Tintin – numéro spécial 77 ans

Tintin – numéro spécial 77 ans

Un album « hommage » à des auteurs qui ont fait, jusqu’en 1988, les beaux jours de bien cds enfances… Un album nostalgique ?… Oui, sans aucun doute. Mais pas uniquement !…

copyright moulinsart-le lombard

Ce sont 80 auteurs, dessinateurs et scénaristes, qui illustrent cette nostalgie. Des auteurs qui ont, certes, grandi en lisant les pages d’un magazine désormais défunt, mais des auteurs, aussi, beaucoup plus jeunes… Et ces rencontres entre un passé révolu et des artistes d’aujourd’hui forment une sorte de paysage improbable d’une aventure littéraire exceptionnelle : celle de la bande dessinée.

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Ce livre, épais de quelque 400 pages, ne se contente pas de dessins… Il s’ouvre d’ailleurs sur un article de Daniel Couvreur qui, dans un style vif, documenté, nous parle de l’univers de Tintin, en nous disant qu’il s’enrichit du temps qui passe. Un article de fond, donc, qui est un peu comme un panégyrique d’Hergé et de son œuvre. C’est son admiration pour un artiste qui occupe une place importante dans le monde du neuvième art qui transparaît au travers des propos de Daniel Couvreur, peut-être parfois trop louangeurs. Mais c’est, je le répète, un article honnête et extrêmement bien fouillé.

(Romain Renard) copyright moulinsart-le lombard

Plus loin dans l’album, un deuxième article vient tempérer le portrait encenseur du « maître » Hergé. Un article de Jérôme Dupuis, intitulé « Les fabuleuses aventures du journal Tintin ». Un texte dans lequel l’auteur nous dresse le portrait d’un journal et de sa vie au quotidien, ai-je envie de dire… Un article dans lequel la figure emblématique d’Hergé nous est montrée sans fards… Sans faux-semblants… Hergé n’était pas un saint, loin de là, et Jérôme Dupuis nous le montre en maître incontesté (et obligatoirement incontestable et donc à contester) d’une ligne éditoriale (et graphique) qu’il imposait fermement. Les conflits furent nombreux entre Hergé et ses « employés », et plusieurs nous sont racontés dans cet article… Mais ce qui nous y est aussi et surtout raconté, c’est le creuset extraordinaire qu’a été le magazine Tintin, sous Hergé, mais aussi sous des rédacteurs en chef comme Greg. C’est après Hergé, en effet, que sont nées des bandes dessinées, dans les pages de « Tintin », qui, peu à peu, ont transformé les petits mickeys bien- pensants en œuvres de plus en plus adultes dans leurs thématiques, mais toujours destinées à tous les publics…

(Ers) copyright moulinsart-le lombard

Un troisième article analyse de manière sérieuse, avec des interviews, ce que fut la place de la femme dans le journal des jeunes de 7 à 77 ans. Anne-Claire Norot  fait œuvre, en quelque sorte, d’historienne de la bd, à travers le prisme d’une évolution qui ne fut pas toujours aisée, loin s’en faut, évolution sociétale et, donc également, artistique… Il y eut des présences féminines dans les récits parus dans «Tintin », mais correspondant toujours à une époque bien précise… Chez Michel Vaillant comme chez Modeste et Pompon, les femmes sont secondaires… Quant aux autrices, c’est avec Liliane Funcken qu’elles ont commencé, discrètement, à se révéler, jusqu’à ce que naissent, de nos jours, des autrices exceptionnelles comme Alix Garin, Mobidic, Clara Lodewick, et bien d’autres encore.

(Dutreuil) copyright moulinsart-le lombard

Un dernier article, de Julien Bisson, nous montre que, certes journal pour jeunes, Tintin s’est quand même très souvent ouvert à des thèmes sérieux, au fil des époques traversées par ce magazine… « La multiplicité des genres », pour les scénarios comme pour les graphismes, a permis aux lecteurs de découvrir des personnages comme « Simon du Fleuve », « les Scorpions du désert », et l’époustouflant et trop oublié « Martin Milan » (oublié, oui, jusque dans les pages de cet hommage…).

