Les Seigneurs De La Terre – 4. Au Nom Du Vivant

Les Seigneurs De La Terre – 4. Au Nom Du Vivant

L’agriculture, aujourd’hui, et l’avenir qu’elle nous prépare !

A l’heure où le climat devient une préoccupation également politique, à l’heure où on peut rêver à des décisions responsables qui ne se contenteront plus de culpabiliser les seuls citoyens mais oseront enfin s’attaquer aux vraies origines du problème, voici la suite d’une série qui nous parle d’AGRICULTURE responsable dans un monde qui l’est de moins en moins !


Les Seigneurs de la Terre © Glénat

Voici donc le quatrième chapitre de l’existence mouvementée de Florian, militant de plus en plus convaincu de la nécessité d’un combat pour une agriculture, aux quatre horizons de la planète, qui necherche pas le seul profit de groupes multinationaux !

Bien sûr, avec Fabien Rodhain aux commandes du scénario, le côté militant de cette série devient de plus en plus présent. Cet auteur multiforme a ici choisi la bande dessinée pour toucher un public le plus large possible, et lui montrer qu’on peut (et qu’on doit…) envisager autrement la manière de produire ce qui nous nourrit.

On pourrait, dès lors, faire le reproche à Fabien Rodhain d’un certain manichéisme dans le choix de ses personnages, d’une part, dans le traitement qui est le sien pour les montrer vivre. Mais s’il est vrai que ce scénariste ne peut s’empêcher, tout au long de sa narration, de se faire didactique, presque pédagogique même, il le fait avec une base scientifique, humaniste et politique réelle, ce qui rend son propos totalement accessible. Un propos, d’ailleurs, qui ne cache rien des réalités quotidiennes du monde de l’agriculture, la réalité et la vérité, par exemple, des suicides d’agriculteurs…


Les Seigneurs de la Terre © Glénat
Personnages et manichéisme
Suicides d’agriculteurs

Est-ce de la nostalgie que de vouloir retourner à une forme de production respectueuse de ce qui se faisait,  » avant  » ? Est-ce de la nostalgie que de vouloir se souvenir de façon » pratique  » du temps de nos grands-parents ?

Est-ce être passéiste que de vouloir, aujourd’hui, refuser l’utilisation de produits qui augmentent certes la production agricole, mais qui, en même temps, pour des raisons qui ne sont peut-être que vénales, asservissent de plus en plus la classe paysanne ?

C’est, surtout, et les manifestations et les conférences internationales qui se multiplient pour le moment en sont la preuve, c’est,essentiellement, une question de politique, au sens premier du terme.

Et le scénario de Fabien Rodhain, à ce titre, est éminemment politique, sans aucun doute possible.

Mais ce scénario est aussi un récit qui choisit le style presque du  » roman-photo  » pour estomper, sans en détruire la puissance, le discours de base. On entre, avec les Seigneurs de laTerre, dans plusieurs microcosmes… Dans plusieurs remous et dérives profondément humains : il y a de l’amour, de la haine, des divorces, des trahisons, des souvenirs trop lourds, de la jalousie, du profit, du carriérisme, du désir, des larmes et des rires, de l’aventure et du dépaysement.

Et à partir d’un scénario qui pourrait, ici et là, sembler trop touffu, ou, ailleurs, se révéler  » fleur bleue « , Luca Malisan parvient à faire prendre la sauce, comme on dit, grâce à un dessin qui, d’album en album, me semble devenir de plus en plus efficace, dans le sens du mouvement, par exemple, dans la façon aussi qu’il a d’inscrire le récit et les personnages pleinement dans des paysages et des décors  qui prennent vie. Et puis, il y a la couleur et ses infinies nuances de lumière… Paolo Francescutto réalise un travail de choix, dans ce quatrième album !…

La réussite est au rendez-vous, grâce, c’est évident, à une convergence des intérêts de ces trois auteurs à part entière, le scénariste, le dessinateur et le coloriste !

