Sissi – une femme au-delà du conte de fées

Sissi – une femme au-delà du conte de fées

Oubliez Romy Schneider et les films insipides qui ont lancé sa carrière… Dépassez la légende pour découvrir, dans ce roman graphique, une femme, ses rêves, ses esclavages, ses libertés !

Sissi © Steinkis

D’accord, j’exagère… N’oublions surtout pas Romy Schneider qui a réussi à interpréter physiquement la beauté qui était celle de la vraie Sissi, Elisabeth de Bavière, impératrice d’Autriche, mère de l’Archiduc Rodolphe (mort à Mayerling, et dont le cinéma a édulcoré aussi la réalité).

Les films sont toujours fonction de l’époque pendant laquelle ils ont été réalisés.

Les années 50 demandaient des histoires capables de faire oublier la guerre encore très proche, et l’image donnée de l’impératrice Sissi se devait de correspondre à ce besoin, c’est évident.

Il faudra attendre les années 70 pour que Visconti, dans le sublime « Ludwig », nous dresse un portrait très différent de Sissi… Beaucoup plus sombre, beaucoup plus ancré dans la réalité historique de son règne, sans doute.

Et c’est la bande dessinée, aujourd’hui, qui s’intéresse à cette icône du dix-neuvième siècle. Bien sûr, il y a la bd de Gloesner, disponible aux éditions du Triomphe, avec un scénario, ma foi, assez convenu. Il y a eu aussi, il y a peu, une apparition en  » invitée  » de Sissi dans l’excellent  » Charlotte impératrice « , paru aux éditions Dargaud.

Mais avec Giorgia Marras, c’est exclusivement aux pas de Sissi, de la véritable Sissi, qu’on s’accroche.

Sissi © Steinkis

Pour la très jeune Elisabeth, tout commence comme dans un vrai conte de fées (d’où le titre…). La fille délaissée d’une famille noble mais pauvre épouse Franz Joseph, l’empereur d’Autriche.

A la cour, elle constate très vite que sa place n’a rien d’un cadeau, que son rôle de femme, plus potiche qu’actrice, n’éveille que méfiance, jalousie et, ma foi, une certaine forme de rejet, voire de haine.

Elle n’est pas vraiment rebelle, pourtant. Mais les circonstances de la vie, les hasards de ses rencontres, et son besoin, rare à l’époque, de s’ouvrir non seulement à la culture de son pays mais aussi à d’autres cultures, tout cela la transforme peu à peu. Elle noue des amitiés et, délaissée par son mari, elle se met à envisager l’avenir de l’Europe de cette seconde partie du dix-neuvième siècle, une Europe morcelée, monarchique essentiellement, presque féodale même par certains côtés.

Et c’est ainsi que, dépassant le simple rôle qu’on lui impose, un rôle de « mère », elle se met à intervenir auprès de son mari, surtout quand la Prusse inflige à l’Autriche de cuisantes défaites. Elle envisage d’autres alliances, défend le droit à une constitution de la Hongrie. Et c’est ainsi que, belle et jalousée, Sissi devient, aux yeux de toute l’Europe, une femme qui compte, une femme, par bien des aspects, politiquement visionnaire.

Sissi © Steinkis

Une femme indépendante, aussi, une femme refusant les obligations de la Cour d’Autriche, continuant à se promener sans  » gardes du corps « , une femme qui, se sachant vieillir, refuse d’être photographiée, une femme qui, sentant que le monde va changer du tout au tout, se révèle calculatrice en  » plaçant  » son argent dans des lieux sûrs.

Une femme capable d’aimer, d’amour et d’amitié, une femme qui reste une mère, mais une mère à l’image de son rôle politique, parfois intransigeante.

Pour raconter l’histoire de Sissi, plus une tragédie qu’une simple comédie de moeurs, Giorgia Marras utilise un graphisme simple, sans fioritures, tout en nuances de gris et de bruns. Elle restitue parfaitement la beauté de Sissi, mais sans insister sur les détails pour le faire. Et son texte, clair, parfaitement dialogué dans le respect du protocole de l’époque, ne souffre que de quelques fautes d’orthographe que l’éditeur aurait pu éviter…

Dans ce livre, elle fait dire à Sissi une phrase qui pourrait résumer toute son approche de son personnage dans ce livre :  » Un être humain possède en lui plusieurs mondes… Il ne faut pas chercher à les dissocier. « .