(Zuttion) copyright moulinsart-le lombard

Cela dit, cet album-hommage est surtout un objet « dessiné » qui mérite le détour, largement ! Et qu’il y ait des oubliés, comme Christian Godard, Dany Futuro, Chick Bill, et d’autres, c’est tout compte fait normal… Tant et tant d’artistes importants, essentiels parfois, sont passés par les pages de ce journal dont les héros réussissent encore et encore, pour ma plupart d’entre eux, à ne pas vieillir!

Comme dans toute « anthologie », il y a bien évidemment des « nouvelles dessinées » qui déplairont à certains, qui en hérisseront aussi d’autres… Mais l’avantage d’un album comme celui-ci, c’est aussi de pouvoir zapper, se promener…

Zapper… C’est, par exemple, un peu ce qu’a fait Boucq en baladant son Jérôme Moucherot chez Franquin, chez Tibet, chez Hermann et Rosinski !

(Boucq) copyright moulinsart-le lombard)

Et, honnêtement, que de belles surprises dans ce livre !… Je suis certain que chacun y trouvera, avec et sans nostalgie, son bonheur, son plaisir de lecteur en tout cas. Comment, par exemple, ne pas être séduit par Philippe Foerster s’appropriant l’univers de Clifton ?

(Foerster) copyright moulinsart-le lombard

Comment ne pas être ému, aussi, par Alix Garin nous montrant Franquin face à Pompon… Il y a là, en quelques traits simples, la transcription, presque muette, d’une émotion profonde… D’une relation presque intime entre un auteur et son personnage…

(Garin) copyright moulinsart-le lombard

Je ne vais pas vous citer tous ceux qui m’ont ébloui… Ils ne m’ont pas, non, replongé dans mon enfance de lecteur, mais, tout au contraire, ils m’ont rappelé qu’être lecteur, c’est d’abord être curieux, c’est aussi devenir ouvert à de nouvelles formes de récits… Tout en continuant à garder ses anciens goûts quand même ! Et c’est cela, sans aucun doute, la force et l’intelligence de cet album que de varier les plaisirs en nous baladant, lecteurs, dans des tas d’univers qui, finalement, nous ressemblent… Et, ce faisant, de nous rappeler que c’est dans la différence, des genres, des auteurs, des gens que l’on croise, que l’indifférence peut être niée…

(Henriet) copyright moulinsart-le lombard

Un livre indispensable pour tous les amateurs de BD… Et même si je ne comprends pas qu’aucun « hommage » au personnage titre ne se trouve dans les pages de cet album, je ne peux que vous recommander chaudement de vous plonger dans les découvertes infinies que propose ce livre !

Jacques et Josiane Schraûwen

Tintin – numéro spécial 77 ans (éditeur : Le Lombard et Moulinsart – 400 pages – 2023)

Tucker – Chroniques D’Autres Mondes

Tucker – Chroniques D’Autres Mondes

(auteur : Marc Wasterlain – éditions du Tiroir) 

Tucker © éditions du Tiroir

A 75 ans, Wasterlain n’en a pas fini de nous étonner, avec un dessin reconnaissable entre tous, avec des scénarios échevelés qui laissent la part belle à la science-fiction, à l’aventure, à l’humour, à la fable très ancrée, également, dans nos quotidiens…  

Tucker © éditions du Tiroir

J’ai chroniqué son dernier album ce samedi matin sur l’antenne de La Première RTBF… Ecoutez !… 

Jacques Schraûwen 

https://www.rtbf.be/auvio/detail_les-cases-de-l-oncle-jacques?id=2861074

Tucker © éditions du Tiroir
Les Tribulations de Louison Cresson : 1. Rock’n Roll à Pied-L’Abbé

Les Tribulations de Louison Cresson : 1. Rock’n Roll à Pied-L’Abbé

Une réédition bienvenue !….

La société dite de la culture est quelquefois, souvent même, sans mémoire… Oublieuse d’artistes qui, pourtant, ont eu, non pas leur heure de gloire, mais des moments de partage. C’est vrai dans le septième art, dans la peinture, dans la chanson, et plus encore dans la bande dessinée !

