Le Tour de Belgique de Monsieur Iou

Le Tour de Belgique de Monsieur Iou

Pendant toute une année, Monsieur Iou a enfourché son vélo pour découvrir, de l’intérieur, la petite Belgique… Carnet de route, carnet de rencontres, aussi, cet album est une invitation graphique et souriante à la découverte…

Monsieur Iou © rue de l’échiquier

Ne vous attendez pas, en vous plongeant dans ce livre, à un album classique, avec une histoire plus ou moins linéaire. Ne vous attendez pas non plus à un guide touristique de la Belgique destiné aux utilisateurs des deux roues.
C’est bien plus à une aventure humaine que nous invite son jeune auteur qui, pour oublier ses habitudes de citadin appartenant à la capitale, a décidé un jour de se balader, simplement, de ville en village, de paysage en paysage, de sourire et éclat de rire…
Une aventure humaine, oui… Au centre de laquelle, malgré tout, la petite reine trône de manière évidente et ostentatoire.
Dans les années 60, un slogan disait à peu près : « ma voiture, c’est ma liberté »… Aujourd’hui, à travers ce livre et à travers aussi une réalité plus ou moins imposée par différents lobbys et le monde politique, on pourrait dire, de la même manière : « ma liberté, c’est mon vélo ».
Toute liberté, cependant, peut aussi être source de révolte, donc de violence, et Monsieur Iou ne cache pas cette vérité au fil de ses pages. Mais ce qui le motive, à vélo ou devant sa planche à dessin, c’est d’abord et avant tout de nous dire que la beauté et le dépaysement sont proches de nous, et que, finalement, il ne fait pas plus beau dans le jardin du voisin…

 

Monsieur Iou: la liberté

 

 

Monsieur Iou © rue de l’échiquier

Ce n’est pas médire que d’affirmer que ce livre surfe sur la vague de la mode actuelle, une mode que d’aucuns définissent comme « bobo ». Mais ce n’est pas péjoratif, tant il est vrai que la démarche de Monsieur Iou n’est absolument pas celle d’une confrontation mais bien plus celle d’une convivialité. Et que sa manière, d’un humour parfois potache, d’une tendresse parfois poétique, d’une franche rigolade totalement assumée, d’un sérieux presque contemplatif, sa façon, donc, de nous emmener à sa suite à travers la Belgique est véritablement réjouissante.
Tout comme l’est son dessin, qui, tout au long de cet album, s’amuse (et le mot est bien choisi…) à filer un peu dans tous les sens, à être ici presque conventionnel, à devenir, là, éclaté, à jouer avec les blancs, ou à se mêler avec des tonalités presque monochromes.
La Belgique est un pays petit aux frontières internes, comme le dit Claude Semal dans une de ses chansons. Monsieur Iou nous montre, au gré de ses rencontres, de ses soirées animées et arrosées, que la taille de la Belgique la rend encore plus désirable, plus belle, plus intéressante. Ce tout de Belgique, oui, finalement, s’avère également sensuel, presque amoureux !

 

Monsieur Iou: le Dessin

 


Monsieur Iou © rue de l’échiquier

Un livre intéressant, qui peut, pourquoi pas, même si l’auteur dit le contraire, servir de guide touristique, mais d’un tourisme loin des conventions et des habitudes en la matière ! Un livre souriant, aussi, surtout, simple sans être simpliste et qui, en définitive, nous appelle toutes et tous à mieux apprendre à vivre ensemble, au quotidien, loin de toutes les idéologies toujours contraignantes !

Jacques Schraûwen
Le Tour de Belgique de Monsieur Iou (auteur : Monsieur Iou – éditeur : Rue de l’échiquier)

Saskia des Vagues

Saskia des Vagues

Une jeune femme belle comme la mort… Un amour détruit, une vengeance, un ultime amour impossible… Une aventure passionnante et passionnée !

