Fluide Glacial – 50 Ans De Couvertures

Fluide Glacial – 50 Ans De Couvertures

L’âge d’or véritable de la bande dessinée, c’est peut-être cette époque des années 70 pendant laquelle se sont multipliés des revues de toutes sortes, passionnantes, passionnées, délirantes aussi…

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Avec Pilote, déjà, le neuvième art s’était aventuré dans des domaines nouveaux, avec des récits et des graphismes s’adressant plus à un public adulte qu’enfantin. Mais il fallait, après 1968, aller plus loin, sans doute… Et ce sont, par exemple, des dessinateurs de Pilote qui, claquant la porte, ont créé « L’Echo des Savanes », une revue pendant tout un temps interdite aux mineurs d’âge… L’érotisme prenait des libertés que Losfeld n’avait pas eues, que Forest n’avait pas connues…

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Et c’est en 1975 qu’est née, dans une autre mouvance, la revue « Fluide Glacial », sous la férule de l’immense Gotlib, un auteur à l’imagination provocatrice et fertile… Un « patron » pour qui l’humour, décalé surtout, caricatural souvent, était le mot d’ordre… Du désordre, plutôt, un désordre qui n’avait rien de « bon enfant », un désordre qui a vu, côte à côte, des auteurs comme Binet, Edika, Gimenez, Tronchet, et l’immense Franquin se dévergondant avec génie…

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Et ce magazine, dès le départ, a choisi de soigner ses couvertures, d’en faire des portes d’entrée adultes pour des lecteurs sans complexe… C’est, d’une autre façon certes, ce que le journal Spirou a fait pendant des années, en offrant des couvertures étonnantes à ses jeunes et moins jeunes lecteurs.

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Et donc, aujourd’hui, Fluide Glacial fête ses 50 ans d’existence ! Et il le fait avec un album qui, à sa manière, résume à la fois l’esprit de ce magazine et la pléthore d’auteurs différents qui lui ont permis cette durée étonnante… Et pour ce faire, cet album nous plonge dans l’univers des couvertures de cette revue totalement décomplexée…

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L’Histoire de la bande dessinée, c’est aussi, et d’abord même, osons le dire, l’histoire de ces journaux, de ces magazines, de ces revues qui ont permis à ces petits mickeys de devenir, lentement mais sûrement, un neuvième art… Un neuvième art servi par des talents humains, d’abord, par des styles, ensuite, par des dérives souvent, par du mauvais goût parfois, par la réinvention de la liberté toujours !

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Un album pour sourire, jaune de temps en temps, mais avec plaisir toujours ! Et « raconté » avec humour et intelligence, ce qui ne gâte rien !

Jacques et Josiane Schraûwen

Fluide Glacial – 50 Ans De Couvertures (éditeur : Fluide Glacial – auteur : Jean-Christophe Delpierre – novembre 2024 – 176 pages)

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Les Notes Rouges – Anna et Dorian, frère et sœur, deux destins happés par la guerre

Les Notes Rouges – Anna et Dorian, frère et sœur, deux destins happés par la guerre

Au-delà d’un conflit qui, depuis des années et des années, n’arrête pas de faire des « petits », des émules, ce livre éminemment graphique et poétique nous parle d’amour et d’espoir.

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Les guerres semblent ne s’arrêter jamais… En parler, les raconter, c’est souvent faire étalage de faits historiques, héroïques, à nouveau nationalistes à leur manière. Je ne veux pas généraliser, bien entendu, et je pense à à Tardi ou à Jarbinet, à d’autres encore, qui s’intéressent plus à l’humain qu’au seul conflit dans leurs albums.

L’humain…

Et il est vrai que même face aux horreurs indicibles de la mort armée et idéologique, l’humanité trouve toujours à se réfugier dans, peut-être pas l’espérance, mais en tout cas l’attente éveillée…

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Et c’est d’une telle attente que nous parle ce livre d’une beauté évidente, d’une intelligence extrême, d’une pudeur totale… En nous racontant, côte à côte, deux destins intimement liés. Anna et Dorian, pendant la guerre, sont séparés… Anna échappe au nazisme et devient pianiste concertiste reconnue, connue. Quant à Dorian, il se retrouve plongé, lui, dans l’inacceptable, recueilli, grâce à sa blondeur aryenne, par un haut gradé nazi…

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Le livre axe son propos, son récit, sur Anna… Anna qui s’en revient, le temps d’un concert, dans cette ville qui l’a vue fuir loin de la guerre, dans cette ville où elle a perdu son petit frère… Un frère avec lequel elle vivait une véritable fusion d’âme… Une fusion artistique, aussi… Anna avait la musique chevillée à l’âme, et l’âme de Dorian était, elle, envahie de mots et de poèmes. Anna n’a jamais perdu l’espoir d’une retrouvaille. Dorian, lui, a vécu des réalités qui lui ont fait perdre de l’espoir tous les goûts.

