Les Schtroumpfs : 60 ans!

Les Schtroumpfs : 60 ans!

Un succès mondial, des animations, et l’occasion de redécouvrir leurs six premières apparitions dans les mini-récits du journal de Spirou !

Un peu de nostalgie… Beaucoup de plaisir, aussi… Et une « Schtroumpf Expérience », très bientôt, qui va vous permettre de vous immerger dans l’univers de ces petits lutins bleus aux caractères bien définis.

Les Schtroumpfs©Dupuis

C’est le 23 octobre 1958, très exactement, que Peyo a donné vie au premier Schtroumpf, dans une histoire de Johan et Pirlouit, « La flûte à six trous ».
Personne n’aurait pu imaginer, à l’époque, que ces personnages étranges au nom imprononçable, lutins vivant en communauté dans un Moyen-Age non réaliste, allaient connaître en quelques années un succès tel que Peyo, leur créateur, devra se consacrer totalement à leur existence.
Ce succès est dû à un dessin, tout en rondeur, à une dynamique graphique simple sans jamais être simpliste, à des scénarios accessibles à tous mais lisibles, toujours, à plusieurs niveaux, et, donc, plaisant autant aux adultes qu’à leurs enfants. Ce succès tient aussi à la codification personnalisée de tous les membres de cette communauté, chacun étant ainsi un peu l’archétype caricatural et amusé de réalités humaines que chacun connaît : il y a le schtroumpf grognon, le schtroumpf à lunettes, toujours moralisateur, le schtroumpf gourmand, le Schtroumpf costaud, etc.
Et aujourd’hui, donc, quelque cinq mois avant l’officialisation de leur soixantième anniversaire, plusieurs hommages leur sont d’ores et déjà rendus.

 

Il y a d’abord une exposition à Paris, au Centre Wallonie-Bruxelles, jusqu’au 28 octobre… Une exposition qui replace, avec intelligence mais aussi de manière ludique, Peyo à sa place dans la grande Histoire du neuvième art.
Il y a déjà un avion, l’Aérosmurf, qui fait partie de la flotte de Brussels Airlines.
Il y aura, à partir du 9 juin, à Bruxelles Expo, une « Schtroumpf expérience » (http://www.smurfexperience.com/) qui permettra à tout un chacun, adultes et enfants, de vivre, de l’intérieur, l’existence des Schtroumpfs.
Et puis, il y a la réédition, chez Dupuis, en petit format, des six premières histoires mettant en scène, comme héros à part entière, les Schtroumpfs. C’étaient des mini-récits, qu’il fallait découper au milieu du journal de Spirou, et construire soi-même. Des mini-récits qui se laissent (re)découvrir avec un vrai plaisir ! Et qui permettent d’admirer, dans toute sa simplicité, le talent exceptionnel de Peyo.

 

Les Schtroumpfs©Dupuis

Ce qui fait aussi que ces petits héros sont toujours d’actualité, ce sont les thèmes abordés dans chaque album, des thèmes qui restent d’actualité, et qui l’étaient déjà dans ces six premiers petits volumes. « Les Schtroumpfs noirs » parlent de la haine et de la solidarité, « Le centième Schtroumpf » aborde le thème de la différence, « L’œuf et les Schtroumpfs » nous parle de l’ambition et de ses dangers…
Au-delà des films américains qui, ces dernières années, ont à mon humble avis terni l’image originelle de ces lutins belges, Les Schtroumpfs participent pleinement de tout ce qui fait la richesse et la qualité de la bande dessinée « tous publics ». Et on ne peut qu’avoir envie de leur souhaiter un bon anniversaire, et de leur en espérer encore bien plus !… De relire leurs anciennes (mais non vieillies !…) aventures, et de les faire lire à nos enfants et petits-enfants !…

Jacques Schraûwen
Les Schtroumpfs noirs, Le voleur de Schtroumpfs, L’œuf et les schtroumpfs, Le faux Schtroumpf, La faim des Schtroumpfs, Le centième Schtroumpf – Auteur : Peyo (et Yvan Delporte) – éditeur : Dupuis

Chronique publiée sur le site RTBF info, le 27 mai 2018 à 12h44

Saskia des Vagues

Saskia des Vagues

Une jeune femme belle comme la mort… Un amour détruit, une vengeance, un ultime amour impossible… Une aventure passionnante et passionnée !

