Les Tribulations De Tintin Au Congo

Les Tribulations De Tintin Au Congo

Une version inédite, une monographie érudite…

Même si, en RDC, « Tintin Au Congo » est un livre véritablement apprécié, force est de reconnaître que, en Occident, ce deuxième volume des aventures deTintin est source de bien des polémiques.

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman

Après avoir beaucoup dessiné pour le scoutisme, y osant, à côté de ses illustrations, ses premières bandes dessinées, Hergé est devenu très vite célèbre avec le fameux  » Tintin au pays des Soviets « . Après les jugements politiques à  l’emporte-pièce dont il faisait preuve dans cet album, Hergé a repris le chemin exclusif de l’humour et de l’aventure, en amenant son héros tout neuf au Congo, colonie belge source aisée d’exotisme dans l’imaginaire collectif.

Initialement paru en 1931, ce Tintin au Congo se caractérise par une façon de montrer l’Afrique et plus particulièrement le Congo Belge, qui, de nos jours, serait inacceptable… Mais juger aujourd’hui ce livre sur ces aspects-là serait nier la réalité de l’époque, une époque où le Belge croyait, le plus souvent, civiliser une région qui ne l’était pas, une époque où ce qu’on nomme aujourd’hui (à juste titre) le racisme était plus que monnaie courante.

Or, le propos d’Hergé, dans cet album, n’est pas de dénigrer quelque race que ce soit, mais de la montrer telle que tout le monde (ou presque) en Belgique l’imaginait. Son propos, surtout, était de créer des gags, de raconter une histoire amusante, capable de faire rire ses jeunes lecteurs de plus en plus nombreux.

Je pense véritablement que le fait de juger a posteriori une œuvre artistique est une erreur historique et donc intellectuelle… Une erreur qui empêche de comprendre que l’évolution de Tintin, et de ses aventures, dépend directement de l’évolution de son créateur.

Postjuger
Contenu non raciste
Évolution du personnage

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman

Ces « tribulations  » nous montrent donc, grâce à une construction en face à face, à la fois la deuxième aventure de Tintin et tout l’environnement dans laquelle elle a existé, historiquement, socialement, intellectuellement…

Ces tribulations, surtout, nous font découvrir une version de  » Tintin au Congo  » pratiquement inédite, puisqu’elle fut réalisée en 1940/1941 pour le journal néerlandophone  » Het Laatste Nieuws « . En pleine occupation de la Belgique ! Philippe Goddin, dans ses commentaires, évite la polémique en quelques phrases, rappelant que bien des Belges ont continué à travailler pendant la guerre, comme le Roi l’avait demandé… On en pensera ce qu’on voudra…

Personnellement, je veux croire en l’honnêteté de Philippe Goddin, tant son livre est intelligent et réussit à ne rien occulter du travail et de la personnalité d’Hergé. C’est une véritable analyse de Tintin au Congo, ancrée dans la grande Histoire du monde, que cet auteur réussit à faire, d’une façon très fouillée mais qui reste lisible, cependant, malgré son côté véritablement érudit…

Construction (Le livre, l’Afrique)

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman

Cela dit, Hergé reste totalement, bien avant le Lotus Bleu, un amuseur, avant tout… Et un amuseur qui, en nous montrant à voir un reporter qui, finalement, n’écrit pratiquement aucun  » papier « , n’hésite pas, pour faire de  » l’effet « visuel, à multiplier les anachronismes… Des anachronismes qui, finalement, sont aussi une marque de fabrique de Hergé… Hergé dont on a fait le pape de la bande dessinée alors que, peut-être, sans doute, il se voulait, lui, simplement raconteur d’histoires passionnantes et souriantes…

Ce livre plaira aux tintinophiles purs et durs, c’est un fait.

Mais aussi à tous ceux qui aiment le neuvième art…

C’est, de toute façon, un très beau livre à offrir, aussi ! Ou à s’offrir… Sous le sapin, ou pour le plaisir !

Jacques Schraûwen

Les Tribulations De Tintin Au Congo (auteur: Philippe Goddin – éditeur : Moulinsart/Casterman)

Reporter, anachronismes

Les Tribulations de Tintin au Congo © Moulinsart/Casterman
Jean-C. Denis : Une exposition à Bruxelles et un album autobiographique qui donne le vertige

Jean-C. Denis : Une exposition à Bruxelles et un album autobiographique qui donne le vertige

Jean-Claude Denis, c’est l’auteur prolifique de bien des albums dans lesquels, le plus souvent, des personnages quelque peu lunatiques se trouvent confrontés à leurs propres faiblesses. Voici l’occasion de le (re)découvrir, dans une exposition d’abord, dans un album vertigineux ensuite!…

Variations, une exposition à la Galerie Champaka

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Du haut de ses 67 printemps, Jean-Claude Denis ne perd rien de son amusement, de sa passion pour le dessin, qu’il soit construit en BD ou simplement illustratif. Grand Prix d’Angoulème il y a quelques années, il se caractérise essentiellement par sa manière presque détachée de raconter des histoires, de plonger ses personnages dans des univers qui les déshumanisent et les poussent, finalement, à se découvrir, à se restaurer à eux-mêmes.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Mais résumer sa carrière à la seule mise en évidence de la construction de ses scénarios serait nier son talent graphique, sa filiation évidente, mais modernisée, avec ce qu’on appelle  » la ligne claire « .

