Les Vieux Fourneaux : 5 – Bons Pour L’Asile

Les Vieux Fourneaux : 5 – Bons Pour L’Asile

Le quatrième âge de l’anarchie, de la tolérance et de l’humanisme !…

Ces « Vieux Fourneaux » cartonnent, comme on dit… Dans les ventes, bien sûr, mais aussi et surtout dans le plaisir que leurs aventures apportent à tous ceux qui, jeunes ou vieux, savent que vieillir peut aussi être un bonheur ! A condition de ne pas trahir celui qu’on a été !

 

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Vous pensez que le « jeunisme » prend trop de place ?… Vous avez envie de découvrir des gens du troisième, voire du quatrième âge, capables de se révolter, avec le sourire toujours ? « Les vieux Fourneaux », dont le cinquième épisode vient de sortir : « Bons pour l’asile », est une série qui ne peut que vous plaire !
Une série, d’ailleurs, qui, dès son premier épisode, s’est révélée « gagnante »… tant au niveau de la critique que des lecteurs, ce qui n’est pas toujours le cas, reconnaissons-le ! Mettre en scène trois septuagénaires, Pierrot, Mimile et Antoine, trois amis d’enfance qui préfèrent à la nostalgie l’action sur le terrain, c’était un pari qui n’était pas gagné d’avance, loin s’en faut !
Et bravo à l’éditeur qui a osé se lancer dans l’aventure… Bravo aussi à Wilfrid Lupano, le scénariste, et à Paul Cauuet, le dessinateur, pour la façon qu’ils ont eue de pousser la porte de cet éditeur !

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Wilfrid Lupano: genèse

 

« On est 500 millions de guignols en Europe et on veut nous faire croire qu’on peut pas accueillir 1 million de pauvres gens ? Ca fait même pas un par village ! »
Les migrants… Voilà un sujet d’actualité… Voilà le sujet principal de ce cinquième volume de la saga des Vieux Fourneaux… Principal, mais pas unique, comme toujours avec Lupano qui, dans chacun de ses scénarios, prend plaisir à mélanger les intrigues, à mêler les genres, aussi, à passer de l’humour le plus débridé, à force de jeux de mots souvent, à la réflexion sérieuse et humaniste.
Nos trois amis, et leurs proches, ceux du même âge comme ceux plus jeunes qu’eux, sont tous bons pour l’asile, c’est vrai, tant leurs actions et leurs mots dénotent avec l’habitude, avec Panurge, avec le politiquement correct… Mais dès ce titre, « Bons pour l’asile », vous l’aurez compris, l’humour est présent, le jeu de mots à double sens…
Il y a les migrants et l’attitude des pouvoirs politiques. Mais il y a aussi les retrouvailles entre un grand-père, son fils, et leur petite fille. Il y a un match de rugby et Mimile qui fait des siennes. Il y a Fanfan, une vieille complice, qui organise l’accueil illégal de migrants. Il y a les retrouvailles entre Pierrot et une femme dont il s’est occupé, quand il était éducateur et qu’elle était adolescente, une femme qui – horreur ! – est devenue flic. Il y a des éclats de rires, il y a de la révolte, de la révolution même, il y a des revendications, des sourires, de la joie de vivre, de la danse, de l’enfance, et même de la mort…
Il y a de l’humour… Mais pas que !

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

Wilfrid Lupano: Humour, mais pas que

 

La force et l’intelligence des auteurs, Lupano et Cauuet, c’est de nous raconter à chaque album une nouvelle histoire. Même si des fils conducteurs existent entre chaque épisode, ils ne prennent jamais une place prépondérante.
Leur force et leur intelligence, c’est d’avoir créé des personnages extrêmement attachants. Trois amis, certes, mais très différents les uns des autres, de par leur vécu comme de par leurs appartenances sociales et culturelles. Et ce sont eux qui font que cette série s’adresse profondément à tout un chacun… Vieillir est une réalité pour tout le monde, et voir ces trois  » vieux  » garder leurs colères de jeunesse, leurs engagements et leurs plaisirs, leurs désirs et leurs courages, cela a quelque chose de profondément jouissif et réconfortant.
Le scénario de Lupano est vif, construit à force de dialogues percutants et de situations tout aussi percutantes. Le dessin de Cauuet gagne, d’album en album, en fluidité, en mise-en scène, également, en plaisir à créer des perspectives extrêmement variées qui, sur chaque page ou presque, donnent une vie à l’intrigue, à ce qui est raconté en tout cas.
Et n’oublions pas, surtout, Jérôme Maffre qui ne se contente pas de colorier cet album, mais qui, par son sens « artistique » de la mise en couleur, apporte un vrai plus à ces  » Vieux fourneaux  » !

