Tout Est Vanité : Manara et les Borgia s’exposent à Bruxelles…

Tout Est Vanité : Manara et les Borgia s’exposent à Bruxelles…

Ce sont des planches originales, adultes et superbes, aux couleurs directes lumineuses, qui s’exposent aux cimaises de la galerie Champaka… De quoi redécouvrir une bd sombre et puissante, et le travail d’un artiste incontestable du neuvième art !

Milo Manara © Manara

« Tout est vanité »… Ce titre, emprunté à une maxime à la connotation religieuse incontestable, est celui du dernier volume de la série des « Borgia », scénarisée par Alejandro Jodorowsky et dessinée par Milo Manara…

Dans cette série de quatre albums, ce sont les bas-fonds de l’histoire de l’Europe et de la chrétienté qu’ont explorés les deux auteurs. Le scénario a pris plaisir à s’attarder sur l’horreur inspirée par une foi aux aveugles certitudes, sur l’horreur inspirée par la seule nécessité d’un pouvoir, sur l’horreur née de l’art se soumettant aux méandres des désirs les plus pervers.

Le dessin de Milo Manara, lui, est d’une sensualité extrême, voire étonnante, jusque dans la représentation graphique de la mort et de ses inacceptables délires.


Milo Manara © Manara

Et donc, cette exposition est totalement consacrée aux originaux de cet album sanglant, tumultueux, rendant hommage, à sa manière, aux grands peintres, tels Le Caravage, auquel d’ailleurs Manara, plus tard, a également consacré deux albums…

C’est que Manara, sans aucun doute possible, possède une fameuse formation classique… Picturale, certes, mais culturelle, surtout. Et pouvoir admirer de tout près son travail à la fois de dessinateur et de coloriste, de peintre plutôt, c’est un plaisir à ne pas se refuser, croyez-moi !


Milo Manara © Manara

De Milo Manara, on connaît, bien entendu, toute la puissance érotique, tout le bonheur qu’il a, depuis des années, à s’aventurer, et à nous aventurer à sa suite, dans les méandres presque révolutionnaires de l’érotisme. Ce qu’il aime, dans ses albums, c’est la transgression… Celle des codes de la bande dessinée, oui, mais aussi celle de la morale bien-pensante et du politiquement correct. Comme le disait Ferré, à peu de choses près, «l’emmerdant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres»! Et chez Manara, la morale n’est utile que pour être sans cesse battue en brèche ! C’est dire tout la plaisir qui fut le sien à dessiner le scénario de Jodorowsky !


Milo Manara © Manara

Quand on parle de Milo Manara, c’est évidemment à son œuvre graphiquement érotique, voire même plus, que l’on pense, à tous ses albums destinés, de manière évidente, à un public adulte.

Mais l’érotisme, voire la pornographie, ne sont jamais totalement gratuits chez lui. Ces réalités profondément ancrées à l’âme humaine s’acceptant charnelle, il en fait des axes narratifs essentiels, des perspectives qui dépassent toujours le premier regard.

Le regard…

C’est là une des constantes de son œuvre, s’approcher du plus près des regards de ses personnages, et réussir à y inscrire, par la couleur et par le trait, des émotions frémissantes…


Milo Manara © Manara

Mais il n’y a pas, chez Milo Manara, que cette façon qu’il a de magnifier la beauté, jusque dans la fange, en nous montrant des personnages, anti-héros d’abord et avant tout, aux traits purs, même dans l’horreur ou dans la jouissance…

Il y a aussi chez lui un vrai souci du décor… C’est vrai qu’il y a quelques années, il avait réduit ces décors à de simples jeux pratiquement photographiques, sans grand intérêt, il faut bien l’avouer ! Mais cette parenthèse dans son œuvre est oubliée, fort heureusement, et il a trouvé, avec les Borgia, avec Le Caravage ensuite, un bonheur total à dessiner les environnements de ses personnages. Et dans cette exposition, on ne peut qu’être admiratifs, justement, devant son approche à la fois de la nature et de l’architecture urbaine, à la fois des grands espaces et des intérieurs intimes propres à toutes les turpitudes…


Milo Manara © Manara
Milo Manara: Les décors

Après sa rétrospective à Angoulème, Milo Manara accroche quelques-unes de ses planches originales dans une galerie bruxelloise.

Des œuvres graphiques qui vous envoûteront… Des œuvres torrides, des œuvres dans lesquelles la beauté, l’érotisme, l’inacceptable et l’Histoire se mêlent intimement.

