Vanikoro

Vanikoro

Une histoire de trésor, de naufrage, de mort, de vie, de choc des cultures… Un album somptueux!


Vanikoro © Daniel Maghen

1788… Deux frégates, La Boussole et l’Astrolabe, en plein Pacifique Sud, font naufrage. A leur bord, plus de deux-cents hommes, dont le Comte de Lapérouse.

A partir de cette réalité historique, et en mettant en scène des personnages qui ont réellement existé, mais en en faisant des êtres d’imagination, Patrick Prugne continue, comme dans tous ses livres précédents, à explorer les chemins qui mènent l’homme à accepter et apprivoiser la différence ou, tout au contraire, à la haïr et à vouloir la détruire.

Un des nombreux personnages qui  » vivent  » dans cet album se fait écrivain… Pour survivre, pour échapper à un quotidien de violence, de mort, de peur et de désespérance. A ce titre, ce  » Vanikoro  » est peut-être bien le livre le plus  » littéraire  » de Patrick Prugne, presque poétique, même, à certains moments, avec des phrases qui, proches même du romantisme, parviennent à estomper l’angoisse qui suinte des dessins.

Littéraire, oui, et en usant d’un langage qui, avec facilité et sans heurts, mélange des expressions typiques d’aujourd’hui avec un style qui reste celui du dix-huitième siècle.

Et tout cela crée une narration que j’appellerais  » en sablier « . On se trouve en face d’un album choral, d’abord, et qui, de par les aléas de l’aventure racontée, se restreint à quelques protagonistes… Avant de remettre en lumière, à partir de points de vue d’individualités, la réalité et la force essentielle d’un groupe humain.

Et plusieurs planches sont également construites de cette manière, avec un point d’ancrage central sur la page.


Vanikoro © Daniel Maghen

NARRATION EN SABLIER

Patrick Prugne

ECRITURE ET LANGAGE


Patrick Prugne

Cela dit, au-delà de ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style, il y a un vrai récit, une vraie aventure humaine. Prugne est un orfèvre quand il s’agit pour lui de mêler la grande et les petites histoires. Son trait, d’abord, restitue, de façon parfois très charnelle, les décors comme les individus, la nature comme les bateaux. Et son scénario, lui, utilise les codes bien connus depuis des siècles de ce qu’on pourrait appeler des  » récits de pirates « , ou, plus justement, de  » courses au trésor « .

Patrick Prugne utilise ces codes, oui, mais sans en dépendre, et en prenant plaisir, même, à les détourner pour abandonner, le temps de quelques phrases, de quelques mots, de quelques planches, l’aventure au profit d’une description pratiquement intime de ses personnages.

Et c’est de cette manière qu’il nous résume cette nécessité que tout être humain a, pour subsister, pour vivre plus que survivre, de se sentir et de se vouloir en appartenance, ou en partage, d’un groupe, qu’il soit social ou culturel.

Ce  » Vanikoro  » devient ainsi une superbe allégorie de la rencontre, de la différence, et de la vie, tout simplement !…


Vanikoro © Daniel Maghen

CODES TRESOR


Patrick Prugne

RENCONTRES, APPARTENANCES A DES GROUPES


Patrick Prugne

Ce que j’ai toujours trouvé étonnant chez Patrick Prugne, c’est sa capacité à ne jamais se perdre dans le fil de ses histoires, et à ne jamais perdre ses lecteurs non plus, et ce malgré le nombre de personnages qu’il fait vivre ! Cela tient à l’universalité de ce qu’il nous raconte, certes, mais aussi à son art du découpage, un découpage qui mêle le hasard à la nécessité de séquences, et qui se fait dès lors, visuellement, une continuation de la narration écrite.

Prugne est un dessinateur, un coloriste. Et il aime la nature, il aime en restituer les beautés mais aussi les dangers, les forces de vie et celles de mort en quelque sorte. Comment, par exemple, ne pas être ébloui, dans cet album-ci, par son approche graphique de l’élément liquide, l’océan, la pluie, aussi…  » Homme, toujours tu chériras la mer…  » disait Baudelaire.