 

 

Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Wilfrid Lupano: personnages

 

Cette série a remporté, il y a peu, un Prix Saint-Michel, largement mérité.
Cette série prouve aussi, si besoin en était, que la bande dessinée, de nos jours, ne se contente pas (ou plus !…) de ronronner dans de tristes habitudes. Le temps des  » fantasy  » qui envahissaient toutes les maisons d’édition, ou presque, ce temps-là semble enfin révolu ! On invente, on ose des récits poétiques, on se permet des aventures humaines et humanistes, on
abandonne de plus en plus les séries à suivre qui ne se terminent jamais et finissent par lasser tous leurs lecteurs… On ose, tout simplement, la liberté!
Le monde de la bande dessinée est vraiment celui d’un art, le neuvième, et Wilfrid Lupano s’y retrouve comme un poisson dans l’eau… Mais comme aussi un de ses héros qui ne ferme pas les yeux sur la réalité et les difficultés de ce monde qui est le sien.

 


Les vieux fourneaux 5 © Dargaud

 

Wilfrid Lupano: monde de la BD

 

La bande dessinée, c’est un média totalement adulte qui mêle les réalités et les vérités du graphisme, de la peinture, de la littérature, voire même du cinéma.
Et c’est un bonheur, total, que de pouvoir se plonger dans des albums comme ces cinq  » vieux fourneaux « , et singulièrement ce  » Bons pour l’asile « .
C’est une série que tout le monde devrait lire, faire lire, s’offrir et offrir, pour ne pas vieillir idiot. Audiard disait :  » Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît « .
Les vieux fourneaux osent tout, ils osent surtout ne rien oublier de ce qu’ils furent, de ce en quoi ils ont cru, et, de ce fait, ils sont tout sauf des cons ! Le monde leur appartient!

 

Jacques Schraûwen
Les Vieux Fourneaux : 5. Bons Pour L’Asile (dessin : Paul Cauuet – scénario : Wilfrid Lupano – couleurs : Jérôme Maffre – éditeur : Dargaud)

 

Les Vieux Fourneaux : 4. La Magicienne

Les Vieux Fourneaux : 4. La Magicienne

Il y a de ces albums à ne rater sous aucun prétexte ! Dans cette chronique, partez à la rencontre d’une histoire à l’humour omniprésent et écoutez ses deux auteurs en parler avec plaisir et sourires…

 

Je pense que le succès de cette série s’est révélé, pour les auteurs comme pour leur éditeur, assez inattendu… Il n’était pas évident, en effet, il y a trois bonnes années, de prévoir qu’une histoire centrée sur des seniors, et pratiquement rien que sur eux, puisse attirer un large public. Mais la qualité du dessin de Paul Cauuet et du scénario de Wilfrid Lupano ont remporté, très vite, tous les suffrages, ceux de la critique comme ceux des lecteurs.

Ce n’était pas évident, mais c’est totalement mérité, tant ces  » vieux fourneaux  » nous montrent le monde qui est le nôtre, et, surtout, le monde d’où l’on vient, en faisant le portrait de quelques vieillards qui s’acceptent vieux et qui sont heureux de l’être.

Dans ce quatrième volume, ils sont toujours là… Mais l’histoire est ici plus centrée sur le village où Antoine, l’un des leurs, habite. Un village dans lequel une entreprise devrait s’agrandir et créer bien des emplois, mais pourrait ne pas le faire parce que, sur le site choisi pour cette extension, on a découvert une magicienne… Une magicienne dentelée, plus exactement, c’est-à-dire une sauterelle qui fait partie des espèces animales protégées.

