rééditions, heureusement.

Et quand c’est un auteur qui décide de se lancer dans l’aventure d’une auto-édition, et que cette réédition est une réussite, cela mérite d’être souligné !

Tel est le cas de Léo Beker qui redonne vie à un personnage qui, tout-public, pratiquait avec simplicité l’humour, le regard décalé sur une époque, et le fantastique bon-enfant.

L’existence de cet auteur ne s’est pas cantonnée, loin de là, aux petits mickeys. Ecrivain, illustrateur, collaborateur dans l’univers de l’animation, il n’a cependant jamais renié son petit personnage, Louison Cresson.

Louison Cresson, c’est un gamin des années 50, une époque où la souvenance de la guerre était encore bien présente, bien prenante…

Et ce gamin part en vacances chez son cousin Gaspard, qui, propriétaire un peu allumé d’un vignoble, se bat contre vents et marées pour faire un vin exceptionnel.

Sur le quai de la gare, ce gamin fait la rencontre d’u savant japonais qui collectionne les plaques d’égout.

D’autres personnages apparaissent au fil des pages : des voisins indiscrets qui font penser à la voisine de la série « Ma sorcière bien aimée », une inspectrice viticole… Et, surtout, des fantômes, ceux des moines qui ont vécu dans la propriété de Gaspard ! Et pour que ce dernier puisse faire son vin, il va falloir réussir à ce que le fantôme du Père Abbé foule à nouveau les raisins, comme il le faisait de son vivant.

Tous plus farfelus les uns que les autres, à commencer par Louison lui-même qui a le don de comprendre toutes les langues sans savoir les parler, ces personnages vivent dans une époque bien précise, et c’est aussi, au-delà du scénario endiablé, la grande qualité de cet album.

Nous sommes au milieu des années 50. La guerre est certes terminée, mais il en reste des rancunes tenaces, des jugements à l’emporte-pièces. Il en reste aussi une situation politique compliquée, avec une idéologie communiste qui fait plus que lorgner sur le pouvoir. Il en résulte aussi la présence de militaires américains, un peu partout, et, avec eux, un son nouveau, celui du Rock. Un rock que Boris Vian et Henry Salvador, à Paris, vont pasticher avec génie…

Cette époque est présente, totalement, dans cet album, dans les décors, dans les dialogues, mais aussi jusque dans la constriction elle-même des planches…

On n’est pas loin, par exemple, de l’art muet que Jacques Tati illustrait au cinéma. On n’est pas loin non plus de ce qui fleurissait dans les journaux, à l’époque, des strips de bas de page (professeur Nimbus, etc.)

Le dessin de Beker est précis, fouillé, et le gaufrier classique de la bd belgo-française lui va à merveille. C’est un dessin de mouvement, mais c’est aussi un dessin qui, même muet en plusieurs pages, parvient à rester tout le temps souriant.

Le seul bémol que j’aurais, c’est que je trouve, personnellement, la couleur trop criarde.

Mais dans l’ensemble, c’est le plaisir qui est au rendez-vous avec ce livre. Plaisir nostalgique d’une époque pendant laquelle la bd ne se prenait pas au sérieux ? Sans doute… Plaisir, surtout, de redécouvrir une série oubliée, un dessinateur qui, pourtant, a fait les belles heures du journal Spirou.

La bande dessinée, la bonne, c’est aussi cela : ne pas renier ce qui a permis, en d’autres temps, à ce média de devenir réellement un art populaire !

Jacques Schraûwen

Les Tribulations de Louison Cresson : 1. Rock’n Roll à Pied-L’Abbé (auteur : Léo Beker – éditeur : Léo Beker – 2021 – 48 pages)

http://louisoncresson.com

Taxi – Récits depuis la banquette arrière

Taxi – Récits depuis la banquette arrière

J’ai déjà, ici, dit tout le bien que je pensais d’Aimée De Jongh, une jeune néerlandaise dont le talent et la simplicité construisent déjà une œuvre importante. Chacun de ses livres est un jalon de plus sur les chemins du talent pur !

https://www.rtbf.be/culture/bande-dessinee/detail_l-obsolescence-programmee-de-nos-sentiments-l-amour-le-desir-le-bonheur-et-le-temps-qui-passe-jacques-schrauwen?id=9976456

https://bd-chroniques.be/index.php/2021/06/19/jours-de-sable/

Taxi © La Boîte à Bulles

Avec « Taxi », elle explore avec réussite une forme ce narration sereine, tranquille, poétique…

Elle est cette jeune femme qu’elle dessine, auteure de bd qui se balade autour du monde, tranquillement, et découvre les pays qu’elle traverse de la banquette arrière des taxis qu’elle emprunte…

Ce n’est certes pas une autobiographie, je parlerais plutôt d’un « auto-récit »… Une narration surprenante, qui pourrait n’être qu’immobile et qui, pourtant, se révèle sans cesse en mouvement… Parce que la naissance du mouvement, du geste, de la vie donc, tout cela ne peut prendre naissance qu’au travers des mots en échange et des regards posés, curieux et sans préjugés, sur le monde.