 

Saskia – © Lucien Rollin

Il s’agit d’une réédition… Mais d’une réédition qui, sans aucun doute possible, nous fait découvrir ou redécouvrir un livre étonnant, d’une belle réussite graphique, et dont le scénario, nourri de légendes et de culture, est un petit bijou…
L’édition originale date de 1997, et elle fut publiée chez Dargaud.
Cette édition-ci s’apparente, en fait, à un tirage de luxe… Un format agrandi (35×27) qui met en évidence toute la qualité du travail du dessin, de la mise en page, de la mise en scène, même… Un noir et blanc qui, tantôt, se veut presque transparent, et, tantôt, dessine les contours du réel, du rêve et du cauchemar avec une intensité remarquable… Lucien Rollin est un ciseleur de situations, de visages, de paysages, et, à ce titre, ce livre-ci, qui est peut-être son meilleur, peut s’inscrire aux côtés des auteurs qui, dans les années 80 et 90, ont réinventé la bande dessinée classique, en y ajoutant les ingrédients du fantastique, du merveilleux et de l’horreur. Comès, Servais, Marc-Renier sont cousins de Rollin…

 

Saskia – © Lucien Rollin

L’histoire de cet album mélange, comme toujours avec le superbe scénariste Pierre Dubois, la réalité historique et l’imaginaire débridé, la  vérité et le fantasme, l’ici et l’ailleurs. Une jeune femme va se marier… Son futur époux, un jeune marin plein d’ambition, se fait gruger par ceux en qui il faisait confiance. Et le bateau qu’il a armé est incapable de résister aux assauts d’un pirate. Avant même les noces, la mort remplace l’amour…
Saskia, la jeune fiancée éperdue de douleur, fait de cette souffrance l’instrument d’une quête au bout de laquelle seule la destruction des âmes et des corps sera effective. Elle s’offre à un autre pirate, apprend avec lui les puissances de la mer et du combat, de l’abordage et du pouvoir, de la haine et du courage, de la beauté et de la laideur. Et elle se venge, impitoyable…
Jusque là, le récit pourrait n’être qu’une simple aventure marine, dont le thème principal reste, au-delà des péripéties, l’amour et la mort toujours intimement mêlés. Mais c’est oublier que Pierre Dubois est aux commandes du scénario, et que la mort, chez lui, ne peut que devenir plus qu’un thème, et prendre image grâce à la légende. Le  » Hollandais volant  » apparaît, et avec lui l’évidence d’un lieu où les âmes et les corps ne sont pas encore totalement dissociés par l’ailleurs. L’évidence aussi d’étreintes improbables desquelles aucune naissance ne pourra jaillir…

 

Saskia – © Lucien Rollin

Saskia, c’est une histoire de sentiments, de sensations, d’impossibilités à assouvir ses désirs essentiels, c’est l’histoire de la vie se confrontant sans cesse aux vagues et aux tempêtes du deuil, donc de l’impitoyable.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Avec un tout petit bémol, malgré tout ! Le dialogue utilise beaucoup d’expressions de patois flamand, et c’est normal, cela fait partie de la qualité historique de ce qui nous est conté ici. Mais il eût été bienvenu, je pense, de laisser quelques notes de bas de page pour que le chant sourd et lourd de cette langue puisse être accessible à tout le monde.
Mais ce n’est qu’une minuscule critique face à un livre qui, en objet du neuvième art, ne pourra que trouver sa place dans toutes les bibliothèques de bd dignes de ce nom !

Jacques Schraûwen
Saskia des Vagues (dessin : Lucien Rollin- scénario : Pierre Dubois – couleur de la couverture : Jean-Jacques Chagnaud – éditeur : La Fée Emer)

Sourire 58: un album et une exposition

Sourire 58: un album et une exposition

Cela fait 60 ans que l’exposition universelle de Bruxelles a ouvert ses portes au monde… Cela valait bien une bande dessinée nostalgique, désuète, et réussie ! Et une interview de son dessinateur !

 

Cette exposition universelle, c’était, à Bruxelles et dans toute la Belgique, un événement plus que considérable. Lieu de rêve, lieu de modernité, lieu où découvrir des pays inconnus et leurs réalités quotidiennes, lieu tourné vers l’avenir, scientifiquement et artistiquement, le plateau du Heysel a attiré en six mois plus de 40 millions de visiteurs.

