Sous Terre

Sous Terre

Science et Fiction !

La bande dessinée, de nos jours, aime s’ouvrir à des horizons très variés. C’est le cas avec ce livre de Mathieu Burniat qui, sans moralisme, nous parle d’écologie.

Sous Terre © Dargaud

Un peu de science au rendez-vous de la bande dessinée, au travers d’une bd étonnante de Mathieu Burniat. Cet auteur belge aime nous emmener dans des histoires qui nous parlent à la foi de science et d’aventure… Il nous a déjà ainsi parlé de théorie quantique, de la mémoire et de ses apprentissages, mais dans des vraies aventures humaines ! C’est une démarche identique qui est présente dans cet album-ci. Au-delà d’une fiction évidente, Burniat nous parle d’enjeux essentiellement humains. Et c’est cette dualité du propos qui rend ce livre réellement passionnant.

Mathieu Burniat : le scénario
Sous Terre © Dargaud

Hadès, dieu des enfers, veut passer la main, il veut prendre du bon temps et se cherche un remplaçant. Il passe une petite annonce qui recueille quelques centaines de réponses. Commence alors un concours au bout duquel un seul candidat pourra devenir dieu des enfers et de toutes ses richesses ! Pour cela, cinq épreuves sont à réaliser dans un univers qui se trouve dans les deux mètres de terre qui existent sous nos pieds…

Mathieu Burniat : le sol

Et donc, aujourd’hui, c’est du sol qu’il nous parle, mais à taille d’homme en quelque sorte.

Il s’agit d’une vulgarisation scientifique donc, mais d’une fiction, d’abord et avant tout… Une fiction pleine de symboles, construite comme une fable, peuplée d’allégories, aussi.

Sous Terre © Dargaud

Les candidats ne mesurent que quelques millimètres et vont devoir recueillir cinq éléments : la matière organique, la matière minérale, le milieu aqueux, l’atmosphère et, le tout ensemble, la vie, tout simplement. Cela ressemble à un « trivial pursuit » en live, mais la lutte va être sévère, mortelle pour tout le monde, sauf pour la gagnante, Suzanne, qui va se révéler d’une tout autre trempe que le vieil Hadès !

Mathieu Burniat : bd et vulgarisation scientifique

Le récit est passionnant, plein de rebondissements, de vulgarisation scientifique pointue et ludique en même temps. Entre les vers, les champignons et les bactéries, Mathieu Burniat fait du sol un terrain de jeu inattendu ! Pour lui comme pour ses lecteurs… Et, ce faisant, il nous parle aussi, surtout peut-être, et plus loin qu’un simple message écologique, de valeurs que l’humanité devrait retrouver, comme la symbiose, l’échange, la culture de la différence, l’union des faiblesses qui peuvent se révéler des forces neuves.

Mathieu Burniat : la symbiose…

C’est une bande dessinée très particulière… Ecologiste dans le sens scientifique du terme, sans pédanterie. On s’amuse, on apprend à connaître notre monde pour ne plus en avoir peur, pour mieux s’en faire un allié. Un excellent livre, jamais moralisateur, pour tous les âges, sans aucun doute !

Sous Terre © Dargaud

Un livre dans lequel l’humour ne manque pas. Dès le départ, d’ailleurs, le personnage central choisi pour donner des conseils de vie à l’humanité, c’est le dieu des enfers… Comme pour nous dire, le sourire aux lèvres, qu’entre l’enfer et le paradis la frontière est bien floue !

Mathieu Burniat : Hadès, dieu des enfers

La science reste cependant bien présente, avec, en fin d’album, quelques pages pour nous montrer ce qu’est, d’une manière presque didactique, de nos jours, l’agriculture, ce qu’elle pourrait aussi devenir si nous, humains, nous acceptions de faire de la nature une compagne à respecter… C’est d’harmonie, en fait, que nous parle Burniat tout au long de ce livre…

Jacques Schraûwen

Sous Terre (auteur : Mathieu Burniat – conseiller scientifique : Marc-André Selosse – éditeur : Dargaud – 175 pages – mars 2021)

Sous Terre © Dargaud
S.O.S. Bonheur

S.O.S. Bonheur

Mea Culpa : Jean Van Hamme peut aussi se révéler un excellent scénariste !

Un livre à relire, à tout prix ! Un regard d’hier sur un avenir qui semble ressembler de plus en plus à notre présent !…

S.O.S. Bonheur © Dupuis

J’ai ici, en chroniquant le dernier livre scénarisé par Jean Van Hamme (La fortune des Winczlav), donné mon avis (sévère selon certains) quant aux thématiques de ses récits… Je ne change pas d’opinion, mais je me dois cependant de reconnaître que la plupart de ses histoires m’ont plu, le temps, en tout cas, de quelques épisodes… Les séries interminables dont il est coutumier me paraissent, ne vous en déplaise, répétitives et lassantes… Mais Van Hamme a un talent de raconteur, c’est vrai ! Mais il a aussi une obsession du pouvoir sous toutes ses formes, c’est également vrai !

