Olivier Neuray s’expose dans la Galerie Partage, à Bruxelles, jusqu’au 28 novembre 2021

Olivier Neuray s’expose dans la Galerie Partage, à Bruxelles, jusqu’au 28 novembre 2021

Olivier Neuray a à son actif quelques belles réussites dans l’univers du neuvième art. Aujourd’hui, le voici, dans une galerie accueillante, s’exposant autrement qu’en BD. Et ses gravures comme ses peintures sur panneau méritent le détour !

© Olivier Neuray

De la série « Nuit Blanche » aux « Cinq de Cambridge », son réalisme parfois hiératique s’est fait le compagnon et le révélateur de scénarios puissants, intelligents, éclectiques également. Ses livres, souvent, et j’en veux pour exemple « Les Cosaques d’Hitler » (scénario de Valérie Lemaire), sont des récits graphiques et littéraires qui cherchent toujours à mettre en évidence des personnages, des êtres de chair et de sang, d’émotion et de souffrance, des humains perdus dans le labyrinthe d’événements et de sentiments qui les dépassent et leur permettent de se dépasser…

© Olivier Neuray

Mais la bande dessinée, désormais, ne fait plus partie des quotidiens d’Olivier Neuray. Même si elle reste présente dans ses tableaux et gravures, dans la mesure où chacune de ses œuvres exposées raconte silencieusement une histoire, elle n’est plus le seul horizon artistique d’un dessinateur déçu par un monde de l’édition qui tend, de plus en plus, à oublier qu’il n’existerait plus sans les créateurs, les auteurs, quels qu’ils soient.

Olivier Neuray : la BD

Je comparais, dans une chronique que j’avais consacrée en son temps aux Cosaques d’Hitler, le style graphique de Neuray a celui de Berthet, dans une sorte de filiation dans le mouvement, la froideur parfois des personnages.

Dans ses tableaux comme dans ses gravures, Olivier Neuray abandonne cette approche qui était sienne, et qui, dans des narrations dessinées, était d’une belle efficacité.

© Olivier Neuray

Son approche de la gravure ne cherche pas à éblouir, à innover, mais, tout simplement, à s’inscrire dans une lignée, dans une tradition qui, de Rops à Masereel, fait de cette pratique artistique un voyage non seulement dans les apparences mais aussi, et surtout, dans les émotions.

Chaque gravure de Neuray est un instantané de vie, un moment volé à l’intimité d’une femme. Chaque gravure est un instant, oui, et seul y comptent le sentiment, la sensation, l’émotion… Une émotion tranquille, intemporelle, pudique et, en même temps, sensuelle.

Olivier Neuray : La gravure

Dans son œuvre post-bd, Olivier Neuray choisit, en effet, la sensualité… Et dans ses tableaux acryliques, qui sont en fait des portraits à peine mis en scène, il en va de même.

Les femmes qu’il nous montre sont des passantes du hasard, sans doute, elles sont nos voisines, nos amies, nos épouses. Elles nous regardent, et nous devenons le miroir de leurs rêveries, de leurs attentes, de leurs sourires à peine esquissés, de leurs yeux aux tranquilles illusions.

© Olivier Neuray

Dans ses tableaux, on retrouve, mais avec une stylisation de certains détails de ses modèles, l’approche qui était la sienne dans ses albums bd. Et j’ai aimé, dans cette galerie, voir l’espèce de dialogue que se font ses gravures et ses tableaux, un peu comme si l’artiste, en les mettant face à face, nous montrait son propre trajet humain.

Olivier Neuray : La peinture

Chaque dessinateur de bande dessinée est un artiste, à part entière. On se souvient de la lutte, à Angoulème, des auteurs pour qu’ils soient reconnus comme tels. Une lutte qui n’a, finalement, pas servi à grand-chose, sinon à mettre en avant des Jul et compagnie soucieux de leur seule petite renommée…

© Olivier Neuray

Olivier Neuray est profondément, j’en suis certain, amoureux de la bande dessinée, avide encore de raconter des histoires. Aujourd’hui, c’est d’une autre façon qu’il raconte, qu’il se raconte. Et ces deux réalités de sa vérité, bd et art plus traditionnel, méritent, assurément, d’être découverts.