Il est vrai que le neuvième art voit se publier d’année en année des milliers d’albums, sans cesse à la recherche d’un public.

Il est tout aussi vrai que la BD est un monde dans lequel les collectionneurs sont nombreux, et ce sont eux, le plus souvent, qui permettent à des livres anciens de ne pas se perdre au néant de mémoires partisanes…

Et puis, il y a les rééditions, heureusement.

Et quand c’est un auteur qui décide de se lancer dans l’aventure d’une auto-édition, et que cette réédition est une réussite, cela mérite d’être souligné !

Tel est le cas de Léo Beker qui redonne vie à un personnage qui, tout-public, pratiquait avec simplicité l’humour, le regard décalé sur une époque, et le fantastique bon-enfant.

L’existence de cet auteur ne s’est pas cantonnée, loin de là, aux petits mickeys. Ecrivain, illustrateur, collaborateur dans l’univers de l’animation, il n’a cependant jamais renié son petit personnage, Louison Cresson.

Louison Cresson, c’est un gamin des années 50, une époque où la souvenance de la guerre était encore bien présente, bien prenante…

Et ce gamin part en vacances chez son cousin Gaspard, qui, propriétaire un peu allumé d’un vignoble, se bat contre vents et marées pour faire un vin exceptionnel.

Sur le quai de la gare, ce gamin fait la rencontre d’u savant japonais qui collectionne les plaques d’égout.

D’autres personnages apparaissent au fil des pages : des voisins indiscrets qui font penser à la voisine de la série « Ma sorcière bien aimée », une inspectrice viticole… Et, surtout, des fantômes, ceux des moines qui ont vécu dans la propriété de Gaspard ! Et pour que ce dernier puisse faire son vin, il va falloir réussir à ce que le fantôme du Père Abbé foule à nouveau les raisins, comme il le faisait de son vivant.

Tous plus farfelus les uns que les autres, à commencer par Louison lui-même qui a le don de comprendre toutes les langues sans savoir les parler, ces personnages vivent dans une époque bien précise, et c’est aussi, au-delà du scénario endiablé, la grande qualité de cet album.

Nous sommes au milieu des années 50. La guerre est certes terminée, mais il en reste des rancunes tenaces, des jugements à l’emporte-pièces. Il en reste aussi une situation politique compliquée, avec une idéologie communiste qui fait plus que lorgner sur le pouvoir. Il en résulte aussi la présence de militaires américains, un peu partout, et, avec eux, un son nouveau, celui du Rock. Un rock que Boris Vian et Henry Salvador, à Paris, vont pasticher avec génie…

Cette époque est présente, totalement, dans cet album, dans les décors, dans les dialogues, mais aussi jusque dans la constriction elle-même des planches…

On n’est pas loin, par exemple, de l’art muet que Jacques Tati illustrait au cinéma. On n’est pas loin non plus de ce qui fleurissait dans les journaux, à l’époque, des strips de bas de page (professeur Nimbus, etc.)

Le dessin de Beker est précis, fouillé, et le gaufrier classique de la bd belgo-française lui va à merveille. C’est un dessin de mouvement, mais c’est aussi un dessin qui, même muet en plusieurs pages, parvient à rester tout le temps souriant.

Le seul bémol que j’aurais, c’est que je trouve, personnellement, la couleur trop criarde.

Mais dans l’ensemble, c’est le plaisir qui est au rendez-vous avec ce livre. Plaisir nostalgique d’une époque pendant laquelle la bd ne se prenait pas au sérieux ? Sans doute… Plaisir, surtout, de redécouvrir une série oubliée, un dessinateur qui, pourtant, a fait les belles heures du journal Spirou.

La bande dessinée, la bonne, c’est aussi cela : ne pas renier ce qui a permis, en d’autres temps, à ce média de devenir réellement un art populaire !

Jacques Schraûwen

Les Tribulations de Louison Cresson : 1. Rock’n Roll à Pied-L’Abbé (auteur : Léo Beker – éditeur : Léo Beker – 2021 – 48 pages)

http://louisoncresson.com