Cependant, il m’est venu l’envie de me replonger dans ses anciennes bandes dessinées, pour justifier mon avis peut-être, pour pouvoir, surtout, le peaufiner… Et c’est en lisant le premier « S.O.S. Bonheur » que je me suis souvenu de l’effet que cet album avait eu à sa sortie…

Il y avait d’abord ce moyen narratif étonnant, à l’époque : ne pas choisir, comme fil conducteur, des personnages, mais un monde, une société. Et, en quelques nouvelles dessinées, montrer le poids de cette société sur le quotidien des gens, des gens comme vous, comme moi…

S.O.S. Bonheur © Dupuis

Certes, Jean Van Hamme s’intéressait là, déjà, au pouvoir, à l’ambition. Mais il le faisait alors en se plaçant, ouvertement, du côté des « opprimés », avec un sens extrêmement pessimiste de l’existence. Il évitait aussi ce qu’il a, par la suite, utilisé jusqu’à l’usure : la violence gratuite et « voyeuse », le sexe inutile, les héros dont les failles ne sont que broutilles en regard de leurs qualités !

« S.O.S. Bonheur », c’était, en 1988, un album qui se démarquait totalement de tout ce qui existait, à l’époque, dans la bd de SF populaire, ouverte à toutes et à tous… C’était un ensemble de petites histoires qui étaient toutes le constat d’un monde au totalitarisme accepté par tout un chacun.

C’était un album dans lequel les personnages se débattent plus qu’ils ne se battent, humains, d’abord, face à un monde déshumanisant, déshumanisé.

Et là, face à ce livre dont je n’avais pas une grande mémoire, je n’ai pu que comprendre combien le regard de Jean Van Hamme pouvait se révéler à la fois visionnaire et subversif, politiquement incorrect en tout cas.

Visionnaire, oui…

Ne nous y parlait-il pas d’une « carte universelle », comprenant toutes les données individuelles de son possesseur ?

Ne nous décrivait-il pas une société occidentale dans laquelle les libertés individuelles n’existent plus ?

Ne nous y montrait-il l pas un monde dans lequel le pouvoir, absolu, est aussi, surtout peut-être, sanitaire ? La santé des citoyens, dans le monde dont nous parle Van Hamme, est éminemment politique ! Comme le disait un politicien bruxellois il y a quelque temps, il s’agit, dans le monde politique que Van Hamme nous montre, de faire le bonheur des gens même contre eux !

S.O.S. Bonheur © Dupuis

« S.O.S. Bonheur », ce n’était pas de la science-fiction, c’était de l’anticipation, de la meilleure veine, comme chez Asimov, Andrevon ou Bradubury avec son « Fahrenheit 451 ».

« S.O.S. Bonheurs », c’est de la toute grande bande dessinée, essentielle, importante, aujourd’hui plus que jamais sans doute. Et c’est à la fois la preuve du talent de raconteur d’histoires de Van Hamme et de sa qualité humaniste quand il réussit à s’écarter des seules recettes qu’il a (trop) largement utilisées depuis…

Jacques Schraûwen

S.O.S. Bonheur (dessin : Griffo – scénario : Van Hamme – éditeur : Dupuis – six tomes réédités en intégrales)

Deux séries à succès, deux suites attendues

Deux séries à succès, deux suites attendues

L’Histoire, avec un H majuscule, est au centre de ces deux séries passionnantes, passionnelles même. Voici l’occasion de redécouvrir deux héros incontournables de la bande dessinée de ces quinze dernières années !

Le Scorpion : 13. Tamose L’Egyptien

(dessin : Luigi Critone – scénario : Stephen Desberg – éditeur : Dargaud – novembre 2020 – 48 pages)
Scorpion 13 © Dargaud

Enrico Marini laisse la place à Luigi Critone pour cette suite des aventures d’un aventurier hors du commun. Le Scorpion, c’est un archéologue en une époque où cette « profession » demandait bien des appuis, bien des talents de bretteur aussi. Et, au 18ème siècle, Armando Catalone, surnommé le Scorpion, ne manque ni des uns ni de l’autre. Et il a vécu, dans les douze tomes précédents, des moments difficiles, amoureux, mortels, des vengeances et des fuites, des richesses et des pauvretés que je ne vous résumerai pas !

Je ne dirais pas que ce nouvel opus recommence de zéro, bien entendu. Mais il peut se lire sans que l’on se sente obligé de se replonger dans le passé de ce personnage qu’on retrouve, ici, à Istambul, et puis à Alexandrie.

