Non, tous les mangas ne se ressemblent pas ! Et sous l’apparence d’une simplicité proche du simplisme, ce « vieil homme et son chat » sont merveilleusement attachants !
Oui, le dessin de ce livre n’a strictement rien à voir avec les productions habituelles de la bd japonaise. Pas de démesure dans les expressions, pas de grands mouvements, pas de cris ni de fureur qui occupent l’espace dessiné.
Oui, aussi, le scénario de ce livre n’a strictement rien à voir avec la plupart des mangas qui occupent (et souvent bien trop…) les étalages des libraires. Pas de fantastique plus ou moins raté, pas d’aventures tonitruantes, pas de multiplication de raccourcis narratifs.
Et oui, ce « Vieil homme et son chat » est un très joli livre, d’une belle simplicité, un livre qui, sans chercher à faire de l’effet, touche le lecteur au cœur…
C’est de quotidien, de rien d’autre, que Nekomaki nous parle. Du quotidien de Daikichi, un homme âgé, ancien instituteur, veuf, ne voyant son fils que rarement, se baladant chaque jour dans sa petite ville, conversant avec des ami(e)s du même âge, le troisième…Et, surtout, un homme qui vit avec un chat, Taman tout en rondeurs.
Et cet animal, qui s’avère presque être la continuité vivante del’épouse décédée, forme avec le vieil instituteur un couple tranquille, un couple qui vieillit, avec, parfois, un peu de nostalgie, parfois aussi une certaine peur de l’ailleurs, de l’après… Mais toujours avec un sens aigu d’une tendresse à partager, avec une nécessité de sourire et de rire, et de continuer, envers et contre tout, à aimer vivre, manger, à aimer ce que l’existence au jour le jour peut et devrait offrir à tout un chacun.
Ce livre est construit en chapitres… Des chapitres qui sont autant de tranches de vie, sans éclat, mais avec une véritable passion, celle de garder ouverts les yeux et le cœur. Des tranches de vie, oui, des époques de l’année, aussi…
Et d’une certaine manière, puisqu’on parle dans cet album de la nature, du sentiment, de la sensation et des saisons qui se suivent en apparence ressemblantes, en réalité toujours neuves, on peut dire, oui, que cette bd a des airs de haiku…
Un dessin simple, sans apprêt, proche de la bd « blog » européenne… Un scénario qui fait la part belle aux rythmes de lavie lorsqu’elle se peuple de rêves, de souvenirs, de partages et de poésie… Un petit livre à savourer, comme un thé brûlant en plein hiver…
Jacques
Schraûwen
Le Vieil Homme Et Son Chat (auteur : Nekomaki – éditeur :Casterman)
Jean-Claude Denis, c’est l’auteur prolifique de bien des albums dans lesquels, le plus souvent, des personnages quelque peu lunatiques se trouvent confrontés à leurs propres faiblesses. Voici l’occasion de le (re)découvrir, dans une exposition d’abord, dans un album vertigineux ensuite!…
Du haut de ses 67 printemps, Jean-Claude Denis ne perd rien de son amusement, de sa passion pour le dessin, qu’il soit construit en BD ou simplement illustratif. Grand Prix d’Angoulème il y a quelques années, il se caractérise essentiellement par sa manière presque détachée de raconter des histoires, de plonger ses personnages dans des univers qui les déshumanisent et les poussent, finalement, à se découvrir, à se restaurer à eux-mêmes.
Mais résumer sa carrière à la seule mise en évidence de la construction de ses scénarios serait nier son talent graphique, sa filiation évidente, mais modernisée, avec ce qu’on appelle » la ligne claire « .
Illustrateur dans l’âme, Jean-Claude Denis aime » composer « … Dans ses planches, certes, mais aussi dans des réalisations qui, nées de ses scénarios, se révèlent très vite pratiquement autonomes.
Des créations dans lesquelles, homme de culture également, Jean-Claude Denis se révèle être un étonnant et excellent coloriste. Un coloriste qui rend hommage, par exemple, à Gauguin…
Et c’est dans ces créations-là, le plus souvent en couleurs directes, qu’on s’aperçoit peut-être le mieux de l’importance de la lumière chez Jean-C. Denis, de la précision de ses perspectives, de la douceur de ses cadrages.