Un roman graphique intelligent, que l’on ne peut que lire avec plaisir et intérêt…

Jacques Schraûwen

Sissi – une femme au-delà du conte de fées (auteure : Giorgia Marras – éditeur : Steinkis)

Sissi © Steinkis
Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ?

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ?

C’est une époque particulièrement animée de l’Histoire de France et d’Europe qui nous est contée dans cette série. Et qui l’est de manière à la fois romanesque et soucieuse de vérité historique !

Valois © Delcourt

Le premier volume de cette série mettait en scène tous les personnages principaux, et lançait un récit d’aventures basé sur une réalité historique. Le scénariste, incontestablement, aime l’Histoire et aime surtout s’y aventurer en y ajoutant des personnages qui, de par leur présence, humanisent un propos qui, sinon, aurait pu n’être qu’un pensum presque scolaire… C’est que l’Histoire de France est tout sauf aisée à suivre et, parfois, à comprendre!

Nous sommes en 1483 : voilà quelque temps déjà que les Capétiens ont laissé la place, à la tête de la France, aux Valois. La guerre de cent ans est terminée, certes, mais le roi Charles VIII ne manque pas d’ambition et rêve de gloire.

Valois © Delcourt

Dans la tourmente des luttes d’influence qui émaillent cette époque de l’Histoire, Thierry Gloris, le scénariste, introduit deux personnages très différents, qui vont être obligés par le destin de suivre d’identiques chemins.

Il y a Blasco Zuninga, d’abord, un Espagnol qui refuse d’être moine et rejoint une armée italienne se vendant à qui paie le mieux.

Il y a ensuite Henri Guivre de Tersac, jeune nobliau désargenté, qui, d’espion cultivé devient, lui aussi, mercenaire.

Et les voilà tous deux, ensemble, mêlés à une guerre dans laquelle le pouvoir religieux et le pouvoir royal s’affrontent sur tous les fronts, celui de la diplomatie comme celui de la mort sur les terrains de bataille.

Valois © Delcourt

Et c’est là que le talent de Gloris est évident. Il parvient à être presque didactique dans sa façon de nous parler de la France, de l’Italie, de la papauté, il parvient à rendre épiques les complots de salon, les traîtrises et les renoncements. Il parvient, surtout, à ce que le lecteur entre, sans connaissance préalable, dans une période de l’aventure humaine où l’humain, finalement, n’avait que peu d’importance !

Valois © Delcourt

Cette série, dont deux volumes sont déjà parus, est une belle réussite pour tous les amateurs d’Histoire, certes, mais aussi pour tous les amoureux d’une BD romanesque et violente en même temps, réaliste et puissamment documentée.

A ce titre, il faut souligner le dessin extrêmement réaliste de Jaime Calderon. S’inspirant, incontestablement, dans sa composition, de la peinture italienne, celle de Venise entre autres, il nous dessine des visages expressifs et vivants, des décors somptueux, des mouvements et des perspectives qui accentuent de page en page le rythme du récit.

Et n’oublions surtout pas la couleur de « Felideus », qui, plus inspirée, elle, par l’école flamande, donne un vrai relief à chaque protagoniste, de Charles VIII aux Borgia, d’Anne de Bretagne à Della Rovere.

Une série bien faite, passionnante, avec des vrais personnages qui ont de la « chair », comme on dit : la bande dessinée, c’est aussi ça !

Jacques Schraûwen

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ? (Dessin : Jaime Calderon. Scénario : Thierry Gloris. Couleurs : Felideus. Editeur : Delcourt

Valois © Delcourt
Shangai Dream : tome 1 – Exode 1938

Shangai Dream : tome 1 – Exode 1938

1938… Berlin, un couple de Juifs, passionnés de cinéma… Le nazisme et sa solution finale qui commence à prendre forme… Et une fuite éperdue vers des horizons peut-être moins désespérants ! Les « migrants » sont aussi une réalité historique dont il faut se souvenir !


Shangaï Dream © Humanoïdes associés

Philippe Thirault aux commandes d’un scénario, c’est l’assurance, pratiquement toujours, de voir la grande Histoire servir de trame à une intrigue dans laquelle, cependant, l’humain est toujours au premier plan.