Jacques Schraûwen

Olivier Neuray s’expose à la galerie « Partage », 258 rue Haute à 1000 Bruxelles, jusqu’au 28 novembre. https://www.facebook.com/partagegalerie/

Sur Un Air De Fado

Sur Un Air De Fado

Le Festival de la Bande Dessinée de Chambéry est un festival d’auteurs, dans le sens le plus noble du terme, le moins mercantile. Et il fête en ce début du mois d’octobre ses 45 automnes. Avec un prix du meilleur album attribué à Nicolas Barral pour son superbe « Sur un air de fado »!

Qu’est-ce qu’une dictature ? Comment vit-on dans un pays qui assume pleinement sa politique totalitaire ? Qu’est-ce que la résistance, l’engagement ? Autant de questions abordées dans ce livre qui nous raconte dix ans de l’histoire d’un homme dans un Portugal à l’âme égratignée…

Sur un air de fado © Dargaud

1968. Fernando Pais est médecin à Lisbonne. Un médecin célibataire, divorcé sans doute, se baladant de rue en rue, de patient en patient, le sourire aux lèvres, le regard comme perdu en des ailleurs qu’on ne devine pas.

Cet homme est le centre de gravité du récit auquel nous convie Nicolas Barral. Un récit ordonné comme un roman, avec des chapitres qui en font toute la colonne vertébrale, tout le rythme aussi.

Sur un air de fado © Dargaud

Au travers de la présence de ce médecin qui se rend régulièrement dans les locaux de la police politique pour y soigner les prisonniers qui y sont, d’une manière ou d’une autre, torturés, de moins en moins physiquement, d’ailleurs, de plus en plus psychologiquement, au travers de la silhouette dégingandée du docteur Pais, ce sont dix ans de dictature que nous raconte Nicolas Barral. Dix ans de la vie d’un homme qui n’a rien d’un héros, sans doute, mais qui a, un jour, par amour, osé se révolter contre un état de fait inacceptable. Une révolte en 1958 totalement occultée, pour lui, en 1968

Nicolas Barral : le personnage central

Le Fado est la musique emblématique du Portugal. Comme toute musique populaire, elle est le dernier refuge de l’âme, quelles que soient les circonstances de la vie. Avec des guitares qui pincent leurs cordes pour mieux faire écouter les larmes de la vie, les chanteurs de fado parlent d’amour, de jalousie, de trahison, de vie, de mort… Mais sans ostentation, avec, tout au contraire, une propension à la mélancolie, une évidence d’un sentiment, la saudade, impossible à traduire en français… Le fado, c’est l’expression, pour utiliser les termes d’un des protagonistes de cet album, d’une « aspiration égoïste au bonheur ». Le Fado, c’est l’envolée à peine lyrique d’une âme qui se sait soumise aux hasards de la vie, du rêve, de la mort… Le Fado, aussi, c’est la distance prise par l’humain pour supporter l’inhumain.

Nicolas Barral : le Fado

Ce livre n’est pas, loin s’en faut, le portrait d’une dictature.

Sur un air de fado © Dargaud

Certes, la dictature est montrée, elle est comme un second fil conducteur de l’intrigue. On voit la police politique… On voit les arrestations arbitraires et les interrogatoires musclés… On voit les « collaborateurs » et leurs actes pervers… On voit les rues ensoleillées de Lisbonne se grisailler de tristesse… On voit la mort, les activistes et leurs dérives idéologiques aussi… On voir la dictature, oui, mais à hauteur d’homme, avec une vraie pudeur dans le propos comme dans le trait. Pour Nicolas Barral, il ne s’agit pas d’un pamphlet, mais d’une plongée, tout simplement, dans ce que l’homme peut subir, et la manière dont il le fait, la façon, aussi, dont il peut résister… Dont il veut résister… L’histoire qu’il nous raconte, celle d’un homme qui, observateur de l’existence après avoir essayé d’en être un acteur, celle d’un homme qui se refuse à l’action, celle d’un homme qui, par les hasards du temps qui passe, se voit offrir une seconde chance de se redresser, de ne plus être dans l’ombre, cette histoire se déroule il y a peu de temps, très peu de temps, en Europe, à deux pas de chez nous, dans un pays qui a, même sous Salazar, vu les touristes bien-pensants se multiplier… Une dictature qui a perduré jusqu’en 1974…

