Suc – Erotisme hard et paradis d’artifices…

Suc – Erotisme hard et paradis d’artifices…

Une bd pour public averti… Une bd résolument X… Mais plus que ça, de par sa thématique…

copyright delcourt

Je l’ai déjà dit, et je le dirai toujours. N’en déplaise aux moralisateurs pudibonds et aux intégristes de ce qu’ils appellent la « pureté », l’érotisme est partie intégrante de l’âme humaine… De la réalité animale, aussi, dans sa totalité, plus que probablement…

L’Homme a de tout temps eu besoin de s’affirmer charnellement, et de trouver dans les jeux de l’amour « trivial » la source de plaisirs qui portent en eux la chance (pas toujours vécue…) de ne pas faire de ses désirs une simple habitude.

Quand je dis « Homme », je le fais sans écriture inclusive, Dieu m’en garde, mais en me référant à l’origine latine de ce mot.

Quand je dis « érotisme », je ne m’arrête pas à la définition que peuvent en donner les adeptes de la bien-pensée, et je pense à toutes les formes de la désirade qui font des chairs l’autel parfois doux, parfois tendre, parfois tout simplement excitant et pornographique de la rencontre amoureuse.

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Et le livre dont je vous parle ici, aujourd’hui, appartient sans aucun doute à une forme de pornographie : les corps y font l’amour sans tabou, l’orgie des sens y est aussi celle des sexes, les dessins sont sans équivoque, les détails les plus physiologiques y sont présents… Le tout dans un climat qui pourrait être celui d’une heroic fantasy détournée.

Nous nous trouvons dans le monde des Elfes. Sexués, certes, mais capables aussi de changements physiques selon les rencontres, les désirs.

Dans une forêt accueillante, dans une nature omniprésente et libre, ces Elfes vivent au quotidien la totale liberté de leurs corps, sans aucune notion de quelque morale que ce soit.

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Mais au centre de cette forêt se trouve un arbre… Un arbre qui se donne, d’une certaine manière, au plus aguerris des Elfes. Un arbre dont les richesses amoureuses dépassent celles des ailleurs de cet univers, racines et fleurs dont se nourrissent les libidos de tout un chacun, de toute une chacune…

Une jeune elfe parvient en cet endroit qui devrait être celui de toutes les voluptés. Et, en guise de bonheur, c’est une vérité toute autre que cette Elfe découvre… Elle se plonge, soudain consciente, dans une dépendance d’elle et de ses semblables vis-à-vis de la sève, du suc même de cette nature qui, vouée au plaisir des sens, se nourrit de ce plaisir pour asseoir son pouvoir absolu.

Au-delà des apparences charmantes, charmeuses, jouissantes et jouissives, cette Elfe découvre les fausses réalités d’une liberté institutionnelle… Et c’est en résistance, alors, que la liberté du corps va devoir se révéler… Le « X » devient donc une sorte de fable que les dérives autoritaristes et sectaires des vendeurs de bonheur qui, aujourd’hui encore, aujourd’hui surtout peut-être, se multiplient aux horizons de nos quotidiens.

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Ce livre, à ne pas mettre entre toutes les mains, n’est pas un pensum. L’auteur, « Chéri », et un dessinateur qui aime nous montrer un univers né de son imagination, un monde torride dans une nature somptueuse. Et si on peut lui reprocher des personnages un peu trop hiératiques, manquant de mouvement, de vie, on ne peut en même temps que souligner son dessin en noir et blanc emmenant ses personnages, et donc ses lecteurs, dans le foisonnement de fleurs, d’arbres, de champs secoués par les vents du désir. Et certains de ses dessins, ainsi, se font presque abstraits pour mieux nous faire ressentir l’étrange profusion presque palpable, entre rêve et cauchemar, du personnage central de son livre, la nature.

Dans cet univers qu’il nous dessine, tout n’est que luxe, calme et volupté. Mais, comme chez Baudelaire, la beauté et la liberté cachent toujours d’évidentes laideurs, d’évidentes recherches de « possession » !