Une exposition à voir, à savourer…

Jacques Schraûwen

Tout Est Vanité – une exposition consacrée à Milo Manara, à la Galerie Champaka, rue Ernest Allard à 1000Bruxelles. Jusqu’au 20 avril 2019!


Milo Manara © Manara

http://www.galeriechampaka.com/

Foire Du Livre de Bruxelles

Foire Du Livre de Bruxelles

Si on s’en réfère à son étymologie et ses origines latines, le mot « foire » parlerait de jours de repos et de fête… Et c’est bien le cas, depuis des années, à Bruxelles, pour cette grande rencontre de tous les amoureux de l’intelligence écrite… J’y ai rencontré une quinzaine d’auteurs à aimer ! Autant de chroniques à bientôt découvrir ici !…

Ecrite et dessinée, bien sûr puisque, dès sa création (il y a cinquante ans !!!), la Foire de Bruxelles ouvrait ses étalages et ses stands au monde de la bande dessinée.

Elle se déroulait alors au « Martini Center », du côté de la place Rogier, et, à l‘époque, on avait le temps de parler avec les auteurs qu’on aimait, qu’on découvrait en face à face. J’ai des souvenirs de Claude Seignolle, par exemple, ou de Franquin, ou encore d’Eddy Paape…

Martin Milan © Le Lombard

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Le monde de l’édition a bien changé, aussi ! Et la bande dessinée est devenu un neuvième art à part entière. Un Art qui attire les foules, qui en fait de longues files en attente d’une dédicace. Mais la Foire du Livre, énorme librairie ouverte à toutes les réalités de l’écriture, permet aussi, et c’est sa force et son intelligence, de découvrir, tout simplement…

Les Enfants de la Résistance © Le Lombard

… découvrir des livres, albums, romans, qu’on ne connaissait pas, qu’on n’imaginait même pas ! Découvrir aussi des êtres humains pétris bien plus de passion que d’ambition : les auteurs, les vrais, ceux qui ne sacrifient pas aux modes toujours éphémères. Ceux qui ne se contentent pas de caresser l’imaginaire de leurs lecteurs dans le sens du poil de l’habitude…

Alix © Casterman

Et je me suis baladé, donc, dans les travées de cet événement culturel essentiel. Je me suis promené, découvrant, dans le stand du « Grand Est », ces livres extraordinaires sur Juillard, sur Laloux… Sur Bernard Dimey, aussi… J’ai trouvé, dans le stand de « Buchet Chastel » des « cahiers dessinés qui méritent le détour… Et deux ou trois livres consacrés à l’immense Topor, que tout amateur d’art se doit de posséder !

Nestor Burma © Casterman

Mais j’y ai aussi été, dans cette foire, bien évidemment, pour rencontrer quelques auteurs de BD… Des dessinateurs et des scénaristes dont les livres, lorsque je les ai lus, m’ont plu, pour des raisons très diverses, d’ailleurs… Et j’ai ainsi rencontré les auteurs d’un nouvel Alix surprenant mais parfaitement abouti… Les auteurs des « enfants de la résistance », aussi, de « Nestor Burma », du livre d’humour absolument détonnant « un peu de tarte aux épinards », de « Trap » déjanté et envoûtant.


Un peu de Tarte aux Épinards © Casterman

Et puis, j’ai eu le bonheur de pouvoir m’entretenir avec un dessinateur qui appartient totalement à la grande Histoire de la bande dessinée, lui qui, dans les années 60, a créé pour les « jeunes » un série qui avait son franc parler, et qui, surtout, n’hésitait pas à aborder des vraies interrogations adultes sur un monde qui était en totale mutation… Oui, j’aurai la joie de consacrer très bientôt une chronique à l’exceptionnel Christian Godard, auteur d’un des héros de bd les plus attachants, Martin Milan !

N’hésitez pas à vous abonner à ce site, donc, pour être tenus au courant de chaque chronique lorsqu’elle sera mise en ligne !

http://bd-chroniques.be/

Jacques Schraûwen

La Minute Belge © Dupuis
Angoulême 2019 : un avis « différent » sur les prix qui y ont été décernés !

Angoulême 2019 : un avis « différent » sur les prix qui y ont été décernés !

Voilà… Les prix du festival international d’Angoulême ont été remis. Petits éditeurs et bd alternative à l’honneur. Un palmarès très très très attendu !


