Yakari : de la bande dessinée au cinéma

Yakari : de la bande dessinée au cinéma

C’est à partir de ce 12 août que vous allez pouvoir, en famille, aller voir le film Yakari, particulièrement bien réussi !… A découvrir dans une interview en vidéo visible dans cette chronique !

Yakari © Cinéart

Derib est un dessinateur suisse qui appartient au renouveau thématique de la bande dessinée, dès les années 70. Avec, tout d’abord, deux séries destinées plus spécifiquement à un jeune public : Attila, d’une part, scénarisé par Rosy, et Yakari d’autre part, scénarisé par Job. Dans les années 70, il va se lancer dans une série qui, très vite, va devenir essentielle dans l’histoire du neuvième art, dans celle du récit western également : Buddy Longway. Avec, dans le journal Tintin, une scène d’amour mythique entre Buddy et Chinook… Une scène qui, à l’époque, fut redessinée par Eddy Paape…

Derib, copyright Cinéart

Au fil des années, Derib a dessiné bien d’autres héros, de «Arnaud de Casteloup » à « Go West », de « Tu seras reine » à « Jo », de « Pythagore » à « Red road ».

Mais cet auteur éclectique, capable tout autant de parler de Sida que de culture peau-rouge, d’une vache que d’un poulain, n’a jamais délaissé ses deux séries phares, Buddy Longway, jusqu’à ce qu’il décide lui-même de terminer cette série définitivement, comme dans la vraie vie, en 2006, et Yakari. Deux séries dans lesquelles Derib se plonge dans une culture, celle des Indiens d’Amérique du nord, loin des clichés, de quelque ordre qu’ils soient.

Yakari © Cinéart

Yakari en est à une quarantaine d’albums, à un jeu vidéo, à des adaptations télévisées plus ou moins réussies aussi. Et il a droit aujourd’hui à un long métrage.

Au vu de pas mal de films adaptés de bd de ces dernières années (non, je ne citerai personne…), on pouvait avoir peur de cette adaptation-ci. Mais il n’en est rien, que du contraire, tout l’esprit de la série dessinée se retrouve sur grand écran, avec une image lumineuse qui ne trahit en rien le dessin de Derib, avec un scénario qui s’inspire réellement des aventures vécues par le petit indien depuis 1969…

Ce film nous raconte une aventure, celle vécue par Yakari, un petit Sioux, et de son cheval, Petit Tonnerre, celle du pouvoir de ce gamin de parler avec les animaux, celle de la rencontre avec de terribles chasseurs. Ce film, c’est à la fois le récit d’une quête initiatique et la description d’une enfance capable de n’avoir aucun préjugé et d’aimer la nature pour ce qu’elle est : vivante, passionnée, passionnante…

Yakari © Cinéart

Loin des mièvreries trop souvent présentes dans les films dits pour enfants, loin de la trahison quelque peu débilisante de bien des films inspirés par des bandes dessinées, ce Yakari est une excellente surprise, graphiquement et scénaristiquement. Un vrai film familial, oui, qui nous parle aussi des enfants que nous avons étés un jour… Une première vision de ce film eut lieu , avec une interview de Derib que j’ai eu le plaisir de faire…

copyright Fabien Van Eeckhaut/UGC

Jacques Schraûwen

Sacrées Sorcières

Sacrées Sorcières

Une adaptation totalement réussie d’un livre de l’immense Roald Dahl

Pénélope Bagieu, l’auteure de ce livre, aime les défis… Elle aime aussi les personnages féminins hors normes. Et, avec ces « Sorcières », elle affirme encore un peu plus un talent moderne qui apporte un souffle neuf dans le monde du neuvième art.

Sacrées Sorcières © Gallimard

Je ne pense pas, personnellement, qu’il y a une « bande dessinée » féminine. Je suis plutôt convaincu qu’il y a de la bonne et de la mauvaise bd. Qu’il y a des livres qui cherchent à innover ou à affirmer une vraie personnalité d’auteur(e) et d’autres qui se contentent de suivre les modes avec plus ou moins de talent et de réussite. Cela dit, avec Bretécher, Goetzinger, Catel, et bien d’autres, Pénélope Bagieu s’affirme véritablement comme une artiste capable, à chaque livre, de nous étonner, de se surprendre elle-même aussi, dans doute.

Et c’est bien le cas avec ce livre-ci… Roald Dahl est un de ces rares auteurs dont les livres, destinés à ce qu’on appelle un jeune public, refusent toute mièvrerie, osent un « fantastique » qui n’hésite pas à mettre en scène la peur, l’angoisse, et donc la vie dans toutes ses perspectives. De ce fait, ses romans sont tous des petits bijoux d’intelligence, de narration, et qui plaisent autant aux enfants qu’aux parents, sans marketing, rien que par la grâce d’un talent littéraire exceptionnel.

