Le Coup de Prague : un très bel album et une superbe exposition à voir à Bruxelles jusqu’au 13 mai 2017

Le Coup de Prague : un très bel album et une superbe exposition à voir à Bruxelles jusqu’au 13 mai 2017

A Vienne, Graham Greene fait des repérages pour le film qu’il doit scénariser,  » Le Troisième Homme « . Espions, espionnes et proches des nazis sont au rendez-vous dans un univers en déliquescence…

1948… La capitale de l’Autriche est, comme l’Europe, divisée en plusieurs zones d’influence et de gestion. Des égouts au métro, des ruelles sombres aux palaces encore debout, Vienne est aussi une cité dans laquelle se vivent les trafics les plus inacceptables, les rencontres les plus improbables, les faux-semblants et les déguisements. Une cité, surtout, dans laquelle l’espionnage international tente, parfois désespérément, de préparer une nouvelle Europe.

Et c’est dans ce monde à la recherche de lui-même que débarquent les deux héros de cet album. Graham Greene, auteur à la recherche d’inspiration, de décors, d’ambiances, mais aussi personnage trouble qui semble s’amuser à espionner. Et ensuite, la belle Elisabeth, actrice, sans doute, aventurière, certainement, espionne non repentie aussi et surtout !

Miles Hyman, le dessinateur, nous a habitués à nous plonger à sa suite dans des années disparues. Pour Jean-Luc Fromental, le scénariste, cette immersion dans la fin des années 40 allait de soi, vu le sujet choisi. Il y a dans cette démarche double une forme de nostalgie, sans doute. Mais une nostalgie qui ouvre, aussi, des portes avec nos présents…

Miles Hyman: la nostalgie
Jean-Luc Fromental: la nostalgie

 

Même si le personnage central reste l’écrivain/scénariste Graham Greene, le choix narratif de Fromental a été de choisir Elisabeth comme fil conducteur, tantôt femme fatale, tantôt féministe, tantôt amoureuse, tantôt perdue. C’est elle, accompagnatrice de choix, qui ponctue et rythme le récit, narratrice d’une histoire dans laquelle s’engluent réalités et sentiments, fiction littéraire et réalités glauques.

Jean-Luc Fromental est un auteur extrêmement éclectique, romancier, scénariste pour le cinéma et la télé (Navarro, par exemple…), rédacteur en chef du mythique Métal Hurlant.

Et sa manière d’envisager un scénario, de le construire, d’aimer piéger son lecteur en jouant sans cesse sur les apparences et les sentiments, sa façon d’écrire se nourrit bien évidemment de tous ses centres d’intérêt, de toutes ses incursions dans les nombreux domaines de la culture populaire. Il a, incontestablement, une vue extrêmement précise sur ce qu’est le neuvième art, et sur la manière d’en faire un outil culturel essentiel.

Jean-Luc Fromental: bd et scénario
Jean-Luc Fromental: la construction du scénario

L’actualité de ce  » Coup de Prague « , c’est bien sûr cet album superbe, superbement dessiné, aux couleurs et aux lumières omniprésentes.

L’actualité de ce  » Coup de Prague « , c’est aussi une exposition à la galerie Champaka des planches originales de cet album. Des planches dessinées au fusain, donc en noir et blanc, exclusivement. De quoi pouvoir admirer de tout près la maîtrise technique de Miles Hyman. De quoi aussi apprécier, en comparant la planche originale et le résultat final dans l’album, de comprendre que la technique de colorisation assistée par ordinateur peut être proche de la perfection artistique !

Miles Hyman, comme le dit Jean-Luc Fromental, est un chirurgien du dessin, et il le prouve, tant graphiquement que grâce à ces couleurs et ces lumières qu’il réussit à imprimer à tout son livre. Son art se nourrit du plaisir qui est encore toujours le sien à créer des illustrations, mais il dépasse cette approche illustrative de la bd en construisant ses planches avec une méticulosité également narrative.

