Seule à la récré

Seule à la récré

Lisez ce livre, faites-le lire à vos enfants ! Le harcèlement, dont on parle beaucoup de nos jours, ne se vit pas uniquement dans les réseaux sociaux ou dans le monde du travail. Le milieu scolaire est loin d’y échapper, et ce livre est là pour en parler, à TOUS LES PUBLICS !…

 

L’information est ainsi faite que certains sujets, sous les feux de l’actualité, prennent soudain une importance capitale et deviennent des véritables faits de société. C’est oublier, souvent, que ces réalités existent depuis bien longtemps ! Et que ces faits de société ont été tellement minimisés qu’ils sont devenus, dans la conscience collective, de simples petits faits divers.

Le harcèlement, ainsi, est à la une de tous les médias, pour le moment. A cause de Hollywood, bien sûr…

Mais il n’y a pas que le harcèlement sexuel, ou moral, dans le monde du travail ou dans celui des paillettes ! Le harcèlement commence bien plus tôt, dans les cours de récréation. Nous avons tous connu des  » têtes de Turcs « … ou nous l’avons été !

Aujourd’hui, à cause de l’attrait exponentiel de la virtualité et des réseaux sociaux, à cause d’une certaine démission des garde-fous traditionnels (école, parents…), ce harcèlement quitte les classes pour s’étaler un peu partout, et rendre une existence invivable.

Et ce livre, tout simple, destiné à tous les publics, sans ostentation, a décidé d’en parler. De nous en parler, à toutes et à tous, avec l’espoir que, peut-être, nous pourrons bientôt prendre, adultes, le taureau par les cornes !

Emma est en primaire, et peu heureuse, les grandes vacances terminées, de retourner à l’école. Une école où elle va retrouver Clarisse, une fille qui a réussi à diriger la classe, à en devenir la meneuse, et qui a choisi de la mettre elle, Emma, en dehors du groupe. De la brimer. De la harceler…

A partir de là, ce livre réussit l’exploit de nous montrer une réalité quotidienne qui n’a rien de spectaculaire, qui se vit essentiellement dans la solitude d’une enfant. A nous la montrer en même temps telle qu’elle est vue de l’extérieur, par les enseignants, les autres écoliers, les parents d’Emma, les parents de Clarisse. Il n’y a, dans cet album, aucune dramatisation du récit, mais un simple constat qui, pour sombre qu’il soit, parvient à générer des moments d’humour, de tendresse, surtout à partir du moment où les parents d’Emma s’investissent réellement dans la recherche d’une solution. Ce sont des gags d’un page qui construisent l’histoire de cet album, et qui font sourire… Mais qui font surtout réfléchir !

 

 

L’observation… C’est d’une part le point fort de ce livre. Les auteurs, sans aucun doute possible, savent de quoi ils parlent, comme, finalement, nous le savons toutes et tous. Nos souvenirs, si nous acceptons d’être honnêtes par rapport à eux, ne peuvent que nous remettre en mémoire des moments de harcèlement, que nous avons vécus ou imposés.

Phénomène de groupe naissant de la personnalité d’une seule personne qui en prend la direction, le harcèlement reste encore, pour beaucoup d’adultes d’aujourd’hui, un élément formatif de l’existence !…  Seulement, avec la technologie omniprésente de nos jours, ce n’est absolument plus le cas, et un livre comme ce  » Seule à la récré  » vient à son heure. Pour que les enfants qui le lisent prennent conscience de ce qu’est l’horreur quotidienne d’une personne harcelée, pour que les adultes, eux, comprennent qu’il est grand temps d’ouvrir les yeux et d’intervenir ! D’être des éducateurs à part entière !

Parce que d’autre part, l’observation est aussi le seul point fort qui peut permettre à un entourage, quel qu’il soit, d’empêcher, dès le plus jeune âge, que la discrimination devienne une redoutable habitude !

Un livre souriant pour un sujet qui ne l’est absolument pas, et c’est ce qui  en fait un livre important !

 

 

Jacques Schraûwen

Seule à la récréé (dessin : Bloz – scénario : Ana et Bloz – couleur : David Lunven – éditeur : Bamboo)

Santé !

Santé !