Taxi © La Boîte à Bulles

Et c’est là le contenu de ce livre, d’abord et avant tout : la « rencontre »… Entre une cliente et des conducteurs de taxi, entre des humains qui vivent dans des univers différents mais qui, par la magie du voyage, acceptent, avec plus ou moins de plaisir, de faire un bout de chemin ensemble.

Chaque rencontre crée des souvenirs et en remet d’autres en mémoires.

Et dans cet album, ces souvenirs anciens viennent ponctuer les trajets en voiture, et ces ponctuations, étrangement, sont souvenances de mort… Le taxi passe devant le Bataclan… Un autre taxi laisse l’image de Robin Williams occuper une part de l’espace… Un autre véhicule, encore, nous permet de découvrir des pratiques funéraires très différentes de tout ce qu’on connaît…

Taxi © La Boîte à Bulles

Je dis : « nous permet »… Et c’est là aussi que la magie opère, celle de la création, celle du talent d’Aimée De Jongh. Ce qu’elle a vécu et raconte avec une simplicité extrême, c’est autant à nous qu’elle le délivre qu’à elle-même. Et, ce faisant, elle dessine, sans jamais la montrer, une géographie dans laquelle toutes les villes se ressemblent tout en étant différentes, tous les humains sont semblables tout en ayant des préoccupations parfois très opposées.

Los Angeles, Paris, Jakarta, Washington deviennent ainsi, pour Aimée comme pour les taximen, des étapes de vie… Des lieux à découvrir de derrière des vitres, mais des lieux qui, en même temps, deviennent des acteurs.

Ces villes sont des jalons tranquilles, sereins, empreints d’une poésie quotidienne sans apprêts, dans la pensée de l’héroïne, et forment, étrangement, comme la trame d’une approche automobile et sociologique de l’existence de tout un chacun.

Taxi © La Boîte à Bulles

Les clichés, omniprésents lorsqu’on parle, toutes et tous, d’endroits dont on ne connaît que les façades touristiques, sont progressivement battus en brèche dans ce livre. Ce qui n’empêche pas certains d’entre eux de devenir une sorte de leitmotiv universel… En Asie comme aux Etats-Unis, quand on parle des Pays-Bas, on entend, comme en écho, le nom de Cruyff…

Le dessin d’Aimée De Jongh s’attarde sur les traits et les mimiques de son héroïne, d’elle, donc… Ses étonnements, ses questionnements, ses peurs parfois, ses incompréhensions également, tout cela se lit dans ses yeux, dans les plis de ses lèvres en sourires ou en hésitation…

Taxi © La Boîte à Bulles

Elle joue ainsi avec les contrastes… Contrastes que le noir et blanc accentue, que ce soit pour les décors et le jeu0d es lumières qui leur donnent relief, que ce soit, aussi, surtout peut-être, dans les physionomies de la passagère et de ses conducteurs.

De voyage en voyage, de rencontre en rencontre, ce livre peut donner l’impression que la passagère de ces taxis ne cherche qu’elle-même, et que ses voyages à travers le monde n’ont qu’un seul but, lui créer un miroir où se reconnaître.

Mais il n’y a pas de mouvement perpétuel et narcissique, dans ce livre, il n’y a pas non plus de quête. Il y a un beau poème, de mots et de silence, de dessins et de rêves, de découvertes et de sensations. Un poème qui, comme toute poésie, ne peut s’aimer et se savourer que dans le partage…

Aimée De Jongh

Et il ne tient qu’à vous de vous enfouir dans l’univers d’Aimée De Jongh, de laquelle me vient une certitude : elle est en train de devenir une des dessinatrices les plus étonnantes et les plus importantes qui soient dans le paysage du neuvième art actuel !

Jacques Schraûwen

Taxi (auteure : Aimée De Jongh – éditeur : La Boîte à Bulles – septembre 2021 – 96 pages)