Les lectures de votre été : Violette et Jojo, deux intégrales à ne pas rater !

Les lectures de votre été : Violette et Jojo, deux intégrales à ne pas rater !

Ce sont deux séries mythiques et exceptionnelles qui reprennent vie chez Dupuis : Tendre Violette, de Jean-Claude Servais, et Jojo, d’André Geerts. Deux héros de papier qui, chacun à sa manière, parlent des âges de la vie, de leurs dérives, de leurs révoltes…

 

Tendre Violette : Intégrale en noir et blanc, volume 1 (auteurs : Jean-Claude Servais et Gérard Dewamme – éditeur : Dupuis)

 

 

Jean-Claude Servais est de ces auteurs profondément attachés à la terre où ils ont décidé de vivre. C’est la Gaume, presque toujours, qui se fait le personnage principal de ses livres. La Gaume, ses paysages boisés, ses chemins qui s’enfouissent aux clairs-obscurs de forêts dans lesquelles frémissent mille sortilèges, mille légendes, mille mémoires.

Servais aime les lieux, certes, mais il aime surtout que s’y révèlent les réalités humaines de ses  héros, de ses héroïnes le plus souvent. Et parmi celles-ci, la plus symbolique de son œuvre, de sa nécessité graphique et littéraire de parler de liberté et d’indépendance, c’est, incontestablement, la très jolie et très libérée Violette !

C’est en 1979, dans (À Suivre), que Violette est née. Une jeune femme, aussi jeune sans doute que l’auteur à l’époque, puisqu’il n’avait que 22 printemps, vivant, au début du vingtième siècle des aventures dans lesquelles se mêlent toujours la vie campagnarde, les gens que l’on y croise, tout au long de portraits et de paysages qui forment la trame essentielle des récits.

Gérard Dewamme et Jean-Claude Servais, pour donner existence à cette anti-héroïne, ont réussi une parfaite osmose entre le récit et le dessin. Le rythme du récit est celui d’un conteur, le soir, au coin d’un feu, dans une ferme loin de tout… Le rythme du dessin est celui de la nature, des saisons, des vies qui cherchent à vivre plutôt qu’à survivre, dans un contexte social, politique et intellectuel bien précis.

Violette est un personnage hors du commun, à tous les niveaux. Elle est belle, libre, amoureuse, libertine parfois, sans tabous, ni regrets, ni remords. Elle est l’image d’une manière d’être que chacun, sans doute, aimerait pratiquer… Violette, c’est un idéal libertaire, sensuel, c’est évident. Et cette intégrale va permettre à tout un chacun de la redécouvrir, avec des ajouts rédactionnels importants et superbes par rapport aux éditions originales. Cette intégrale va aussi prouver que le noir et blanc est véritablement ce qui convient le mieux au talent de Servais… Un livre à placer en bonne place dans votre bibliothèque !

 

Jojo : volume 1 (1983-1991) (auteur : André Geerts – éditeur : Dupuis)

 

 

Voilà déjà plusieurs années qu’André Geerts est mort, à l’âge de 54 ans. 54 printemps, qui se révèlent éternels à chaque fois qu’on replonge dans ses albums qui restent et resteront toujours à la fois intemporels et profondément ancrés dans nos réalités à toutes et tous.

Bien sûr, on peut dire, sans se tromper, que Jojo est un personnage dont la filiation avec le Petit Nicolas est évidente. Mais je parle bien de filiation, pas d’imitation, pas de continuité !

Jojo, né dans les pages du magazine Spirou en 1983, est un héros tout en rondeurs, un enfant qui vit chez sa grand-mère, qui voit de temps en temps son papa, un être imposant, souriant, le cœur sur la main. Jojo, cela pourrait être un gosse blessé par l’existence, et ce n’est qu’un gamin qui observe le monde des adultes mais qui, surtout, vit et cultive des amitiés tout en tendresse, tout en acceptation de la différence, tout en sourires toujours multiples. Il y a Gros Louis, surtout, bien portant à tous les niveaux !

La grande force, la grande intelligence de cette série, c’est que tout le monde, sans exception, peut retrouver ses propres souvenirs au travers des présents vécus par Jojo… Souvenirs d’enfance, bien entendu… Mais souvenirs de tendresse, surtout, de rêves faits et qui finissent par se réaliser, d’observation lucide, amusée mais amusante et humoristique aussi du monde tel qu’il est, des adultes et de leurs certitudes qui ne demandent qu’à être battues en brèche.