Importante augmentation du prix du tabac : le cancer du poumon va devenir inabordable ! Voilà un exemple de l’humour de ce livre, un humour à la fois très noir et très proche, finalement, de ce que nous vivons toutes et tous au quotidien…

 

 

Santé© Pixel Fever Editions

 

Antoine Chereau, dans cet album de « gags » en trois dessins au maximum, s’inspire de ce que l’univers de la Santé est en train de devenir, en France, certes, mais chez nous également, et, plus généralement, un peu partout dans ce monde qu’on dit civilisé et qui est le nôtre…

La gestion de la santé publique, celle du public donc, se devrait d’être ouverte à toutes et à tous et de ne pas être exclusivement dépendante de profit. Le serment d’Hippocrate ne dit rien d’autre, après tout !

Mais voilà, la France, comme les États-Unis, comme la Belgique, comme la grande Bretagne souscrivent d’abord à la rentabilité, et les pressions budgétaires s’accumulent depuis quelques années sur les professionnels de la santé, bien sûr, mais surtout sur ceux qu’on appelle les bénéficiaires de la médecine et qui paient de plus en plus cher pour ces bénéfices de moins en moins opérationnels !

Santé© Pixel Fever Editions

 

Ce n’est pas de la bande dessinée. C’est de l’humour, de l’humour sans concession, de l’humour qui fait sourire plus que rire, et ces sourires sont plus des grimaces que des signes de joie profonde ! parce que le talent de Chereau, comme celui de tous les dessinateurs de presse dignes de ce nom, c’est de réussir à créer, de dessin en dessin, un paysage presque réaliste tout en étant caricatural de ce que nous vivons au quotidien.

Il a aussi le don des phrases « choc » qui atteignent leur but avec à la fois de la puissance et de la finesse.

Ce « Santé ! » est un livre qui se lit vite, qui se relit, duquel on montre, à des amis, à des proches, les dessins qu’on a aimés, qui nous ont amusé…

 

Santé© Pixel Fever Editions

 

On manque cruellement d’humour, de nos jours. Je veux dire d’humour acerbe, d’humour qui ose une voie s’éloignant volontairement de la vulgarité et du gros rire. On tente de nous faire croire que nous sommes libres, libres d’aimer, libres de nous exprimer. Nous sommes surtout libres de nous croire libres…  Les Desproges et Devos, les Claude Serre, capables d’enfoncer les pointes de leurs mots dans les cicatrices de notre société, il n’y en a plus vraiment…

Chereau, certes, n’est pas Serre… Mais il a du talent, incontestablement, et ce « Santé » réussit à nous renvoyer le miroir d’une société que nous laissons, toutes et tous, lentement se déliter…

 

Jacques Schraûwen

Santé ! (auteur : Antoine Chereau – éditeur : Pixel Fever Editions)

Les Seigneurs de la Terre : 3. Graines d’Espoir

Les Seigneurs de la Terre : 3. Graines d’Espoir

Une série qui mêle habilement le discours militant pour un monde agricole meilleur et l’aventure humaine dans toutes ses démesures. Une bd qui se plonge dans des vrais problèmes de société!

 

 

Dans les deux épisodes précédents, on a vu Florian, le personnage central de cette série, se battre contre l’héritage d’une agriculture soucieuse seulement de rentabilité, abandonner un avenir tout tracé dans le monde de la justice pour s’aventurer dans l’aventure d’une agriculture réfléchie, vivre un grand amour, une grande déchirure, connaître la trahison et la haine, découvrir que les apparences sont presque toujours trompeuses. De l’Europe à l’Amérique, il est passé de désillusion en désillusion, jusqu’à tout quitter, dans ce volume-ci, pour chercher à retrouver sa mère en Inde.

Pour construire son scénario, Fabien Rodhain a multiplié les parallèles. Parallèles entre l’Inde et la France, entre Florian et son épouse, entre sa quête et le monde agricole qui se rappelle à lui avec force.