Illustrateur dans l’âme, Jean-Claude Denis aime  » composer « … Dans ses planches, certes, mais aussi dans des réalisations qui, nées de ses scénarios, se révèlent très vite pratiquement autonomes.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Des créations dans lesquelles, homme de culture également, Jean-Claude Denis se révèle être un étonnant et excellent coloriste. Un coloriste qui rend hommage, par exemple, à Gauguin…

Et c’est dans ces créations-là, le plus souvent en couleurs directes, qu’on s’aperçoit peut-être le mieux de l’importance de la lumière chez Jean-C. Denis, de la précision de ses perspectives, de la douceur de ses cadrages.

Et c’est tout cela que je vous invite à voir, à découvrir, à regarder de tout près dans la galerie bruxelloise qui accueille ses  » Variations « …

Variations : une exposition consacrée à Jean-C. Denis, jusqu’au 29 décembre, à la Galerie Champaka, 27, rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles

La Terreur des Hauteurs (éditeur : Futuropolis)

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

En parallèle de cette exposition, les éditions Futuropolis sortent un nouvel album de Jean-C. Denis, qui ne parle plus de lui au travers d’un personnage emblématique comme Luc Leroi, mais qui le fait, cette fois, de manière directe.

Oui, on peut dire de cette  » Terreur des Hauteurs  » qu’il s’agit d’un livre autobiographique.

Un homme se promène le long de la mer… Avec sa compagne, il va emprunter le chemin des douaniers. Et, ce faisant, réveiller en lui une angoisse qui lui vient de la jeunesse, de l’enfance, une angoisse qui lui rappelle mille souvenirs… l’angoisse du vide.

Tout qui, un jour, s’est retrouvé tremblant en plongeant le regard dans la béance vertical d’un paysage immobile ne pourra que se reconnaître dans le portrait que Jean-C. Denis fait de lui dans ce livre pratiquement intimiste.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

Comment dessiner cette peur du vide ?… Comment réussir à exprimer, par le biais du dessin, cette sensation étrange qu’on peut avoir de se sentir aspiré par une  » absence  » ?…

Jean-C. Denis le fait en nous montrant les gestes de son personnage central, en nous montrant ses mains qui s’accrochent à une barrière, à un rocher. En dessinant, aussi, des perspectives envoûtantes et qui ressemblent à des illusions d’optique.

Mais Jean-C. Denis s’efforce aussi et surtout (et avec réussite) à nous expliquer ce  » vertige  » par les mots, par les souvenirs dont son héros égrène sa balade, par sa façon aussi de mettre en dialogue, donc en abyme, ce personnage vieillissant et le jeune qu’il a été… Un peu comme le disait le poète Henri Michaux, Denis fait sienne cette phrase :  » Je parle à qui je fus et qui je fus me parle… « .

Très introspectif, ce livre nous parle aussi du dessin, de l’acte créatif comme révolte contre le vertige. Un vertige qui est celui de l’ennui, qui est celui de la peur de l’engagement amoureux, qui est et reste celui de l’humain confronté à une nature dans laquelle il ne trouve pas vraiment sa place.

Jean-C. Denis
Jean-C. Denis – © Jean-C. Denis

 » On ne se débarrasse pas de la peur, on la déplace « , dit Jean-C. Denis par la voix de son (anti-)héros.

Et ce livre en devient, ainsi, le réceptacle… Le lieu d’accueil d’une peur qui, de déraisonnable, se révèle, de page en page, profondément et passionnément humaine.

Ce livre est intéressant à plus d’un titre. Parce qu’il parle de peur, parce que tout vie se construit aussi à partir des peurs qu’elle génère, parce qu’il parle de souvenances, de regrets, de remords, et que tout ce mélange de mots, de gestes, de rêves même, devient un portrait au travers duquel tout le monde pourra, en partie, se reconnaître.

