La Venin : 1. Déluge De Feu

La Venin : 1. Déluge De Feu

Un western au féminin pluriel : baladez-vous dans une maison close, dans des saloons louches, et découvrez la puissance de la vengeance ! Et une femme sans doute plus dangereuse qu’un crotale !…

La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier est un dessinateur extrêmement intéressant. On lui doit quelques livres marquants, comme  » Face au mur  » et  » Comment faire fortune en juin 40 « . Des livres que, d’ailleurs, j’ai eu le plaisir de chroniquer en leur temps…

Et le voici de retour dans un genre qu’il n’avait pas encore abordé, le western. Avec un dessin qui louche quelque peu du côté de Blueberry, Laurent Astier abandonne les paysages urbains et contemporains de ses derniers livres pour nous balader dans des grands espaces, d’une part, dans des lieux spécifiques aussi de cet ouest américain qui ne fut que rarement un eden… De saloon en salon bourgeois, de bordel en cimetière, d’étreinte en chevauchée poussiéreuse, Astier utilise à la perfection les codes d’un genre qui revient terriblement (et c’est tant mieux) à la mode !

Cela dit, Laurent Astier conserve sa manière de raconter une histoire. Au-delà de l’imagination dont il fait preuve, il a toujours le souci de coller, en même temps, à la réalité, à la réalité historique surtout. Une réalité historique fouillée, mais qui n’a que le poids d’un élément de décor, d’une trame présente, certes, mais discrète…


La Venin © Rue de Sèvres
Laurent Astier: le western

Laurent Astier: la trame historique

Ce western pourrait n’être que de facture classique, dans la lignée assumée de Giraud, si la manière d’aborder cette narration ne se révélait originale. Originale, oui, parce que, de façon réaliste, c’est aux femmes que Laurent Astier a décidé de s’intéresser, donc de nous intéresser. Des femmes qui, vivant dans un monde d’hommes au machisme évident, se doivent de lutter pour exister et ne pas être uniquement des objets…

Du coup, son dessin se fait ici et là plus léger, surtout lorsque ce dessin s’approche du plus près des visages de ses héroïnes, de son héroïne surtout, la belle Emily. Ce dessin se fait également sensuel et sans tabou lorsque c’est d’amours tarifiées qu’il nous parle, lorsque ce sont des étreintes monnayées qu’il nous montre.

Il y a là une vraie restitution de la vie de la fin du dix-neuvième siècle et du tout début du vingtième siècle, dans ce pays que l’on disait encore neuf… Mais il y a surtout, et cela a toujours été la force de Laurent Astier, le plaisir qu’il a à faire des portraits puissants et soutenus de ses personnages. Des personnages qui, tous, ont du corps, de la présence, et de l’utilité… Grâce à son dessin, oui, mais aussi grâce à son sens du dialogue, et à sa façon de raconter une histoire, à mi-chemin, en quelque sorte, entre John Ford et Sergio Leone.


La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier: les femmes

Quand je parle de trame historique, une trame que l’on découvre d’ailleurs un peu plus en détail dans une sorte de dossier qui termine ce premier volume, je parle aussi d’une sorte d’approche sociologique du monde des maisons closes. Avec la présence des enfants, des « filles » servant de nounous… Avec des liens de parenté qui n’étaient jamais évidents à vivre. On n’est pas loin du film « La Petite »…

Et puis, il y a chez Astier un vrai bonheur à cacher dans ses dessins quelques références, ou, mieux encore, à placer dans des détails des petits éclats d’humour. Comme le sourire, furtif, d’une religieuse, à la page 49… Un peu comme une référence à l’excellent western « Sierra Torride » …


La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier: l’humour

Ainsi, à partir d’ingrédients tout à fait traditionnels, Laurent Astier construit un récit endiablé et humain tout à la fois. Il y a les Pinkerton, il y a des meurtres, des humiliations, des Indiens brimés, des personnages falots et des femmes qui se libèrent de leurs chaînes, il y a la force de la chair et l’étrange présence du désir, il y des envolées lyriques et des couleurs qui ne sont pas sans rappeler celles qui faisaient des albums de Gir ou de Jijé des petits chefs d’œuvre.

Le dessin de Laurent Astier est d’une belle efficacité. Classique, oui, comme je le disais, dans la lignée des grands dessinateurs de western des générations anciennes. Mais d’un classicisme qui, de temps à autre, au fil des pages, se mêle aussi à une influence de la bd japonaise, dans les physionomies, entre autres, ou dans l’accentuation de certains mouvements.


La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier: couleur et dessin

Dans ce premier volume, Astier réussit, grâce à une construction éclatée, grâce à un découpage qui mêle les époques et en fait des séquences narratives, à ne pas se contenter de mettre en place les différents protagonistes de son récit. Il leur donne vie, d’emblée, sans temps mort, et son dessin cinématographique, avec ses perspectives, ses angles de vue, ses coupures de rythme, tout cela fait merveille et fait de ce premier épisode un chapitre dont on attend avec impatience la suite !

