San-Antonio

San-Antonio

Le personnage de San-Antonio, créé par Frédéric Dard, a vécu quelque 175 aventures endiablées… Des aventures truculentes, en opposition avec les tristes routines du bon goût, en osmose avec une vulgarité de langage poétique… Avec, également, depuis quelques années, les couvertures de François BOUCQ ! Un auteur comblé et interviewé dans cette chronique…

San-Antonio © Aire-Libre/Champaka

Et chaque album profitait, au sens premier du terme, d’une couverture… Il y eut Gourdon, il y eut des photos, il y eut l’immense Dubout, il y eut l’extraordinaire SERRE, aussi… Et enfin François Boucq, auteur bd reconnu, avec un western au graphisme et au scénario surprenants, Bouncer, avec, surtout peut-être, les errances surréalistes d’un certain Jérôme Moucherot…

Boucq n’a rien d’un suiveur, d’un auteur à la recherche d’une consécration « bon chic bon genre ». Il aime raconter des histoires qui s’écartent résolument des chemins de la bienséance. Il était donc tout à fait normal de le retrouver illustrateur des aventures de San-Antonio !


San-Antonio © Aire-Libre/Champaka

Et voici donc un superbe livre consacré à cette collaboration artistique (et provocatrice…). Un album imposant, commençant avec Antoine De Caunes et Frédéric Dard, et se terminant avec François Rivière, autant à l’aise dans l’univers de la bd que dans celui du polar.

Un livre, surtout, qui reproduit à la perfection pratiquement toutes les couvertures de Boucq, des couvertures parvenant, comme Dubout savait le faire, à résumer toute une ambiance en un seul dessin, à donner l’envie d’ouvrir le livre, immédiatement, et de se plonger dans les délires d’écriture de Frédéric Dard…


San-Antonio © Aire-Libre/Champaka

Tous les amateurs (amoureux, donc…) de l’œuvre de Frédéric Dard seront certainement d’accord avec moi. Même si San-Antonio est le personnage-titre, même s’il est celui par qui les enquêtes les plus déjantées finissent par atteindre leurs buts, il est loin d’être le vrai personnage central de cette série policière à succès ! Un héros comme lui, avec toutes les qualités inhérentes à cette fonction littéraire, ne peut exister que grâce à un double déformé, un anti-héros qui, très vite chez Dard, a occupé de plus en plus de place.

Bérurier, ainsi, démesuré, immense, d’une vulgarité jamais prise en défaut, est au fil des romans devenu l’axe central de chaque nouvelle intrigue, ou presque ! Et l’icône graphique, également, de la prose de Frédéric Dard, grâce aux dessins de François Boucq qui, dans cet album, lui donnent vie et chairs de page en page !


San-Antonio © Aire-Libre/Champaka
François Boucq

Il y a, dans le plaisir qu’on peut prendre à une lecture, bien des chemins à emprunter. Je pense que le premier de ces chemins passe très souvent, et ce dès l’adolescence, dès l’enfance, par l’illustration de couverture. On peut parler de Pierre Joubert, par exemple, ou de Marlier… Et on peut aussi, pour San-Antonio, parler de François Boucq !

Et cet « art-book », consacré à ses couvertures pour les romans de Frédéric Dard, fait bien plus que lui rendre hommage : il permet à tout un chacun de découvrir un des talents les plus originaux et les plus aboutis du neuvième art !

Grâces en soient rendues aux éditeurs Champaka et Dupuis !…

Jacques Schraûwen

San-Antonio (éditeur : Aire Libre/Champaka)

Slowburn

Slowburn

Franquin et Gotlib : une rencontre qui, pour improbable qu’elle en ait l’air, a permis au créateur de l’immortel Gaston de se laisser aller et de se faire parfois résolument « politiquement incorrect » !

Slowburn © Fluide Glacial

Slowburn, ce n’est pas une bd comme les autres…

D’abord parce qu’elle marque une collaboration exceptionnelle entre Gotlib, qui venait, à l’époque, de créer Fluide Glacial, et Franquin, que Gotlib considérait (à juste titre) comme son « maître »… Et sans doute comme le maître incontestable de la bande dessinée ayant réussi à quitter les voies toutes tracées du divertissement pour se faire adulte, grâce à Gaston, mais aussi à QRN sur Bretzelburg.

Ensuite, parce qu’il ne s’agit, tout compe fait, que d’un seul gag, construit au départ en 16 dessins, des dessins recomposés sous la houlette de Gotlib et, du coup, démultipliés, puisqu’il s’agissait, dans le numéro 9 de Fluide glacial, paru en 1977, de 60 dessins.

Par le contenu de ce récit, aussi, qui nous montre longuement deux chats s’aimant d’amour pas très pur, tout au long de miaulements et de positions extrêmement variées, le tout pour arriver au gag proprement dit dans les tout derniers dessins.


Slowburn © Fluide Glacial

Il y a déjà eu, c’est vrai, des éditions de ce « Slowburn », mais elles étaient plus ou moins « pirates » ! Et aujourd’hui, c’est Fluide Glacial, enfin, qui édite ce petit bijou de la bd des années 70 !

Le tout, avec un petit dossier de Gérard Viry-Babel, intéressant et intelligent au niveau de l’analyse qu’il nous fait de cette rencontre graphique entre deux dessinateurs essentiels dans la grande Histoire du neuvième art, un dossier intéressant et intelligent aussi par le choix iconographique qui l’accompagne et qui nous montre que les univers de Franquin et Gotlib n’étaient, tout compte fait, pas vraiment éloignés l’un de l’autre !


Slowburn © Fluide Glacial

56 pages, 16 centimètres carrés : ce Slowburn est un tout petit livre… Mais grand par son contenu, croyez-moi, hilarant de bout en bout, et nous montrant, d’une certaine manière, les prémices de ce qui est un des chefs d’œuvre de Franquin, ses idées noires…

Un livre comme ce Slowburn, vous l’aurez compris, ne peut que se trouver dans toutes les bibliothèques des amoureux de la bande dessinée !

Jacques Schraûwen

Slowburn (auteurs : Franquin et Gotlib – éditeur : Fluide Glacial)

Sissi – une femme au-delà du conte de fées

Sissi – une femme au-delà du conte de fées

Oubliez Romy Schneider et les films insipides qui ont lancé sa carrière… Dépassez la légende pour découvrir, dans ce roman graphique, une femme, ses rêves, ses esclavages, ses libertés !

Sissi © Steinkis

D’accord, j’exagère… N’oublions surtout pas Romy Schneider qui a réussi à interpréter physiquement la beauté qui était celle de la vraie Sissi, Elisabeth de Bavière, impératrice d’Autriche, mère de l’Archiduc Rodolphe (mort à Mayerling, et dont le cinéma a édulcoré aussi la réalité).

Les films sont toujours fonction de l’époque pendant laquelle ils ont été réalisés.

Les années 50 demandaient des histoires capables de faire oublier la guerre encore très proche, et l’image donnée de l’impératrice Sissi se devait de correspondre à ce besoin, c’est évident.

Il faudra attendre les années 70 pour que Visconti, dans le sublime « Ludwig », nous dresse un portrait très différent de Sissi… Beaucoup plus sombre, beaucoup plus ancré dans la réalité historique de son règne, sans doute.

Et c’est la bande dessinée, aujourd’hui, qui s’intéresse à cette icône du dix-neuvième siècle. Bien sûr, il y a la bd de Gloesner, disponible aux éditions du Triomphe, avec un scénario, ma foi, assez convenu. Il y a eu aussi, il y a peu, une apparition en  » invitée  » de Sissi dans l’excellent  » Charlotte impératrice « , paru aux éditions Dargaud.

Mais avec Giorgia Marras, c’est exclusivement aux pas de Sissi, de la véritable Sissi, qu’on s’accroche.

Sissi © Steinkis

Pour la très jeune Elisabeth, tout commence comme dans un vrai conte de fées (d’où le titre…). La fille délaissée d’une famille noble mais pauvre épouse Franz Joseph, l’empereur d’Autriche.

A la cour, elle constate très vite que sa place n’a rien d’un cadeau, que son rôle de femme, plus potiche qu’actrice, n’éveille que méfiance, jalousie et, ma foi, une certaine forme de rejet, voire de haine.

Elle n’est pas vraiment rebelle, pourtant. Mais les circonstances de la vie, les hasards de ses rencontres, et son besoin, rare à l’époque, de s’ouvrir non seulement à la culture de son pays mais aussi à d’autres cultures, tout cela la transforme peu à peu. Elle noue des amitiés et, délaissée par son mari, elle se met à envisager l’avenir de l’Europe de cette seconde partie du dix-neuvième siècle, une Europe morcelée, monarchique essentiellement, presque féodale même par certains côtés.

Et c’est ainsi que, dépassant le simple rôle qu’on lui impose, un rôle de « mère », elle se met à intervenir auprès de son mari, surtout quand la Prusse inflige à l’Autriche de cuisantes défaites. Elle envisage d’autres alliances, défend le droit à une constitution de la Hongrie. Et c’est ainsi que, belle et jalousée, Sissi devient, aux yeux de toute l’Europe, une femme qui compte, une femme, par bien des aspects, politiquement visionnaire.

Sissi © Steinkis

Une femme indépendante, aussi, une femme refusant les obligations de la Cour d’Autriche, continuant à se promener sans  » gardes du corps « , une femme qui, se sachant vieillir, refuse d’être photographiée, une femme qui, sentant que le monde va changer du tout au tout, se révèle calculatrice en  » plaçant  » son argent dans des lieux sûrs.

Une femme capable d’aimer, d’amour et d’amitié, une femme qui reste une mère, mais une mère à l’image de son rôle politique, parfois intransigeante.

Pour raconter l’histoire de Sissi, plus une tragédie qu’une simple comédie de moeurs, Giorgia Marras utilise un graphisme simple, sans fioritures, tout en nuances de gris et de bruns. Elle restitue parfaitement la beauté de Sissi, mais sans insister sur les détails pour le faire. Et son texte, clair, parfaitement dialogué dans le respect du protocole de l’époque, ne souffre que de quelques fautes d’orthographe que l’éditeur aurait pu éviter…

Dans ce livre, elle fait dire à Sissi une phrase qui pourrait résumer toute son approche de son personnage dans ce livre :  » Un être humain possède en lui plusieurs mondes… Il ne faut pas chercher à les dissocier. « .

Un roman graphique intelligent, que l’on ne peut que lire avec plaisir et intérêt…

Jacques Schraûwen

Sissi – une femme au-delà du conte de fées (auteure : Giorgia Marras – éditeur : Steinkis)

Sissi © Steinkis