Trap

Trap

Un trappeur et son chien (bleu), une jungle où seule compte la loi du plus fort, ou du plus affamé : voici un album trash, fantastique, et exclusivement graphique !

Trap © Dargaud

Mathieu Burniat, du haut de ses 35 ans, est un jeune auteur qui se démarque des modes et de leurs habitudes. Il semble ne vouloir dessiner que des sujets qui le passionnent, et son dessin, tout en rondeurs, a fait merveille dans des sujets comme la théorie quantique, la gastronomie, ou la mémoire.

Ici, son graphisme abandonne quelque peu ces courbes qui étaient, d’une certaine manière, sa marque de fabrique. Il faut dire qu’il abandonne aussi, ici, le plaisir qu’il avait à créer des bandes dessinées didactiques.

C’est dans l’imagination pure qu’il nous entraîne, avec ce personnage de trappeur qui possède le pouvoir de posséder les qualités de l’animal dont il revêt la dépouille.

Cela dit, Mathieu Burniat n’abandonne pas pour autant la nécessité qui est sienne d’aller plus loin que le simple récit. En nous racontant une histoire dans laquelle les animaux occupent une place prépondérante, une histoire dans laquelle la nature et ses mille réalités sont bien plus que des décors, de la flore à la faune en passant par l’humain, Burniat se fait fabuliste, et cette aventure étrange se révèle ainsi porteuse d’une certaine morale. Ne nous dit-il pas, à sa manière, que les moteurs de nos actes n’ont de valeur que tournés, même inconsciemment, vers les autres…

Trap © Dargaud

Mathieu Burniat: fable et morale

La première caractéristique de ce livre réside dans sa construction. Pas un mot… Et, pourtant, on ressent les bruissements des feuilles, les feulements des animaux sauvages, le bruit du vent au sommet des arbres immenses de cette immense jungle. Burniat se révèle vraiment un dessinateur du mouvement, avec une évidente influence de certains mangas comme Gon, l’extraordinaire dinosaure de Tanaka.

« Trap », c’est le portrait d’un aventurier d’il y a très longtemps ou de dans très longtemps. Un homme qui doit se battre pour survivre, pour garder, aussi, une véritable humanité dans un univers aux incessantes vénalités. Et c’est ainsi que cette fable dessinée devient aussi une épopée presque homérique…

Trap © Dargaud

Mathieu Burniat: scénario, nature, épopée

Puisque Mathieu Burniat a décidé de nous raconter une histoire muette, il fallait que son dessin s’approprie le silence et le fasse bruisser de bout en bout. Et c’est ainsi que son trait, avec Trap, se veut totalement non-réalise, plongeant dans un univers proche à la fois, comme je le disais, de la bd japonaise, mais proche aussi d’une certaine forme d’underground américain des années 60 et 70. Voie même de certains « comics » actuels…

Sans une seule bulle, sans un seul texte en voix off, en usant d’un découpage extrêmement cinématographique, Mathieu Burniat s’amuse à créer un style narratif surprenant, aussi « fantastique », d’ailleurs, que le contenu de son scénario !

Trap © Dargaud

Mathieu Burniat: dessin style narratif

Qu’est-ce qui fait qu’une bd plaît ou pas, au-delà de son dessin, de son apparence, de sa construction ? Je pense, depuis longtemps, qu’il faut une adéquation totale entre le trait et le contenu, entre le récit et la manière de l’agencer et de le montrer. Il faut aussi, me semble-t-il, que ce récit nous fasse rencontrer des personnages qui, pour une raison ou une autre, éveillent en nous des échos discrets ou puissants, nous envoient, en quelque sorte, une image de nous-mêmes, de nos quotidiens ou de nos rêves fous.

Et c’est bien le cas ici, sans aucun doute, puisque ce livre nous décrit par le menu une véritable quête d’identité, une quête dont le héros, Trap, ne livre jamais tous les méandres, tous les secrets, nous obligeant ainsi, lecteurs vite passionnés, à compléter les vides volontaires du scénario et de l’image !

Trap © Dargaud

Mathieu Burniat: le quête

Et puis, il faut aussi parler, en parlant de « Trap », de l’humour qui s’y tapit de part en part… Un humour souvent noir, d’ailleurs, puisqu’il n’évite pas les thèmes les plus sombres qui soient : la mort, la trahison, la haine, le désespoir…

Et, enfin, il faut aussi dire haut et fort que ce livre aurait perdu beaucoup de son intérêt s’il n’avait pas pu profiter d’une mise en couleurs très puissante, avec des contrastes particulièrement marqués. L’histoire racontée est « trash », les couleurs qui la construisent sont « flash »… Et ce sont elles, peut-être, qui se dévoilent comme étant le vrai fil conducteur à la fois du récit et à la fois du graphisme !

