S.O.S. Bonheur : Saison 2, volume 1

S.O.S. Bonheur : Saison 2, volume 1

C’est à la fin des années 80 que Griffo et Van Hamme nous dressaient un portrait désespéré de ce qu’ils imaginaient comme pouvant être notre avenir… Aujourd’hui, C’est Stephen Desberg qui prend la suite de Jean Van Hamme. Ecoutez-le dans cette chronique, et découvrez cet album important !…

 

 

Ce sont  » six nouvelles dessinées  » qui construisent ce retour de « S.O.S. Bonheur ». Six histoires différentes, courtes, toutes ancrées dans un futur plus ou moins proche, un futur imaginé, un futur désespéré.

La première histoire nous parle d’amour, de désamour, de puissance masculine, de dépendance féminine. La deuxième nous montre ce que les  » quartiers  » d’aujourd’hui peuvent devenir demain. Le troisième récit nous dévoile un monde dans lequel toute vie privée subit une forme de  » privatisation « . Le récit suivant parle d’une justice sous-traitée, la cinquième histoire aborde le thème de l’enseignement et de la mémoire tronquée de l’Histoire, et l’ultime épisode nous révèle, lui, la force de l’image et de la propagande sans cesse mêlées.

Ce que nous montrent Griffo et Desberg, en fait, c’est un univers qui, incontestablement, prend sa source dans le nôtre. Mais est-ce de l’anticipation proche, ou de l’uchronie ? On peut se poser la question parce que, dans cet environnement qu’ils nous racontent, il y a l’absence remarquée et remarquable de tout ce qui est connecté, ordinateurs, téléphones, etc.

Stephen Desberg: Uchronie, anticipation
Stephen Desberg: le monde « connecté »…

 

 

Là où, il y a trente ans, Van Hamme s’intéressait essentiellement à l’environnement politique, social et sociologique, tel qu’il pouvait devenir, en insistant, comme souvent dans ses scénarios, sur les rapports de groupes, sur la puissance, aussi et surtout, du pouvoir et de l‘argent, sur la puissance du pouvoir de l’argent… Avec Stephen Desberg, la trame est quelque peu identique, plus sombre même par bien des aspects. Mais il garde au centre de son intérêt, au contraire de son aîné, l’être humain. Ce sont ses personnages qui font tout le contenu de ses récits, ce sont eux, hommes et femmes de chair, qui racontent eux-mêmes leurs propres histoires, toujours plurielles, toujours porteuses, également, d’émotion.

D’émotion, et de balbutiements de la grande Histoire, également, puisque c’est une relecture de la personnalité d’Hitler que nous offre un des récits… Une relecture, pour insister sur la nécessité d’un pouvoir fort dans un monde qui perdrait, sinon, ses valeurs… Il y a là, de manière évidente, une relation à faire avec notre société… Mais le propos de Desberg, malgré sa désespérance, nous montre aussi des humains qui ont de réelles velléités de révolte, ou, en tout cas, de réaction…

 

Stephen Desberg: Humain et émotion
Stephen Desberg: Hitler

 

 

Pour créer cet album, dans lequel aucun s.o.s. n’est lancé, dans lequel le bonheur se voit interdit de séjour, Desberg a vécu une belle complicité avec Griffo.

Avec un graphisme réaliste, sans effets spéciaux tonitruants, il nous fait entrer dans un monde, imaginé et imaginaire sans doute, mais extrêmement plausible, tant les décors, par exemple, n’ont rien de déstabilisant pour les lecteurs que nous sommes, tout comme les habillements, les attitudes et les physiques des personnages, quels qu’ils soient.

La couleur participe du même souci de réalisme, de véracité, de pouvoir rendre possible et compréhensible tout ce qui est raconté. Il en résulte, pour l’ensemble des histoires de ce premier volume d’une nouvelle saison de  » S.O.S. Bonheur « , une belle efficacité.