 

Saskia – © Lucien Rollin

Il s’agit d’une réédition… Mais d’une réédition qui, sans aucun doute possible, nous fait découvrir ou redécouvrir un livre étonnant, d’une belle réussite graphique, et dont le scénario, nourri de légendes et de culture, est un petit bijou…
L’édition originale date de 1997, et elle fut publiée chez Dargaud.
Cette édition-ci s’apparente, en fait, à un tirage de luxe… Un format agrandi (35×27) qui met en évidence toute la qualité du travail du dessin, de la mise en page, de la mise en scène, même… Un noir et blanc qui, tantôt, se veut presque transparent, et, tantôt, dessine les contours du réel, du rêve et du cauchemar avec une intensité remarquable… Lucien Rollin est un ciseleur de situations, de visages, de paysages, et, à ce titre, ce livre-ci, qui est peut-être son meilleur, peut s’inscrire aux côtés des auteurs qui, dans les années 80 et 90, ont réinventé la bande dessinée classique, en y ajoutant les ingrédients du fantastique, du merveilleux et de l’horreur. Comès, Servais, Marc-Renier sont cousins de Rollin…

 

Saskia – © Lucien Rollin

L’histoire de cet album mélange, comme toujours avec le superbe scénariste Pierre Dubois, la réalité historique et l’imaginaire débridé, la  vérité et le fantasme, l’ici et l’ailleurs. Une jeune femme va se marier… Son futur époux, un jeune marin plein d’ambition, se fait gruger par ceux en qui il faisait confiance. Et le bateau qu’il a armé est incapable de résister aux assauts d’un pirate. Avant même les noces, la mort remplace l’amour…
Saskia, la jeune fiancée éperdue de douleur, fait de cette souffrance l’instrument d’une quête au bout de laquelle seule la destruction des âmes et des corps sera effective. Elle s’offre à un autre pirate, apprend avec lui les puissances de la mer et du combat, de l’abordage et du pouvoir, de la haine et du courage, de la beauté et de la laideur. Et elle se venge, impitoyable…
Jusque là, le récit pourrait n’être qu’une simple aventure marine, dont le thème principal reste, au-delà des péripéties, l’amour et la mort toujours intimement mêlés. Mais c’est oublier que Pierre Dubois est aux commandes du scénario, et que la mort, chez lui, ne peut que devenir plus qu’un thème, et prendre image grâce à la légende. Le  » Hollandais volant  » apparaît, et avec lui l’évidence d’un lieu où les âmes et les corps ne sont pas encore totalement dissociés par l’ailleurs. L’évidence aussi d’étreintes improbables desquelles aucune naissance ne pourra jaillir…

 

Saskia – © Lucien Rollin

Saskia, c’est une histoire de sentiments, de sensations, d’impossibilités à assouvir ses désirs essentiels, c’est l’histoire de la vie se confrontant sans cesse aux vagues et aux tempêtes du deuil, donc de l’impitoyable.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Avec un tout petit bémol, malgré tout ! Le dialogue utilise beaucoup d’expressions de patois flamand, et c’est normal, cela fait partie de la qualité historique de ce qui nous est conté ici. Mais il eût été bienvenu, je pense, de laisser quelques notes de bas de page pour que le chant sourd et lourd de cette langue puisse être accessible à tout le monde.
Mais ce n’est qu’une minuscule critique face à un livre qui, en objet du neuvième art, ne pourra que trouver sa place dans toutes les bibliothèques de bd dignes de ce nom !

Jacques Schraûwen
Saskia des Vagues (dessin : Lucien Rollin- scénario : Pierre Dubois – couleur de la couverture : Jean-Jacques Chagnaud – éditeur : La Fée Emer)

Sourire 58: un album et une exposition

Sourire 58: un album et une exposition

Cela fait 60 ans que l’exposition universelle de Bruxelles a ouvert ses portes au monde… Cela valait bien une bande dessinée nostalgique, désuète, et réussie ! Et une interview de son dessinateur !