Les Seigneurs de la Terre © Glénat
Scénario politique
Du scénario au dessin

La bande dessinée peut être récréative… Elle peut être source de réflexion, également. Les Seigneurs de la terre réussissent, dans l’ensemble, à être les deux. Avec des personnages pluriels, qui n’ont rien d’immobile, ni dans le geste ni dans la pensée, avec un mélange des genres qui parvient à ne pas déraper, Rodhain et ses complices nous offrent une série qui parle d’aujourd’hui, pleinement, et qui a l’avantage et l’intérêt de réussir à nous ouvrir les yeux ou, du moins, à nous donner envie de les ouvrir !

Un livre militant, oui, une série « vivante » et humaniste que je vous conseille de découvrir et de faire découvrir…

Personnages pluriels et mélange des genres

Jacques Schraûwen

Les Seigneurs De La Terre – 4. Au Nom Du Vivant : Luca Malisan – scénario : Fabien Rodhain – couleurs : Paolo Francescutto – éditeur : Glénat)

Le Vieil Homme Et Son Chat

Le Vieil Homme Et Son Chat

Toute la tendresse du quotidien.

Non, tous les mangas ne se ressemblent pas ! Et sous l’apparence d’une simplicité proche du simplisme, ce « vieil homme et son chat » sont merveilleusement attachants !

Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

Oui, le dessin de ce livre n’a strictement rien à voir avec les productions habituelles de la bd japonaise. Pas de démesure dans les expressions, pas de grands mouvements, pas de cris ni de fureur qui occupent l’espace dessiné.

 Oui, aussi, le scénario de ce livre n’a strictement rien à voir avec la plupart des mangas qui occupent (et souvent bien trop…) les étalages des libraires. Pas de fantastique plus ou moins raté, pas d’aventures tonitruantes, pas de multiplication de raccourcis  narratifs.

Et oui, ce « Vieil homme et son chat » est un très joli livre, d’une belle simplicité, un livre qui, sans chercher à faire de l’effet, touche le lecteur au cœur…


Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

C’est de quotidien, de rien d’autre, que Nekomaki nous parle. Du quotidien de Daikichi, un homme âgé, ancien instituteur, veuf, ne voyant son fils que rarement, se baladant chaque jour dans sa petite ville, conversant avec des ami(e)s du même âge, le troisième…Et, surtout, un homme qui vit avec un chat, Taman tout en rondeurs.

Et cet animal, qui s’avère presque être la continuité vivante del’épouse décédée, forme avec le vieil instituteur un couple tranquille, un couple qui vieillit, avec, parfois, un peu de nostalgie, parfois aussi une certaine peur de l’ailleurs, de l’après… Mais toujours avec un sens aigu d’une tendresse à partager, avec une nécessité de sourire et de rire, et de continuer, envers et contre tout, à aimer vivre, manger, à aimer ce que l’existence au jour le jour peut et devrait offrir à tout un chacun.


Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

Ce livre est construit en chapitres… Des chapitres qui sont autant de tranches de vie, sans éclat, mais avec une véritable passion, celle de garder ouverts les yeux et le cœur. Des tranches de vie, oui, des époques de l’année, aussi…

Et d’une certaine manière, puisqu’on parle dans cet album de la nature, du sentiment, de la sensation et des saisons qui se suivent en apparence ressemblantes, en réalité toujours neuves, on peut dire, oui, que cette bd a des airs de haiku…

Un dessin simple, sans apprêt, proche de la bd « blog » européenne… Un scénario qui fait la part belle aux rythmes de lavie lorsqu’elle se peuple de rêves, de souvenirs, de partages et de poésie… Un petit livre à savourer, comme un thé brûlant en plein hiver…

Jacques Schraûwen

Le Vieil Homme Et Son Chat (auteur : Nekomaki – éditeur :Casterman)


Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

Jean-C. Denis : Une exposition à Bruxelles et un album autobiographique qui donne le vertige

Jean-C. Denis : Une exposition à Bruxelles et un album autobiographique qui donne le vertige

Jean-Claude Denis, c’est l’auteur prolifique de bien des albums dans lesquels, le plus souvent, des personnages quelque peu lunatiques se trouvent confrontés à leurs propres faiblesses. Voici l’occasion de le (re)découvrir, dans une exposition d’abord, dans un album vertigineux ensuite!…

Variations, une exposition à la Galerie Champaka

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Du haut de ses 67 printemps, Jean-Claude Denis ne perd rien de son amusement, de sa passion pour le dessin, qu’il soit construit en BD ou simplement illustratif. Grand Prix d’Angoulème il y a quelques années, il se caractérise essentiellement par sa manière presque détachée de raconter des histoires, de plonger ses personnages dans des univers qui les déshumanisent et les poussent, finalement, à se découvrir, à se restaurer à eux-mêmes.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Mais résumer sa carrière à la seule mise en évidence de la construction de ses scénarios serait nier son talent graphique, sa filiation évidente, mais modernisée, avec ce qu’on appelle  » la ligne claire « .