J’avais bien aimé, en son temps, la première saison de cette série atypique. Et je trouve, à l’instar de Desberg d’ailleurs, dans le petit mot qu’il met en préambule de son livre, qu’il s’agissait là d’un des meilleurs scénarios de Van Hamme. Et la force de Griffo et Desberg, ici, aujourd’hui, est de ne pas avoir voulu faire une suite, mais, tout au contraire, d’entamer quelque chose de résolument neuf, de vraiment différent, tant dans la construction, que, même, dans le dessin.

Il en résulte un livre qui s’avère passionnant, intelligent, et qui parvient, par le biais d’un côté classique et presque traditionnel, de nous faire réfléchir à nous, à nos réalités, à nos futurs, à ce que nous pouvons en faire ou ne pas en faire !… Un excellent album, donc, qui dépasse la simple distraction, et ce sans ostentation !

 

Jacques Schraûwen

S.O.S. Bonheur : Saison 2, volume 1 (dessin : Griffo – scénario : Stephen Desberg – couleur : Florent Daniel – éditeur : Dupuis)

Seule à la récré

Seule à la récré

Lisez ce livre, faites-le lire à vos enfants ! Le harcèlement, dont on parle beaucoup de nos jours, ne se vit pas uniquement dans les réseaux sociaux ou dans le monde du travail. Le milieu scolaire est loin d’y échapper, et ce livre est là pour en parler, à TOUS LES PUBLICS !…

 

L’information est ainsi faite que certains sujets, sous les feux de l’actualité, prennent soudain une importance capitale et deviennent des véritables faits de société. C’est oublier, souvent, que ces réalités existent depuis bien longtemps ! Et que ces faits de société ont été tellement minimisés qu’ils sont devenus, dans la conscience collective, de simples petits faits divers.

Le harcèlement, ainsi, est à la une de tous les médias, pour le moment. A cause de Hollywood, bien sûr…

Mais il n’y a pas que le harcèlement sexuel, ou moral, dans le monde du travail ou dans celui des paillettes ! Le harcèlement commence bien plus tôt, dans les cours de récréation. Nous avons tous connu des  » têtes de Turcs « … ou nous l’avons été !

Aujourd’hui, à cause de l’attrait exponentiel de la virtualité et des réseaux sociaux, à cause d’une certaine démission des garde-fous traditionnels (école, parents…), ce harcèlement quitte les classes pour s’étaler un peu partout, et rendre une existence invivable.

Et ce livre, tout simple, destiné à tous les publics, sans ostentation, a décidé d’en parler. De nous en parler, à toutes et à tous, avec l’espoir que, peut-être, nous pourrons bientôt prendre, adultes, le taureau par les cornes !

Emma est en primaire, et peu heureuse, les grandes vacances terminées, de retourner à l’école. Une école où elle va retrouver Clarisse, une fille qui a réussi à diriger la classe, à en devenir la meneuse, et qui a choisi de la mettre elle, Emma, en dehors du groupe. De la brimer. De la harceler…

A partir de là, ce livre réussit l’exploit de nous montrer une réalité quotidienne qui n’a rien de spectaculaire, qui se vit essentiellement dans la solitude d’une enfant. A nous la montrer en même temps telle qu’elle est vue de l’extérieur, par les enseignants, les autres écoliers, les parents d’Emma, les parents de Clarisse. Il n’y a, dans cet album, aucune dramatisation du récit, mais un simple constat qui, pour sombre qu’il soit, parvient à générer des moments d’humour, de tendresse, surtout à partir du moment où les parents d’Emma s’investissent réellement dans la recherche d’une solution. Ce sont des gags d’un page qui construisent l’histoire de cet album, et qui font sourire… Mais qui font surtout réfléchir !

 

 

L’observation… C’est d’une part le point fort de ce livre. Les auteurs, sans aucun doute possible, savent de quoi ils parlent, comme, finalement, nous le savons toutes et tous. Nos souvenirs, si nous acceptons d’être honnêtes par rapport à eux, ne peuvent que nous remettre en mémoire des moments de harcèlement, que nous avons vécus ou imposés.