Miles Hyman: le dessin et la couleur
Miles Hyman: illustration et bd

Ce  » Coup de Prague  » est un livre ambitieux, et l’ambiance qui en nimbe chaque page est celle du chef d’œuvre cinématographique  » Le troisième homme « . Bien sûr, la lecture n’en est pas toujours facile, ce qui est une caractéristique de toutes les œuvres qui s’intéressent à l’espionnage. Bien sûr aussi, cette lecture sera plus aisée pour ceux qui ont vu « Le Troisième Homme  » et qui ont lu Graham Greene.

Mais cet album est aussi un excellent livre qui se savoure autant avec les yeux qu’avec l’intelligence. Un livre qui est né, sans aucun doute possible, de plus qu’une complicité entre le scénariste et le dessinateur, d’une véritable osmose artistique entre eux deux, faite d’un respect mutuel et d’une envie commune à raconter et à charpenter une histoire solide.

Jean-Luc Fromental: la collaboration entre deux auteurs

Ce livre ne peut qu’avoir sa place dans votre bibliothèque… Une bonne place ! Et vous ne pourrez qu’être séduits par l’exposition qui lui est consacrée, une exposition dans laquelle tout l’art de Miles Hyman se révèle sans apprêts inutiles !

 

Jacques Schraûwen

Le Coup de Prague (dessin : Miles Hyman – scénario : Jean-Luc Fromental – éditeur : Dupuis – exposition à la galerie Champaka jusqu’au 13 mai – rue Ernest Allard 27 – 1000 Bruxelles)

Jean-Marc Krings expose au Centre Belge de la Bande Dessinée jusqu’au 21 mai

Jean-Marc Krings expose au Centre Belge de la Bande Dessinée jusqu’au 21 mai

Jean-Marc Krings est un auteur belge à part entière. Et ce sont les planches de son dernier album, paru pour le moment uniquement en néerlandais, qui s’accrochent aux cimaises du musée bruxellois de la bande dessinée.

Le nord de la Belgique a l’habitude des longues séries dont les héros, à chaque album, vivent une nouvelle aventure. Bob et Bobette, Le Chevalier Rouge, Bessy en sont d’évidents exemples. Kiekeboe également, cette série typiquement familiale et bon enfant, animée depuis quelque 150 albums par son auteur, Merho.

Le nord de la Belgique a aussi, depuis quelques années, l’habitude de prendre comme base ces séries populaires et ouvertes surtout au monde de l’enfance, et de les transformer, en parallèle des livres originels, en des albums résolument adultes. Amphoria, par exemple, superbement traduit en français par les éditions Paquet, en est un exemple flagrant, puisqu’y vivent tous les personnages de Bob et Bobette dans un environnement beaucoup plus réaliste, d’une part, et dans des aventures qui n’évitent ni violence, ni sensualité ! Voire plus, même !…

Et c ‘est au tour de Kiekeboe, aujourd’hui, de laisser échapper un de ses personnages, Fanny K, pour en faire l’héroïne d’une série qui s’éloigne résolument de son univers originel. Une héroïne dessinée par Jean-Marc Krings.

Jean-Marc Krings: Fanny K
Jean-Marc Krings: le dessin

 

Jean-Marc Krings a un style, c’est vrai, qui ne peut que coller à ce genre d’aventure : nervosité dans le trait, rapidité dans la mise en scène, sens de l’expressivité, amour, aussi, de la courbe dans tout ce qu’elle peut avoir de féminin, dans un environnement où le réalisme laisse la place à l’efficacité graphique.