Il y a cet amour-là dans ce livre, avec tous les symbolismes qui se rattachent depuis toujours à cet élément qui mène ailleurs, qui entretient le rêve, et qui, tellement souvent, le détruit !


Vanikoro © Daniel Maghen

EAU, DESSINS EN PLEINES PAGES


Patrick Prugne

Patrick Prugne n’est jamais manichéen, non plus, et c’est ce que j’aime également chez lui. Il n’y a pas ce côté  » à la Rousseau  » du bon sauvage… L’horreur, la violence, l’injustice, la barbarie n’ont, dans les livres de Prugne comme dans la réalité, aucune frontière. Il n’y a, chez cet auteur complet, chez cet artiste qui est tout sauf un donneur de leçons, aucun angélisme, aucune envie de triturer une histoire, voire l’Histoire, pour faire passer un  » message  » qui ne serait pas simplement humaniste.

Prugne est, essentiellement, un artiste… De mots, oui… De dessins, aussi… Et puis, et cela explose à chaque page, Patrick Prugne est un coloriste exceptionnel, un de ces auteurs de bd qui, comme Vance, comme Lepage, jouent en même temps de la couleur et de la lumière pour créer des planches qui, toutes, ont une unité de ton, une unité de narration, une unité de mouvement, mais des unités baignées dans des lumières qui, elles, changent et donnent un ton particulier et personnel à presque chaque case!…


Vanikoro © Daniel Maghen

DECOR, AMBIANCE, COULEUR, LUMIERE


Patrick Prugne

« Vanikoro », c’est un de ces livres (rares !…) qu’on prend plaisir à lire, puis, régulièrement, à rouvrir, à feuilleter, pour y découvrir ainsi, à chaque fois, de nouveaux émerveillements.

Patrick Prugne est un auteur qui prouve que la bande dessinée est un média extrêmement riche quand il s’agit de lui donner la possibilité de parler en même temps de la beauté, de l’horreur, de la nature et de l’humain.

« Vanikoro » est un livre que vous pouvez offrir et, avant cela, VOUS offrir!…

Jacques Schraûwen

Vanikoro (auteur: Patrick Prugne – éditeur: Daniel Maghen)

Vanikoro © Daniel Maghen
Le Vieil Homme Et Son Chat

Le Vieil Homme Et Son Chat

Toute la tendresse du quotidien.

Non, tous les mangas ne se ressemblent pas ! Et sous l’apparence d’une simplicité proche du simplisme, ce « vieil homme et son chat » sont merveilleusement attachants !

Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

Oui, le dessin de ce livre n’a strictement rien à voir avec les productions habituelles de la bd japonaise. Pas de démesure dans les expressions, pas de grands mouvements, pas de cris ni de fureur qui occupent l’espace dessiné.

 Oui, aussi, le scénario de ce livre n’a strictement rien à voir avec la plupart des mangas qui occupent (et souvent bien trop…) les étalages des libraires. Pas de fantastique plus ou moins raté, pas d’aventures tonitruantes, pas de multiplication de raccourcis  narratifs.

Et oui, ce « Vieil homme et son chat » est un très joli livre, d’une belle simplicité, un livre qui, sans chercher à faire de l’effet, touche le lecteur au cœur…


Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

C’est de quotidien, de rien d’autre, que Nekomaki nous parle. Du quotidien de Daikichi, un homme âgé, ancien instituteur, veuf, ne voyant son fils que rarement, se baladant chaque jour dans sa petite ville, conversant avec des ami(e)s du même âge, le troisième…Et, surtout, un homme qui vit avec un chat, Taman tout en rondeurs.