Mathieu Burniat © Mathieu Burniat

Mathieu Burniat: la couleur

Avec des auteurs comme Mathieu Burniat, la bande dessinée belge n’est pas prête à ronronner dans la routine et l’habitude ! Et ce livre-ci, cette épopée fantastique et remuante, devrait plaire à un large public, en commençant par les adolescents…

Sans aucun doute, un livre que j’ai pris plaisir à lire, que j’ai plaisir, aujourd’hui, à vous conseiller vivement !…

Jacques Schraûwen

Trap (auteur : Mathieu Burniat – couleurs : Loup Michiels et Mathieu Burniat – éditeur : Dargaud

Les Tuniques Bleues – 62. Sallie

Le sergent Cornelius Chesterfield n’est pas qu’une baderne militaire prête à se mettre au garde-à-vous devant n’importe quel galonné ! Et Il prouve son humanité dans cet album qui le voit même essuyer une larme amère…


Saliie © Dupuis

Cornelius et Blutch écument les hauts lieux de la guerre de Sécession et les bibliothèques des bibliophiles depuis 50 ans. Le premier dessinateur de cette série mythique, Louis Salvérius, mort trop jeune, a laissé la place à Willy Lambil, dessinateur de Sandy et Hoppy, une bd réaliste, et ensuite de Hobby et Koala, une série résolument humoristique. Et ainsi, depuis 1972, c’est un duo de choc, indubitablement, qui préside aux destinées à la fois loufoques et Historiques (malgré quelques anachronismes amusés et amusants) de cette série : Raoul Cauvin au scénario, et Willy Lambil au dessin.

En 63 albums, les personnages autour des deux héros se sont multipliés, avec des apparitions fugaces, avec aussi des retrouvailles récurrentes. Avec le fou de la  » charge « , par exemple, Stark… Avec quelques vraies ganaches gradées, et un gars de l’Etat-major totalement blasé… Et avec un vrai méchant, le bien nommé Cancrelat !

Un personnage qui permet à Willy Lambil de montrer son aversion pour la guerre… Tout comme les dessins animaliers qui émaillent toujours ses albums, apportant, d’une certaine manière, une touche aérienne, poétique presque, en contrepoint de l’horreur réelle des combats racontés par Raoul Cauvin.

Quoi qu’il puisse en dire, Lambil fait sien, totalement, l’univers de son scénariste, et il prend un vrai plaisir à dessiner les mots de Cauvin…


Saliie © Dupuis
Willy Lambil: PERSONNAGES, DESSIN, CAUVIN

Le canevas de ce soixante-deuxième album reste habituel : en trame de fond, il y a la guerre de sécession, les attaques, les contre-attaques, les morts par milliers, les attentes interminables, les victoires, les défaites, les retraites honteuses.

Et sur ce décor évoluent, comme dans un théâtre en plein air, le sergent Chesterfield, le caporal Blutch, deux espèces de Laurel et Hardy perdus dans la guerre, le cheval Arabesque, tout aussi rétif aux engagements guerriers que son cavalier Blutch, et un chien, Sallie…

Un chien qui va aider nos deux (anti-)héros à remplir une mission dangereuse de plus, capturer un soldat sudiste pour qu’il révèle les plans de son armée… Un soldat que les lecteurs fidèles reconnaîtront vite!

Une grande mission d’espionnage, donc, réalisée avec succès… Jusqu’à ce que, bien entendu, un grain de sable vienne tout chambouler ! Jusqu’à ce que, le plus simplement du monde, les affres du conflit reprennent le pouvoir sur un quotidien qui aurait pu, qui aurait dû être souriant.

Les ressorts de l’intrigue et de la narration sont toujours un peu les mêmes, et c’est normal. C’est même bienvenu, pour que cette série garde une véritable unité de ton. Mais l’évolution de l’intrigue, elle, n’est jamais la même d’un album à l’autre. Et Cauvin comme Lambil prennent plaisir à nous faire découvrir de livre en livre des tas de facettes différentes de leurs personnages, de tous leurs personnages.

Et c’est ainsi que, dans ce  » Sallie « , on retrouve avec bonheur un Chesterfield toujours aussi râleur, mais qui se montre capable, soudain, d’empathie, d’amitié, d’émotion, de tendresse… D’humanité, en quelque sorte, d’humanisme aussi, et ce jusqu’aux larmes qu’il n’essaie même pas de  » virilement  » cacher…


Saliie © Dupuis
Willy Lambil: CORNELIUS HUMAIN

On ne m’empêchera pas de penser que Blutch et Chesterfield sont un peu les doubles de Lambil et Cauvin… Dans quel ordre ?… Eux seuls le savent, sans doute… Tantôt l’un, tantôt l’autre, probablement!

On ne m’empêchera pas de penser non plus que cette longue série bd, construite en one-shots, prouve depuis de longues années qu’on peut être populaire sans être mièvre, qu’on peut plaire au plus grand nombre sans tomber pour autant dans la facilité.