Rumiko Takahashi © Rumiko Takahashi

Le grand prix, tout le monde le savait largement avant qu’il soit officialisé, a été remis à Rumiko Takahashi, une mangaka. Pour couronner une femme, après les polémiques des années passées ?… Peut-être bien. Mais je dirais, pour suivre l’idée d’une auteure française, que donner un prix à une femme parce que c’est une femme, c’est déjà du sexisme !

Et le manga à la manière de Takahashi, c’est, pour moi, bien plus de l’industrie que du neuvième art. Et une industrie particulièrement mièvre le plus souvent !


Rumiko Takahashi © Rumiko Takahashi

Pour le reste des prix, en voici la liste… Le Fauve d’or a été remis au livre « Moi, ce que j’aime, c’est les monstres ». Un album-fleuve encensé dès sa sortie par nombre de critiques, dont le titre s’éclaire d’une horrible faute d’orthographe, et dont le contenu, je l’avoue, m’a paru diablement lourd !… Mais, c’est vrai, extrêmement fouillé au niveau du dessin, et, de ce fait, intéressant. Mais, je le répète, indigeste pour tout un chacun…

Moi, ce que j’aime,… © Ferris

Le prix spécial du jury a été octroyé à un livre de chez Actes Sud, « Les rigoles », un objet graphique très « branché ».

Fauve-révélation : Ted, drôle de coco. Fauve-série : Dansker. Prix alternative : Expérimentation.

A mon humble avis, tout cela ne va présenter, pour le public, qu’un intérêt particulièrement ténu !

Mais, heureusement, il y a eu le fauve-patrimoine. Et c’est un immense artiste qui l’a obtenu, pour un livre paru… au milieu du dix-neuvième siècle !!! Gustave Doré mis à l’honneur à Angoulème, c’est une surprise, une bonne surprise, une excellente surprise !

Les autres fauves ont été attribués à des livres plus connus, voire même reconnus…

Le fauve-polar a été remis à « VilleVermine », polar sauvage, le fauve-jeunesse au livre intelligent « Le prince et la couturière ».

Et puis, il y a le prix remis à « Il faut flinguer Ramirez », une bd à la Tarentino qui me paraît manquer de consistance et de fil narratif, mais qui, de par sa construction totalement décalée, a plu à pas mal de monde, lecteurs comme critiques. Un choix, donc, qui se défend pour ce fauve-lycéens.

Ramirez © Glénat

Un autre prix qui se défend aussi, c’est le prix Goscinny, le seul prix d’Angoulême qui mette à l’honneur un scénariste. Une récompense qui a été décernée à Pierre Christin, pour l’ensemble de son œuvre, et, en particulier, pour l’album « Est-ouest » paru chez Dupuis. Un livre que j’ai eu le plaisir, de chroniquer… http://bd-chroniques.be/?s=est-ouest

Est-Ouest © Aire Libre

Il y a donc, comme dans tous les palmarès, du mauvais, du moins mauvais et même du bon dans cette remise de prix d’Angoulême.

Mais il me semble quand même, et je sais ne pas être le seul à avoir une telle analyse, que les éditeurs « classiques » et leurs livres résolument tous-publics sont les grands absents de ces prix… Cette année peut-être encore plus que précédemment, d’ailleurs !

Bien sûr, vous me rétorquerez que rien n’est plus « tous-publics » que l’œuvre de Rumiko Takahashi, vendue à des millions et des millions d’exemplaires ! C’est vrai… Mais souvenons-nous, quand même, que cela ne s’est pas fait grâce à la bande dessinée, mais à de « l’animation télévisée » qui manquait terriblement de qualité !

Angoulême se veut international, c’est bien… Mais je connais des mangas qui, à la fois, se vendent bien et ont une construction graphique et narrative qui ne se contente pas de recopier à l’infini les mêmes codes !

Vous l’aurez compris, pour moi, ce grand prix n’a strictement aucun intérêt artistique… Mais ce n’est que mon avis, et je ne cherche pas, au contraire des « octroyeurs de prix », à l’imposer… Mais simplement à pouvoir l’exprimer ! Librement…

Et une question me tarabuste… Ceux qui délibèrent et donnent des prix ne souhaitent-ils pas, d’abord, agir uniquement selon leur propre goût, un goût qui, surtout dans la bd dite alternative, est aussi dicté par la copinerie, voire le besoin de se poser en « intellectuel » de la bande dessinée ?…

Finalement, dans ces prix, n’est-ce pas le public qui se voit floué de ses goûts et de ses passions ?…

Jacques Schraûwen