Et cet animal, qui s’avère presque être la continuité vivante del’épouse décédée, forme avec le vieil instituteur un couple tranquille, un couple qui vieillit, avec, parfois, un peu de nostalgie, parfois aussi une certaine peur de l’ailleurs, de l’après… Mais toujours avec un sens aigu d’une tendresse à partager, avec une nécessité de sourire et de rire, et de continuer, envers et contre tout, à aimer vivre, manger, à aimer ce que l’existence au jour le jour peut et devrait offrir à tout un chacun.


Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

Ce livre est construit en chapitres… Des chapitres qui sont autant de tranches de vie, sans éclat, mais avec une véritable passion, celle de garder ouverts les yeux et le cœur. Des tranches de vie, oui, des époques de l’année, aussi…

Et d’une certaine manière, puisqu’on parle dans cet album de la nature, du sentiment, de la sensation et des saisons qui se suivent en apparence ressemblantes, en réalité toujours neuves, on peut dire, oui, que cette bd a des airs de haiku…

Un dessin simple, sans apprêt, proche de la bd « blog » européenne… Un scénario qui fait la part belle aux rythmes de lavie lorsqu’elle se peuple de rêves, de souvenirs, de partages et de poésie… Un petit livre à savourer, comme un thé brûlant en plein hiver…

Jacques Schraûwen

Le Vieil Homme Et Son Chat (auteur : Nekomaki – éditeur :Casterman)


Le Vieil Homme Et Son Chat © Casterman

Les Vieux Fourneaux : 5 – Bons Pour L’Asile

Les Vieux Fourneaux : 5 – Bons Pour L’Asile

Le quatrième âge de l’anarchie, de la tolérance et de l’humanisme !…

Ces « Vieux Fourneaux » cartonnent, comme on dit… Dans les ventes, bien sûr, mais aussi et surtout dans le plaisir que leurs aventures apportent à tous ceux qui, jeunes ou vieux, savent que vieillir peut aussi être un bonheur ! A condition de ne pas trahir celui qu’on a été !

 

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Vous pensez que le « jeunisme » prend trop de place ?… Vous avez envie de découvrir des gens du troisième, voire du quatrième âge, capables de se révolter, avec le sourire toujours ? « Les vieux Fourneaux », dont le cinquième épisode vient de sortir : « Bons pour l’asile », est une série qui ne peut que vous plaire !
Une série, d’ailleurs, qui, dès son premier épisode, s’est révélée « gagnante »… tant au niveau de la critique que des lecteurs, ce qui n’est pas toujours le cas, reconnaissons-le ! Mettre en scène trois septuagénaires, Pierrot, Mimile et Antoine, trois amis d’enfance qui préfèrent à la nostalgie l’action sur le terrain, c’était un pari qui n’était pas gagné d’avance, loin s’en faut !
Et bravo à l’éditeur qui a osé se lancer dans l’aventure… Bravo aussi à Wilfrid Lupano, le scénariste, et à Paul Cauuet, le dessinateur, pour la façon qu’ils ont eue de pousser la porte de cet éditeur !

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Wilfrid Lupano: genèse

 

« On est 500 millions de guignols en Europe et on veut nous faire croire qu’on peut pas accueillir 1 million de pauvres gens ? Ca fait même pas un par village ! »
Les migrants… Voilà un sujet d’actualité… Voilà le sujet principal de ce cinquième volume de la saga des Vieux Fourneaux… Principal, mais pas unique, comme toujours avec Lupano qui, dans chacun de ses scénarios, prend plaisir à mélanger les intrigues, à mêler les genres, aussi, à passer de l’humour le plus débridé, à force de jeux de mots souvent, à la réflexion sérieuse et humaniste.
Nos trois amis, et leurs proches, ceux du même âge comme ceux plus jeunes qu’eux, sont tous bons pour l’asile, c’est vrai, tant leurs actions et leurs mots dénotent avec l’habitude, avec Panurge, avec le politiquement correct… Mais dès ce titre, « Bons pour l’asile », vous l’aurez compris, l’humour est présent, le jeu de mots à double sens…
Il y a les migrants et l’attitude des pouvoirs politiques. Mais il y a aussi les retrouvailles entre un grand-père, son fils, et leur petite fille. Il y a un match de rugby et Mimile qui fait des siennes. Il y a Fanfan, une vieille complice, qui organise l’accueil illégal de migrants. Il y a les retrouvailles entre Pierrot et une femme dont il s’est occupé, quand il était éducateur et qu’elle était adolescente, une femme qui – horreur ! – est devenue flic. Il y a des éclats de rires, il y a de la révolte, de la révolution même, il y a des revendications, des sourires, de la joie de vivre, de la danse, de l’enfance, et même de la mort…
Il y a de l’humour… Mais pas que !