Krings est un de ces auteurs prolifiques dont tout le monde a déjà vu au moins un dessin : proche, graphiquement, de l’école de Marcinelle, il a derrière lui une belle carrière, déjà. Qu’on en juge, d’ailleurs, puisqu’il fut le dessinateur de la très jolie série Violine, mais aussi de la reprise de la Ribambelle, du Code Quanta, ou encore de Jacky Ickx…

Dessinateur résolument populaire, c’est-à-dire prêt à tenter toutes les aventures éditoriales susceptibles de lui permettre d’aller encore plus à la rencontre de publics différents, le voici également honoré par une exposition. Et pas n’importe où, mais dans ce lieu prestigieux qu’est le Centre Belge de la Bande Dessinée, un endroit véritablement ouvert à toutes les créations du neuvième art, des plus traditionnelles aux plus innovantes !…

Jean-Marc Krings: l’exposition

 

Bien, sûr, Fanny K n’existe encore qu’en néerlandais. Mais d’après Jean-Marc Krings, une traduction est prévue d’ici quelques mois.

Et, de toute façon, c’est être Belge aussi que de s’ouvrir à toutes les réalités culturelles de notre petit pays. Et le dessin, de souplesse, de rythme, de rapidité, qui est celui de Krings, ce dessin-là mérite assurément d’être vu et regardé de tout près !

 

Jacques Schraûwen

Une expo consacrée à Fanny K, au CBBD, jusqu’au 21 mai 2017

Les Enfants de la Résistance : 3. Les Deux Géants – Une série totalement réussie et une exposition au musée de la résistance

Les Enfants de la Résistance : 3. Les Deux Géants – Une série totalement réussie et une exposition au musée de la résistance

Troisième tome d’une série étonnante et qui ne faiblit absolument pas, que du contraire ! Avec en outre une exposition dans un lieu à découvrir, le Musée de la Résistance!

Dans ce troisième volume, nous sommes en été. En été 1941 ! François, Lisa et Eusèbe, dans leur petit village presque tranquille, après avoir enterré le père de François fusillé par les nazis, sont plus que jamais décidés à résister. C’est d’amitié qu’il s’agit, entre ces trois enfants devenant adolescents, bien entendu. D’un courage, aussi, qui les dépasse et qui ressemble peut-être, au secret de leur âme, à un grand jeu à la Rudyard Kipling.

Mais ce dont il s’agit surtout, pour les auteurs, Dugomier au scénario et Ers au dessin, c’est de dresser le portrait d’une époque de notre Histoire, une époque douloureuse, et de le faire au travers de trois regards encore enfantins, de le faire, oui, à hauteur d’enfance plutôt qu’à hauteur adulte !

C’est là toute la force de cette série, certainement… Une série résolument ouverte à tous les publics, à tous les âges. Une série dont le message premier est de prouver que la résistance est d’abord une manière d’être, une manière d’exister, une manière de penser et de réfléchir.

A la fin de chaque album, il y a un dossier qu’on peut qualifier de pédagogique. Et ce sont ces pages-là qui sont exposées au musée de la Résistance, à Bruxelles, rue Van Lint. Une exposition à laquelle le conservateur du musée, Jean-Jacques Bouchez, attache beaucoup d’importance…

Vincent Dugomier: résister

Jean-Jacques Bouchez, le conservateur du musée de la résistance

Je l’ai déjà dit ici lors de mes chroniques consacrées aux albums précédents de cette série : il s’agit véritablement d’une réussite !

Une réussite due, entre autres, à la précision que les deux auteurs ont voulue dans le construction de leur récit, de leurs récits pluriels même.

Comme exemple, j’en veux l’œil historique sérieux sur le monde des enfants en ces années quarante naissantes. Les stéréotypes étaient nombreux, sur ce qui pouvait être vécu par les petits garçons et par les petites filles. Les stéréotypes étaient tout aussi nombreux en ce qui concerne les réalités sociales et sociologiques de tout un chacun, de l’accès aux études, du travail à la ferme. Il y avait les notables et les autres, dans le village de nos trois enfants-héros. Il y avait ceux qui reprenaient la ferme et les autres qui pouvaient faire des études et s’élever, ainsi, au long de ce qu’on ne nommait pas encore l’échelle sociale. Et ces réalités-là, tellement différentes de ce que notre occident connaît aujourd’hui, sont bien présentes et mises en perspective dans cette série.

