Saskia des Vagues

Saskia des Vagues

Une jeune femme belle comme la mort… Un amour détruit, une vengeance, un ultime amour impossible… Une aventure passionnante et passionnée !

 

Saskia – © Lucien Rollin

Il s’agit d’une réédition… Mais d’une réédition qui, sans aucun doute possible, nous fait découvrir ou redécouvrir un livre étonnant, d’une belle réussite graphique, et dont le scénario, nourri de légendes et de culture, est un petit bijou…
L’édition originale date de 1997, et elle fut publiée chez Dargaud.
Cette édition-ci s’apparente, en fait, à un tirage de luxe… Un format agrandi (35×27) qui met en évidence toute la qualité du travail du dessin, de la mise en page, de la mise en scène, même… Un noir et blanc qui, tantôt, se veut presque transparent, et, tantôt, dessine les contours du réel, du rêve et du cauchemar avec une intensité remarquable… Lucien Rollin est un ciseleur de situations, de visages, de paysages, et, à ce titre, ce livre-ci, qui est peut-être son meilleur, peut s’inscrire aux côtés des auteurs qui, dans les années 80 et 90, ont réinventé la bande dessinée classique, en y ajoutant les ingrédients du fantastique, du merveilleux et de l’horreur. Comès, Servais, Marc-Renier sont cousins de Rollin…

 

Saskia – © Lucien Rollin

L’histoire de cet album mélange, comme toujours avec le superbe scénariste Pierre Dubois, la réalité historique et l’imaginaire débridé, la  vérité et le fantasme, l’ici et l’ailleurs. Une jeune femme va se marier… Son futur époux, un jeune marin plein d’ambition, se fait gruger par ceux en qui il faisait confiance. Et le bateau qu’il a armé est incapable de résister aux assauts d’un pirate. Avant même les noces, la mort remplace l’amour…
Saskia, la jeune fiancée éperdue de douleur, fait de cette souffrance l’instrument d’une quête au bout de laquelle seule la destruction des âmes et des corps sera effective. Elle s’offre à un autre pirate, apprend avec lui les puissances de la mer et du combat, de l’abordage et du pouvoir, de la haine et du courage, de la beauté et de la laideur. Et elle se venge, impitoyable…
Jusque là, le récit pourrait n’être qu’une simple aventure marine, dont le thème principal reste, au-delà des péripéties, l’amour et la mort toujours intimement mêlés. Mais c’est oublier que Pierre Dubois est aux commandes du scénario, et que la mort, chez lui, ne peut que devenir plus qu’un thème, et prendre image grâce à la légende. Le  » Hollandais volant  » apparaît, et avec lui l’évidence d’un lieu où les âmes et les corps ne sont pas encore totalement dissociés par l’ailleurs. L’évidence aussi d’étreintes improbables desquelles aucune naissance ne pourra jaillir…

 

Saskia – © Lucien Rollin

Saskia, c’est une histoire de sentiments, de sensations, d’impossibilités à assouvir ses désirs essentiels, c’est l’histoire de la vie se confrontant sans cesse aux vagues et aux tempêtes du deuil, donc de l’impitoyable.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Avec un tout petit bémol, malgré tout ! Le dialogue utilise beaucoup d’expressions de patois flamand, et c’est normal, cela fait partie de la qualité historique de ce qui nous est conté ici. Mais il eût été bienvenu, je pense, de laisser quelques notes de bas de page pour que le chant sourd et lourd de cette langue puisse être accessible à tout le monde.
Mais ce n’est qu’une minuscule critique face à un livre qui, en objet du neuvième art, ne pourra que trouver sa place dans toutes les bibliothèques de bd dignes de ce nom !

Jacques Schraûwen
Saskia des Vagues (dessin : Lucien Rollin- scénario : Pierre Dubois – couleur de la couverture : Jean-Jacques Chagnaud – éditeur : La Fée Emer)

Sourire 58: un album et une exposition

Sourire 58: un album et une exposition

Cela fait 60 ans que l’exposition universelle de Bruxelles a ouvert ses portes au monde… Cela valait bien une bande dessinée nostalgique, désuète, et réussie ! Et une interview de son dessinateur !

 

Cette exposition universelle, c’était, à Bruxelles et dans toute la Belgique, un événement plus que considérable. Lieu de rêve, lieu de modernité, lieu où découvrir des pays inconnus et leurs réalités quotidiennes, lieu tourné vers l’avenir, scientifiquement et artistiquement, le plateau du Heysel a attiré en six mois plus de 40 millions de visiteurs.