Scorpion 13 © Dargaud

Comme toujours avec Stephen Desberg, les ressorts narratifs filent un peu dans tous les sens. On parle, dans cet album, du grand exode du peuple juif, des pharaons égyptiens, d’un nom qu’on ne peut pas prononcer, de l’empire russe prêt à fondre sur l’empire ottoman. On y parle aussi, et surtout peut-être, d’une femme aimée par le Scorpion, qui aurait mis au monde son enfant, et qu’il cherche à retrouver, le tout avec des assassinats, des empoisonnements, des errances, des interrogations toujours sans réponses. Avec un superbe méchant, Golam (un nom qui en rappelle un autre, cher à Gustav Meyrinck), un cosaque albinos portant en insigne l’étoile de David.

Comme toujours aussi avec Stephen Desberg, les femmes forment, même sans en avoir l’air, le moteur premier de sa narration. Ces femmes dans les bras desquelles « le désir danse avec la souffrance, la passion avec le sacrifice », ces femmes qui, peut-être, ne sont esclaves que de leur plein gré !

Scorpion 13 © Dargaud

Le dessin de Critone ne remplace pas celui de Marini, c’est une évidence. Il ne cherche pas, d’ailleurs, à l’imiter mais, bien plus, à s’en inspirer. Son talent est indéniable, et il le prouve avec une belle présence graphique quant aux décors. Ses couleurs peuvent sembler plus faibles que celles de Marini, mais elles possèdent une vraie luminosité qui permet de décrire, de l’intérieur, les ambiances de Cracovie ou d’Istanbul !

Une belle réussite que ce premier album pour une histoire qui sera vécue en deux tomes.

Murena : Chapitre Onzième – Lemuria

(dessin : Theo Caneshi – scénario : Jean Dufaux – couleurs : Lorenzo Pieri – éditeur : Dargaud – novembre 2020 – 55 pages)
Murena 11 © Dargaud

Cela fait trois ans qu’on avait laissé Lucius Murena, accusé d’avoir fomenté un complot contre l’empereur Néron, en fuite, moralement blessé, et soumis à des forces qu’il ne comprenait plus vraiment.

Au contraire du Scorpion, qui se construit comme une saga, Murena prend réellement la forme d’un roman, chaque épisode, d’ailleurs, s’intitulant « chapitre ». C’est dire qu’il y a dans cette série un vrai besoin, pour son scénariste, de peaufiner ses mots, leur rythme, d’en faire un contrepoint essentiel au dessin. Il ne s’agit pas d’une construction en miroir, texte face au dessin, mais de deux constructions différentes qui cohabitent et se complètent sans jamais vraiment s’illustrer l’une l’autre.

Murena 11 © Dargaud

Au contraire du Scorpion, également, il n’est pas inutile de se replonger, ne fut-ce qu’un peu, dans les chapitres précédents pour pouvoir s’immerger pleinement, sans dépit, dans ce nouvel album.

Murena est dans un lieu de villégiature, réduit à l’état d’objet sexuel par Lemuria, une femme qui l’a drogué. Il n’a plus ni mémoire ni même de notion ce qui il est. Mais ce qu’il possède encore, c’est la force de vouloir ne pas dépendre de ce qu’il ne peut appréhender. Et c’est ainsi qu’il va prendre le chemin de Rome, et, peu à peu, en même temps que le lecteur, retrouver les traces de ce qu’il fut.

L’oubli est d’abord mortifère. L’humanité lui permet de créer une neuve survivance, au futur comme au passé.

Jean Dufaux, le scénariste, ses replonge avec presque de la mélancolie dans la vie de son héros emblématique. On sent qu’il a peut-être bien voulu en arrêter l’histoire, mais que Murena lui-même s’est imposé pour qu’on ne l’oublie pas ! Pour que son créateur de le renie pas !…

Cet épisode est celui de la mémoire, une mémoire blessée, trahie. Une mémoire en absence qui pousse Murena à se poser la question de savoir s’il est encore capable d’échapper à sa propre folie.

Cet épisode est aussi celui des illusions et de leurs réalités, les illusions de l’amitié, du pouvoir, de l’amour, de la poésie, de lé création, des divinités…

Mais Murena est et reste une série véritablement passionnée, échevelée, avec ses complots, ses jeux de sexe et de violence, ses survies et ses éblouissements, ses bas-fonds et ses meurtres silencieux.

Murena, c’est une série historique, avec des références fouillées, mais une série qui privilégie l’action à la didactique.

Murena 11 © Dargaud

Et pour ce faire, le dessin de Philippe Delaby était, incontestablement, le vecteur parfait, idéal même !

La tâche de Theo n’est donc pas évidente, lui qui a repris le personnage de Murena depuis deux albums maintenant. Et il réussit, dans ce livre-ci, à sortir quelque peu de l’influence de Delaby, de sa présence ai-je envie de dire. Avec un traitement de l’image qui utilise les gros plans et les perspectives cinématographique comme éléments de rythme en chaque planche, il ne trahit en rien Delaby, mais il le continue en devenant lui-même, en faisant état de ses propres talents, de ses propres manières de traiter les regards, les bouches aussi, les paysages surtout.

Murena, c’est le souffle épique de l’Histoire de la Rome antique… Et c’est une série à succès qui mérite amplement de l’être !

Jacques Schraûwen