Cauvin et Lambil, Lambil et Cauvin… Deux noms qui font honneur à la magie de la bd, cette magie qu’on a tous ressentie enfants à la lecture de nos premières bd, et qu’on continue à sentir vibrer en nous à chaque fois qu’on se replonge dans une aventure passionnante, humoristique, et sérieuse en même temps de ces fameuses Tuniques Bleues !

Jacques Schraûwen

Les Tuniques Bleues – 62. Sallie (dessin : Willy Lambil – scénario : Raoul Cauvin – couleurs : Leonardo – éditeur : Dupuis)

Saliie © Dupuis
Les Tribulations De Tintin Au Congo

Les Tribulations De Tintin Au Congo

Une version inédite, une monographie érudite…

Même si, en RDC, « Tintin Au Congo » est un livre véritablement apprécié, force est de reconnaître que, en Occident, ce deuxième volume des aventures deTintin est source de bien des polémiques.

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman

Après avoir beaucoup dessiné pour le scoutisme, y osant, à côté de ses illustrations, ses premières bandes dessinées, Hergé est devenu très vite célèbre avec le fameux  » Tintin au pays des Soviets « . Après les jugements politiques à  l’emporte-pièce dont il faisait preuve dans cet album, Hergé a repris le chemin exclusif de l’humour et de l’aventure, en amenant son héros tout neuf au Congo, colonie belge source aisée d’exotisme dans l’imaginaire collectif.

Initialement paru en 1931, ce Tintin au Congo se caractérise par une façon de montrer l’Afrique et plus particulièrement le Congo Belge, qui, de nos jours, serait inacceptable… Mais juger aujourd’hui ce livre sur ces aspects-là serait nier la réalité de l’époque, une époque où le Belge croyait, le plus souvent, civiliser une région qui ne l’était pas, une époque où ce qu’on nomme aujourd’hui (à juste titre) le racisme était plus que monnaie courante.

Or, le propos d’Hergé, dans cet album, n’est pas de dénigrer quelque race que ce soit, mais de la montrer telle que tout le monde (ou presque) en Belgique l’imaginait. Son propos, surtout, était de créer des gags, de raconter une histoire amusante, capable de faire rire ses jeunes lecteurs de plus en plus nombreux.

Je pense véritablement que le fait de juger a posteriori une œuvre artistique est une erreur historique et donc intellectuelle… Une erreur qui empêche de comprendre que l’évolution de Tintin, et de ses aventures, dépend directement de l’évolution de son créateur.

Postjuger
Contenu non raciste
Évolution du personnage

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman

Ces « tribulations  » nous montrent donc, grâce à une construction en face à face, à la fois la deuxième aventure de Tintin et tout l’environnement dans laquelle elle a existé, historiquement, socialement, intellectuellement…

Ces tribulations, surtout, nous font découvrir une version de  » Tintin au Congo  » pratiquement inédite, puisqu’elle fut réalisée en 1940/1941 pour le journal néerlandophone  » Het Laatste Nieuws « . En pleine occupation de la Belgique ! Philippe Goddin, dans ses commentaires, évite la polémique en quelques phrases, rappelant que bien des Belges ont continué à travailler pendant la guerre, comme le Roi l’avait demandé… On en pensera ce qu’on voudra…

Personnellement, je veux croire en l’honnêteté de Philippe Goddin, tant son livre est intelligent et réussit à ne rien occulter du travail et de la personnalité d’Hergé. C’est une véritable analyse de Tintin au Congo, ancrée dans la grande Histoire du monde, que cet auteur réussit à faire, d’une façon très fouillée mais qui reste lisible, cependant, malgré son côté véritablement érudit…

Construction (Le livre, l’Afrique)

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman

Cela dit, Hergé reste totalement, bien avant le Lotus Bleu, un amuseur, avant tout… Et un amuseur qui, en nous montrant à voir un reporter qui, finalement, n’écrit pratiquement aucun  » papier « , n’hésite pas, pour faire de  » l’effet « visuel, à multiplier les anachronismes… Des anachronismes qui, finalement, sont aussi une marque de fabrique de Hergé… Hergé dont on a fait le pape de la bande dessinée alors que, peut-être, sans doute, il se voulait, lui, simplement raconteur d’histoires passionnantes et souriantes…

Ce livre plaira aux tintinophiles purs et durs, c’est un fait.

Mais aussi à tous ceux qui aiment le neuvième art…

C’est, de toute façon, un très beau livre à offrir, aussi ! Ou à s’offrir… Sous le sapin, ou pour le plaisir !

Jacques Schraûwen

Les Tribulations De Tintin Au Congo (auteur: Philippe Goddin – éditeur : Moulinsart/Casterman)

Reporter, anachronismes

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman