Sacha Guitry

Sacha Guitry

Une biographie dessinée avec talent et légèreté, un portrait amusé et  amusant d’un des grands noms du théâtre et du cinéma français !

 

Les pièces de Sacha Guitry se retrouvent assez régulièrement sur les planches de France et de Navarre, et des acteurs comme Pierre Arditi aujourd’hui ou Michel Galabru hier aiment avouer leur plaisir à se retrouver dans la peau des personnages créés par cet autre personnage qu’était Sacha Guitry.

Homme de théâtre, homme de mots, il fut aussi un artiste du septième art dont certains films mériteraient d’être revus aujourd’hui, comme  » Le roman d’un tricheur « , par exemple.  Pourtant, pendant très longtemps, Guitry s’est contenté d’une seule présence dans le monde du cinéma, pendant la guerre 14/18, période pendant laquelle, histrion, il avait décidé de participer au combat de la France en réalisant un film muet sur les grandes gloires de son pays : Renoir, Sarah Bernhardt, Rodin, Monet… Mais ce n’est que dans les années trente qu’il mit réellement son talent au service d’un art qu’il plia à ses volontés d’homme, un homme d’abord et avant tout « de théâtre »…

Né en 1885, et fils de Lucien Guitry, un acteur extrêmement populaire, Sacha Guitry fut tout sauf un bon élève. C’est en pensant à cette jeunesse tellement peu studieuse qu’il écrivit ces quelques mots, des années plus tard :  » Le peu que je sais, c’est à mon ignorance que je le dois. « .

Et c’est à 17 ans qu’abandonnant totalement ses tristes études, il se lance dans l’écriture dramatique avec sa toute première pièce. S’en suivront une rupture brutale avec son père, qu’ils mettront tous les deux des années à estomper, et, surtout, quelque 124 pièces écrites, souvent jouées par lui aussi, jusqu’en 1957.

 

Cet album est donc une mise en pleine lumière de ce que fut l’existence de cet artiste dont les  » mots  » ont marqué et  marquent encore la puissance de l’esprit et de l’humour français. Aphorismes souriants et souvent cruels, ces petites phrases ont émaillé toute son œuvre, mais aussi toute son existence. Et  ce sont elles, également, d’une certaine manière, qui forment la colonne vertébrale de ce livre. Ces aphorismes, mais aussi les présences féminines entourant Guitry, des présences qui lui étaient essentielles mais toujours éphémères, la présence de ses cinq épouses successives, la présence aussi d’une amie fidèle, Arletty.

On a dit de lui qu’il était misogyne. La vérité est moins marquante, tant il est vrai que ses répliques à la fois cinglantes et souriantes, dans la filiation d’Oscar Wilde entre autres, cachaient sans aucun doute des fêlures nées aux dérives de son enfance.

Et l’intérêt et l’intelligence de ce livre-ci, c’est de réussir, par le texte ET le dessin, à nous restituer un portrait complet de l’homme Guitry, sans rien en occulter, par petites touches, de ce que furent ses succès mais aussi ses doutes, ses amours mais aussi ses désespérances, son immense succès et sa chute vertigineuse jusqu’à la prison à la fin de la guerre 40/45. Et, bien évidemment, sa renaissance!…

Dimberton a vraiment un talent sûr pour résumer une existence et en faire la trame d’un récit passionnant et intéressant. Chabert, quant à lui, parvient à restituer les décors de chaque époque qu’a croisée Guitry, mais aussi, avec un trait qui frôle la caricature sans jamais y tomber, toutes les personnalités qui ont accompagné la vie de Guitry. Il y a, dans son graphisme qui évite à tout prix le réalisme, une vraie vérité de traits, de rendu des physionomies, des attitudes, des silhouettes.

Et les couleurs de Magali Paillat, un peu désuètes, comme l’étaient celles des gravures que collectionnait Guitry, sont d’une totale réussite !