Et viennent donc s’installer dans ce village toute une série de gens qui forment une ZAD (Zone A Défendre). Ce qui va, évidemment, provoquer des conflits entre les habitants, entre, aussi et surtout, les Vieux Fourneaux eux-mêmes. Mais leur amitié résiste, envers et contre tout, et le trait d’union entre eux tous, Sophie, la marionnettiste, est et reste le regard de la jeunesse ancré à celui d’une certaine vieillesse… D’ailleurs, finalement, vieillir n’est-ce pas, en notre époque de haute technologie, la plus grande des aventures à vivre ?…

Wilfrid Lupano: Les ZAD…

 

Wilfrid Lupano: Vieillir!…

 

Résumer un album comme celui-ci est chose impossible. Wilfrid Lupano est un scénariste qui ne sent à l’aise qu’en racontant, en parallèle, plusieurs histoires, des histoires qui, bien sûr, ont des points de convergence et finissent par se mêler intimement… Il y a un côté  » fable  » à son scénario, également: on cherche tous quelque chose, mais on ne trouve jamais que ce qu’on ne cherchait pas !…

On parle ici d’écologie, de grosses entreprises peu respectueuses de l’humain, d’une technologie isolant de plus en plus les individus, mais aussi de paternité, d’un trésor à retrouver, de secrets enfouis dans des mémoires taiseuses, et d’amour, un amour qui se conjugue à tous les âges de la vie !

Mais ce qu’il y a surtout, dans cette  » Magicienne « , c’est de l’humour, un humour léger, un humour de mots, de dialogues, de dessins, d’expressions, de mouvements ! Cet humour existait déjà dans les trois volumes précédents mais, ici, dans ce quatrième épisode, il devient presque, à certains moments, le moteur de l’intrigue, des intrigues.

Je ris toujours, de relecture en relecture, en me plongeant dans « Gaston », de l’immense Franquin… Eh bien, je me suis découvert des mêmes éclats de rires à la lecture et à la vision de ces vieux fourneaux !… Comment ne pas rire, par exemple, en voyant des enfants prendre les  » vieux fourneaux  » pour des zombies venus en ligne directe de leurs jeux vidéos !

Wilfrid Lupano: l’humour

 

On ne peut qu’encenser le travail du scénariste, Wilfrid Lupano… Mais on ne peut, de la même manière, que saluer bien bas le talent graphique du dessinateur, Paul Cauuet. Son sens de la dérision, son bonheur à créer des expressions qui, pour caricaturales qu’elles soient, s’inscrivent toujours dans une histoire aux véritables accents réalistes, son mélange de genres, donc, tout cela fait merveille dans un récit qui se livre à une critique sociale, mais qui le fait avec un ton bon enfant.

Et Cauuet s’est amusé, s’est passionné même, dans cet album, à nous restituer des paysages qu’il connaît ben, ceux d’un sud ensoleillé, écrasé de lumière et de chaleur…

Tout comme s’est amusé le coloriste dont les nuances variées mais superbement lumineuses font vibrer les cases et les pages dessinées par Cauuet et scénarisées par Lupano.

C’est le résultat d’une vraie collaboration à trois qu’on découvre, dans cet album, une collaboration basée d’abord et avant tout sur le plaisir !

Paul Cauuet: le dessin

Je suis totalement fan de cette série, pour plusieurs raisons. La qualité, jamais prise en défaut, de son scénario comme de son graphisme, d’abord. L’ancrage profond de tous les thèmes abordés dans l’univers qui est le nôtre. Le ton gentiment (parfois beaucoup moins aimable, quand même…) avec lequel il est écrit, proche d’un Audiard résolument anarchiste. Et aussi pour le fait que, malgré des personnages récurrents, chaque nouvel album peut se lire sans que l’on se sente obligé d’aller relire les précédents…

Cauuet et Lupano : un couple d’auteurs respectueux de leurs lecteurs donc !

Les Vieux Fourneaux : bientôt, aussi, un film… Avec un casting qui, pour une fois, me semble ne pas dénaturer du tout les créations de Lupano et Cauuet… Pierre Richard est un vieux fourneau particulièrement crédible !…

 

Jacques Schraûwen

Les Vieux Fourneaux : 4. La Magicienne (dessin : Paul Cauuet – scénario : Wilfrid Lupano – couleurs : Gom – éditeur : Dargaud)

Vasco : 28. I Pittori

Vasco : 28. I Pittori

Dès le titre et la couverture, le ton est donné : c’est de  peinture qu’il s’agit dans cet album aux décors somptueux et à l’intrigue historiquement fouillée… Une excellente série « classique », dans le bon sens du terme!

 

 

Le quatorzième siècle italien est un siècle pendant lequel l’art pictural a connu une première apogée, avec des artistes comme Giotto. Dans l’Italie fractionnée de l’époque, le quatorzième siècle fut aussi un long moment de luttes incessantes pour des pouvoirs politiques ou religieux, financiers ou militaires, toutes ces réalités se mêlant parfois en des manipulations particulièrement retorses.