Jojo, c’est de la grande bande dessinée pour tous les publics, pour toute la famille, c’est de l’humour, c’est de l’intelligence, c’est de la révolte sans violence, c’est du bonheur sans tape-à-l’œil.

Dans ce premier volume de son  » intégrale « , outre les quatre premiers livres qui l’ont mis en scène, vous allez pouvoir vous plonger totalement dans l’univers de Geerts, au travers d’un texte d’analyse particulièrement bien construit, au travers de superbes illustrations également.

Jojo ?… Un personnage essentiel et essentiellement attachant du neuvième art, qu’il vous faut absolument (re)découvrir grâce à ce volume, et qu’il vous faut, surtout, faire découvrir à ceux qui ne le connaissent pas encore !

 

Jacques Schraûwen

Canardo et Les Lulus : deux livres sombres pour bien terminer l’année

Canardo et Les Lulus : deux livres sombres pour bien terminer l’année

Chaque lecture est un voyage. Je vous en propose deux qui ne se contentent pas de suivre les chemins tout tracés du simple délassement… Deux excellents livres pour commencer l’année avec intelligence et plaisir!…

Jacques Schraûwen

Canardo : 24. La Mort aux Yeux Verts (dessin : Pascal Regnauld – scénario : Benoît et Hugo Sokal – couleurs : Hugo Sokal – éditeur : Casterman)

Canardo – © Casterman

Canardo, c’est une des vraies séries mythiques de la bande dessinée. Une bd, depuis 24 albums maintenant, qui nous montre des animaux totalement humanisés, et donc vecteurs de trahison, d’amitié, de folie, de routines, tels des parallèles de nos humaines réalités.

Dans l’album précédent, il était question de traite des êtres humains, des femmes surtout, par un membre plus que dépravé d’une noblesse au pouvoir dans un petit pays appelé le Belgambourg. Il était question aussi de morts brutales, d’immigration clandestine venue d’un pays voisin et quelque peu sous-développé : la Wallonie.

Ce livre-ci, qui s’ouvre sur l’enterrement d’un ami du détective privé Canardo, est la suite de  » Mort sur le lac  » : mêmes personnages, mêmes désespoirs quotidiens, mêmes innommables politiques.

Je ne vais pas vous résumer un récit riche en rebondissements, comme toujours avec Canardo.

Mais je tiens à souligner la qualité à la fois du dessin et du scénario. Les trois auteurs forment, sans aucun doute, un groupe parfaitement homogène et intimement plongé dans la réalité imaginée (si peu…) de leur héros.

Il y a chez Canardo tous les poncifs du roman noir à l’américaine, mais augmentés d’un traitement à la Léo Malet (celui de la triloge noire peut-être plus que de Nestor Burma…), voire à la Vernon Sullivan. Et, en outre, il y a un dialogue ciselé, qui n’est pas sans rappeler les phrases de Chandler et, surtout, celles d’Audiard !… Un Audiard qui serait très branché têtes couronnées, gauchisme bobo, opportunisme de caste… Ecoutez, par exemple, la grande duchesse du Belgambourg dire ces quelques mots qui pourraient, aujourd’hui, sortir de la bouche de bien des dirigeants :  » ici, au Belgambourg, un gauchiste, c’est un type de droite qui estime ne pas être bien payé « .

 » La mort aux yeux verts  » est, à mon avis, un des meilleurs Canardo, à tous les niveaux. Un Canardo qui appelle une suite, certainement, puisqu’une guerre entre Wallonie et Belgambourg y est en préparation…

Entre cynisme social et sombre lucidité, entre vie en totale déliquescence et morts plurielles et brutales, Canardo est un de ces anti-héros dont il ne faut rater aucune des aventures, croyez-moi !

La Guerre des Lulus : 4. 1917 – La Déchirure (dessin : Hardoc – scénario : Régis Hautière – éditeur : Casterman)

la guerre des lulus – © Casterman

Régis  Hautière et Hardoc : un duo bien rodé d’auteurs soucieux tous deux de ne pas se contenter, pour raconter une histoire, de suivre les traces déjà creusées par d’autres.

C’est la guerre 14/18 qui est au centre de cette série. Au centre, oui, parce qu’elle est omniprésente. Mais elle n’est, finalement, que le moteur d’une aventure humaine vécue par quelques enfants que l’horreur et la violence ont perdus sur les routes à la fois de l’aventure et de l’exil, de la peur et du courage, de la quête intimiste et de l’espérance réfléchie.

