Du haut de mes 71 printemps, et en fouillant ma mémoire, je ne me souviens pas d’avoir eu peur d’arriver à 50 ans, 60, ou 70… Mais, pour d’aucuns, il y a dans ces passages à la dizaine une vraie angoisse !
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Jim, l’auteur de ce livre, a à son actif pas mal d’albums. Et, donc, il approche à très grands pas de ses soixante printemps… Et, vieillissant, il se sent habité par des tas d’angoisses… Les siennes et celles des hommes et des femmes de son âge, peut-être (ou pas…)… N’a-t-il pas raté son existence, n’aurait-il pas dû être « artiste » ?… Les statistiques de durée de vie ne le condamnent-elles pas à mourir bientôt ?… La prostate devient-elle le centre de toutes les dépressions ?… Pourquoi la jeunesse, désormais, chante-t-elle à d’autres le printemps, comme l’écrivait Aragon?…
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Le dessin de Jim se reconnait toujours par sa fluidité… Une fluidité du trait mise le plus souvent au service de romances amoureuses aux éternités très éphémères. Ici, c’est d’un album amusant qu’il s’agit. Avec un dessin particulier, minimaliste, puisque chaque page, chaque gag, se construit à partir d’un seul dessin recopié de case en case… J’avoue trouver bizarre cette démarche, de plus en plus utilisée, il faut le reconnaître. Mais pourquoi pas, puisque l’humour est an rendez-vous, malgré tout. Et que lire ce livre, ma foi, c’est passer un bon moment ! Sans aucune angoisse, parce que les âges, finalement, ne sont que des fausses barrières ! Et, comme l’écrivait aussi Aragon: « Maintenant que la jeunesse chante à d’autres le printemps, il faut beau comme jamais… »!
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Jacques et Josiane Schraûwen
60 Ans Dejà (auteur : Jim – éditeur : Anspach – 2025)
Ce dix décembre, Philippe Soulas est mort… Il fait partie pour moi d’une race de dessinateurs politiquement provocateurs, d’artistes dont le trait allait toujours à l’essentiel, d’auteurs aux colères faisant du bien !
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Le dessin de presse a ceci d’extrêmement intéressant, important, qu’il permet en un dessin de s’enfouir dans une réalité avec, en supplément, une analyse éditoriale qui ne souffre d’aucune dépendance. Certes, selon le média concerné, l’approche de la réalité politique et sociale est plus ou moins frontale. Avec Soulas, elle fut pratiquement toujours directe et immédiate !
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Très discret, Soulas est cependant un auteur extrêmement prolifique, ayant « travaillé » dans Hara Kiri (et y étant, comme ses collègues, merveilleusement bête et méchant…), dans Libération, dans Marianne, organes de presse dans lesquels il pouvait, librement, exprimer son sens de l’anarchie, de la liberté. Oui, Philippe Soulas fut, finalement, plus libertaire qu’anar…
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Raconter un fait en un seul dessin, et le faire en prenant position, envers et contre tout, tel est le rôle des dessinateurs de presse, c’est évident… Et quand ils ne sont pas tristement timorés, ces artistes occupent une place essentielle dans le paysage audio-visuel. Philippe Soulas n’a jamais été timoré, et les nombreux livres qu’il a à son actif, souvent collectifs avec des dessinateurs très différents de lui, graphiquement et politiquement parlant, tous ces albums, ces centaines et ces centaines de dessins le prouvent avec une évidence souvent jouissive !
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Mon adolescence se construisit grâce à bien des influences… La bande dessinée, bien entendu, avec Tardi, libertaire lui aussi… Mais, en parallèle, il y eut les dessins d’humour, également, d’Avoine à Sempé, de Fred à Serre, de Soulas à Bosc… Sans leur humour, grinçant, parfois tellement loin de mes propres sentiments, je pense que je n’aurais pas vécu les lucidités qui ont été miennes et qui continuent à l’être. Que Soulas en soit ici remercié, tout simplement !