Au creux de ces cent ans aux mille facettes, Vasco est une figure originale. Aventurier, certes, mais d’une véritable culture, il possède une éthique qui lui permet de nouer des relations à taille humaine tout en parvenant, par des chemins acceptables, aux buts qui sont les siens. Avec lui, on est en territoire connu et parfaitement codifié : celui des héros sans peur et sans reproche.

Dans cet album-ci, il est mandaté, par son oncle pour acheter un tableau de l’immense Giotto. Mais au-delà de cette simple démarche marchande vont se révéler bien d’autres nécessités aventureuses ! Il y a le frère de Vasco, une belle et franche crapule, il y a une jeune femme dont le mariage imposé servira à des contrats bien plus qu’à de l’amour, il y a de la violence, la présence de la mort, et des paysages urbains à couper le souffle.

Avec ce Vasco, on se trouve face à une scène de théâtre sur laquelle se jouent tous les sentiments humains, mais des sentiments exaltés de bout en bout par un décor (Venise, par exemple…) qui devient même, à certains moments, le personnage central, omniprésent en tout cas, de ce récit…

Luc Révillon: un scénario qui fait penser au théâtre
Luc Révillon: Dépaysement et références

 

 

Bien entendu, dans cette bande dessinée de facture totalement classique, et assumée pleinement comme telle d’ailleurs, il y a de l’aventure, il y a des rêves d’amour, il y a le souffle épique de quêtes à  la fois parallèles et concurrentes.

Mais il y a surtout la présence de l’art, cet art qui, ici, se révèle un peu comme dans cette fameuse émission de télé,  » D’art d’art « , c’est-à-dire par le petit bout de la lorgnette, par l’anecdote plutôt que par la renommée.

A ce titre, des ponts incontestables existent entre le propos des auteurs de  » I Pittori  » et notre monde contemporain, un monde qui ne s’intéresse au talent qu’à partir de l’instant où la signature d’un artiste peut se transformer en valeurs monnayables !

D’autres références aux réalités quotidiennes de nos  » aujourd’hui  » émaillent également ce livre, comme la place de la femme, et ses révoltes toujours nécessaires de nos jours.

Tout cela rend la lecture passionnante, intéressante, culturelle et historique aussi… Une lecture qui reste un vrai plaisir, de bout en bout, par la linéarité de la narration, par le charisme, également, de Vasco, et de son frère.

Même si, pour  » entrer « , en tant que lecteur, dans l’histoire qui est racontée, il faut a-priori une certaine dose de culture générale, il suffit ensuite de se laisser guider, de se laisser surprendre, de se laisser dériver par un scénario dont le déroulé parvient toujours à laisser la place à la fois à l’aventure et à  la fois à la culture.

Luc Révillon: l’art
Luc Révillon: les publics de Vasco

 

 

Les premiers Vasco étaient dessinés par Gilles Chaillet, avec tout le talent qui était le sien, un talent indubitable quant à la construction des décors urbains ou architecturaux. Dans la lignée de Jacques Martin, donc d’un classicisme évident qui a créé en son temps une bande dessinée devenue depuis un neuvième art à part entière, Gilles Chaillet a créé une belle épopée dessinée. Sa disparition aurait pu entraîner la fin de la série, mais il n’en a rien été. Et Dominique Rousseau, l’actuel dessinateur de Vasco, s’inscrit dans une double démarche : d’une part, il y a la nécessaire fidélité à ce qu’étaient l’art et le travail de Chaillet ; d’autre part, il y a une manière différente de raconter, graphiquement, une histoire. Rousseau, bien plus que son prédécesseur, aime ses personnages, profondément, et son trait, dès lors, ne se contente pas de magnifier des décors, mais il s’approche du plus près des visages et des gestes de ses protagonistes, leur offrant ainsi un véritable poids, une vraie présence.

Luc Révillon: le dessin

 

 

Au total, Vasco reste une série intelligente, culturelle, aux références historiques maîtrisées, tant au niveau du texte que du dessin.

Et ce  » I Pittori  » promet une suite dont on devine que les rebondissements, amoureux et aventuriers,  seront nombreux !

Une réussite, donc, pour tous ceux qu’une histoire solide et fouillée ne rebutent pas !

 

Jacques Schraûwen

Vasco : 28. I Pittori (dessin : Dominique Rousseau – scénario : Luc Révillon et Chantal Chaillet – couleurs : Chantal Chaillet – éditeur : Le Lombard)