Dans ce volume-ci, nous sommes en 1917. Les cinq enfants qui ont, il y a trois ans, quitté leur orphelinat à l’approche des forces allemandes, sont toujours en fuite. Un train, pris par hasard, les a menés en Allemagne. Un autre train, toujours pris au hasard, les conduit en Belgique.

L’enfance qui était la leur il y a si peu de temps encore n’est plus qu’une apparence. Les corps et les âmes ont vieilli. L’angoisse, la peur, le combat quotidien pour survivre en dehors d’un monde qui, en définitive, ne veut pas d’eux, tout cela ne fait pas des Lulus des adultes, certes, mais ils sont déjà tous au-delà de l’adolescence.

Et c’est là la force de cette série, c’est que tout est vu à hauteur d’enfance d’abord, d’adolescence ensuite, et, ici, au fil d’une narration quelque peu éclatée et annonciatrice, déjà, des albums qui vont suivre, à hauteur de presque adulte. Et qui dit adulte dit compromission, lâcheté, trahison…

C’est bien de tout cela, oui, qu’il s’agit dans cette déchirure.

Et les Lulus auront-ils la force et la conviction nécessaire pour dépasser cet âge qui n’est pour eux qu’hantise ? Sauront-ils apprivoiser le monde et en faire un allié à leur construction personnelle ?

Régis Hautière est un scénariste que j’ai toujours aimé pour l’intelligence de ses histoires, pour l’importance qu’il accorde, toujours, à ses personnages : aucun d’eux n’est une silhouette, tous existent, tous , même, nous sont comme des miroirs.

Le dessin de Hardoc reste pareil à lui-même : entre réalisme et caricature, entre tendresse et horreur. Et son talent est de faire vieillir, d’album en album, physiquement, tous ses héros. C’est cette osmose entre graphisme et scénario, peut-être, qui fait la vraie puissance de cette série, une série qui réussit à nous parler de la guerre, et de nous en parler bien, avec émotion et intelligence, et ce sans vraiment la montrer !

Jacques Schraûwen

Loisel et Druillet : deux grands du neuvième art à toujours redécouvrir !…

Loisel et Druillet : deux grands du neuvième art à toujours redécouvrir !…

Régis Loisel se plonge dans l’univers de Disney, tandis que se rééditent les œuvres magistrales de Philippe Druillet : des livres étonnants que tout bédéphile se doit de connaître !…

Jacques Schraûwen

Mickey Mouse : Café « Zombo » (auteur : Régis Loisel – éditeur : Glénat)

Café zombo – © Glénat

Régis Loisel, c’est, bien entendu, l’auteur de la meilleure des séries d’heroic fantasy à la française,  » La quête de l’oiseau du temps « . Une belle réussite, incontestablement, qui, malheureusement, a entraîné une mode en bd où le pire a trop souvent côtoyé le simplement mauvais !

Régis Loisel, c’est aussi le coauteur de la série franco-québécoise  » Magasin général « , terminée il y a peu, et dans laquelle s’abordent des thèmes chers depuis toujours à Loisel : l’intégration, la tolérance, la différence, sexuelle aussi, la vie en groupe, le plaisir de vivre et de savourer le temps qui passe.

Régis Loisel, c’est également  » Le grand mort « , qui ressemble à de la fantasy mais qui réussit à aller beaucoup plus loin que le simple récit d’aventures improbables.

Régis Loisel, enfin, c’est l’extraordinaire  » Peter Pan « , une relecture cruelle, étonnante, dérangeante mais envoûtante d’un des plus grands mythes de la littérature mondiale. Avec Loisel, l’enfance n’a jamais rien d’idyllique !

Et Régis Loisel, aujourd’hui, c’est ce Mickey Mouse, en hommage à l’œuvre de Walt Disney, certes, mais, surtout, en décalage avec le  » tout le monde il est beau tout le monde il est gentil  » qu’est devenu l’empire de Disney !

Graphiquement, Loisel s’est totalement immergé dans le Mickey des années 50/60, en appliquant les codes qui étaient ceux utilisés dans le fameux  » Journal de Mickey  » : beaucoup de mouvement, de page en page, pour que le jeune lecteur ne s’ennuie jamais.