Vincent Zabus est de ces scénaristes, de ces auteurs, qui, loin de ronronner dans des habitudes, permettent à la bande dessinée d’aborder le monde tel qu’il est…
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Cela se voit très vite, en regardant tous les dessinateurs avec lesquels il a « travaillé », créé… Il aime varier les genres, dans ses récits comme dans les dessins qui les accompagnent… Il aime ce qui sort des sentiers battus, dans ses mots comme dans les graphismes auxquels ils se livrent… Vincent Zabus, comme un homme-orchestre, n’a jamais oublié qu’il fut professeur de français avant de prendre d’autres voies dans l’existence, celle du jeu théâtral, celle de la mise en scène, celle de la présence artistique à même la rue… Et c’est peut-être ce passé « enseignant » qui, dans ce livre-ci, se laisse aller à une écriture à la fois douce et puissante, à la fois observatrice et intimiste…
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Et c’est une espèce de journal intime qui, sous sa plume, construit cet album. Mais un journal intime qui ne dure qu’une semaine… Le journal intime d’une jeune fille de 17 ans, Juliette, un peu paumée, un peu égarée dans l’existence depuis la mort de son père, un peu égocentrique dans sa façon de refuser de participer à la vie de sa mère, un peu amère, un peu révoltée, un peu sombre… Une jeune fille qui, dans le monde qui l’entoure, ne se sent pas à sa place et remue, rumine des idées noires, noires comme l’univers tel qu’elle le voit… Tel qu’elle en imagine le futur…
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Les gens qui l’entourent, elle les voit comme des monstres entre vie et mort, des sortes de zombies sans âme. Juliette est une adolescente qui se sent « différente », comme tous les adolescents sans doute… Certainement… Cette différence qui est la sienne, et qui se situe dans la perception qu’elle a du monde, et donc d’elle-même, la place en marge de l’univers scolaire dans lequel, pourtant, grâce à une rédaction, elle se voit mise en avant… En naîtra une sorte de harcèlement qui la poussera encore plus à assouvir le besoin qu’elle a de se retirer de la vie, de s’aérer en forêt, y écoutant un hibou qu’elle n’aperçoit pas mais qui accompagne ses pas comme ses pensées… Et c’est dans cette forêt qu’elle va croiser la route d’un jeune garçon, Jim, de la même école qu’elle… Un jeune garçon qui s’aère l’âme, lui aussi, mais en dessinant…
En une semaine, et parce que Juliette est aussi, et même d’abord, une adolescente, une étrange et impalpable relation va naître entre elle et ce jeune homme… Avec, comme lien, ces dessins… Ces silences qui les unissent… Juliette n’a jamais rêvé au prince charmant, et elle se sent peu à peu vivre comme elle ne le faisait plus depuis longtemps, grâce à ce qui est un sentiment diffus d’abord, puis de plus en plus évident, un sentiment auquel ni elle ni Jim ne veulent ni ne peuvent donner de nom…
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Plus qu’un scénario de bd, on se trouve en présence ici d’un texte résolument littéraire, librement interprété par une jeune dessinatrice qui, probablement, au travers de ses dessins, se retrouve elle-même. C’est un livre dont le graphisme est extrêmement personnel, désarçonnant même, osons le dire. On est loin du belgo-français, on est loin aussi du comics américain ou du manga : Sara Del Giudice accompagne l’aventure littéraire originale de Zabus par son dessin et ses couleurs tout aussi originales… L’adolescente dont parle ce livre ne pouvait pas être dessinée frontalement, avec réalisme… Et à ce titre aussi, ce livre est une réussite, parce qu’on y sent une sorte d’osmose tranquille entre une dessinatrice et un écrivain…
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En une semaine, une éternité au rythme de l’adolescence, Juliette va sentir ses regards évoluer… Elle va aimer, oui… Elle ne va pas mourir, elle veut même vivre ce qui lui remue l’âme comme le présent… Elle se demande, le septième jour venu, comme dans sa rédaction scolaire, ce qu’elle sera en 2030… Et deux mots, tout simplement, lui viennent en réponse : « On verra » !
C’est un livre tout en nuances, sans apprêts, c’est un livre qui parle comme rarement d’une période de la vie dont les adultes que nous sommes se souviennent souvent bien trop peu… C’est un livre à la fois sombre et lumineux… C’est un album qu’il faut ouvrir, dans lequel il faut entrer, et se laisser entraîner comme on peut se laisser entraîner, sans nostalgie, par les souvenances de qui on a été, par la certitude, en lisant, que nous sommes vivants…
Jacques et Josiane Schraûwen
La Semaine Où Je Ne Suis Pas Morte (dessin : Sara Del Giudice – scénario : Vincent Zabus – éditeur : Dargaud – septembre 2025 – 142 pages)