Et pour accueillir, guider, encadrer ces visiteurs, l’organisation de cette immense « foire à l’image » a eu besoin d’hôtesses nombreuses…. Des hôtesses qui se devaient, certes, d’être charmantes, mais qui se devaient surtout de répondre à des normes extrêmement strictes, presque militaires, de présentation et de… moralité !

Et cet album nous raconte une histoire qui est axée, de bout en bout, autour de l’une de ces hôtesses, la brune Kathleen. On la voit postuler, être acceptée, et, finalement, être engagée… Mais on la voit aussi empêtrée dans une intrigue qui la dépasse largement.

Et on peut dire que le premier intérêt de ce livre réside là : dans le portrait double d’une époque et d’une femme qui en est un peu comme le symbole vivant.

Baudouin Deville: portrait d’une époque, portrait d’une femme
 

Il faut, à ce sujet, souligner l’intérêt du dessin de Baudouin Deville qui, dans sa façon de croquer les attitudes de ses personnages, des attitudes souvent un peu hiératiques, avec une gestuelle qui semble guindée, répond à la vérité historique de ce qu’étaient les vêtements en 1958, d’une part, de ce qu’étaient aussi les règles de morale et de politesse que tout un chacun se devait de suivre. A ce titre aussi, Deville parvient, à travers un graphisme traditionnel, très  » ligne claire  » et légèrement rigide, à nous restituer toute l’ambiance de cette époque.

 

Baudouin Deville: les vêtements et les attitudes
 

Cela dit, ce livre raconte aussi une  » histoire « . Une histoire qui plonge le lecteur d’aujourd’hui dans ce qu’on appelait alors la guerre froide. Un terme qui, étrangement, revient de plus en plus dans l’actualité ! Il y a des espions, des Russes, des Américains, des Belges… Venant du Vatican, également ! Avec en trame de fond, les flonflons de la fête universelle qu’était cette exposition universelle, il y a des menaces d’attentat, des rebondissements, des faux coupables et des vrais salauds. Il y a aussi un complot qui vise à lancer une nouvelle guerre mondiale…

On se retrouve en présence, avec le scénario de Patrick Weber, d’un récit bien charpenté mais avec des péripéties, reconnaissons-le, parfois attendues. Un récit, en tout état de cause, qui correspond bien à ce qu’étaient les romans et les bandes dessinées d’espionnage de l’époque, d’ailleurs, et les films noirs qui fleurissaient sur les écrans américains et européens.

Ce scénario donne un vrai rythme à l’album, mais c’est sans doute le dessin, ici, qui occupe la place la plus importante, grâce à une documentation soignée, abondante et parfaitement assumée.

Baudouin Deville: la guerre froide

 

Baudouin Deville: le dessin et l’intrigue

Un dessin dans lequel on ressent, de manière évidente, tout le plaisir que Baudoin Deville a vécu en le créant. Un dessin à l’ancienne, comme l’est le scénario, et c’est sans doute ce qui donne à cet album un charme très particulier. Un charme qui, probablement, sera plus sensible aux Bruxellois et aux Belges, mais qui sera ressenti également par tous ceux qui aiment voir ce qu’était notre société, il n’y a pas si longtemps encore, avant la déshumanisation technologique qui est en train de nous envahir.

Baudouin Deville: le dessin
 

On peut parler de plaisir, oui, à la lecture de ce livre, sans aucun doute… Il y a quelques faiblesses, c’est vrai, quelques facilités au niveau du scénario. Mais on ressent de page en page la joie que les auteurs ont eue à se plonger, à nous plonger à leur suite, dans cette époque au cours de laquelle se construisait déjà un monde qui est devenu le nôtre.

A souligner, aussi, une très belle couverture, aux couleurs parfaites dues à Bérengère Marquebreucq.

 

Jacques Schraûwen

Sourire 58 (dessin : Baudouin Deville – scénario : Patrick Weber – éditeur : Nicolas Anspach)

Une exposition à la Galerie Champaka à Bruxelles jusqu’au 5 mai2018

 

3 Fois dès l’aube

3 Fois dès l’aube

Une adaptation extrêmement graphique de Aude Samana d’un roman d’Alessandro Baricco, à partir d’un scénario tout en déconstruction de Denis Lapière, le scénariste, à écouter dans cette chronique.

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

 

Denis Lapière: déconstruction fusion silence
Denis Lapière: adaptation

 

Alessandro Baricco n’est pas ce qu’on pourrait appeler un écrivain « facile ». De roman en essai, en passant par la musique et le cinéma, l’œuvre qu’il a construite depuis quelque 30 ans s’éloigne résolument des sentiers tracés par la mode et la facilité. Adapter un de ses romans emblématiques de son style de la narration tenait donc de la gageure. C’est que ce style se caractérise par des ruptures de rythme, par des déconstructions continuelles des moteurs habituels du récit, le temps par exemple, et les lieux… En quelque sorte, on peut même dire que, volontairement, Baricco, de livre en livre, cherche sans cesse à s’éloigner des codes de la tragédie, du roman, de l’histoire racontée… Denis Lapière a choisi une adaptation tout en ambiances, avec des déconstructions, lui aussi, mais tempérées par le graphisme d’Aude Samama. Son adaptation laisse aussi la place, plus que dans le roman originel, au silence, ce en qui rend la lecture aérée et toujours agréable.

 

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

 

Denis Lapière: dessin à la hopper –
Denis Lapière: dessin couleur narration

 

 

Trois fois dès l’aube, deux personnages se rencontrent, se retrouvent, se réinventent. Dès l’aube, ou, plutôt, pendant la nuit. Ces deux êtres, qui vivent en discrétion une histoire qui finira par n’appartenir qu’à eux, se nourrissent de mots et de gestes quotidiens. Sans prénom et sans nom, ils vivent, de nuit en petit matin, l’anonymat de la rencontre. Il leur faudra attendre une aube ultime pour enfin se reconnaître, visage à visage.

Vous l’aurez compris, c’est un album très littéraire, mais qui parvient malgré tout à éviter tous les pièges d’une intellectualisation pesante. Grâce au découpage de Lapière, c’est vrai, mais grâce aussi au dessin d’Aude Samara, un dessin à la « Hopper », un dessin qui définit, lui aussi, le quotidien des personnages, un dessin dont les couleurs forment véritablement la narration, un dessin dont l’art, d’une évidence tantôt de pénombre tantôt de lumière, comme en toute aube humaine, rythme tous les mots de Baricco et de Lapière.

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

Denis Lapière: les thèmes

 

Livre étonnant à bien des points de vue, ce « 3 fois dès l’aube » se révèle envoûtant, d’un envoûtement un peu magique. Un envoûtement qui naît de tous les thèmes qui, discrètement tout compte fait, sont abordés de page en page, de rencontre en rencontre.

Il y a un aspect « polar », puisqu’un des personnages est policière, et l’autre a un passé de délinquance. Il y a un aspect fantastique, « merveilleux » plutôt, aussi, puisque les âges de ces deux personnages sont sans cesse changeants, comme le sont leurs quotidiens. Il y a de la nostalgie, puisqu’on parle d’enfance et de regrets, de sourires et de larmes, de musique et d’absence.

 

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

Denis Lapière: pouvoir recommencer

 

Même dans une histoire d’imagination, qui pourrait d’ailleurs n’être que ludique, Baricco ne peut se résoudre à ne pas choisir, aussi, la voie de la fable. Une fable humaine, une fable qui parle de faiblesse et de courage, de lâcheté et de volonté. D’amour et d’érotisme. D’attente et d’impatience.

L’amour qu’il nous raconte, l’amour que nous raconte cette très belle et très artistique adaptation, cet amour-là survit à la fois au monde et à ses turpitudes, ses aléas, ses hasards, et à la fois à lui-même et ses tentations de routines.

Cet amour-là se démesure, dans la simplicité des sentiments, en se réinventant, en acceptant, à chaque nouveau regard, de tout recommencer…

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

 

« 3 fois dès l’aube » n’est pas un livre simple, c’est vrai, il appelle, de la part du lecteur, un effort, celui de bien vouloir entrer dans un univers dérangeant parce que sans cesse changeant. Mais l’effort (intellectuel) vaut la peine, parce que cette bd est belle, intelligente, et qu’elle nous parle d’amour avec une tendresse et une simplicité superbes…

 

Jacques Schraûwen

3 Fois dès l’aube (dessin : Aude Samama – scénario : Denis Lapière, d’après Alessandro Baricco – éditeur : Futuropolis)