Jacques Schraûwen

La Venin : 1. Déluge De Feu (auteur : Laurent Astier – éditeur : Rue De Sèvres)

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ?

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ?

C’est une époque particulièrement animée de l’Histoire de France et d’Europe qui nous est contée dans cette série. Et qui l’est de manière à la fois romanesque et soucieuse de vérité historique !

Valois © Delcourt

Le premier volume de cette série mettait en scène tous les personnages principaux, et lançait un récit d’aventures basé sur une réalité historique. Le scénariste, incontestablement, aime l’Histoire et aime surtout s’y aventurer en y ajoutant des personnages qui, de par leur présence, humanisent un propos qui, sinon, aurait pu n’être qu’un pensum presque scolaire… C’est que l’Histoire de France est tout sauf aisée à suivre et, parfois, à comprendre!

Nous sommes en 1483 : voilà quelque temps déjà que les Capétiens ont laissé la place, à la tête de la France, aux Valois. La guerre de cent ans est terminée, certes, mais le roi Charles VIII ne manque pas d’ambition et rêve de gloire.

Valois © Delcourt

Dans la tourmente des luttes d’influence qui émaillent cette époque de l’Histoire, Thierry Gloris, le scénariste, introduit deux personnages très différents, qui vont être obligés par le destin de suivre d’identiques chemins.

Il y a Blasco Zuninga, d’abord, un Espagnol qui refuse d’être moine et rejoint une armée italienne se vendant à qui paie le mieux.

Il y a ensuite Henri Guivre de Tersac, jeune nobliau désargenté, qui, d’espion cultivé devient, lui aussi, mercenaire.

Et les voilà tous deux, ensemble, mêlés à une guerre dans laquelle le pouvoir religieux et le pouvoir royal s’affrontent sur tous les fronts, celui de la diplomatie comme celui de la mort sur les terrains de bataille.

Valois © Delcourt

Et c’est là que le talent de Gloris est évident. Il parvient à être presque didactique dans sa façon de nous parler de la France, de l’Italie, de la papauté, il parvient à rendre épiques les complots de salon, les traîtrises et les renoncements. Il parvient, surtout, à ce que le lecteur entre, sans connaissance préalable, dans une période de l’aventure humaine où l’humain, finalement, n’avait que peu d’importance !

Valois © Delcourt

Cette série, dont deux volumes sont déjà parus, est une belle réussite pour tous les amateurs d’Histoire, certes, mais aussi pour tous les amoureux d’une BD romanesque et violente en même temps, réaliste et puissamment documentée.

A ce titre, il faut souligner le dessin extrêmement réaliste de Jaime Calderon. S’inspirant, incontestablement, dans sa composition, de la peinture italienne, celle de Venise entre autres, il nous dessine des visages expressifs et vivants, des décors somptueux, des mouvements et des perspectives qui accentuent de page en page le rythme du récit.

Et n’oublions surtout pas la couleur de « Felideus », qui, plus inspirée, elle, par l’école flamande, donne un vrai relief à chaque protagoniste, de Charles VIII aux Borgia, d’Anne de Bretagne à Della Rovere.

Une série bien faite, passionnante, avec des vrais personnages qui ont de la « chair », comme on dit : la bande dessinée, c’est aussi ça !

Jacques Schraûwen

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ? (Dessin : Jaime Calderon. Scénario : Thierry Gloris. Couleurs : Felideus. Editeur : Delcourt

Valois © Delcourt
Vanikoro

Vanikoro

Une histoire de trésor, de naufrage, de mort, de vie, de choc des cultures… Un album somptueux!


Vanikoro © Daniel Maghen

1788… Deux frégates, La Boussole et l’Astrolabe, en plein Pacifique Sud, font naufrage. A leur bord, plus de deux-cents hommes, dont le Comte de Lapérouse.

A partir de cette réalité historique, et en mettant en scène des personnages qui ont réellement existé, mais en en faisant des êtres d’imagination, Patrick Prugne continue, comme dans tous ses livres précédents, à explorer les chemins qui mènent l’homme à accepter et apprivoiser la différence ou, tout au contraire, à la haïr et à vouloir la détruire.

Un des nombreux personnages qui  » vivent  » dans cet album se fait écrivain… Pour survivre, pour échapper à un quotidien de violence, de mort, de peur et de désespérance. A ce titre, ce  » Vanikoro  » est peut-être bien le livre le plus  » littéraire  » de Patrick Prugne, presque poétique, même, à certains moments, avec des phrases qui, proches même du romantisme, parviennent à estomper l’angoisse qui suinte des dessins.

Littéraire, oui, et en usant d’un langage qui, avec facilité et sans heurts, mélange des expressions typiques d’aujourd’hui avec un style qui reste celui du dix-huitième siècle.

