3 Fois dès l’aube

3 Fois dès l’aube

Une adaptation extrêmement graphique de Aude Samana d’un roman d’Alessandro Baricco, à partir d’un scénario tout en déconstruction de Denis Lapière, le scénariste, à écouter dans cette chronique.

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

 

Denis Lapière: déconstruction fusion silence
Denis Lapière: adaptation

 

Alessandro Baricco n’est pas ce qu’on pourrait appeler un écrivain « facile ». De roman en essai, en passant par la musique et le cinéma, l’œuvre qu’il a construite depuis quelque 30 ans s’éloigne résolument des sentiers tracés par la mode et la facilité. Adapter un de ses romans emblématiques de son style de la narration tenait donc de la gageure. C’est que ce style se caractérise par des ruptures de rythme, par des déconstructions continuelles des moteurs habituels du récit, le temps par exemple, et les lieux… En quelque sorte, on peut même dire que, volontairement, Baricco, de livre en livre, cherche sans cesse à s’éloigner des codes de la tragédie, du roman, de l’histoire racontée… Denis Lapière a choisi une adaptation tout en ambiances, avec des déconstructions, lui aussi, mais tempérées par le graphisme d’Aude Samama. Son adaptation laisse aussi la place, plus que dans le roman originel, au silence, ce en qui rend la lecture aérée et toujours agréable.

 

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

 

Denis Lapière: dessin à la hopper –
Denis Lapière: dessin couleur narration

 

 

Trois fois dès l’aube, deux personnages se rencontrent, se retrouvent, se réinventent. Dès l’aube, ou, plutôt, pendant la nuit. Ces deux êtres, qui vivent en discrétion une histoire qui finira par n’appartenir qu’à eux, se nourrissent de mots et de gestes quotidiens. Sans prénom et sans nom, ils vivent, de nuit en petit matin, l’anonymat de la rencontre. Il leur faudra attendre une aube ultime pour enfin se reconnaître, visage à visage.

Vous l’aurez compris, c’est un album très littéraire, mais qui parvient malgré tout à éviter tous les pièges d’une intellectualisation pesante. Grâce au découpage de Lapière, c’est vrai, mais grâce aussi au dessin d’Aude Samara, un dessin à la « Hopper », un dessin qui définit, lui aussi, le quotidien des personnages, un dessin dont les couleurs forment véritablement la narration, un dessin dont l’art, d’une évidence tantôt de pénombre tantôt de lumière, comme en toute aube humaine, rythme tous les mots de Baricco et de Lapière.

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

Denis Lapière: les thèmes

 

Livre étonnant à bien des points de vue, ce « 3 fois dès l’aube » se révèle envoûtant, d’un envoûtement un peu magique. Un envoûtement qui naît de tous les thèmes qui, discrètement tout compte fait, sont abordés de page en page, de rencontre en rencontre.

Il y a un aspect « polar », puisqu’un des personnages est policière, et l’autre a un passé de délinquance. Il y a un aspect fantastique, « merveilleux » plutôt, aussi, puisque les âges de ces deux personnages sont sans cesse changeants, comme le sont leurs quotidiens. Il y a de la nostalgie, puisqu’on parle d’enfance et de regrets, de sourires et de larmes, de musique et d’absence.

 

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

Denis Lapière: pouvoir recommencer

 

Même dans une histoire d’imagination, qui pourrait d’ailleurs n’être que ludique, Baricco ne peut se résoudre à ne pas choisir, aussi, la voie de la fable. Une fable humaine, une fable qui parle de faiblesse et de courage, de lâcheté et de volonté. D’amour et d’érotisme. D’attente et d’impatience.

L’amour qu’il nous raconte, l’amour que nous raconte cette très belle et très artistique adaptation, cet amour-là survit à la fois au monde et à ses turpitudes, ses aléas, ses hasards, et à la fois à lui-même et ses tentations de routines.