S’attaquer donc à une adaptation d’un de ses romans ne peut être une sinécure. C’est même, avouons-le, un véritable défi que de vouloir transposer graphiquement un langage écrit qui, déjà, est particulièrement imagé puisque nourri d’imaginaire… Et ce défi-là, Pénélope Bagieu s’y plonge avec délice, avec une réussite sans contestation !

La trame du récit qu’elle nous livre, un récit dans lequel les mots mêmes de Dahl se retrouvent ici et là, est à la fois simple et linéaire, comme dans toutes les œuvres de l’écrivain. Dans notre monde, il y a des sorcières, qu’on ne reconnaît qu’à des signes très particuliers : elles portent des gants, des perruques, leurs sourires ont le reflet des myrtilles, entre autres. Leur but est simple : anéantir les enfants, ces êtres qui les font vomir, qui les répugnent, qu’elles haïssent profondément…

Voilà ce que Mamie explique à son petit-fils, orphelin dont elle s’occupe.

Sacrées Sorcières © Gallimard

Cette Mamie n’a rien d’une grand-mère politiquement correcte, loin s’en faut ! Elle fume, aime jouer au casino, ne se préoccupe pas vraiment de sa santé, mais elle adore son petit fils qu’elle n’appelle que par des noms tendres, des petits noms d’animaux, surtout.

Les personnages sont en place, l’histoire peut commencer… Le gamin découvre une bonne centaine de sorcières, dans l’hôtel de villégiature où ils passent quelques jours, sa mamie et lui. Des sorcières qui ont trouvé un produit capable de transformer tous les enfants en souris. Et ils sont deux à subir cette transformation, une petite fille et lui. Deux à devoir se battre pour contrer le projet abominable des abominables sorcières.

Je ne vais pas vous raconter la suite de ce conte pour enfants et adultes…

Sacrées Sorcières © Gallimard

Vous y trouverez de l’émotion, des sourires, des personnages parfaitement bien typés, des dialogues vifs et sans fioritures mais totalement « vivants ».

Bien sûr c’est du Roald Dahl… Mais c’est aussi du Pénélope Bagieu, tant il est vrai qu’elle est parvenue à imprimer sa « patte » dans ce récit hors du commun.

Sacrées Sorcières © Gallimard

Son dessin, simple au premier regard, se révèle très vite, à la lecture, d’une extraordinaire efficacité. Certes, on pourrait penser qu’il s’agit là, par les expressions, par le jeu des décors, par les perspectives qui aiment à se montrer faussées, on pourrait croire qu’il n’y a là qu’un dessin dont le but est d’être d’un accès facile aux enfants qui vont le découvrir. Mais ce graphisme est bien plus que cela. Il exprime sans « effets spéciaux » faciles le rythme de l’imaginaire de Dahl… ce dessin n’accompagne pas l’écrivain, il le complète. Il ne cherche pas à édulcorer la narration, que du contraire, il lui donne vie, il lui donne corps, il lui donne peur, angoisse, mais aussi sourires, peine, tendresse.

Sacrées Sorcières © Gallimard

Tout en nous racontant une histoire improbable, donc totalement plausible, Pénélope Bagieu aborde, sans avoir l’air d’y toucher, les thèmes chers à l’écrivain dont elle s’est inspirée : la vie, la mort, les relations familiales, les amitiés, les différences de milieu social et d’intelligence, la tolérance, donc, et le besoin fondamental de l’être humain de lutter sans cesse pour ne rien perdre de sa capacité à s’émerveiller, donc à être libre…

Ne ratez pas ce livre ! Il est intelligent, non formaté, il est à lire, à faire lire, à offrir !

Jacques Schraûwen

Sacrées Sorcières (auteure : Pénélope Bagieu, d’après Roald Dahl – éditeur : Gallimard – 300 pages – mars 2020)

Sam

Sam

De la tendresse, de l’Histoire, de la tolérance dans un livre émouvant… A ne pas rater !!!

Certes, ce livre n’est pas sorti récemment. Mais il me semble important d’en parler, de permettre à tout un chacun de le découvrir. Parce que son sujet, tout simplement, celui de la mémoire qui permet au présent de ne pas oublier son passé, c’est un sujet véritablement d’actualité !

Sam © Editions Inanna

Sam est un gamin comme les autres, un adolescent qui vit au jour le jour ses émerveillements, ses fatigues, ses colères, ses petites révoltes.

IL vit avec sa mère et sa petite sœur et, de temps en temps, avec un père trop souvent absent pour des raisons professionnelles.

