13ème Avenue : Tome 1

13ème Avenue : Tome 1

Une bd à lire avec l’accent du Québec !

Le quotidien d’une enfance qui devrait n’être que grisaille et qui s’éveille à l’émotion… et au mystère !

13ème avenue
13ème avenue © la Pastèque

La première identité qu’un être humain peut revendiquer, c’est sans doute sa langue… Cet outil de communication qu’on apprend dès la naissance, peu à peu, et qui marque la pensée autant que l’attitude et les caractéristiques de la bouche et du visage, souvent. La langue française, ainsi, se décline de bien des manières différentes à travers le monde. Et c’est l’accent qui, dès lors, se fait le vecteur de la spécificité d’une région, d’un pays.

Et c’est le premier plaisir ressenti à la lecture de ce livre, un plaisir presque auditif, celui d’entendre, en lisant les bulles, l’accent d’un pays à part entière, un pays dans lequel la langue française est et reste un objet de combat quotidien.

13ème avenue
13ème avenue © la Pastèque

Le deuxième plaisir ressenti à la lecture de ce livre, c’est, justement, la relation quotidienne qu’il nous fait d’une existence ancrée dans la réalité et, à première vue, la normalité.

Nous sommes en présence d’une famille normale, oui. Qui vit à Saguenay, au Nord de Québec. Alexis, du haut de ses douze ans, a les occupations d’un enfant comme tous les enfants. Jusqu’au jour où son père, électricien, meurt dans un accident professionnel. 

Incapable de continuer à vivre dans la maison qui fut la sienne, la mère d’Alexis emmène son fils et va s’installer à Montréal. Une grande ville dans laquelle le jeune garçon va devoir apprendre à vivre avec sa peine dans un environnement dont il ne connaît rien.

13ème avenue
13ème avenue © la Pastèque

Mais dans le quartier où Alexis et sa maman s’installent, le jeune garçon trouve vite des centres d’intérêt, et de la compagnie. Ainsi, il se lie d’amitié avec Ernest, un garçon qui vit dans l’appartement au-dessus de chez lui, un appartement dans lequel il n’y a pas grand-chose à part des tas de livre et un poster de David Bowie. Et une odeur de brûlé…

Il se lie aussi avec des enfants de son nouveau quartier, dont la jolie Alice.

Ce livre est un portrait multiple, celui d’Alexis, celui de son mystérieux ami, Ernest, celui d’Alice… Le portrait, également, du quotidien d’un gamin au Québec, avec la nourriture, les accents changeants et chantants, les animaux domestiques, et l’éveil amoureux. Et le portrait d’un deuil, et celui du regard de l’enfance posé sur le monde des adultes…

Ce livre nous raconte l’histoire d’une amitié hors normes entre un gamin vivant et un être qui n’est peut-être qu’un fantôme !

Fantastique, ésotérisme et onirisme deviennent ainsi, progressivement, les vrais moteurs de ce récit.

13ème avenue
13ème avenue © la Pastèque

Le scénario se construit essentiellement par les dialogues. Des dialogues qui, je le reconnais de bonne grâce, demandent au lecteur francophone européen une certaine attention pour être tous compris. La langue utilisée dans ce livre, le français d’outre-Atlantique, est une langue merveilleusement imagée, une langue dans laquelle les raccourcis sont nombreux.

Quant au dessin, en blancs, noirs et gris, il est d’évidence inspiré par le graphisme américain. Pas celui des comics  » tonitruants « , mais bien plus celui issu de ce que fut l’underground des années 70 et 80. Un trait simple, des contours extrêmement présents, des décors qui prennent peu de place. Et l’utilisation, surprenante dans un premier temps, envoûtante ensuite, du  » flou  » pour certaines scènes, ou pour certains détails graphiques.

Entré dans ce livre un peu pour passer le temps, j’ai été très vite surpris par son rythme, par son contenu, par la montée lente mais parfaitement mise en scène d’une certaine tension. D’une tension certaine, mais vécue à hauteur de regard d’enfance…

C’est un livre à l’accent du Québec… C’est un livre universel, de par son propos de base : un enfant qui grandit et pour qui la douleur et la peine deviennent des chemins de liberté et de découverte.

C’est, et je le dis bien haut, un livre dont j’attends la suite avec impatience ! A commander chez votre libraire !

Jacques Schraûwen

13ème Avenue : Tome 1 (dessin : François Vigneault – scénario : Geneviève Pettersen – éditeur : les éditions de la Pastèque)

Zaroff

Zaroff

Un personnage sombre, cruel, fidèle à la nouvelle qui lui a donné vie !