Nicolas Barral : la dictature

Il y a, dans la construction de cette bande dessinée, une volonté évidente de rendre hommage, d’abord et avant tout, à Lisbonne, ville de contrastes, ville d’Histoire. Ville d’habitants, aussi, d’êtres humains que l’on croise. D’où une utilisation des couleurs extrêmement particulière, à la fois lumineuse et éteinte ai-je envie de dire, tant dans le présent de 1968 que dans le passé de 1958.

D’où, également, une importance évidente apportée, par Nicolas Barral, l’auteur complet de ce livre, aux regards de ses différents personnages. Les yeux du docteur Pais n’expriment rien, plus rien sans doute… Ils sont les lieux de la nostalgie, de la saudade, d’une distance volontaire que prend l’observateur vis-à-vis d’un monde dans lequel il ne veut, ou ne peut, intervenir.

Sur un air de fado © Dargaud

Il y a aussi une particularité à ce livre qui, ailleurs, me dérange la plupart du temps : celle de trouver, dans un livre en français, des expressions, soudain, d’une langue étrangère que sont censés utiliser les protagonistes. Mais là aussi, pour Nicolas Barral, il s’agit d’un hommage à un pays, à une langue qui, chantante, a des sonorités qui peuvent enchanter l’oreille…

Nicolas Barral : les mots en portugais

Le passé et le présent se mêlent sans arrêt et se vivent en parallèle… La soumission est un sentiment qu’on ne peut condamner… Le poison de la politique entraîne la disparition de libertés autant individuelles que sociales…

C’est aussi de tout cela que nous parle ce livre, et c’est pour cela aussi qu’il nous parle, à toutes et à tous…

Un album excellent, d’un dessinateur qui fut celui de Nestor Burma après Tardi et qui, ici, se révèle d’une belle personnalité, d’une chaude originalité. Un livre à lire, oui, pour son rythme, les questions qu’il soulève, les réponses qu’il nous laisse trouver et assumer !

Jacques Schraûwen

Sur un air de fado (auteur : Nicolas Barral – couleur : Nicolas et Marie Barral – éditeur : Dargaud – 156 pages – janvier 2021)

Nicolas Barral
Mitacq à la Galerie Champaka jusqu’au 2 octobre

Mitacq à la Galerie Champaka jusqu’au 2 octobre

Retrouvez tout le talent d’un des « GRANDS » du neuvième art !

Mitacq est mort en 1994, à l’âge de 66 ans à peine. Il laisse derrière lui une œuvre importante, une présence essentielle et incontestable dans le paysage de ce qu’on appelle l’âge d’or de la bande dessinée ! Et la Galerie Champaka à Bruxelles le remet aujourd’hui, enfin, à l’honneur !

© Mitacq

L’Histoire, avec un H majuscule, qu’elle soit celle des guerres, des paix, ou celle des arts, a l’habitude de mettre en évidence des personnalités qui, de ce fait, deviennent emblématiques, et d’en oublier d’autres.