 

Cette exposition universelle, c’était, à Bruxelles et dans toute la Belgique, un événement plus que considérable. Lieu de rêve, lieu de modernité, lieu où découvrir des pays inconnus et leurs réalités quotidiennes, lieu tourné vers l’avenir, scientifiquement et artistiquement, le plateau du Heysel a attiré en six mois plus de 40 millions de visiteurs.

Et pour accueillir, guider, encadrer ces visiteurs, l’organisation de cette immense « foire à l’image » a eu besoin d’hôtesses nombreuses…. Des hôtesses qui se devaient, certes, d’être charmantes, mais qui se devaient surtout de répondre à des normes extrêmement strictes, presque militaires, de présentation et de… moralité !

Et cet album nous raconte une histoire qui est axée, de bout en bout, autour de l’une de ces hôtesses, la brune Kathleen. On la voit postuler, être acceptée, et, finalement, être engagée… Mais on la voit aussi empêtrée dans une intrigue qui la dépasse largement.

Et on peut dire que le premier intérêt de ce livre réside là : dans le portrait double d’une époque et d’une femme qui en est un peu comme le symbole vivant.

Baudouin Deville: portrait d’une époque, portrait d’une femme
 

Il faut, à ce sujet, souligner l’intérêt du dessin de Baudouin Deville qui, dans sa façon de croquer les attitudes de ses personnages, des attitudes souvent un peu hiératiques, avec une gestuelle qui semble guindée, répond à la vérité historique de ce qu’étaient les vêtements en 1958, d’une part, de ce qu’étaient aussi les règles de morale et de politesse que tout un chacun se devait de suivre. A ce titre aussi, Deville parvient, à travers un graphisme traditionnel, très  » ligne claire  » et légèrement rigide, à nous restituer toute l’ambiance de cette époque.

 

Baudouin Deville: les vêtements et les attitudes
 

Cela dit, ce livre raconte aussi une  » histoire « . Une histoire qui plonge le lecteur d’aujourd’hui dans ce qu’on appelait alors la guerre froide. Un terme qui, étrangement, revient de plus en plus dans l’actualité ! Il y a des espions, des Russes, des Américains, des Belges… Venant du Vatican, également ! Avec en trame de fond, les flonflons de la fête universelle qu’était cette exposition universelle, il y a des menaces d’attentat, des rebondissements, des faux coupables et des vrais salauds. Il y a aussi un complot qui vise à lancer une nouvelle guerre mondiale…

On se retrouve en présence, avec le scénario de Patrick Weber, d’un récit bien charpenté mais avec des péripéties, reconnaissons-le, parfois attendues. Un récit, en tout état de cause, qui correspond bien à ce qu’étaient les romans et les bandes dessinées d’espionnage de l’époque, d’ailleurs, et les films noirs qui fleurissaient sur les écrans américains et européens.

Ce scénario donne un vrai rythme à l’album, mais c’est sans doute le dessin, ici, qui occupe la place la plus importante, grâce à une documentation soignée, abondante et parfaitement assumée.

Baudouin Deville: la guerre froide

 

Baudouin Deville: le dessin et l’intrigue

Un dessin dans lequel on ressent, de manière évidente, tout le plaisir que Baudoin Deville a vécu en le créant. Un dessin à l’ancienne, comme l’est le scénario, et c’est sans doute ce qui donne à cet album un charme très particulier. Un charme qui, probablement, sera plus sensible aux Bruxellois et aux Belges, mais qui sera ressenti également par tous ceux qui aiment voir ce qu’était notre société, il n’y a pas si longtemps encore, avant la déshumanisation technologique qui est en train de nous envahir.

Baudouin Deville: le dessin
 

On peut parler de plaisir, oui, à la lecture de ce livre, sans aucun doute… Il y a quelques faiblesses, c’est vrai, quelques facilités au niveau du scénario. Mais on ressent de page en page la joie que les auteurs ont eue à se plonger, à nous plonger à leur suite, dans cette époque au cours de laquelle se construisait déjà un monde qui est devenu le nôtre.

A souligner, aussi, une très belle couverture, aux couleurs parfaites dues à Bérengère Marquebreucq.

 

Jacques Schraûwen

Sourire 58 (dessin : Baudouin Deville – scénario : Patrick Weber – éditeur : Nicolas Anspach)

Une exposition à la Galerie Champaka à Bruxelles jusqu’au 5 mai2018