Zaroff © Le Lombard

C’est en 1924 que le Comte Zaroff a vu le jour, dans une nouvelle de Richard Connell. C’est en 1932 que ses chasses ont fait l’objet d’un film. Et voilà aujourd’hui ce tueur impitoyable au centre d’une bd aux accents violents…

Zaroff © Le Lombard

1932… Le général Zaroff cultive sa nostalgie de la grande Russie dans une île au large des côtes du continent américain. Entouré de quelques fidèles et de ses chiens, il passe le temps avec une sorte de noblesse détachée. Il passe le temps, surtout, en assouvissant le plus souvent possible ses talents de chasseur, ses besoins pervers de traquer des proies particulières. Des proies humaines…

Dans cet album, ce personnage pratiquement psychopathe n’est pas à l’image de ce que le film en a fait dans les années trente. Pour Sylvain Runberg et François Miville-Deschênes, les deux auteurs de ce livre, il s’agissait, d’abord et avant tout, de revenir aux sources originelles de cet anti-héros, tueur en série pour le plaisir de faire et de voir souffrir son humain gibier.

François Miville-Deschênes: revenir aux origines
Zaroff © Le Lombard

L’alchimie qui permet à un album bd de « sortir du lot » est indéfinissable, bien entendu. Certains éléments, par contre, sont importants pour que tel soit le cas. Et parmi ceux-ci, il en est un, essentiel : la création d’un ou de plusieurs personnages, caractères même, attachants pour de bonnes ou mauvaises raisons !

Et il ne fait aucun doute que la stature de Zaroff en fait un axe central puissant, intéressant. Et formidablement ambigu, également !

Ce qui est étonnant, dans ce livre, d’ailleurs, c’est qu’il n’y a pratiquement que des « méchants »… Ce sont eux, en tout cas, qui construisent l’action, qui créent la narration: Zaroff, bien sûr, mais aussi un des hommes qu’il tue, dès les premières pages et qui s’avère être un mafieux notoire, et, enfin, la fille de ce mafieux, la belle Fiona.

Au début du livre, on voit Zaroff plonger dans une sorte de dépression, à la suite d’un échec dans une de ses chasses. Ensuite, à l’arrivée de Fiona, tous ses instincts se réveillent. Mais du fait même de son ambiguïté, on ne saura jamais vraiment s’il prend la défense de sa famille, menacée par Fiona et sa bande, ou par goût du défi et par plaisir de la chasse !

François Miville-Deschênes: les méchants
François Miville-Deschênes: par défi ou pour la famille?
Zaroff © Le Lombard

La totalité de ce récit, ou presque, se vit (et se meurt…) dans la jungle. Pour rythmer l’action, il a fallu aux deux auteurs un sens aigu du dialogue, avec des mots qui, d’une certaine manière, s’échappent de la moiteur et de l’horreur pour tisser quelques ponts entre hier, cette dictature de la terreur incarnée par Zaroff, et le monde d’aujourd’hui. C’est que Zaroff, noble russe, est un être extrêmement cultivé. Et c’est peut-être cette culture, et son amour pour les écrits de Marc-Aurèle, qui, justement, nous le rendent intéressant à défaut d’être sympathique.

Ce qui m’a frappé aussi, dans ce livre, c’est la présence des animaux. Compagnons de la jungle, certes, mais aussi compagnons de l’homme, de Zaroff, allant de la fidélité à la haine, et toujours nourris de cruauté, celle de l’homme ou celle de la nature et de ses lois immuables. Il y a les chiens et les jaguars, superbement dessinés, et les crocodiles. Ils participent tous à la haine et à la cruauté qui forment véritablement la trame de fond de ce récit. Il y a la vie, il y a la mort…

François Miville-Deschênes: les animaux
Zaroff © Le Lombard

Trois narrations, en fait, construisent cet album. Il y a le scénario lui-même, d’abord, Il y a le dessin, ensuite. Il y a enfin la couleur. Et ces trois nécessités narratives se superposent avec une seule et même volonté, celle de la gradation… Gradation des mots, des situations, du trait, de la mise en couleurs… Et c’est cet ensemble qui, d’ailleurs, fait la vraie qualité de ce livre. Un livre qui peut, c’est vrai, mettre mal à l’aise, un livre qui, reconnaissons-le, s’apparente parfois, au fil des scènes pratiquement cinématographiques, à un certain cinéma de série Z… Mais un livre qui se lit malgré tout avec plaisir. Celui des yeux, aussi, devant un dessin réaliste aux visages particulièrement et extrêmement expressifs ! Miville-Deschênes adore dessiner les animaux, il adore aussi dessiner les regards!…

François Miville-Deschênes: le dessin et la couleur
Zaroff © Le Lombard

Même si on peut regretter quelques raccourcis dans le scénario, à la fin surtout, ce Zaroff ne manque pas d’intérêt. Tueur en série à l’infinie cruauté, assassin par désir, homme de pouvoir aux sentiments à la fois absolus et ambigus, il est omniprésent dans ce livre. Il est le cœur du récit. Et la fin de cette histoire est une superbe fin « ouverte », qui donne l’envie de savoir ce que Zaroff, dans ces années trente aux USA, va devenir…

Jacques Schraûwen

Zaroff (dessin: François Miville-Deschênes – scénario: Runberg et Miville-Deschênes – éditeur: Le Lombard)

Yasmina et les Mangeurs de patates

Yasmina et les Mangeurs de patates

Permaculture et OGM pour une bd virevoltante et gentiment militante!