Et c’est tout cela que je vous invite à voir, à découvrir, à regarder de tout près dans la galerie bruxelloise qui accueille ses » Variations « …
Variations : une exposition consacrée à Jean-C. Denis, jusqu’au 29 décembre, à la Galerie Champaka, 27, rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles
En parallèle de cette exposition, les éditions Futuropolis sortent un nouvel album de Jean-C. Denis, qui ne parle plus de lui au travers d’un personnage emblématique comme Luc Leroi, mais qui le fait, cette fois, de manière directe.
Oui, on peut dire de cette » Terreur des Hauteurs » qu’il s’agit d’un livre autobiographique.
Un homme se promène le long de la mer… Avec sa compagne, il va emprunter le chemin des douaniers. Et, ce faisant, réveiller en lui une angoisse qui lui vient de la jeunesse, de l’enfance, une angoisse qui lui rappelle mille souvenirs… l’angoisse du vide.
Tout qui, un jour, s’est retrouvé tremblant en plongeant le regard dans la béance vertical d’un paysage immobile ne pourra que se reconnaître dans le portrait que Jean-C. Denis fait de lui dans ce livre pratiquement intimiste.
Comment dessiner cette peur du vide ?… Comment réussir à exprimer, par le biais du dessin, cette sensation étrange qu’on peut avoir de se sentir aspiré par une » absence » ?…
Jean-C. Denis le fait en nous montrant les gestes de son personnage central, en nous montrant ses mains qui s’accrochent à une barrière, à un rocher. En dessinant, aussi, des perspectives envoûtantes et qui ressemblent à des illusions d’optique.
Mais Jean-C. Denis s’efforce aussi et surtout (et avec réussite) à nous expliquer ce » vertige » par les mots, par les souvenirs dont son héros égrène sa balade, par sa façon aussi de mettre en dialogue, donc en abyme, ce personnage vieillissant et le jeune qu’il a été… Un peu comme le disait le poète Henri Michaux, Denis fait sienne cette phrase : » Je parle à qui je fus et qui je fus me parle… « .
Très introspectif, ce livre nous parle aussi du dessin, de l’acte créatif comme révolte contre le vertige. Un vertige qui est celui de l’ennui, qui est celui de la peur de l’engagement amoureux, qui est et reste celui de l’humain confronté à une nature dans laquelle il ne trouve pas vraiment sa place.
» On ne se débarrasse pas de la peur, on la déplace « , dit Jean-C. Denis par la voix de son (anti-)héros.
Et ce livre en devient, ainsi, le réceptacle… Le lieu d’accueil d’une peur qui, de déraisonnable, se révèle, de page en page, profondément et passionnément humaine.
Ce livre est intéressant à plus d’un titre. Parce qu’il parle de peur, parce que tout vie se construit aussi à partir des peurs qu’elle génère, parce qu’il parle de souvenances, de regrets, de remords, et que tout ce mélange de mots, de gestes, de rêves même, devient un portrait au travers duquel tout le monde pourra, en partie, se reconnaître.
Le quatrième âge de l’anarchie, de la tolérance et de l’humanisme !…
Ces « Vieux Fourneaux » cartonnent, comme on dit… Dans les ventes, bien sûr, mais aussi et surtout dans le plaisir que leurs aventures apportent à tous ceux qui, jeunes ou vieux, savent que vieillir peut aussi être un bonheur ! A condition de ne pas trahir celui qu’on a été !
Vous pensez que le « jeunisme » prend trop de place ?… Vous avez envie de découvrir des gens du troisième, voire du quatrième âge, capables de se révolter, avec le sourire toujours ? « Les vieux Fourneaux », dont le cinquième épisode vient de sortir : « Bons pour l’asile », est une série qui ne peut que vous plaire !
Une série, d’ailleurs, qui, dès son premier épisode, s’est révélée « gagnante »… tant au niveau de la critique que des lecteurs, ce qui n’est pas toujours le cas, reconnaissons-le ! Mettre en scène trois septuagénaires, Pierrot, Mimile et Antoine, trois amis d’enfance qui préfèrent à la nostalgie l’action sur le terrain, c’était un pari qui n’était pas gagné d’avance, loin s’en faut !
Et bravo à l’éditeur qui a osé se lancer dans l’aventure… Bravo aussi à Wilfrid Lupano, le scénariste, et à Paul Cauuet, le dessinateur, pour la façon qu’ils ont eue de pousser la porte de cet éditeur !
« On est 500 millions de guignols en Europe et on veut nous faire croire qu’on peut pas accueillir 1 million de pauvres gens ? Ca fait même pas un par village ! »
Les migrants… Voilà un sujet d’actualité… Voilà le sujet principal de ce cinquième volume de la saga des Vieux Fourneaux… Principal, mais pas unique, comme toujours avec Lupano qui, dans chacun de ses scénarios, prend plaisir à mélanger les intrigues, à mêler les genres, aussi, à passer de l’humour le plus débridé, à force de jeux de mots souvent, à la réflexion sérieuse et humaniste.