Jacques Schraûwen

The End: une bd d’anticipation signée par ZEP!…

The End: une bd d’anticipation signée par ZEP!…

Et si les arbres se révoltaient et décidaient de remettre l’être humain à sa place, un élément vivant parmi d’autres?… Telle est l’idée qui sous-tend ce livre de SF et d’humanisme d’une beauté et d’une efficacité remarquables… Il est dû à l’immense ZEP, interviewé dans cette chronique!…

The End – © Rue de Sèvres

 » The End « , c’est le titre d’une chanson de Jim Morrison qu’un scientifique botaniste, aux fins fonds de la Suède, écoute chaque jour religieusement. Pour l’aider dans ses travaux, un jeune stagiaire arrive, Théodore. Des travaux dont le contenu le surprend, pour le moins, puisque le professeur Frawley cherche à comprendre la communication entre les arbres et l’humain.
Théodore, rapidement, va s’intégrer dans cette équipe de scientifiques qui va à contre-courant de la tradition. Et, en parallèle de ces recherches qui mêlent en quelque sorte la science et la philosophie, l’auteur de ce livre étonnant nous fait découvrir, un peu partout dans le monde, des morts étranges, complètement inexpliquées et inexplicables.
Et ces deux éléments narratifs vont se rejoindre pour former la trame d’un récit pratiquement apocalyptique.
Cet album revêt une certaine forme de nostalgie…. Celle d’un monde disparu dans lequel l’être humain et la nature parvenaient à communiquer. Mais au-delà de cette mélancolie, il y a de la part de Zep une façon de nous questionner, toutes et tous, sur notre place, aujourd’hui, sur la terre qui est nôtre.
Aujourd’hui, et demain… Parce que c’est de science-fiction qu’il s’agit, bien évidemment, une fiction se basant sur des réalités scientifiques… Une science-fiction, aussi, très proche de l’anticipation, tant il est vrai que c’est dans notre monde d’aujourd’hui que nous balade Zep.
Zep , un auteur qui dépasse l’anecdote narrative pour s’enfouir dans la part d’humanité de tout un chacun. Aucune gratuité dans sa construction graphique et littéraire, mais, sans cesse, des interrogations sur le sens à donner à la vie, un sens nourri sans cesse de certitudes et de doutes entremêlés.

Zep: trouver un sens…

Zep: SF

 

The End – © Rue de Sèvres

Zep, c’est l’auteur adulé de Titeuf… C’est aussi, depuis quelques années, un artiste qui s’éloigne de cet univers connu pour nous étonner, de livre en livre, pour s’étonner lui-même aussi, pour nous emmener à sa suite dans des récits qui aiment à multiplier les personnages. Des personnages qui, tous, grâce à son talent, ont une existence réelle, tangible, même si elle n’est qu’éphémère.
Une existence réelle, sans héroïsme, dans l’ordinaire d’une existence à la recherche incessante de ses propres codes, une existence simplement ordinaire confrontée à l’extraordinaire…

Zep: les personnages

 

The End – © Rue de Sèvres

Il y a dans cet album, dans ce  » roman graphique « , autant d’onirisme que de réalisme, et le tout est construit de façon très cinématographique, en séquences qui, chacune, met en évidence une des réalités des acteurs de cette bd. Ce sont un peu, aussi, comme des chapitres qui se suivent, se complètent, et, tous ensemble, créent un univers très personnel.
Pour que cet ensemble de séquences se révèle homogène, pour que le récit que rythment ces chapitres forme un tout qui ne déstabilise pas le lecteur, Zep utilise la colorisation comme un code qui lui est propre. Avec des tonalités monochromes, il parvient à restituer des ambiances très sensuelles, comme la chaleur, le froid, le contact même… Et il le fait en charpentant son récit de telle manière qu’à aucun moment il ne perde de son intensité et de sa lisibilité.

Zep: le dessin et la couleur

 

The end – © Rue de Sèvres

Les arbres communiquent, et l’homme est incapable de les entendre… Mais il se comprennent entre eux, et tissent, tout autour de la planète, une toile qui, un jour, devient comme celle des araignées, et emprisonne les humains, les tue, les détruit, pour sauver la Terre… Les arbres régulent la vie et l’humanité pour se préserver eux-mêmes de la disparition. Mais ils le font en évitant l’apocalypse puisqu’ils décident de garder une communauté humaine qui devrait être capable de ne pas retomber dans les mêmes folies.
Avec un thème pareil, traité tout en douceur, tout en impressions, tout en sensations, l’arbre, graphiquement, se devait d’occuper l’essentiel de l’espace, et c’est bien le cas. Zep, en dessinant les arbres, prend un plaisir évident, un plaisir sensuel, un plaisir, en tout cas, né d’une forme étrange de dialogue avec ces éléments de notre planète que, finalement, nous connaissons très peu encore ! C’est au travers de ces arbres que Zep nous parle de sagesse, de pouvoir, de combat entre l’intelligence et la volonté de dominer…

Zep: les arbres

Zep: dessiner les arbres

Le trait de Zep est reconnaissable entre tous et a fait bien des suiveurs, voire des imitateurs. Le ton de Zep, par contre, n’appartient qu’à lui, et tous ses livres qui s’éloignent des cours de récréation chères à Titeuf ressemblent bien plus, finalement, à des poèmes graphiques qu’à des romans graphiques !
Et notre monde manque cruellement de poésie!…. Merci, donc, de nous offrir de tels livres!…

Jacques Schraûwen
The End (auteur : Zep – éditeur : Rue De Sèvres)