Il est de ces genres littéraires ou cinématographiques qui ne disparaissent jamais et qui, même, se renouvellent sans cesse. Le Western, tout comme le Polar, en sont des exemples évidents.
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Je pense que la raison en est simple. Ces deux « styles » peuvent s’envisager comme des tragédies : des personnages célèbres, des péripéties extérieures qui provoquent des remous intérieurs, personnels, des destins qui semblent tracés depuis toujours et qui, pourtant, s’adaptent au temps présent du récit.
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Et c’est bien dans une forme de tragédie que nous plongeons avec ce livre. Il s’agit du quatrième opus d’une série, et ce quatrième album, « La boue et le sang », nous parle de vengeance dans un ouest américain fait de violence, de meurtres, de sang, de racisme, de négation de la femme… Ce quatrième album, également, tout en usant des codes propres au western, se fait aussi enquête presque policière…
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Ces codes sont, déjà, ceux des personnages choisis : Calamity Jane, Wild Bill Hickok, des soldats noirs, un cimetière indien dynamité… Quant au côté policier, il s’agit, dans cet album, de retrouver un véritable tueur en série. Vous voyez, les thèmes abordés dans ce livre sont très nombreux, et on peut y rajouter le pouvoir et l’argent, la non-violence, la tradition, la révolte, la culture… Ce qui fait que le scénario est véritablement touffu, construit comme un labyrinthe, ou mieux encore, comme une spirale infernale.
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Mais tout cela reste parfaitement lisible, ai-je envie de dire. Le racisme, les horreurs quotidiennes, le combat d’une femme comme Calamity Jane pour exister au moins aussi fort que les hommes, les violences terribles de tout le monde, blancs, indiens ou noirs, tout cela forme la trame d’un récit haut en couleur dans lequel Thierry Gloris, le scénariste, ne se perd jamais et ne perd jamais ses lecteurs non plus, dans lequel le dessin spectaculaire de Jacques Lamontagne fait merveille. Un dessin qui s’éloigne de plus en plus de l’influence de Giraud, et c’est tant mieux !
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C’est du très, très bon western, sans aucun doute possible ! Original tout en étant respectueux de la tradition du genre… Une série qui s’impose désormais comme importante dans ce genre de bd…
Jacques et Josiane Schraûwen
Wildwest – 4. La Boue Et Le Sang (dessin : Jacques Lamontagne – scénario : Thierry Gloris – éditeur : Dupuis – 2024 – 48 pages)
Il s’agit d’une revue de récits graphiques… C’est-à-dire, plus simplement, une revue, indépendante, ouverte à la jeunesse de la bande dessinée, à des auteurs variés qui y trouvent l’occasion, la chance aussi parfois, de montrer leurs talents…
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Et cette revue fête cette année, en effet, ses dix ans d’existence, et cela mérite bien d’être souligné ! Et soutenu !… Chaque numéro se construit autour d’une thématique précise. Ici, dans ce numéro 27, il s’agit du Japon…
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Un thème qui permet de découvrir des auteurs qui ne manquent vraiment pas d’intérêt, et dont certains, j’en suis sûr, brilleront bientôt… Wanwine, Harotin, Di Nunzio, Gemmel, réussissent par exemple à sortir des sentiers battus, chacun à sa manière, pour nous donner sa propre interprétation du Japon.
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Ce numéro, également, a un côté éditorial important, avec un très bel article consacré à Taniguchi. Avec, aussi et surtout, un hommage à l’immense Cécile Bertrand, morte il y a quelques mois, une dessinatrice de presse active dans les pages de cette revue, depuis des années, une dessinatrice de presse ayant bien souvent aidé les jeunes, une femme engagée, aussi, sans compromissions, et dont le décès s’est déroulé dans une sorte d’indifférence inacceptable… Cet hommage, donc, était plus que nécessaire !
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Elle fut coloriste, elle fut dessinatrice pour jeune public, elle fut aussi une collaboratrice active de cette revue 64_page. Elle fut surtout, et depuis des années, une observatrice de la vie qui nous entoure, du monde qui nous enserre. Tout au long de ses dessins de presse, vifs, efficaces, lucides… Intelligents et engagés, toujours, mais sans tape-à-l’oeil inutile!
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Cécile avait l’humilité du vrai talent… Elle était un regard… Elle ne s’est jamais mise en avant pour le seul plaisir d’un égo inutile… C’était, tout simplement, quelqu’un de bien… De vivant… De souriant… Quelqu’un dont les engagements étaient ceux de la bienveillance, au long des conseils qu’elle prodiguait aux nouveaux venus dans le monde de plus en plus censuré du dessin politiquement incorrect…
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Cette revue, hors des sentiers battus, avec une vraie qualité d’impression et une belle variété de contenu, mérite, oui, d’être découverte… D’être soutenue, aussi ! N’hésitez pas à vous y abonner…
Ce livre date d’il y a presque quinze ans. Je l’ai découvert lors de la fête de la BD, à Bruxelles… Et je pense que cet album mérite de ne pas être oublié, pour plusieurs raisons…
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La première raison, et la plus importante sans doute, c’est son sujet : le suicide ! Oui, cette réalité dont les médias nous parlent, de temps en temps, comme pour se donner l’alibi de la réflexion sociétale et humaniste… Cette réalité qui touche, de nos jours, dans un silence souvent terrible, bien des gens, de toutes les générations, de toutes les origines sociales, cette volonté qu’a un être humain à décider de quitter définitivement le monde des vivants. Un monde dans lequel il ne se sent plus la possibilité d’exister…
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Edité par le Centre de prévention du suicide, en 2010, cet album n’a pas été destiné à la vente. Il a été, si mes renseignements sont bons, distribué dans des bibliothèques, des centres médicaux, des manifestations publiques. On peut aujourd’hui le retrouver, je pense, en cherchant un peu… Son but était de faire réfléchir, d’ouvrir les yeux, simplement, sans discours moralisateur, sans appel de fonds, sans d’autre ambition que de laisser 13 dessinateurs de bd et un scénariste nous livrer leurs réactions dessinées face au suicide…
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Quatorze auteurs, oui, qui, chacun à sa manière, se sont interrogés sur ce qu’est ce geste ultime, sur ce qu’il peut représenter, pour eux-mêmes, pour celles et ceux qui l’ont accompli, pour celles et ceux qui s’en sont revenus de ce lieu entre mort et vie, pour celles et ceux qui en ont été les compagnons ou les observateurs. Cela fait une couverture de Schuiten, d’abord, et, ensuite, douze récits rapides, incisifs parfois, poétiques aussi, douze petites histoires dessinées qui sont autant de jalons, non pas pour comprendre le geste du suicide, mais pour en approcher les méandres…
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Ne cherchez pas dans ce livre un quelconque « message » bien structuré, bien scénarisé… Chaque auteur, et on le sent de page en page, a eu la liberté de nous offrir un propos sans jamais chercher à l’édulcorer… Cela fait des récits positifs, cela fait des récits pleins de regrets, cela fait des récits sombres et puissants, cela fait un livre hétéroclite qui, finalement, nous parle de nous, de nos propres angoisses, de nos propres manques d’attention, aussi, parfois, souvent…
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Avec un album tel que celui-ci, ouvrant ses pages à plusieurs auteurs, on ne peut, lecteur, qu’apprécier certains chapitres, en aimer moins d’autres, c’est évident. Et c’est aussi la force de ce bouquin, justement, de ne rien imposer comme regard, comme réflexion. Encore moins comme « morale » ou jugement. Cédric Hervan nous décrit le suicide comme un dernier voyage conscient… Dimitri Piot nous raconte la nécessité, presque poétique, de retrouver le bonheur que la mort de l’aimée a effacé… Cédric Manche nous raconte le hasard qui peut arrêter ce qui semble inéluctable… Bernard Swysen construit une sorte d’enquête policière autour d’une mort volontaire… Jean-Marc Dubois, avec un dessin aux somptueux aplats de noir, nous parle de la mémoire peut-être plus forte que la mort… Marianne Duvivier, dans un style poétique qui lui appartient totalement, réussit à faire croire en l’espérance… Johan De Moor s’essaie à l’humour presque potache… Etienne Schréder parle de lui, et de la force de l’écriture, de la lecture… Renaud Collin et Vincent Zabus dessinent et écrivent la nécessité de l’écoute, la simple écoute de l’autre… Xavier Löwenthal réussit à mettre le doigt sur l’indifférence, cette terrible indifférence qui fait de la mémoire une force inutile… Romain Renard, en touches extrêmement sensitives, aborde la thématique des tentatives de suicide. Et l’excellent Maxime De Radiguès clôture ce livre avec la simple nécessité de l’amitié, de contacts réels entre les vivants…
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Le voyage dans les paysages de la mort volontaire ne m’a pas été douloureux… Il m’a fait comprendre, et qui n’a pas besoin de comprendre, que le suicide est une route qu’on peut emprunter, sans espoir de retour, pour bien des raisons… Il m’a fait réfléchir à mes propres désespérances… A mes propres errances… Au besoin de l’âme de se trouver des raisons d’exister…
Ce livre est important, parce que non moralisateur, seulement ouvert à la réalité que les médias, aveugles tellement souvent, ne rendent visible qu’au travers de chiffres, de statistiques froides et formatées… Le suicide, la mort en général, ce ne sont pas des chiffres… Ce sont des drames, ce sont des volontés, ce sont des départs foudroyants. Ce sont des gestes qui, autour de nous, existent, et qui pourraient être évités, parfois, si nous prenions simplement le temps d’ouvrir les yeux.
D’aimer…
Jacques et Josiane Schraûwen
Vivre ? (album collectif édité en 2010 par « Centre de Prévention du Suicide » – 02 650 08 69 – ligne de crise 0800 32 123