La mort d’Edouard Aidans : un pionnier discret de la bande dessinée belge

Edouard Aidans est de ces auteurs dont tout le monde a feuilleté au moins un album. Auteur prolifique, graphiquement doué, il aura participé pleinement à l’essor du neuvième art dès la fin des années 40.

 

Il a commencé par un dessin tout en rondeur, tout en humour, avec un personnage, Bob Binn, assez similaire à bien des héros de la bd pour enfants de l’époque…
Cependant, assez vite, quittant Spirou et ce qu’on a appelé l’école de Charleroi, il va devenir un des dessinateurs réalistes les plus efficaces de sa génération, passant sans difficulté apparente du western à l’aventure africaine, de l’enquête dans le style des drôles de dames à la préhistoire avec un héros emblématique, bien avant Rahan, Tounga.

 

Ce qui est remarquable, chez Edouard Aidans, c’est l’évolution de son dessin, la façon exemplaire qu’il a eue de ne jamais rester figé dans un style bien précis, dans des codes « définitifs ». C’est pour cela, sans doute, qu’il a toujours attiré auprès de lui des scénaristes au talent profond, comme Greg, bien évidemment, avec qui il a repris à une époque le Bernard Prince de Hermann, mais aussi Van Hamme, du temps où il aimait raconter des histoires à taille humaine, et Jean Dufaux, à l’aise dans le récit historique comme dans le fantastique sombre. Jean Dufaux qui, aujourd’hui, salue la mémoire d’Edouard Aidans avec quelques phrases que je me permets de partager avec vous : « Je tiens à saluer en mémoire Édouard Aidans qui vient de nous quitter. J’ai eu le plaisir de travailler avec lui dans une autre vie. C’était un homme cultivé, inquiet et plus fragile qu’il ne le paraissait. Il m’a appris deux choses: ce qu’était le métier à l’ancienne et l’envie furieuse de quitter ce monde appelé à disparaître. Il avait du talent, c’est l’essentiel. »

Il n’y a pas grand-chose à ajouter à ces quelques mots…La mémoire est ce qu’elle est, notre époque a pris l‘habitude, depuis plusieurs années déjà, de ne mettre en avant que des gens qui, le plus souvent, n’ont pas grand-chose à voir avec le talent, la culture et l’intelligence. Et Edouard Aidans, au long de sa longue carrière, a toujours eu à cœur de nous offrir des œuvres de divertissement, certes, mais ancrées véritablement dans notre monde et ses difficultés, et ses erreurs, et ses horreurs…

 

 

Bien sûr, le monde de l’édition l’ayant quelque peu oublié, Edouard Aidans s’est aventuré dans des « gags » légers, érotiques, sans grande inventivité. Mais même là, il a réussi à se démarquer par l’inventivité de ses dessins.
Il avait 88 ans… Et il appartient, profondément, à la grande histoire de la bande dessinée, c’est indéniable !

Jacques Schraûwen

Mutations – épisode 1

 

Après « Mermaid Project », revoici Romane et El Malik, dans un futur proche, lancés dans une nouvelle enquête à tendance écologique… Les Cétacés se révoltent!

 

Mutations©Dargaud

 

Dans la série « Mermaid Project », on découvrait un duo d’enquêteurs efficace … Trop efficaces sans doute, puisque, après avoir réussi à démanteler des activités répugnantes de manipulations génétiques, ils se retrouvent, dans cette nouvelle série, renvoyés, au chômage, en fait. Romane et Brahim, cependant sont appelés à la rescousse, malgré le fait que Romane soit de peau blanche dans une société où l’Afrique et la peau noire ont pris le pouvoir…

Des mammifères marins, porteurs d’explosifs, se font exploser contre des bateaux de pèche… Un terrorisme animal qui ne peut qu’inquiéter le monde, un terrorisme animal que seuls Romane et Brahim peuvent probablement comprendre, eux qui, dans le cycle précédent, ont eu à communiquer, réellement, avec des dauphins…

Nous sommes, vous l’aurez compris, dans de la science-fiction, ou même de l’anticipation. Pour que fonctionne un tel scénario, il faut qu’il soit plausible, de bout en bout, il faut que toutes les inventions qui en accompagnent les péripéties tiennent la route, plus que ça, même, forment une trame qui ne peut jamais être prise en défaut.