Et tout cela crée une narration que j’appellerais  » en sablier « . On se trouve en face d’un album choral, d’abord, et qui, de par les aléas de l’aventure racontée, se restreint à quelques protagonistes… Avant de remettre en lumière, à partir de points de vue d’individualités, la réalité et la force essentielle d’un groupe humain.

Et plusieurs planches sont également construites de cette manière, avec un point d’ancrage central sur la page.


Vanikoro © Daniel Maghen

NARRATION EN SABLIER

Patrick Prugne

ECRITURE ET LANGAGE


Patrick Prugne

Cela dit, au-delà de ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style, il y a un vrai récit, une vraie aventure humaine. Prugne est un orfèvre quand il s’agit pour lui de mêler la grande et les petites histoires. Son trait, d’abord, restitue, de façon parfois très charnelle, les décors comme les individus, la nature comme les bateaux. Et son scénario, lui, utilise les codes bien connus depuis des siècles de ce qu’on pourrait appeler des  » récits de pirates « , ou, plus justement, de  » courses au trésor « .

Patrick Prugne utilise ces codes, oui, mais sans en dépendre, et en prenant plaisir, même, à les détourner pour abandonner, le temps de quelques phrases, de quelques mots, de quelques planches, l’aventure au profit d’une description pratiquement intime de ses personnages.

Et c’est de cette manière qu’il nous résume cette nécessité que tout être humain a, pour subsister, pour vivre plus que survivre, de se sentir et de se vouloir en appartenance, ou en partage, d’un groupe, qu’il soit social ou culturel.

Ce  » Vanikoro  » devient ainsi une superbe allégorie de la rencontre, de la différence, et de la vie, tout simplement !…


Vanikoro © Daniel Maghen

CODES TRESOR


Patrick Prugne

RENCONTRES, APPARTENANCES A DES GROUPES


Patrick Prugne

Ce que j’ai toujours trouvé étonnant chez Patrick Prugne, c’est sa capacité à ne jamais se perdre dans le fil de ses histoires, et à ne jamais perdre ses lecteurs non plus, et ce malgré le nombre de personnages qu’il fait vivre ! Cela tient à l’universalité de ce qu’il nous raconte, certes, mais aussi à son art du découpage, un découpage qui mêle le hasard à la nécessité de séquences, et qui se fait dès lors, visuellement, une continuation de la narration écrite.

Prugne est un dessinateur, un coloriste. Et il aime la nature, il aime en restituer les beautés mais aussi les dangers, les forces de vie et celles de mort en quelque sorte. Comment, par exemple, ne pas être ébloui, dans cet album-ci, par son approche graphique de l’élément liquide, l’océan, la pluie, aussi…  » Homme, toujours tu chériras la mer…  » disait Baudelaire.

Il y a cet amour-là dans ce livre, avec tous les symbolismes qui se rattachent depuis toujours à cet élément qui mène ailleurs, qui entretient le rêve, et qui, tellement souvent, le détruit !


Vanikoro © Daniel Maghen

EAU, DESSINS EN PLEINES PAGES


Patrick Prugne

Patrick Prugne n’est jamais manichéen, non plus, et c’est ce que j’aime également chez lui. Il n’y a pas ce côté  » à la Rousseau  » du bon sauvage… L’horreur, la violence, l’injustice, la barbarie n’ont, dans les livres de Prugne comme dans la réalité, aucune frontière. Il n’y a, chez cet auteur complet, chez cet artiste qui est tout sauf un donneur de leçons, aucun angélisme, aucune envie de triturer une histoire, voire l’Histoire, pour faire passer un  » message  » qui ne serait pas simplement humaniste.

Prugne est, essentiellement, un artiste… De mots, oui… De dessins, aussi… Et puis, et cela explose à chaque page, Patrick Prugne est un coloriste exceptionnel, un de ces auteurs de bd qui, comme Vance, comme Lepage, jouent en même temps de la couleur et de la lumière pour créer des planches qui, toutes, ont une unité de ton, une unité de narration, une unité de mouvement, mais des unités baignées dans des lumières qui, elles, changent et donnent un ton particulier et personnel à presque chaque case!…


Vanikoro © Daniel Maghen

DECOR, AMBIANCE, COULEUR, LUMIERE


Patrick Prugne

« Vanikoro », c’est un de ces livres (rares !…) qu’on prend plaisir à lire, puis, régulièrement, à rouvrir, à feuilleter, pour y découvrir ainsi, à chaque fois, de nouveaux émerveillements.

Patrick Prugne est un auteur qui prouve que la bande dessinée est un média extrêmement riche quand il s’agit de lui donner la possibilité de parler en même temps de la beauté, de l’horreur, de la nature et de l’humain.

« Vanikoro » est un livre que vous pouvez offrir et, avant cela, VOUS offrir!…

Jacques Schraûwen

Vanikoro (auteur: Patrick Prugne – éditeur: Daniel Maghen)

Vanikoro © Daniel Maghen