J’ose dire que je pense avoir vu pratiquement tous les films de Guitry, m’être plongé dans la plupart des livres qu’il a écrits, avoir savouré les recueils nombreux qui ont été faits de ses aphorismes, m’être régalé à quelques-unes des biographies qui lui ont été consacrées, comme celle de Galabru.

Et je peux avouer aujourd’hui que je me suis totalement régalé à la lecture de cette bd qui réussit totalement à nous restituer l’homme, son esprit, son talent, et sa stature !

 

Jacques Schraûwen

Sacha Guitry : une vie en bande dessinée (dessin : Alexis Chabert – scénario : François Dimberton – couleur : Magali Paillat – éditeur : Delcourt)

Silencieuse(s)

Silencieuse(s)

Voici un album important, par son discours, par son message… On y parle d’un fléau que des milliers de femmes, jeunes et moins jeunes, subissent chaque jour, en silence : le harcèlement de rue. Voici vraiment un livre à lire et à faire lire !

 

Salomé Joly, pour son baccalauréat, a rédigé un  » mémoire  » construit comme un journal intime. Le journal d’une jeune fille relatant, le plus simplement du monde, sans littérature inutile, ce qui lui arrive chaque jour, ou presque : des moments de drague, des instants de harcèlement.

Pour ce faire, elle s’est sans doute inspirée de ses propres expériences, mais elle a également recueilli des témoignages vécus. Ce  » mémoire  » a dressé, ainsi, le portrait d’un monde urbain dans lequel la femme, quel que soit son âge, son appartenance sociale ou culturelle, est l’objet (et le mot est particulièrement adapté, malheureusement) des regards plus qu’inconvenants des hommes, de leurs regards d’abord, de leurs mots ensuite, de leurs gestes parfois.

A partir de ce texte, puissant et simple tout à la fois, humain et désespérant en même temps, le projet est né d’une adaptation en bande dessinée. Un projet aujourd’hui abouti, et abouti avec intelligence et talent.

C’est Sibylline Meynet qui s’est approprié le texte de Salomé Joly, qui en a fait un scénario choral. On n’a plus affaire, dans cet album, à une seule jeune fille perdue face à des attentions dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles soient dépassées. En adaptant les mots de Salomé Joly, Sibylline Meynet a choisi de construire un livre qui met en scène neuf femmes différentes. Neuf femmes confrontées aux mêmes horreurs imbéciles. Son graphisme résolument moderne convient parfaitement au sujet traité et au public visé, très certainement. Sa palette de couleurs, elle, permet d’éviter tout voyeurisme et de laisser les mots prendre place et vie plutôt que les gestes.

 

Salomé Joly: ls scénario

Salomé Joly : le dessin

 

Ce livre, vous l’aurez compris, ne raconte pas une histoire.

Ni bd traditionnelle, ni roman graphique, cet album se situe dans un autre univers, dans un autre créneau. Le neuvième art devient ici le vecteur d’un  » message  » qui se refuse à ressembler à un discours moralisateur ou à un pensum universitaire pesant.

Le but de ce  » Silencieuse(s)  » est d’être lu, et ce but est atteint. La narration, même si elle est chorale, réussit à rester fluide, les dialogues ne sont à aucun moment trop imposants, les mots choisis, comme les dessins, évitent l’écueil de l’intellectualisme, de la politisation, de la  » leçon donnée « , et du manichéisme. On découvre, par exemple, dans ce livre, des harceleurs de tous les âges… Des parents à l’air tout à fait  » bien  » qui trouvent que le port d’une jupe est un appel à la drague vulgaire et harcelante !

Le fait que le harcèlement de rue ne fasse pas la une des journaux, la réalité d’une banalisation d’un phénomène dont les responsabilités ne sont pas à imputer à un seul groupe d’hommes, ou à une seule tranche d’âge, c’est aussi tout cela qui fait le contenu, et le force, de cet album. Un album qui peut faire réfléchir, espérons-le, et apporter une pierre de plus à l’édifice d’une socialisation humaniste de toutes nos cités ! En dépassant tout simplement ces fameuses banalités qui font de l’agression une habitude presque acceptable, et ces fichus manichéismes qui empêchent de se rendre compte de l’étendue réelle du phénomène !