Nos trois amis, et leurs proches, ceux du même âge comme ceux plus jeunes qu’eux, sont tous bons pour l’asile, c’est vrai, tant leurs actions et leurs mots dénotent avec l’habitude, avec Panurge, avec le politiquement correct… Mais dès ce titre, « Bons pour l’asile », vous l’aurez compris, l’humour est présent, le jeu de mots à double sens…
Il y a les migrants et l’attitude des pouvoirs politiques. Mais il y a aussi les retrouvailles entre un grand-père, son fils, et leur petite fille. Il y a un match de rugby et Mimile qui fait des siennes. Il y a Fanfan, une vieille complice, qui organise l’accueil illégal de migrants. Il y a les retrouvailles entre Pierrot et une femme dont il s’est occupé, quand il était éducateur et qu’elle était adolescente, une femme qui – horreur ! – est devenue flic. Il y a des éclats de rires, il y a de la révolte, de la révolution même, il y a des revendications, des sourires, de la joie de vivre, de la danse, de l’enfance, et même de la mort…
Il y a de l’humour… Mais pas que !
La force et l’intelligence des auteurs, Lupano et Cauuet, c’est de nous raconter à chaque album une nouvelle histoire. Même si des fils conducteurs existent entre chaque épisode, ils ne prennent jamais une place prépondérante.
Leur force et leur intelligence, c’est d’avoir créé des personnages extrêmement attachants. Trois amis, certes, mais très différents les uns des autres, de par leur vécu comme de par leurs appartenances sociales et culturelles. Et ce sont eux qui font que cette série s’adresse profondément à tout un chacun… Vieillir est une réalité pour tout le monde, et voir ces trois » vieux » garder leurs colères de jeunesse, leurs engagements et leurs plaisirs, leurs désirs et leurs courages, cela a quelque chose de profondément jouissif et réconfortant.
Le scénario de Lupano est vif, construit à force de dialogues percutants et de situations tout aussi percutantes. Le dessin de Cauuet gagne, d’album en album, en fluidité, en mise-en scène, également, en plaisir à créer des perspectives extrêmement variées qui, sur chaque page ou presque, donnent une vie à l’intrigue, à ce qui est raconté en tout cas.
Et n’oublions pas, surtout, Jérôme Maffre qui ne se contente pas de colorier cet album, mais qui, par son sens « artistique » de la mise en couleur, apporte un vrai plus à ces » Vieux fourneaux » !
Cette série a remporté, il y a peu, un Prix Saint-Michel, largement mérité.
Cette série prouve aussi, si besoin en était, que la bande dessinée, de nos jours, ne se contente pas (ou plus !…) de ronronner dans de tristes habitudes. Le temps des » fantasy » qui envahissaient toutes les maisons d’édition, ou presque, ce temps-là semble enfin révolu ! On invente, on ose des récits poétiques, on se permet des aventures humaines et humanistes, on
abandonne de plus en plus les séries à suivre qui ne se terminent jamais et finissent par lasser tous leurs lecteurs… On ose, tout simplement, la liberté!
Le monde de la bande dessinée est vraiment celui d’un art, le neuvième, et Wilfrid Lupano s’y retrouve comme un poisson dans l’eau… Mais comme aussi un de ses héros qui ne ferme pas les yeux sur la réalité et les difficultés de ce monde qui est le sien.
La bande dessinée, c’est un média totalement adulte qui mêle les réalités et les vérités du graphisme, de la peinture, de la littérature, voire même du cinéma.
Et c’est un bonheur, total, que de pouvoir se plonger dans des albums comme ces cinq » vieux fourneaux « , et singulièrement ce » Bons pour l’asile « .
C’est une série que tout le monde devrait lire, faire lire, s’offrir et offrir, pour ne pas vieillir idiot. Audiard disait : » Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît « .
Les vieux fourneaux osent tout, ils osent surtout ne rien oublier de ce qu’ils furent, de ce en quoi ils ont cru, et, de ce fait, ils sont tout sauf des cons ! Le monde leur appartient!
Jacques Schraûwen Les Vieux Fourneaux : 5. Bons Pour L’Asile (dessin : Paul Cauuet – scénario : Wilfrid Lupano – couleurs : Jérôme Maffre – éditeur : Dargaud)