Ce « Suc » est plein de références, aussi. Mythologiques, comme avec des Elfes qui embrassent leur reflet dans l’eau et font penser à Narcisse… Psychologiques à la Freud, avec ces symbolismes sexuels sans cesse présents : l’eau, la source, les fruits juteux, la rosée matinale, les corolles des fleurs s’ouvrant au soleil… Bibliques, avec cet arbre qui semble être celui d’une certaine connaissance, celle des chemins qui conduisent à la jouissance, mais qui mène les Elfes de l’épanouissement à l’effacement, de la liberté à l’oppression, de l’Amour douceur à l’amour douleur…

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C’est donc un livre étonnant… Résolument adulte, graphiquement usant du noir et blanc avec une technique qui fait penser au lavis, narrativement original puisque totalement muet, cet album est comme une carte du tendre, celle de Moustaki, mais dont les merveilles révèlent d’intimes horreurs… C’est du vrai « X »… C’est de la bd qui semble faire l’apologie du « jouir pour jouir ». Mais sans doute le propos de cet album sera-t-il ressenti par chacun autrement, à l’aune de ses propres réalités, de ses propres hantises, de ses propres émotions.

Pour amateurs adultes, bien entendu, ce « Suc » laisse des impressions mitigées, mais plus qu’intéressantes…

Jacques et Josiane Schraûwen

Suc (auteur : chéri – éditeur : Delcourt – janvier 2023 – 248 pages)

Les Tribulations de Louison Cresson : 2. Le Secret du « Mister »

Les Tribulations de Louison Cresson : 2. Le Secret du « Mister »

De la bd qui sent bon les années 90, avec un peu de mélancolie, pas mal de tendresse, et beaucoup d’humour !

copyright Léo Beker

1956. Louison Cresson, dans un tortillard qui traverse avec lenteur la campagne, rejoint son cousin Gaspard, vigneron à Pied-l’Abbé, pour des vacances qui vont lui permettre de retrouver ses amis.

Des amis étranges… Les fantômes des moines qui, il y a bien longtemps, ont vécu dans cette ancienne abbaye, et continuent à la hanter. Mais sans méchanceté, et avec une passion évidente et sans modération pour le bon vin.

De l’autre côté de l’Atlantique, chez l’Oncle Sam, un scientifique construit des ordinateurs pour l’armée, pour « le monde libre » contre les méchants rouges… Et ce scientifique, Chuck Craig en a marre de se sentir prisonnier… Il s’évade, donc, avec comme but d’aller au bout de la fabrication d’un ordinateur extrêmement performant, auquel il veut donner une mission culturelle.

Et c’est en France qu’il débarque, et c’est là, sur la route, déguisé en bon Français, qu’il fait la rencontre de Louison, qui le prend pour Chuck Berry !

L’aventure peut commencer !

copyright Léo Beker

Léo Beker, l’auteur complet de cette série, plonge ses lecteurs dans une époque de guerre froide quelque peu oubliée de nos jours, mais sans lourdeur, que du contraire ! Les allusions à la grande Histoire sont présentes, certes, mais à petites doses, et sans insistance. Bien sûr, on parle encore de la guerre 40-45, des militaires américains, de Mc Carthy aux Etats-Unis, de la guerre d’Algérie. Mais les années 50 ne sont là, en fait, que comme décor, un décor qui permet à Beker de nous le dessiner, justement, avec un plaisir évident : les voitures de cette époque, les vêtements, les infrastructures.

Le style graphique de Léo Beker est, je dirais, hybride… On y trouve de la ligne claire, mais mitonnée par une influence évidente, aussi, de la bd de Charleroi… Et du côté du scénario, il en va de même, on se situe entre Spirou et Tintin.

Et puis, il y a la présence de ces moines fantômes qui apprennent à jouer au foot, provoquant, bien évidemment, des catastrophes ! C’est vrai qu’ils sont moins présents que dans le premier épisode de cette série, mais ils ajoutent du piment à une aventure en y ajoutant un bon morceau de fantastique rigolard…

copyright Léo Beker

Ce que je trouve extrêmement intéressant dans cette série, c’est le portrait qu’elle nous fait à la fois d’un monde proche du nôtre et des gens qui le faisaient vivre au quotidien, le tout avec un humour bon enfant… Bon enfant mais, en même temps, dans ce livre-ci, visionnaire à sa manière… le scénario, en effet, fait la part belle à ce qui est devenu, aujourd’hui, une (triste) réalité : construire un ordinateur capable de « créer » ! Il y a quelques semaines, cette stupidité a pris vie avec un ordinateur qui a « terminé » une symphonie inachevée…