Salomé Joly : banalité et manichéisme

 

 

S’il fallait mettre en évidence un message dans ce livre, ce serait celui du  » langage « , au sens large du terme… Les femmes, jeunes, moins jeunes, quotidiennement harcelées, ne crient pas leur désarroi, ne clament pas leurs angoisses et leurs peurs. Elles sont, la plupart du temps,  » silencieuses « …

Briser le silence, dans ce cas-ci comme dans bien d’autres d’ailleurs, c’est accepter de se battre ouvertement conte la grande connerie humaine. C’est, surtout, se vouloir vivre plutôt que survivre, en partageant ses sourires comme ses larmes, ses libertés comme ses obligations, ses rêves comme ses vécus…

Et contre le langage ordurier de mâles en mal d’intelligence ou de simple éducation, seul le langage peut, finalement, être une arme. Et les héroïnes quotidiennes de ce livre quotidien prennent la parole, et quelques hommes, également, y parlent, y assument la nécessité de vivre en harmonie et selon des principes premiers de la liberté individuelle…

 

Salomé Joly : parler et partager…

La bande dessinée peut prendre de plus en plus de formes… Entre le modernisme parfois insensé de certains indépendants et le classicisme de nostalgiques manquant d’imagination, entre les romans graphiques qui, souvent, se prennent tristement au sérieux et les auteurs qui se contentent de ronronner sur leurs acquis, de vraies pépites existent. Souvent…

C’est le cas avec ces  » Silencieuse(s)  » qu’il faut à tout prix éviter de voir se perdre dans la masse des parutions !

C’est un livre à lire, à faire lire, par tout un chacun, et peut-être même plus encore par les adolescents des deux sexes !…

 

Jacques Schraûwen

Silencieuse(s) (dessin : Sibylline Meynet – scénario : Salomé Joly – éditeur : Perspectives Art9)

Syberia, un jeu vidéo, une bd, un roman, un artbook : Benoît Sokal, un raconteur d’histoires !

Syberia, un jeu vidéo, une bd, un roman, un artbook : Benoît Sokal, un raconteur d’histoires !

Benoît Sokal, c’est, bien évidemment, Canardo, une bd  » animalière  » qui a révolutionné le genre. C’est aussi Kraa. Et c’est enfin le monde du jeu et de la virtualité avec Syberia, disponible pour plusieurs plates-formes !

JEU ET BD

Avec Syberia, conjugué aujourd’hui sur plusieurs supports, on se trouve bien loin de l’univers noir et caustique de Canardo.

Mais la filiation, par contre, avec ce canard détective privé sans cesse désabusé, est une réalité, puisque cela fait de nombreuses années, déjà, que Benoît Sokal a décidé d’explorer les possibilités de l’informatique. Et il n’a fait, au fil des ans, que peaufiner son approche de cet univers, passant de la colorisation de ses albums par ordinateur à la mise en scène de réalité s virtuelles envoûtantes dans un jeu vidéo, Syberia, dont la troisième mouture est désormais disponible.

Mais il n’a aucunement sacrifié à la mode qui fait que ce genre de jeu, essentiellement, se construit autour de la violence la plus gratuite. Avec Syberia, on est loin, très loin, et fort heureusement, de la  » baston « . Parce que Benoît Sokal, tout simplement, est et restera toujours un fabuleux raconteur d’histoires… Un inventeur de mondes… Un historien de l’imaginaire et du fantastique… Un amoureux des décors porteurs d’émotions…

Il le prouve dans son jeu, un jeu qui se continue avec une bande dessinée au dessin particulièrement léché, réussissant, à travers un réalisme proche du  » 3d « , à être fidèle au style narratif et littéraire qui a toujours été celui de Sokal.

Johann Blais travaille la couleur et le trait avec une espèce de douceur tranquille, accompagnant un scénario dû à Hugo Sokal. Un scénario, bien sûr, qui suit les traces du jeu… Mais qui fait preuve, aussi, d’imaginations différentes. Le personnage du petit Hans perdu entre automates et autisme, entre rêves et réalités, est terriblement attachant, tout comme, d’ailleurs, celui de Kate Walker, l’héroïne de Syberia, qu’on découvre dans ce livre se cherchant elle-même à travers une quête aventurière…

 

Benoît Sokal: les origines du jeu
Benoît Sokal: raconteur d’histoires

ARTBOOK

Le monde de Benoît Sokal est multiple, foisonnant, mais toujours nourri, d’abord et avant tout, par le graphisme, le dessin, la nécessité que cet artiste a toujours eue de montrer ce qui jaillit de ses imaginaires, et de le montrer au travers du dessin plus que par les mots, le plus souvent.

Avant de passer à la réalisation, au sens pratiquement cinématographique du terme, de son jeu vidéo, Benoît Sokal a donc dessiné. Enormément… Passionnément… D’épures en fresques puissantes, de crayonnés en storyboards fouillés, d’illustrations expressives en paysages réalistes ou fantastiques, tout ce travail méritait qu’on le découvre, et c’est chose faite grâce à un superbe  » artbook  » publié aujourd’hui, et qui met en évidence tout l’art graphique de Sokal, mais aussi tout son art narratif.

Avec ce qui est une constante dans son œuvre, quelle qu’elle soit, une présence féminine toujours forte, toujours sensuelle aussi. Kate Walker ne manque pas de charme, et elle ne dénote pas, croyez-moi, dans l’univers de Sokal, un univers mis en scène autour d’elle et de ses charmes évidents !

 

Benoît Sokal: le livre d’art

Benoît Sokal: l’héroïne et l’histoire

MARKETING

Le monde du jeu vidéo est quelque peu ambigu, toujours, dichotomique, puisqu’il mêle commerce et réalisation artistique. Puisque, au départ d’un travail personnel de créativité, c’est toute une équipe qui prend en charge une production qui se doit d’être rentable. Et, surtout, une post-production, puisqu’il faut que le jeu soit accessible au plus grand nombre, qu’il soit donc connu et reconnu au travers de tous les canaux médiatiques existants.

Mais là aussi, pour qu’il y ait une efficacité réelle, il faut que cette post-production soit admirative du résultat, admirative de ce qu’a été la réalisation du jeu. Et c’est bien le cas avec Vincent Beagle, le responsable marketing de Syberia.

 

Vincent Beagle: le marketing

 

LE ROMAN

Parce que c’est bien de marketing aussi qu’il s’agit !

Un jeu… Un album de bd… Un livre d’art… Et même un roman !

Je vous avoue ne pas avoir encore eu le temps de lire ce roman. Je me suis contenté, pour le moment, de le feuilleter. C’est un livre qui complètera le plaisir des joueurs, et dont le style est peu littéraire, très direct, avec une forte présence des dialogues, ces dialogues qui, d’ailleurs, font partie de la progression dans le jeu lui-même. Le but de Dana Skoll, l’auteur(e) (?) de ce roman, est incontestablement l’efficacité.

Et je pense que ce roman est tout à fait capable de plaire à un large public adolescent.

Au total, donc, nous avons une  » sortie  » multiple pour le résultat d’une imagination puissante et débridée, celle d’un véritable artiste, Benoît Sokal ! Une sortie bien orchestrée et qui met en avant un créateur à part entière, un formidable raconteur d’histoires, selon ses propres mots.

 

 

Jacques Schraûwen

 

Syberia 3 (jeu vidéo Microïds)

Syberia : 1.Hans (dessin : Johann Blais – scénario : Hugo Sokal)

Tout l’Art de Syberia ( éditeur : Huginn & Muninn)

Syberia (roman de Dana Skoll – éditeur : Michel Lafon)