Wauter Mannaert est végétarien. Il est donc, incontestablement, dans l’air du temps, selon l’expression consacrée. Mais son livre n’a rien de carré : c’est, selon ses propres dires, un livre rigolo, à savourer sans arrière-pensée, même si son propos fait réfléchir !

Yasmina © Dargaud

En pleine ville, Yasmina a une passion : préparer des bons plats, dans lesquels le légume est roi. Des plats que savoure son père, qui a bien du mal à nouer les deux bouts. Yasmina s’approvisionne chez deux amis, Cyrille et Marco, deux maraîchers dont les méthodes de culture s’opposent ! Elle-même s’occupe de cueillir des plantes sauvages qui agrémentent ses inventions culinaires. Et quand un ingrédient lui manque, elle ne fait ni une ni deux, et s’introduit dans le potager de sa voisine du haut, un potager entre ciel et terre !

Et puis, un jour, apparaît dans ce paysage urbain mêlé de campagne un industriel, Tom de Perre (jolie contrepèterie !…). Un industriel qui empêche Cyrille et Marco de continuer leurs cultures, un industriel, surtout, qui inonde le marché alimentaire de patates sous toutes les formes possibles. Des patates, aussi, surtout, qui exercent, dès la première bouchée, une véritable addiction sur tous les consommateurs !

Yasmina, pour pouvoir continuer à être inventive dans sa cuisine, va donc devoir se lancer dans une vraie enquête policière pour empêcher la patate d’envahir l’humanité !

Pour construire son scénario, endiablé, enjoué, Wauter Mannaert a puisé ses idées, tout simplement, dans le quotidien, dans l’actualité.


Yasmina © Dargaud

Wauter Mannaert : l’idée

Le sujet, reconnaissons-le, est sensible. Et  » nourrit  » quelques extrémismes, de nos jours, qui sont d’une totale intolérance, reconnaissons-le aussi ! Mais Wauter Mannaert n’a vraiment pas voulu faire un livre tristement militant. Et c’est pourquoi sa construction narrative joue d’abord avec les codes habituels de la comédie : des personnages bien typés, une héroïne jeune et dynamique, deux compères qui sont un peu les « Laurel et Hardy » du récit, et un grand méchant totalement caricatural !


Yasmina © Dargaud

Wauter Mannaert : la construcion

Cela dit, Wauter Mannaert est Belge… Habitant d’un petit pays aux mille divisions, d’un petit pays dans lequel ont fleuri des courants littéraires et artistiques essentiels, comme le surréalisme et le fantastique, cet auteur ne pouvait pas renier son appartenance à cet univers de dérision décalée qui est le nôtre ! Il y a donc bien du fantastique dans son scénario, un peu outrancier, forcément surréaliste, de manière à rendre l’histoire racontée improbable mais totalement  » rigolote « , selon les propres mots de ce jeune auteur talentueux… Et donc, apte à faire sourire tous les publics !


Wauter Mannaert : le surréalisme

C’est une bande dessinée à la fois urbaine et campagnarde, comme je le disais plus haut. Et il est vrai qu’à Bruxelles existent encore quelques quartiers qui réussissent à mélanger ces deux mondes. Et ainsi, pour son dessin, Wauter Mannaert n’a pas eu besoin d’aller chercher bien loin. Ce sont les endroits proches de chez lui et les gens qu’il croise tous les jours qui, comme il le dit, ont inspiré ses dessins, ses décors comme ses personnages !


Yasmina © Dargaud

Wauter Mannaert : le dessin

Je ne suis pas végétarien… Je suis « carnassier », et je le revendique… J’ai donc eu un peu d’appréhension en ouvrant cet album, je me dois de l’avouer, avec la peur, oui, de me plonger dans un livre au militantisme frontal, un livre vantant les seuls mérites du légume !

Eh bien, il n’en est rien !

Cet album de bd est virevoltant, son graphisme vif et « rapide », immédiat comme le sont les dessins de blogs, est efficace et plein de charme. Son scénario est sans temps mort, didactique à certains moments, sans jamais oublier de faire sourire. L’ensemble forme un livre véritablement « tous publics », qui peut faire réfléchir, qui montre, surtout, que les choix de chacun, en guise de nourriture comme de convictions quotidiennes, n’ont pas à interférer avec la tolérance et l’humanisme !…

Un très agréable livre, donc, que je ne peux que vous conseiller, à toutes et à tous !

Jacques Schraûwen

Yasmina et les Mangeurs de patates (auteur : Wauter Mannaert – éditeur : Dargaud)


Yasmina © Dargaud