Cet amour-là se démesure, dans la simplicité des sentiments, en se réinventant, en acceptant, à chaque nouveau regard, de tout recommencer…

 

3 Fois dès l’aube©Futuropolis

 

« 3 fois dès l’aube » n’est pas un livre simple, c’est vrai, il appelle, de la part du lecteur, un effort, celui de bien vouloir entrer dans un univers dérangeant parce que sans cesse changeant. Mais l’effort (intellectuel) vaut la peine, parce que cette bd est belle, intelligente, et qu’elle nous parle d’amour avec une tendresse et une simplicité superbes…

 

Jacques Schraûwen

3 Fois dès l’aube (dessin : Aude Samama – scénario : Denis Lapière, d’après Alessandro Baricco – éditeur : Futuropolis)

Saint-Barthélemy : Une série historique en trois tomes

Saint-Barthélemy : Une série historique en trois tomes

Pierre Boisserie au scénario et Eric Stalner au dessin, c’est l’assurance d’une bande dessinée qui laisse  la  place à l’aventure dans ce qu’elle peut avoir de plus épique… Et c’est bien le cas ici !

 

Saint-Barthélémy©Arènes BD

 

Le massacre de la Saint-Barthélemy, voilà bien une des horreurs de l’Histoire qui appartient à la mémoire collective. Une horreur que, malheureusement, d’aucuns perpétuent de nos jours en choisissant, encore et toujours, de mourir et de faire mourir au nom d’un dieu toujours muet.

C’est un thème, évidemment, qui a été bien des fois utilisé, en littérature, au cinéma, en bande dessinée également, avec l’excellent « Charly 9 » de Guérineau par exemple.

Pour Stalner et Boisserie, cependant, cet épisode qui vit l’assassinat gratuit de milliers de protestants et qui annonça l’arrivée au pouvoir d’un Henri IV pour qui Paris vaudra bien une messe, ce moment sanglant de l’histoire de France sert de canevas, de décor à une aventure humaine. C’est en effet  le destin d’un jeune protestant, Elie Sauveterre, que nous suivons dans ces trois albums. Un destin qui en croise d’autres, qui, grâce à quelques flash-backs particulièrement bien agencés, se définit dans la durée d’une existence, voire même de plusieurs existences parallèles. Il y a dans cette petite série un drame familial, un drame historique, de l’amour, de la violence, du pardon et de la haine, de pouvoir et de la lâcheté, du sang et des sourires, des mains tendues et des corps torturés…

 

Saint-Barthélémy©Arènes BD

 

Avec Pierre Boisserie, l’humain a toujours pris la première place, mais qu’on ne s’y trompe pas : cela n’empêche nullement les deux auteurs à plonger leur récit dans une grande Histoire particulièrement vivant, particulièrement bien décrite, bien racontée, avec un regard « historien » qui permet au lecteur lamda de mieux saisir cette époque lointaine qui ensanglanta Paris et la France au seul prétexte d’idées, de croyances, et de recherche insensée de pouvoir et de possession !

Son sens du dialogue fait merveille dans ces trois albums, et chaque personnage, de bout en bout et jusqu’à l’éclaircie des dernières pages, a son propre langage, sa propre manière de s’exprimer, ce qui, bien entendu, ajoute à la véracité de la narration.

Quant au dessin de Stalner, il s’inscrit résolument, depuis toujours, dans une démarche réaliste qui, elle aussi, affermit le propos et la réalité historique du récit.

Il faut aussi souligner le travail de la coloriste qui, au-delà des seules ambiances, réussit, avec une palette assurée, à mettre en scène véritablement ce qui nous est raconté. Ses rouges flamboient, ses clairs-obscurs mettent les visages et les expressions en évidence, le tout avec un véritable talent qui dépasse la seule colorisation.

Au total, une très belle série, animée, possédant tous les ingrédients d’une bien agréable lecture !

 

Jacques Schraûwen

Saint-Barthélemy (dessin : Eric Stalner – scénario : Eric Stalner et Pierre Boisserie – couleurs :  Florence Fantini – éditeur : Les Arènes BD)

 

Les Schtroumpfs Et Le Dragon Du Lac

Les Schtroumpfs Et Le Dragon Du Lac

C’est en 1958 que les Schtroumpfs ont vu le jour. Ces lutins bleus au langage expressif plus que précis ne devaient qu’être des faire-valoir dans la superbe série Johan et Pirlouit, de Peyo. Mais 60 ans plus tard, ce sont ces personnages typés qui continuent à enchanter des lecteurs de toutes les générations !

