Deux séries à succès, deux suites attendues

Deux séries à succès, deux suites attendues

L’Histoire, avec un H majuscule, est au centre de ces deux séries passionnantes, passionnelles même. Voici l’occasion de redécouvrir deux héros incontournables de la bande dessinée de ces quinze dernières années !

Le Scorpion : 13. Tamose L’Egyptien

(dessin : Luigi Critone – scénario : Stephen Desberg – éditeur : Dargaud – novembre 2020 – 48 pages)
Scorpion 13 © Dargaud

Enrico Marini laisse la place à Luigi Critone pour cette suite des aventures d’un aventurier hors du commun. Le Scorpion, c’est un archéologue en une époque où cette « profession » demandait bien des appuis, bien des talents de bretteur aussi. Et, au 18ème siècle, Armando Catalone, surnommé le Scorpion, ne manque ni des uns ni de l’autre. Et il a vécu, dans les douze tomes précédents, des moments difficiles, amoureux, mortels, des vengeances et des fuites, des richesses et des pauvretés que je ne vous résumerai pas !

Je ne dirais pas que ce nouvel opus recommence de zéro, bien entendu. Mais il peut se lire sans que l’on se sente obligé de se replonger dans le passé de ce personnage qu’on retrouve, ici, à Istambul, et puis à Alexandrie.

Scorpion 13 © Dargaud

Comme toujours avec Stephen Desberg, les ressorts narratifs filent un peu dans tous les sens. On parle, dans cet album, du grand exode du peuple juif, des pharaons égyptiens, d’un nom qu’on ne peut pas prononcer, de l’empire russe prêt à fondre sur l’empire ottoman. On y parle aussi, et surtout peut-être, d’une femme aimée par le Scorpion, qui aurait mis au monde son enfant, et qu’il cherche à retrouver, le tout avec des assassinats, des empoisonnements, des errances, des interrogations toujours sans réponses. Avec un superbe méchant, Golam (un nom qui en rappelle un autre, cher à Gustav Meyrinck), un cosaque albinos portant en insigne l’étoile de David.

Comme toujours aussi avec Stephen Desberg, les femmes forment, même sans en avoir l’air, le moteur premier de sa narration. Ces femmes dans les bras desquelles « le désir danse avec la souffrance, la passion avec le sacrifice », ces femmes qui, peut-être, ne sont esclaves que de leur plein gré !

Scorpion 13 © Dargaud

Le dessin de Critone ne remplace pas celui de Marini, c’est une évidence. Il ne cherche pas, d’ailleurs, à l’imiter mais, bien plus, à s’en inspirer. Son talent est indéniable, et il le prouve avec une belle présence graphique quant aux décors. Ses couleurs peuvent sembler plus faibles que celles de Marini, mais elles possèdent une vraie luminosité qui permet de décrire, de l’intérieur, les ambiances de Cracovie ou d’Istanbul !

Une belle réussite que ce premier album pour une histoire qui sera vécue en deux tomes.

Murena : Chapitre Onzième – Lemuria

(dessin : Theo Caneshi – scénario : Jean Dufaux – couleurs : Lorenzo Pieri – éditeur : Dargaud – novembre 2020 – 55 pages)
Murena 11 © Dargaud

Cela fait trois ans qu’on avait laissé Lucius Murena, accusé d’avoir fomenté un complot contre l’empereur Néron, en fuite, moralement blessé, et soumis à des forces qu’il ne comprenait plus vraiment.

Au contraire du Scorpion, qui se construit comme une saga, Murena prend réellement la forme d’un roman, chaque épisode, d’ailleurs, s’intitulant « chapitre ». C’est dire qu’il y a dans cette série un vrai besoin, pour son scénariste, de peaufiner ses mots, leur rythme, d’en faire un contrepoint essentiel au dessin. Il ne s’agit pas d’une construction en miroir, texte face au dessin, mais de deux constructions différentes qui cohabitent et se complètent sans jamais vraiment s’illustrer l’une l’autre.

Murena 11 © Dargaud

Au contraire du Scorpion, également, il n’est pas inutile de se replonger, ne fut-ce qu’un peu, dans les chapitres précédents pour pouvoir s’immerger pleinement, sans dépit, dans ce nouvel album.

Murena est dans un lieu de villégiature, réduit à l’état d’objet sexuel par Lemuria, une femme qui l’a drogué. Il n’a plus ni mémoire ni même de notion ce qui il est. Mais ce qu’il possède encore, c’est la force de vouloir ne pas dépendre de ce qu’il ne peut appréhender. Et c’est ainsi qu’il va prendre le chemin de Rome, et, peu à peu, en même temps que le lecteur, retrouver les traces de ce qu’il fut.

L’oubli est d’abord mortifère. L’humanité lui permet de créer une neuve survivance, au futur comme au passé.