Sam est un gamin gentil, qui aime rendre service dans l’immeuble qui l’abrite. Rendre service, oui, mais pas à tout le monde… Pas à une vieille grincheuse qui n’est qu’acariâtre, pas à un voisin qui ne supporte pas les enfants qui jouent au ballon.

Sam © Editions Inanna

Sam a les yeux ouverts sur le monde qui l’entoure, un monde qu’il ne comprend pas toujours… Pourquoi ce couple, qui a l’air toujours triste, et dont le bébé est atteint d’une maladie rare ?…

Pourquoi ces indifférences de la part des adultes vis-à-vis de tout ce qui ne correspond pas à leurs convictions et à leurs habitudes ?

Pourquoi son ami « Boulazer » a-t-il toujours besoin de castagner pour répondre à ceux qui se moquent de ses cheveux roux ?

C’est avec cet ami que Sam fait l’apprentissage à la fois de l’amitié, la vraie, celle qui ne peut s’envisager que dans la durée, et à la fois à la tolérance, à la réalité de la « différence ».

Sam, tout compte fait, n’a rien qui le différencie des autres jeunes de son âge.

Ou, plutôt, il y a une chose qui le rend différent : la musique.

Sam © Editions Inanna

Il joue de la flûte. Mal, mais il en joue. Parce que sa mère le lui impose ?… Oui, certainement… Mais pas seulement ! Il joue de la flûte pour faire plaisir à un voisin, le vieux Josef, qui, lui, joue du violon, au grand dam de la vieille ronchon et des voisins tout en grisaille.

Le vieux Josef, un homme sans âge, à la barbe hirsute, au sourire discret. Un voisin toujours vêtu de vestes amples aux longues manches. Un violoniste dont les sons apportent à Sam des douceurs qui estompent ses propres grisailles quotidiennes.

Oui, Sam est un ado, un ado qui rêve à un futur qui le verra musclé, respecté et, surtout, tatoué, ce que sa mère ne veut absolument pas ! Un ado qui, tout compte fait, s’essaie à la flûte pour faire plaisir plutôt que pour SE faire plaisir.

Mais toute existence doit faire face, un jour ou l’autre, à l’inattendu, à la peur, à a peine, à l’émotion incontrôlable, au hasard.

Et cette faille dans la vie tout compte fait bien ordonnée de Sam, elle débute lorsque le vieux Josef est emmené d’urgence à l’hôpital.

Sam va le visiter… Et pendant que le vieillard est étendu dans son lit, le gamin s’aperçoit que cet homme porte un tatouage… Quelques chiffres sur le bras droit. Intrigué, Sam ne dit rien… Et c’est Josef lui-même qui lui fournit l’explication sur ce tatouage bizarre. Pas avec les mots, non ! Avec un cadeau… Un cadeau qui va bouleverser l’existence de Sam, sans même qu’il s’en rende compte, un cadeau qui va l’obliger à comprendre que le passé construit le présent, un cadeau qui va lui ouvrir les yeux, l’esprit, et la curiosité, un cadeau fait d’images : un album de bandes dessinées, l’extraordinaire et indispensable MAUS, de Art Spiegelman.

Sam va découvrir l’horreur des camps de concentration et l’inacceptable de la haine grâce à ce livre, grâce à Josef qui, lentement, va s’éteindre, selon l’expression consacrée, et avec lui s’éteindront son inquiétude et sa souffrance.

Sam va se découvrir lui-même, se trouver un avenir à construire, se trouver, surtout, une attitude qui jamais ne trahira son enfance et ses émerveillements, son adolescence et ses fulgurances. Sa vie et ses amitiés…

Sam © Editions Inanna

Ce que j’ai énormément apprécié, dans ce livre, c’est sa simplicité. Dans le dessin comme dans les mots. C’est un livre qui se lit vite, qui se lit bien, c’est un livre tout en douceur, tout en intelligence, tout en « regards » ai-je envie de dire. Un livre véritablement humaniste, important, donc, en ces jours où se déshumanisent de plus en plus notre monde et ses idéologies…

Tout est en retenue dans le texte de Pierre Desbughes, tout est conjugué en noir, en blanc, en gris et en jaune dans le dessin de Ben Caillous. Le découpage joue avec les gros plans, avec les perspectives, ce qui rend le graphisme presque expressionniste, en tout cas totalement expressif.

Cela fait bien longtemps, croyez-moi, que je n’ai plus été aussi ému par un livre. Prenez le temps de le découvrir, prenez le temps de le commander chez votre libraire, ou sur internet, où on le trouve assez facilement… Loin des sentiers battus de l’édition bd, ce « SAM » est un petit bijou ensoleillé…

Jacques Schraûwen

Sam (dessin : Ben Caillous – scénario : Pierre Desbughes – éditions Inanna – 46 pages – juin 2019)