Ce qui est important aussi, c’est que les personnages, qu’ils soient centraux ou secondaires, ne sont jamais figés. On les voit évoluer, changer, physiquement et moralement. Et c’est encore plus le cas avec nos trois héros qui, d’album en album, gagnent en maturité physique et mentale…

Dugomier et Ers: le quotidien des enfants

Vincent Dugomier: la maturité

Dans les deux premiers volumes, on était totalement dans l’aspect  » grand jeu  » dont je parlais plus haut. Bien sûr, le rendu de l’époque était complet, avec ses réalités sociales et politiques, mais le tout était traité en arrière-plan plutôt qu’à l’avant de l’intrigue.

Ici, dans ces « deux géants », deux géants qui se jaugent, se jugent et finissent par s’affronter, il en va tout autrement. La politique est bien présente, par petites touches d’abord, puis avec de plus en plus d’insistance. Il faut dire qu’en 1941, l’Allemagne Nazie s’est retournée contre l’URSS ! Et le Japon est à son tour entré en guerre !…

Mais cette réalité politique n’empêche pas le trio des enfants résistants de continuer à vivre comme des enfants… A essayer, ainsi, de comprendre des adultes qui deviennent de plus en plus incompréhensibles, emberlificotés qu’ils sont dans les méandres de leurs convictions politiciennes. Parmi ces adultes, il y a les Français, d’abord. Ceux qui acceptent, ceux qui refusent, ceux qui collaborent. Il y a les personnages ambigus, aussi, comme le parrain de François, ambitieux et vénal, et, en même temps, aimé par son résistant de filleul…

Parmi ces adultes, il y a aussi les occupants, les nazis, les militaires, les simples soldats et leurs officiers.

Et ce n’est pas la moindre des qualités de cette série que d’éviter, jusque dans la description de ces  » méchants « , tout manichéisme qui se serait révélé inutile et trop lourd, narrativement parlant !

Benoît Ers et Vincent Dugomier: la politique

Benoît Ers: le « nazisme normal »…

 Les enfants de la résistance

Le scénario de Vincent Dugomier se construit dans la tradition, quelque peu disparue il faut le reconnaître, des aventures linéaires, bien racontées, superbement documentées, bien écrite, admirablement bien dialoguée, avec un minimum de raccourcis littéraires. Un peu comme dans ces romans pour adolescents signés Dalens ou Foncine.

Le dessin de Benoît Ers, plus que dans les albums précédents peut-être, joue énormément avec la couleur. Il est vif, rappelle, lui aussi, les illustrations de ces livres pour la jeunesse des années 50, comme la fameuse collection Signe de Piste. Sans pour autant renoncer aux scènes graphiquement ambitieuses, comme l’attaque japonaise sur Pearl Harbor.

On sent qu’ils sont tous les deux plus que des partenaires dans la création de cette série. Qu’ils sont réellement co-auteurs. Il en résulte trois albums à savourer !

Benoît Ers: la couleur

Enfants, adolescents, adultes, n’hésitez pas, en cette époque troublée, à acheter ces trois premiers albums d’une série intelligente à tous les points de vue ! A l’acheter, à l’offrir, et à vous rendre au musée de la Résistance à Bruxelles pour en découvrir un outil pédagogique accessible aux écoles !…Et pour en savoir plus, suivez les liens ci-après !…

 

Les éditions du Lombard

Le Musée de la Résistance

 

Jacques Schraûwen

Les Enfants de la Résistance : 3. Les Deux Géants (dessin : Benoît Ers – scénario : Vincent Dugomier – éditeur : Le Lombard)

Exposition au Musée de la Résistance – 14, rue Van Lint – 1070 Bruxelles – jusqu’au 30 juin