Phénomène de groupe naissant de la personnalité d’une seule personne qui en prend la direction, le harcèlement reste encore, pour beaucoup d’adultes d’aujourd’hui, un élément formatif de l’existence !…  Seulement, avec la technologie omniprésente de nos jours, ce n’est absolument plus le cas, et un livre comme ce  » Seule à la récré  » vient à son heure. Pour que les enfants qui le lisent prennent conscience de ce qu’est l’horreur quotidienne d’une personne harcelée, pour que les adultes, eux, comprennent qu’il est grand temps d’ouvrir les yeux et d’intervenir ! D’être des éducateurs à part entière !

Parce que d’autre part, l’observation est aussi le seul point fort qui peut permettre à un entourage, quel qu’il soit, d’empêcher, dès le plus jeune âge, que la discrimination devienne une redoutable habitude !

Un livre souriant pour un sujet qui ne l’est absolument pas, et c’est ce qui  en fait un livre important !

 

 

Jacques Schraûwen

Seule à la récréé (dessin : Bloz – scénario : Ana et Bloz – couleur : David Lunven – éditeur : Bamboo)

Santé !

Santé !

Importante augmentation du prix du tabac : le cancer du poumon va devenir inabordable ! Voilà un exemple de l’humour de ce livre, un humour à la fois très noir et très proche, finalement, de ce que nous vivons toutes et tous au quotidien…

 

 

Santé© Pixel Fever Editions

 

Antoine Chereau, dans cet album de « gags » en trois dessins au maximum, s’inspire de ce que l’univers de la Santé est en train de devenir, en France, certes, mais chez nous également, et, plus généralement, un peu partout dans ce monde qu’on dit civilisé et qui est le nôtre…

La gestion de la santé publique, celle du public donc, se devrait d’être ouverte à toutes et à tous et de ne pas être exclusivement dépendante de profit. Le serment d’Hippocrate ne dit rien d’autre, après tout !

Mais voilà, la France, comme les États-Unis, comme la Belgique, comme la grande Bretagne souscrivent d’abord à la rentabilité, et les pressions budgétaires s’accumulent depuis quelques années sur les professionnels de la santé, bien sûr, mais surtout sur ceux qu’on appelle les bénéficiaires de la médecine et qui paient de plus en plus cher pour ces bénéfices de moins en moins opérationnels !

Santé© Pixel Fever Editions

 

Ce n’est pas de la bande dessinée. C’est de l’humour, de l’humour sans concession, de l’humour qui fait sourire plus que rire, et ces sourires sont plus des grimaces que des signes de joie profonde ! parce que le talent de Chereau, comme celui de tous les dessinateurs de presse dignes de ce nom, c’est de réussir à créer, de dessin en dessin, un paysage presque réaliste tout en étant caricatural de ce que nous vivons au quotidien.

Il a aussi le don des phrases « choc » qui atteignent leur but avec à la fois de la puissance et de la finesse.

Ce « Santé ! » est un livre qui se lit vite, qui se relit, duquel on montre, à des amis, à des proches, les dessins qu’on a aimés, qui nous ont amusé…

 

Santé© Pixel Fever Editions

 

On manque cruellement d’humour, de nos jours. Je veux dire d’humour acerbe, d’humour qui ose une voie s’éloignant volontairement de la vulgarité et du gros rire. On tente de nous faire croire que nous sommes libres, libres d’aimer, libres de nous exprimer. Nous sommes surtout libres de nous croire libres…  Les Desproges et Devos, les Claude Serre, capables d’enfoncer les pointes de leurs mots dans les cicatrices de notre société, il n’y en a plus vraiment…

Chereau, certes, n’est pas Serre… Mais il a du talent, incontestablement, et ce « Santé » réussit à nous renvoyer le miroir d’une société que nous laissons, toutes et tous, lentement se déliter…

 

Jacques Schraûwen

Santé ! (auteur : Antoine Chereau – éditeur : Pixel Fever Editions)