Entre 1938 et aujourd’hui, les temps ont bien changé, c’est vrai… Nous vivons, paraît-il, dans un monde de « communication » où tout être humain peut se connecter à qui il veut. Illusoire liberté que celle qui consiste à faire croire à des sentiments quand il ne s’agit, finalement, que d’argent et de pouvoir !

En 1938, comme aujourd’hui, ce mot, « liberté », était en butte à bien des horreurs, à bien des diktats de dictatures pourtant soi-disant démocratiquement élues !

Et pour les Juifs allemands, perdus dans ce qui n’était encore qu’un début de tourmente, quelle autre solution pouvait-il exister que de fuir pour exister encore, de s’en aller pour rêver toujours ?

Bernhard et Illo partagent le même rêve, au quotidien de leur couple : le cinéma. Bernhard comme metteur en scène, Illo comme scénariste.

Mais Hitler, en 1938, a pris toutes les commandes de la culture, la cinématographique également, pour en faire un instrument politique, rien de plus. Et dans cette culture à vision nazie, les Juifs ne peuvent avoir de place !


Shangaï Dream © Humanoïdes associés

Dans les rues, les chemises brunes au brassard rouge se multiplient, et se multiplient les humiliations et les violences imposées à cette race impure à laquelle Illo et Bernhard appartiennent, tout comme le père d’Illo, qui a perdu sa jambe pour l’Allemagne en une autre guerre, celle de 14-18.

Pour Hitler et pour l’organisation politique qu’il réussit à imposer sans vraiment de résistance, le passé n’existe que pour s’en venger ! L’héroïsme d’hier est symbole de défaite, et seul compte, désormais, la victoire, sous toutes ses formes !

Il est trop tard pour nos deux « héros » d’émigrer vers les Etats-Unis ou l’Angleterre. Pour n’avoir pas cru au pire, pour avoir continué à espérer en un sursaut de l’intelligence nationale, ils sont coincés en Allemagne.

De démarche en démarche, ils parviennent cependant à trouver une fuite possible, celle d’aller vers le lointain Orient, dans une sorte d’enclave allemande ouverte aux seuls Juifs, et perdue dans les lieux les plus sordides de Shangai. Une ville qui, elle aussi, a ses nazis, d’une certaine façon, que sont les Japonais…

Ce premier album nous montre la vie à Berlin, en 1938… Et puis, la possibilité d’un ailleurs à deux, où pourront persister leur amour et leurs passions communes. Et enfin, le départ, réussi pour l’un, raté pour l’autre, et la migration vers une autre désespérance, plus insidieuse mais non moins brutale pour l’âme et le corps.


Shangaï Dream © Humanoïdes associés

Avec un découpage classique, cinématographique comme l’est le scénario, avec une part belle faite aux paysages sans jamais oublier, pourtant, de mettre en évidence les personnages, le dessin de Jorge Miguel est d’une belle efficacité. J’aime assez cette manière qu’il a, ici et là, de gommer soudain, dans une case, tout décor pour laisser la place aux seuls personnages. Ce faisant, il parvient à créer un vrai rythme dans le récit, et de faire de ce rythme la réalité et la vérité des héros et de leurs aspirations.

Les couleurs de Delf, même dans des paysages ensoleillés, sont discrètes, souvent dans les tons bruns… Bruns, oui, comme cette peste brune qui envahissait l’Allemagne et se faisait endémique à travers le monde…

La mort et l’espoir, la violence et l’amour, le courage et la fuite, ce sont finalement ces sentiments-là qui sous-tendent totalement le récit de Philippe Thirault.

Des sentiments qui, vous l’avouerez, éveillent quelques échos tristement contemporains !

C’est une très bonne bd que ce « Shangai Dream ». Une histoire qui doit se conjuguer en deux tomes. Et j’attends avec impatience ce deuxième volume qui, me dit-on, ne devrait pas tarder à se retrouver sur les étalages des libraires !

Jacques Schraûwen

Shangai Dream : tome 1 – Exode 1938 (dessin : Jorge Miguel – scénario : Philippe Thirault – couleurs : Delf – éditeur : Les Humanoïdes Associés)

Shangaï Dream © Humanoïdes associés