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

Wilfrid Lupano: Humour, mais pas que

 

La force et l’intelligence des auteurs, Lupano et Cauuet, c’est de nous raconter à chaque album une nouvelle histoire. Même si des fils conducteurs existent entre chaque épisode, ils ne prennent jamais une place prépondérante.
Leur force et leur intelligence, c’est d’avoir créé des personnages extrêmement attachants. Trois amis, certes, mais très différents les uns des autres, de par leur vécu comme de par leurs appartenances sociales et culturelles. Et ce sont eux qui font que cette série s’adresse profondément à tout un chacun… Vieillir est une réalité pour tout le monde, et voir ces trois  » vieux  » garder leurs colères de jeunesse, leurs engagements et leurs plaisirs, leurs désirs et leurs courages, cela a quelque chose de profondément jouissif et réconfortant.
Le scénario de Lupano est vif, construit à force de dialogues percutants et de situations tout aussi percutantes. Le dessin de Cauuet gagne, d’album en album, en fluidité, en mise-en scène, également, en plaisir à créer des perspectives extrêmement variées qui, sur chaque page ou presque, donnent une vie à l’intrigue, à ce qui est raconté en tout cas.
Et n’oublions pas, surtout, Jérôme Maffre qui ne se contente pas de colorier cet album, mais qui, par son sens « artistique » de la mise en couleur, apporte un vrai plus à ces  » Vieux fourneaux  » !

 

 

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Wilfrid Lupano: personnages

 

Cette série a remporté, il y a peu, un Prix Saint-Michel, largement mérité.
Cette série prouve aussi, si besoin en était, que la bande dessinée, de nos jours, ne se contente pas (ou plus !…) de ronronner dans de tristes habitudes. Le temps des  » fantasy  » qui envahissaient toutes les maisons d’édition, ou presque, ce temps-là semble enfin révolu ! On invente, on ose des récits poétiques, on se permet des aventures humaines et humanistes, on
abandonne de plus en plus les séries à suivre qui ne se terminent jamais et finissent par lasser tous leurs lecteurs… On ose, tout simplement, la liberté!
Le monde de la bande dessinée est vraiment celui d’un art, le neuvième, et Wilfrid Lupano s’y retrouve comme un poisson dans l’eau… Mais comme aussi un de ses héros qui ne ferme pas les yeux sur la réalité et les difficultés de ce monde qui est le sien.

 


Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Wilfrid Lupano: monde de la BD

 

La bande dessinée, c’est un média totalement adulte qui mêle les réalités et les vérités du graphisme, de la peinture, de la littérature, voire même du cinéma.
Et c’est un bonheur, total, que de pouvoir se plonger dans des albums comme ces cinq  » vieux fourneaux « , et singulièrement ce  » Bons pour l’asile « .
C’est une série que tout le monde devrait lire, faire lire, s’offrir et offrir, pour ne pas vieillir idiot. Audiard disait :  » Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît « .
Les vieux fourneaux osent tout, ils osent surtout ne rien oublier de ce qu’ils furent, de ce en quoi ils ont cru, et, de ce fait, ils sont tout sauf des cons ! Le monde leur appartient!

 

Jacques Schraûwen
Les Vieux Fourneaux : 5. Bons Pour L’Asile (dessin : Paul Cauuet – scénario : Wilfrid Lupano – couleurs : Jérôme Maffre – éditeur : Dargaud)