Je parlais aussi de références, et elles sont nombreuses, comme des espèces de jalons pour les lecteurs attentifs… Comment, par exemple, ne pas se souvenir du face à face entre l’homme et la machine dans le film « 2001 Odyssée de l’Espace » en voyant, avec Louison Cresson, un ordinateur souffrir !

copyright Léo Beker

Et puis, cerise sur le gâteau, comme on dit : des pages inédites, qui ajoutent une fin joliment romantique et tout en tolérance ! Et c’est un vrai plaisir que de voir ainsi toute l’évolution du dessin de Beker, et d’avoir envie, dès lors, de le voir se lancer dans autre chose, bientôt, que des rééditions. Cela dit, ne boudons pas notre, plaisir ! Avec Louison Cresson, ces rééditions méritaient, assurément, d’être faites !

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Tribulations de Louison Cresson : 2. Le Secret du « Mister » (auteur : Léo Beker – couleurs : Beatriz Beker – leobekeréditeur – 2022 – 48 pages)

64_page : #23 (le noir et blanc)

64_page : #23 (le noir et blanc)

Voilà des années que cette « revue de récits graphiques » a pris, à sa manière, le relais des « fanzines » chers aux années 70 ! En nous offrant des jeunes auteurs, d’une part, des articles de fond, également…  Et ce numéro 23 ne manque vraiment pas d’intérêt !

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Le thème axial de ce numéro 23 est l’art du « noir et blanc ».

Celui de Chabouté, bien évidemment, l’auteur actuel sans doute le plus extraordinairement doué dans cette manière graphique de nous rendre compte, en même temps, d’un univers réel et des rêves qu’il peut créer au-delà des apparences.

Celui de Caniff, de Franquin, de Vivès, de Tardi, aussi, avec un article qui nous fait (re)découvrir une histoire commencée et, malheureusement, jamais terminée.

Celui de Frans Masereel, également, dont on continue à dire (de manière pas très justifiée, à mon avis) qu’il est sans doute le créateur du roman graphique.

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Mais le noir et blanc, première approche fondamentale de la création graphique, c’est aussi, dans ce numéro extrêmement varié, celui d’auteurs dont on peut espérer qu’ils se fassent les « grands » de tantôt ou de demain !

Impossible de les citer tous… Mais sachez que la qualité première de cette revue est la diversité… Au travers d’un thème aussi vaste que le « noir et blanc », l’éditeur et son équipe éditoriale ont eu à cœur de nous proposer un paysage qui laisse la place à bien des styles différents !

Je vais quand même citer ici quelques-uns de mes coups de cœur.

Emilie Pondeville cauchemarde avec un sens du découpage parfaitement assumé…

Guillaume Balance use de l’absence de couleurs pour parler de ses failles…

J’aime assez l’humour bruyant de François Jadraque…

Walter Guissard nous parle du Covid et de ses masques improbables avec un trait sombre qui n’est pas sans rappeler celui de Varenne…

J’aime assez l’approche narrative de Trefilis et la tendresse noire de Limcela…

J’ai beaucoup aimé l’histoire de Sandrine Crabeels, usant du bleu et blanc avant d’éclater en couleurs…

Comme dans chaque numéro, ou presque, j’ai souri à l’humour de la Cartoons Académie…

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En fait, chacun peut, dans une revue comme celle-ci, picorer à son aise, selon ses propres goûts, tout en se baladant dans des univers qu’habituellement il ne visite pas…

C’est la force d’une telle démarche éditoriale ! C’est aussi un relais essentiel pour que la bande dessinée puisse, toujours, révéler des talents nouveaux, classiques ou ruant dans les brancards, des talents-passions à respecter, envers et contre tout ! Surtout contre les seules modes de la grande édition !

Jacques et Josiane Schraûwen

64_page : #23 (deuxième semestre 2022)

P.S. : Merci, infiniment, à l’éditeur d’avoir dédié ce numéro à Josiane…. Là où elle est, si tant est que ce soit possible, je la sais sourire…

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