Jean Dufaux, le scénariste, ses replonge avec presque de la mélancolie dans la vie de son héros emblématique. On sent qu’il a peut-être bien voulu en arrêter l’histoire, mais que Murena lui-même s’est imposé pour qu’on ne l’oublie pas ! Pour que son créateur de le renie pas !…

Cet épisode est celui de la mémoire, une mémoire blessée, trahie. Une mémoire en absence qui pousse Murena à se poser la question de savoir s’il est encore capable d’échapper à sa propre folie.

Cet épisode est aussi celui des illusions et de leurs réalités, les illusions de l’amitié, du pouvoir, de l’amour, de la poésie, de lé création, des divinités…

Mais Murena est et reste une série véritablement passionnée, échevelée, avec ses complots, ses jeux de sexe et de violence, ses survies et ses éblouissements, ses bas-fonds et ses meurtres silencieux.

Murena, c’est une série historique, avec des références fouillées, mais une série qui privilégie l’action à la didactique.

Murena 11 © Dargaud

Et pour ce faire, le dessin de Philippe Delaby était, incontestablement, le vecteur parfait, idéal même !

La tâche de Theo n’est donc pas évidente, lui qui a repris le personnage de Murena depuis deux albums maintenant. Et il réussit, dans ce livre-ci, à sortir quelque peu de l’influence de Delaby, de sa présence ai-je envie de dire. Avec un traitement de l’image qui utilise les gros plans et les perspectives cinématographique comme éléments de rythme en chaque planche, il ne trahit en rien Delaby, mais il le continue en devenant lui-même, en faisant état de ses propres talents, de ses propres manières de traiter les regards, les bouches aussi, les paysages surtout.

Murena, c’est le souffle épique de l’Histoire de la Rome antique… Et c’est une série à succès qui mérite amplement de l’être !

Jacques Schraûwen

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait

Vais-je sacrifier à cet engouement pour les chats que les réseaux sociaux cultivent ? Oui, sans doute. Mais pas seulement. Je vous invite, calmement, à vous plonger dans un manga simple, intelligent, émouvant, souriant. Comme devrait l’être la vie !

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait © Casterman

Tout se passe dans une petite île japonaise, perdue loin de tout. Mais il y a un petit restaurant, il y a un médecin, un facteur, quelques enfants. Et, surtout, des « vieux », des hommes et des femmes qui, face à la mer, vivent tranquillement leurs fins d’existence. Parmi eux, le « vieil homme », un ancien professeur. Hédoniste, à sa manière, cultivant les souvenirs d’une épouse défunte qu’il n’a pas assez regardée, écoutée, peut-être aimée. Mais ne vivant pas dans la souvenance, tout au contraire, cherchant sans cesse, et tranquillement, à faire de son quotidien, des saisons qui passent, les jalons de joies simples, éphémères sans doute, mais essentielles…

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait © Casterman

Il ne s’agit pas de solitude, d’ailleurs, que du contraire.

Les vieux de cette île n’ont pas besoin de la virtualité que les jeunes vénèrent. Ils sont entre eux, ils se connaissent, s’amusent, se rencontrent et mangent ensemble les poissons péchés à deux pas de leur porte.

C’est d’ailleurs une constante dans les mangas de qualité : la présence, presque comme un élément primordial du décor, de la nourriture, du repas préparé et savouré, de préférence à plusieurs.

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait © Casterman

Et puis, cette île n’est pas seulement celle des vieilles personnes. Elle est aussi celle des chats, et celui du héros, Tama, tout en rondeurs, est d’une humanité réelle… Ces chats, de miaulement en miaulement, dialoguent entre eux, et, ce faisant, nouent des liens affectifs réels et importants avec ces humains bizarres qui se pensent être leurs maîtres et qui ne sont, en fait, que les amis que eux, félins, ont choisis ! Il y a dans l’observation de ces chats une justesse de ton rare en bd comme en littérature.

Dans cet album, c’est le rythme des saisons et des gestes du quotidien qui forme le rythme et la trame de petits récits tout en simplicité, et tous, surtout, attachants.

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait © Casterman

Nekomaki, l’auteur de ce livre (ils sont deux, en fait), ne cherche pas à éblouir, mais à séduire, tout simplement, à nous faire aimer ces vieillards qui, heureux, nous font penser à ceux que nous deviendrons toutes et tous. Pour ce faire, il n’use d’aucuns des codes habituels et bien trop stéréotypés à mon avis des mangas qui se multiplient dans nos librairies.

N’allez pas croire cependant que son dessin est simpliste. Il est simple, dans le meilleur sens du terme, immédiat. Il est simple, oui, comme le sont aussi les couleurs de ce petit livre réjouissant.

La simplicité, c’est celle des sentiments humains, c’est celle de la vie et de ses âges, c’est celle des rencontres entre les générations, c’est celle de l’animal qui domestique, sans lutte, l’être humain.