A ce titre, le travail de la scénariste Corine Jamar et de son complice Leo sont exemplaires. Les sujets qu’ils abordent, les mutations génétiques, l’évolution de la planète et de sa faune, le racisme et ses futurs, tout cela participe à un récit extrêmement charpenté. Un récit qui, sous couvert d’imagination, s’inscrit pourtant totalement dans le monde tel qu’on le connaît de nos jours : changements climatiques, industrialisation à outrance, pêche intense, et impossibilité de l’âtre humain de se révéler autre chose qu’un prédateur…

 

Corine Jamar: scénario

 

Mutations©Dargaud

Le dessin de Fred Simon oscille entre réalisme et caricature, et ce graphisme fait merveille dans tout ce qui touche à la nature, aidé en cela par le coloriste, Jean-Luc Simon, dont les originalités enrichissent, sans aucun doute, les ambiances d’une part, mais les narrations elles-mêmes.

Des narrations qui pourraient quelque peu rebuter certains lecteurs, tant il est vrai que, à l’instar de la bd du temps de la ligne claire, le texte, ici, prend de la place, et de l’importance ! Une importance qui reste lisible, grâce à Fred Simon qui parvient, sans difficulté apparente, à aérer ses planches, voire même quelques dessins. Par son travail de découpage, mais aussi par le soin qu’il met, à certains moments, à peaufiner ses décors, tant extérieurs qu’intérieurs.

 

Fred Simon: dessin

 

 

Mutations©Dargaud

 

J’ai toujours bien aimé la science-fiction quand elle reste plausible, quand elle ne se perd pas dans des chemins de traverse qui éloigne le lecteur de la réalité, de SES réalités.

C’est pour cela que j’aimais Mermaid, c’est pour cela aussi que j’aime ce « Mutations ». Une série qui commence, qui réussit à associer poésie, réflexion et action… Une réussite, donc, incontestablement…

 

Jacques Schraûwen

Mutations – épisode 1 (scénario : Leo et Corine Jamar – dessin : Fred Simon – couleur : Jean-Luc Simon – éditeur : Dargaud)

Claude Seignolle : la mort d’un des maîtres de la littérature fantastique française !

 

Foot oblige, comme pour Frank Giroud, le décès de Claude Seignolle (13 juillet 2018) est passé inaperçu… Or, il est et restera ancré dans bien des mémoires de lecteurs, par la qualité exceptionnelle de son imaginaire et de son écriture !

 

Claude Seignolle, c’était, aux côtés de Gérard Prévot, de Jean Ray ou de Thomas Owen, un des piliers de la collection Marabout, dans les années 60.

Auteur prolifique s’il en est, le fantastique, dans le sens le plus large qu’on peut donner à ce terme, a toujours été son premier horizon, même lorsqu’il a abordé des éléments auto-biographiques, comme son emprisonnement en Allemagne. Aucune réalité, pour lui, ne pouvait être immuable, et le hasard, celui du regard, des mots, ou de l’ailleurs, pouvait à tout moment changer le sens d’un lieu, d’un mot, d’un souvenir, d’un vécu.

 

Quelques romans ont émaillé sa carrière, comme  » La malvenue « , véritable classique de la littérature fantastique, qui fut en son temps adaptée en bande dessinée par un débutant de l’époque, un certain Loisel (excusez du peu…). Mais ce qui caractérise surtout sa carrière et, osons le dire, son génie, c’est son art de la nouvelle. Il en a des centaines à son actif, inspirées parfois par la tradition orale, inspirées souvent par son besoin de poétiser le présent et de lui permettre, au travers de la peur viscérale, de se magnifier. L’horreur, avec Seignolle, était quotidienne, elle était surtout l’origine et la destinée de l’humanité !

 

Il y a quelques mois, j’ai eu le plaisir de chroniquer un album de bd absolument splendide,  » Comme une odeur de diable « , une adaptation de quelques-unes des nouvelles de Claude Seignolle. Et je ne peux que vous conseiller de le commander chez votre libraire, tant cet album était, plus qu’en hommage, en totale symbiose avec l’œuvre de l’écrivain…

Claude Seignolle avait 101 ans… Et longtemps encore, j’en suis certain, il continuera à faire rêver et cauchemarder tous les amateurs d’une littérature qui réussit à allier toutes les composantes de l’âme humaine !

Jacques Schraûwen