Dans l’univers du neuvième art, la chose est évidente aussi. Hergé est le « pape » de la bd, on l’encense comme on encense Uderzo, parfois à tort et à travers, on se souvient de Franquin, un peu de Jijé, et on oublie ou on laisse dans l’ombre des artistes qui jouèrent un rôle essentiel dans l’évolution, la vraie, de la bande dessinée. Je pense à des novateurs qui, à partir d’un canevas précis et réducteur des petits mickeys pour jeunes bien sages, réussirent à imposer, calmement, des thématiques plus graves, plus adultes, plus ouvertes sur le monde tel qu’il est. Je pense à Craenhals et son extraordinaire Chevalier Ardent, je pense à Godard et son Martin Milan quelque peu « anar »…

© Mitacq

Je pense aussi à Mitacq qui sut, avec l’aide de ses scénaristes, faire évoluer ses récits en y abordant des problématiques et des réalités tangibles.

Oui, l’auteur de « La Patrouille Des Castors » mérite assurément d’être honoré, lui qui fut et reste un orfèvre du réalisme en bande dessinée. Lui qui sut parler du scoutisme sans angélisme et en réussissant à le montrer ancré dans un vingtième siècle en continuelle mutation.

© Mitacq

S’il est vrai que ses « Castors » sont une série essentielle, avec trente albums parus, il ne faut pas oublier que Mitacq fut aussi le dessinateur de quatre albums de Jacques Le Gall, de plusieurs belles histoires de l‘Oncle Paul, de récits complets, et de trois récits de Stany Derval. Et d’illustrations nombreuses, également, pour le scoutisme, entre autres, avec quelques calendriers de la FSC par exemple…

© Mitacq

Mais c’est indubitablement dans sa série phare qu’il s’est le plus et le mieux investi. D’abord parce qu’il y a profité de scénaristes talentueux, Charlier bien évidemment, mais aussi Wasterlain et Stoquart, et lui-même. Ensuite parce qu’il a également profité, dans l’un ou l’autre album, de la collaboration graphique d’un des plus grands dessinateurs belges, René Follet.

Ensuite parce que le monde du scoutisme lui était connu. Jusqu’à suivre la réalité en transformant des éclaireurs en pionniers lorsque ces derniers, à l’instigation de Georges Morel, virent le jour en Belgique.

© Mitacq

Mitacq fut scout, et je me souviens avoir vu dans une commune bruxelloise un coin de patrouille de son adolescence encore décoré de ses fresques…

Et même si, de nos jours, il est de mauvais ton d’user du mot « valeurs », le scoutisme a permis à des générations et des générations de jeunes d’en découvrir quelques-unes, de s’en inventer aussi… Des valeurs non dogmatiques, celles des mains tendues, celles de ce terme qu’on galvaude tellement aujourd’hui, « solidarité », celles de la parole donnée, celles de l’humilité, celles de l’engagement au jour le jour.

© Mitacq

Un des derniers dessins qu’il réalisa fut un cadeau offert à une unité scoute dite « défavorisée » du bas de Saint-Gilles, à l’occasion de ses 75 ans d’existence. Un cadeau, oui, d’un humanisme et d’une simplicité exemplaires !

Et c’est donc à cette part majeure chez Mitacq et dans son œuvre, celle du scoutisme, celle de « La Patrouille des Castors », que la galerie Champaka ouvre ses cimaises.

© Mitacq

Ce sont quelque 80 planches originales que les visiteurs vont pouvoir admirer, de tout près. 80 planches qui proviennent des 20 premiers albums de cette série d’aventures adolescentes.

Et si, dans les premiers albums, on voit très bien l’influence (bénéfique) de Pierre Joubert, c’est un vrai bonheur des yeux que de voir Mitacq affirmer peu à peu sa personnalité, sans pour autant renier cet art du trait que fut celui de Joubert.

© Mitacq

Cette exposition nous montre aussi des pièces rares, des essais en couleurs pour des couvertures d’albums.

C’est une exposition, certes… C’est aussi un hommage à un dessinateur humaniste… C’est enfin un voyage dans un univers, celui de l’adolescence, que peu de dessinateurs ont réussi aussi bien à restituer en récits et en images mêlés !

Jacques Schraûwen

Exposition dans la galerie Champaka (27, rue Ernest Allard – B-1000 Bruxelles – Tél : 32 2 514 91 52) jusqu’au 2 octobre 2021)

© Mitacq