Ce livre, cette série plutôt, qui en est à son quatrième tome, est émouvante, attachante, souriante, intelligente, plus proche heureusement de Kawabata que de Dragon Ball…

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait © Casterman

Un manga, cela se lit vite…

Ce « vieil homme et son chat », lui, se savoure, le sourire aux lèvres, et la mémoire, en le lisant, n’hésite pas à prendre le temps de se plonger dans l’âme de ce que nous sommes, celle de nos passés…

Jacques Schraûwen

Le Vieil Homme et son Chat boivent du petit lait (auteur(s) : Nekomaki – éditeur : Casterman – 174 pages – juillet 2020)

Zélie la pirate : chapitre 1

Zélie la pirate : chapitre 1

Un cadeau à faire !

Un livre-disque pour enfants, « à l’ancienne » ! Un premier chapitre qui met en place des personnages qui ont tous un beau relief ! Une vraie réussite !!!

Zélie la pirate 1 © Baboo Music

Les plus anciens se souviennent de ces disques vinyles pour enfants qui étaient en même temps des livres illustrés, souvent des « Disney », de petit format… On écoutait l’histoire, on la suivait en tournant les pages. Sans télé, sans consoles, on s’enfouissait dans des mondes nouveaux, toujours renouvelés, ceux de l’imaginaire. Ceux de l’enfance…

« Zélie la pirate », c’est donc une sorte de retour aux sources des âges premiers de l’existence, ces âges qui ont le besoin de pouvoir rêver, de pouvoir s’inventer sans cesse, de pouvoir s’émerveiller.

Zélie la pirate 1 © Baboo Music

Bien sûr, n’oublions pas « Emilie Jolie », l’espèce de symphonie de l’époustouflant Philippe Chatel, ni, plus récemment, « Le soldat rose ». Mais il s’agissait là, dès le départ, de contes pour enfants imaginés comme des spectacles.

Avec Zélie, tel n’est pas le cas.

C’est un livre, un livre audio, avec une histoire construite, avec des chansons, mais surtout avec une aventure, une vraie, à taille d’enfance !

Zélie, c’est une adolescente qui, du haut de ses quinze ans, vit dans une famille décomposée. D’un côté, sa mère, commerçante tranquille. De l’autre, son père, Pirate de haute volée. Elle passe la moitié de son temps chez l’un, l’autre moitié chez l’autre, et ses préférences vont, incontestablement, à l’univers marin de son père, le capitaine Mac Pherson. Mais ce père ne veut pas que sa fille suive le même chemin que lui, et il la confie, loin des combats possibles, à un homme d’équipage, Barbemolle, et à un perroquet géant, Hashtag.

Zélie la pirate 1 © Baboo Music

Vous voyez, tous les ingrédients d’une bonne histoire de pirates sont en place. Il n’y manque qu’un méchant, qui va prendre les traits de Charles de la Mare de l’Etang Sec, second du capitaine.

Dès lors, il va y avoir kidnapping du perroquet, explication du secret de navigation du père de Zélie, et, bien évidemment, combat à l’épée qui va prouver que Zélie a tout pour être une grande pirate et prendre le relais de son père, très bientôt ! Il va y avoir aussi le premier amour de Zélie, sa première déchirure amoureuse, également, et la découverte des papillons dans la tête et de l’horreur de la trahison, et la conscience que la vie se doit de dépasser les seules apparences…

Zélie la pirate 1 © Baboo Music

Ce conte musical et écrit est le fait de quatre personnes, de quatre complices : Aurélie Cabrel, Esthen Dehut, Bruno Garcia, et Olivier Daguerre.

C’est vraiment toute une équipe qui est aux commandes de ce livre-disque, dans sa conception comme dans sa réalisation, avec des musiciens talentueux. C’est vrai qu’on s’attarde surtout, quand on parle de cette pirate Zélie, sur une des auteurs : Aurélie Cabrel. Mais c’est une erreur… Certes, il s’agit de la fille de Francis Cabrel (qui signe une courte préface et gratte un peu de la guitare dans le disque), mais ce livre ne doit rien à cette filiation médiatisée.

C’est un excellent livre-disque, un récit linéaire avec un beau lot d’action et de bons sentiments, avec des chansons bien écrites, littérairement et musicalement, avec des illustrations souriantes et superbement colorées, qu’on doit à Guylaine Lafleur et Aurélie Cabrel. Et j’aime assez la voix de la chanteuse, Nathalie Delattre, qui a un timbre rieur proche de celui de Sabine Paturel.

Zélie la pirate 1 © Baboo Music

N’hésitez pas, donc, à offrir ce livre à vos enfants et petits-enfants, à le lire et l’écouter en leur compagnie, devant un poste de télé éteint… En attendant que paraisse le deuxième chapitre d’une bien belle découverte !

Et n’hésitez pas non plus à aller voir la « bande de lancement de cet audio-livre plus que souriant !

Zélie la pirate 1 © Baboo Music

Jacques Schraûwen

Zélie la pirate : chapitre 1 (auteurs : Aurélie Cabrel, Esthen Dehut, Bruno Garcia, et Olivier Daguerre – éditeur : Baboo Music)