Pour le scénario, Loisel a utilisé les habituels méchants, plus bêtes que dangereux finalement, qu’appréciaient Disney et ses collaborateurs. Mais il a ancré tous ces personnages hyper connus dans un contexte réel qui, lui, n’a plus grand-chose à voir avec la manière dont les studios Disney construisaient et construisent encore leurs récits.

Dans cet album, nous sommes en période de crise, de récession. Plus de boulot pour personne, mais des margoulins qui profitent de la situation, et la pauvreté ambiante, pour exproprier tout le monde et se lancer dans la construction d’un projet immobilier uniquement destiné à ceux qui ont de l’argent, de la richesse, du pouvoir. Le café zombo, qui donne son titre à ce livre, c’est une mixture qui drogue les ouvriers pour qu’ils fournissent un travail sans rouspétance !

C’est bien de notre monde et de notre époque que nous parle ce bouquin. Mais il le fait avec humour, un humour débridé et quelque peu surréaliste parfois. On a parfois l’impression que le Mickey de Loisel doit autant à Disney qu’à Avery ou Chaplin : humour, satire sociale, tendresse aussi, et création d’un univers totalement personnel.

Sous des aspects  » légers « , Loisel réussira toujours à étonner ses lecteurs, à se retrouver là où on ne l’attendait pas !…

Intégrale de Druillet : Vuzz, Yragaël et Urm Le Fou (éditeur : Glénat)

Yragael – © Glénat

Philippe Druillet fait lui aussi partie de la toute grande histoire de la bande dessinée, cet amusement populaire devenant, dans les années 70, un art à part entière, le neuvième.

Nombreux sont les lecteurs de Pilote qui, comme moi, ont été ébahis de trouver dans les pages de leur magazine des histoires aux couleurs puissantes, au graphisme créant une espèce de calligraphie au service d’un univers jamais vu auparavant dans aucun album de bd !

Ce furent Lone Sloane, Yragaël, Urm… Et c’était un peu comme si, subitement, la peinture et ses outrances possibles et même essentielles jaillissaient dans la presse pour jeunes.

Résumer ces histoires tient de l’impossible, et c’étaient, et ce sont toujours, des livres qu’on regarde plus qu’on lit, dans lesquels le regard du lecteur a une plus grande importance que son esprit d’analyse. Druillet, c’est du lyrisme, c’est de la démesure, ce sont des paysages improbables mais extrêmement vivants et vibrants, ce sont des mélanges de couleurs étonnantes, inattendues toujours, déstabilisantes surtout. Druillet, bien sûr, ce sont aussi des histoires racontées, un peu à la manière des grandes sagas nordiques, mais adaptées dans un monde de science-fiction mêlée d’un fantastique à la Lovercraft.

Et voici donc que se rééditent (enfin !….), et de manière parfaite au niveau des couleurs et des compositions, Yragaël et Urm, les albums les plus représentatifs peut-être de ce que fut l’apport de Druillet à la bd.

Quittant Pilote, il a créé, avec Giraud et Dionnet, le mensuel Métal Hurlant et les éditions des Humanoïdes associés. Et ce fut là, dans l’aventure de ce magazine absolument somptueux, que la bd SF se vit offrir ses plus belles lettres de noblesse.

Il y avait un style Métal Hurlant, tant dans le dessin, d’ailleurs, que dans le contenu éditorial. Et ce style, proche de celui de Giraud devenant Moebius, on le retrouve dans l’autre album consacré à la réédition des œuvres de Druillet : Vuzz. Là, pas de couleurs, mais du noir et blanc presque épuré, là, pas de grandes fresques mettant en lutte des personnages nombreux, mais la présence centrale d’un seul antihéros dont les seules nécessités sont de se nourrir et de prendre du plaisir. Ce livre est, en quelque sorte, un portrait décalé d’un monde post-apocalyptique, d’une évidente déshumanisation, un portrait à la fois désabusé et plein d’un humour féroce.

Rééditer Druillet, avec la qualité de ces deux rééditions-ci, c’est faire œuvre de reconnaissance d’un artiste à part entière qui a, de temps en temps, choisi la bande dessinée comme terreau de son sens aigu de la création.

vuzz – © Glénat

Ces trois livres surprennent… Loisel, dessinateur d’aujourd’hui, Druillet, dessinateur complexe d’hier et d’avant-hier, se rejoignent ainsi dans une conception du neuvième art qui en souligne, d’abord et avant tout, la variété et les mille différences.

 

Jacques Schraûwen