 

 

Les Schtroumpfs©Le Lombard

 

Et nous voici donc en face de la trente-sixième « Histoire des Schtroumpfs ».

A chaque fois que je prends entre les doigts un album de ces petits héros qui réussissent à mêler la folie pure à la sagesse la plus moralisatrice, je ne peux pas m’empêcher de voir surgir de ma lointaine enfance des sensations qui s’accompagnent de frissons… Combien de fois ai-je lu « Les Schtroumpfs Noirs », avec toujours les mêmes peurs aux mêmes endroits du récit ? Il faut dire que les premiers albums de cette série ont bénéficié du talent anarchiste et déjanté de l’immense Yvan Delporte ! Et que, sous la houlette de Peyo et de Delporte, les Schtroumpfs pouvaient s’apprécier à différents niveaux de lecture, donc à différents âges de lecteurs !

 

Les Schtroumpfs©Le Lombard

 

Bien sûr, le succès d’édition étant ce qu’il est, le succès international, aussi, grâce au cinéma d’abord, grâce à la télévision ensuite, les scénarios des Schtroumpfs sont devenus plus simples, plus immédiats, plus linéaires. Mais ces minuscules héros, héritiers, tout compte fait, de légendes qui courant à travers toute l’Europe, n’ont jamais cessé de plaire… A un public nostalgique, au fil des années, sans doute, mais aussi à un public intergénérationnel. Les parents ont aimé les Schtroumpfs, leurs enfants aussi, leurs petits-enfants également !

Cette série est devenue aujourd’hui, incontestablement, de la bande dessinée pour jeune public avec, de ci de là, des réflexions plus adultes, plus années en tout cas sur le monde tel qu’il est : le racisme, l’ambition, la  maladie, la différence, de peau ou de languee, par exemple… Mais toujours en utilisant des codes de lecture et de narration immédiatement accessibles, avec des méchants récurrents, comme Gargamel, sans lesquels il n’y aurait aucun contrepoint à la gentillesse des petits héros bleus au bonnet blanc.

Dans cet album-ci, pas de Gargamel !

 

 

Les Schtroumpfs©Le Lombard

 

Pas de méchant sorcier, non, mais un autre méchant qui, cette fois, n’a pas du tout les apparences d’un personnage à ne pas aimer de but en blanc ! Un méchant moins manichéen, blond, jeune, souriant. Mais un vrai méchant qui a emprisonné son oncle, Florimond de Jolival, pour lui voler son château et toutes ses possessions et agir en vrai dictateur.

Mais voilà, le baron Florimond avait recueilli un dragon que le Grand Schtroumpf avait déjà côtoyé en 1964, dans le superbe album de Johan et Pirlout, « Le Pays Maudit ». Et ce dragon, Fafnir, qui ne crache plus que de l’eau, vient chercher de l’aide chez les Schtroumpfs. Des Schtroumpfs qui, bien sûr, vont aller sauver le baron, réinstaller la paix et le plaisir de vivre dans la population, le tout sans violence !

 

Je me dois de dire que j’ai éprouvé un réel plaisir à retrouver Fafnir ! J’ai toujours aimé, chez Peyo et ses successeurs, cette manière qu’ils ont à transformer au fil de leurs récits d’enfantines angoisses en sourires bienveillants !

Et j’ose dire que ce trente-sixième opus d’une des séries mythiques du neuvième art remplit parfaitement son contrat ! Il fait sourire, il amuse, il se lit d’une traite, avec des dialogues qui ne cherchent qu’à accentuer la lisibilité de l’aventure sans jamais chercher à éblouir.

Serais-je nostalgique ?… Oui, sans doute, mais pas plus que tout un chacun qui aime, de temps en temps, retrouver adulte les traces de son enfance… Et  nostalgique avec la certitude, pour cet album-ci du moins, que les Schtroumpfs ont encore de bien beaux jours devant eux, et bien des sourires d’enfants à faire naître !

 

Jacques Schraûwen

Les Schtroumpfs Et Le Dragon Du Lac (créateur : Peyo – dessin : Jeroen De Coninck et Miguel Diaz- scénario : Alain Jost et Thierry Culliford – couleurs : Nine Culliford – éditeur : Le Lombard)