Et pour accueillir, guider, encadrer ces visiteurs, l’organisation de cette immense « foire à l’image » a eu besoin d’hôtesses nombreuses…. Des hôtesses qui se devaient, certes, d’être charmantes, mais qui se devaient surtout de répondre à des normes extrêmement strictes, presque militaires, de présentation et de… moralité !

Et cet album nous raconte une histoire qui est axée, de bout en bout, autour de l’une de ces hôtesses, la brune Kathleen. On la voit postuler, être acceptée, et, finalement, être engagée… Mais on la voit aussi empêtrée dans une intrigue qui la dépasse largement.

Et on peut dire que le premier intérêt de ce livre réside là : dans le portrait double d’une époque et d’une femme qui en est un peu comme le symbole vivant.

Baudouin Deville: portrait d’une époque, portrait d’une femme
 

Il faut, à ce sujet, souligner l’intérêt du dessin de Baudouin Deville qui, dans sa façon de croquer les attitudes de ses personnages, des attitudes souvent un peu hiératiques, avec une gestuelle qui semble guindée, répond à la vérité historique de ce qu’étaient les vêtements en 1958, d’une part, de ce qu’étaient aussi les règles de morale et de politesse que tout un chacun se devait de suivre. A ce titre aussi, Deville parvient, à travers un graphisme traditionnel, très  » ligne claire  » et légèrement rigide, à nous restituer toute l’ambiance de cette époque.

 

Baudouin Deville: les vêtements et les attitudes
 

Cela dit, ce livre raconte aussi une  » histoire « . Une histoire qui plonge le lecteur d’aujourd’hui dans ce qu’on appelait alors la guerre froide. Un terme qui, étrangement, revient de plus en plus dans l’actualité ! Il y a des espions, des Russes, des Américains, des Belges… Venant du Vatican, également ! Avec en trame de fond, les flonflons de la fête universelle qu’était cette exposition universelle, il y a des menaces d’attentat, des rebondissements, des faux coupables et des vrais salauds. Il y a aussi un complot qui vise à lancer une nouvelle guerre mondiale…

On se retrouve en présence, avec le scénario de Patrick Weber, d’un récit bien charpenté mais avec des péripéties, reconnaissons-le, parfois attendues. Un récit, en tout état de cause, qui correspond bien à ce qu’étaient les romans et les bandes dessinées d’espionnage de l’époque, d’ailleurs, et les films noirs qui fleurissaient sur les écrans américains et européens.

Ce scénario donne un vrai rythme à l’album, mais c’est sans doute le dessin, ici, qui occupe la place la plus importante, grâce à une documentation soignée, abondante et parfaitement assumée.

Baudouin Deville: la guerre froide

 

Baudouin Deville: le dessin et l’intrigue

Un dessin dans lequel on ressent, de manière évidente, tout le plaisir que Baudoin Deville a vécu en le créant. Un dessin à l’ancienne, comme l’est le scénario, et c’est sans doute ce qui donne à cet album un charme très particulier. Un charme qui, probablement, sera plus sensible aux Bruxellois et aux Belges, mais qui sera ressenti également par tous ceux qui aiment voir ce qu’était notre société, il n’y a pas si longtemps encore, avant la déshumanisation technologique qui est en train de nous envahir.

Baudouin Deville: le dessin
 

On peut parler de plaisir, oui, à la lecture de ce livre, sans aucun doute… Il y a quelques faiblesses, c’est vrai, quelques facilités au niveau du scénario. Mais on ressent de page en page la joie que les auteurs ont eue à se plonger, à nous plonger à leur suite, dans cette époque au cours de laquelle se construisait déjà un monde qui est devenu le nôtre.

A souligner, aussi, une très belle couverture, aux couleurs parfaites dues à Bérengère Marquebreucq.

 

Jacques Schraûwen

Sourire 58 (dessin : Baudouin Deville – scénario : Patrick Weber – éditeur : Nicolas Anspach)

Une exposition à la Galerie Champaka à Bruxelles jusqu’au 5 mai2018