Illustrateur dans l’âme, Jean-Claude Denis aime  » composer « … Dans ses planches, certes, mais aussi dans des réalisations qui, nées de ses scénarios, se révèlent très vite pratiquement autonomes.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Des créations dans lesquelles, homme de culture également, Jean-Claude Denis se révèle être un étonnant et excellent coloriste. Un coloriste qui rend hommage, par exemple, à Gauguin…

Et c’est dans ces créations-là, le plus souvent en couleurs directes, qu’on s’aperçoit peut-être le mieux de l’importance de la lumière chez Jean-C. Denis, de la précision de ses perspectives, de la douceur de ses cadrages.

Et c’est tout cela que je vous invite à voir, à découvrir, à regarder de tout près dans la galerie bruxelloise qui accueille ses  » Variations « …

Variations : une exposition consacrée à Jean-C. Denis, jusqu’au 29 décembre, à la Galerie Champaka, 27, rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles

La Terreur des Hauteurs (éditeur : Futuropolis)

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

En parallèle de cette exposition, les éditions Futuropolis sortent un nouvel album de Jean-C. Denis, qui ne parle plus de lui au travers d’un personnage emblématique comme Luc Leroi, mais qui le fait, cette fois, de manière directe.

Oui, on peut dire de cette  » Terreur des Hauteurs  » qu’il s’agit d’un livre autobiographique.

Un homme se promène le long de la mer… Avec sa compagne, il va emprunter le chemin des douaniers. Et, ce faisant, réveiller en lui une angoisse qui lui vient de la jeunesse, de l’enfance, une angoisse qui lui rappelle mille souvenirs… l’angoisse du vide.

Tout qui, un jour, s’est retrouvé tremblant en plongeant le regard dans la béance vertical d’un paysage immobile ne pourra que se reconnaître dans le portrait que Jean-C. Denis fait de lui dans ce livre pratiquement intimiste.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Comment dessiner cette peur du vide ?… Comment réussir à exprimer, par le biais du dessin, cette sensation étrange qu’on peut avoir de se sentir aspiré par une  » absence  » ?…

Jean-C. Denis le fait en nous montrant les gestes de son personnage central, en nous montrant ses mains qui s’accrochent à une barrière, à un rocher. En dessinant, aussi, des perspectives envoûtantes et qui ressemblent à des illusions d’optique.

Mais Jean-C. Denis s’efforce aussi et surtout (et avec réussite) à nous expliquer ce  » vertige  » par les mots, par les souvenirs dont son héros égrène sa balade, par sa façon aussi de mettre en dialogue, donc en abyme, ce personnage vieillissant et le jeune qu’il a été… Un peu comme le disait le poète Henri Michaux, Denis fait sienne cette phrase :  » Je parle à qui je fus et qui je fus me parle… « .

Très introspectif, ce livre nous parle aussi du dessin, de l’acte créatif comme révolte contre le vertige. Un vertige qui est celui de l’ennui, qui est celui de la peur de l’engagement amoureux, qui est et reste celui de l’humain confronté à une nature dans laquelle il ne trouve pas vraiment sa place.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

 » On ne se débarrasse pas de la peur, on la déplace « , dit Jean-C. Denis par la voix de son (anti-)héros.

Et ce livre en devient, ainsi, le réceptacle… Le lieu d’accueil d’une peur qui, de déraisonnable, se révèle, de page en page, profondément et passionnément humaine.

Ce livre est intéressant à plus d’un titre. Parce qu’il parle de peur, parce que tout vie se construit aussi à partir des peurs qu’elle génère, parce qu’il parle de souvenances, de regrets, de remords, et que tout ce mélange de mots, de gestes, de rêves même, devient un portrait au travers duquel tout le monde pourra, en partie, se reconnaître.

Jacques Schraûwen