Au-delà de l’histoire personnelle de Florian, inspirée, on le sent, par des sentiments et des réalités propres au scénariste, les thèmes abordés dans ce livre sont des thèmes à taille humaine, d’abord : la nécessité pour chaque individu de trouver son chemin, le besoin de trouver un sens à l’action que l’on se sent obligé de mener…

La narration, de ce fait, pourrait être lourde, égarer le lecteur. Le dessin, lui, et la couleur, permettent le contraire, grâce à leur fluidité. Pas de grands effets spéciaux dans le graphisme, en effet, un graphisme nourri incontestablement de classicisme, et se révélant efficace, malgré quelques petits défauts, ici et là, dans les proportions, dans les perspectives… Mais sans doute fallait-il un tel dessin pour que le propos de l’histoire racontée ne soit pas trop pesant !

Fabien Rodhain: le scénario

 

 

Parce que ce propos n’a rien de simpliste, loin s’en faut ! C’est de politique qu’il s’agit, au sens large du terme, de lutte contre les multinationales qui, aidées par l’OMC et le Fonds Monétaire International, cherchent à contrôler toutes les richesses de la planète terre… La désobéissance civile est une constante dans le propos de Rodhain, puisque le simple fait de cultiver son jardin devient un acte responsable.

Ce que cette série nous dit, dans cet album-ci encore plus que dans les autres, c’est que la mondialisation touche tout le monde, est l’affaire de tout le monde. Nous sommes toutes et tous interconnectés, de pays en pays, que nous le voulions ou non, et les décisions prises à New-York, à Londres, à Paris ou en Inde s’adressent aussi à nous, où que nous nous trouvions ! Et face à la mondialisation des semences se retrouvant de plus en plus aux seules mains d’inconscients scientifiques, d’autres mondialisations sont possibles, toutes vibrant de révolte réfléchie. Le fait, pour les auteurs de ce livre, de nous emmener en Inde, où le combat pour des semences naturelles est une réalité, le fait de nous montrer José Bové aux côtés de Vandana Shiva, dont le combat humaniste a dépassé et de loin les frontières de son pays, cette manière que les auteurs ont de nous raconter leur histoire n’est pas gratuite, et nous permet, vraiment, de nous sentir immergés dans un monde global, celui où, de France en Inde, des Etats-Unis jusqu’en Belgique, chaque jour, des agriculteurs se suicident…

Fabien Rodhain: la politique

 

 

 

Pour rendre ce discours militant accessible, pour qu’il atteigne le public le plus large possible, les auteurs n’ont pas choisi la seule voie du didactisme. Ils utilisent les codes, et même les poncifs de la bande dessinée d’aventure romanesque, avec sentiments violents, amour et haine, avec actions presque héroïques et lâchetés inattendues, avec rebondissements et suspenses habilement amenés. Mais ils le font avec un vrai plaisir et accentuent ainsi leur  » message « .

Florian, ainsi, pour se battre contre ce monde qu’il a fui, celui de la famille, de l’agriculture, de la justice, contre cet univers qui le rattrape, va d’abord devoir se battre contre lui-même, et ses violences, et ses addictions.

Et pour redevenir lui-même, il va devoir, on le sent, on le sait, se battre aussi contre toute radicalité, même celle du  » bio « … Et oublier ses amourettes pour retrouver la vraie passion…

Cela dit, le côté didactique n’est pas absent de ce livre, puisque bien des notes de bas de page expliquent les environnements réels de ce qui nous est raconté avec l’alibi de l’imagination.

Fabien Rodhain: « se battre… »

 

Cette série est une série importante, sans doute, dans la société qui est nôtre et qui est à la recherche à la fois de valeurs et de vérité, de tolérance et de nécessité à se créer des avenirs un peu plus souriants que ce qu’ils promettent aujourd’hui d’être.

C’est vrai, cependant, que quelques raccourcis temporels sont parfois mal venus, c’est vrai aussi que certains personnages secondaires (des femmes surtout) disparaissent vite, sans qu’on sache très bien ce qu’elles viennent faire dans le récit.

Mais au total, ces  » Seigneurs de la terre  » se laissent lire avec plaisir. Et réflexion… Ces livres sont comme des yeux ouverts sur le monde que nous pouvons peut-être construire, ensemble, dans un vrai souci d’interculturalité… C’est-à-dire d’acceptation de cultures qui, entre elles, aimeraient enfin de se découvrir les unes les autres !

 

Jacques Schraûwen

Les Seigneurs de la Terre : 3. Graines d’Espoir (dessin : Luca Malisan – scénario : Fabien Rodhain – couleurs : Paolo Francescutto – éditeur : Glénat)