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Nadia Nakhlé, l’autrice de cet album lumineux, nous plonge, lecteurs étonnés parfois, dans une narration d’une puissance tranquille, d’une lucidité sereine, malgré le propos de cette histoire qu’elle nous raconte… On passe, de page en page, de construction bd presque classique, presque cinématographique, en roman épistolaire, on passe de partitions musicales dessinées et pourtant vivantes à des mots d’enfance éblouie par ses joies comme par ses chagrins. Cette façon de nous parler d’Anna et Dorian ressemble, dès lors, à un poème musical, parfois terrible, parfois simplement émouvant, que Nadia Nakhlé met à la fois en images et en musique…

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Mais ne vous y trompez pas… Ce n’est pas un « roman graphique » ! C’est un album de bd, à part entière, qui n’a pas besoin d’alibi pseudo-culturel pour être une parfaite réussite ! C’est une bd qui nous montre une réalité trop souvent oubliée lorsqu’on parle de la guerre, des enfants, de leurs séparations, et de ces gamins qui, par milliers, parce qu’ils avaient des yeux bleus et des cheveux blonds, ont été adoptés par les bourreaux de leurs proches… Et c’est un livre qui le fait, je le disais, avec une infinie pudeur… Sans mélo, jamais, mais avec le rythme de l’art et de l’amour, tout au long des pages, en dessins comme en mots… Une réussite, incontestablement, un livre qui dépasse tous les clichés pour nous placer, lecteurs émus, en face de nos propres humanités…

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Notes Rouges (autrice : Nadia Nakhlé – éditeur : Delcourt/Mirages – octobre 2024 – 206 pages)

L’Intranquille Monsieur Pessoa – Au travers de ses quotidiens, le portrait d’un écrivain et de l’écriture…

L’Intranquille Monsieur Pessoa – Au travers de ses quotidiens, le portrait d’un écrivain et de l’écriture…

Fernando Pessoa… Un des écrivains les plus importants du début du vingtième siècle. Un auteur portugais dont la présence hante encore les rues de Lisbonne.

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Et le dessinateur Nicolas Barral a décidé de nous parler de lui. Et la manière qu’il a choisie pour le faire lui permet de contourner tous les pièges qu’une biographie, dessinée ou littéraire, peut présenter de manichéisme, de simplification, de multiplication de dates et de titres d’œuvres.

Nicolas Barral : la construction du récit

Et si Nicolas Barral a choisi cette façon de créer son album, c’est sans aucun doute pour mieux cerner la personnalité de Pessoa… Mais, également, de réfléchir, dans ses dessins comme dans son découpage, dans ses textes aussi, à sa propre réalité d’artiste…

Nicolas Barral : les raisons de ce livre

Nous sommes donc à Lisbonne, en novembre 1935, et Fernando Pessoa, à 47 ans, vit ses dernières semaines, ses derniers jours. Comme cela se passe encore aujourd’hui dans tous les médias, il faut préparer une nécrologie. Ce travail est confié, par le journal «Diario de Lisboa », à un jeune stagiaire, Simao Cerdeira.

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Un jeune homme qui, ne connaissant rien, ni de l’homme ni de son œuvre, va suivre ses pas dans cette ville qui l’a vu écrire… Il va suivre ses pas, oui, sans le rencontrer, mais en rencontrant ses amis, ses proches, ceux qui l’ont croisé…

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Et petit à petit, ainsi, il va tenter de comprendre et l’œuvre et son auteur… Une œuvre extrêmement variée, puisque Pessoa s’est amusé, pendant toute sa vie, à user de différents pseudonymes… Le stagiaire comprend que ce n’étaient pas de simples pseudos, mais, à chaque fois, un auteur différent, dans ses thématiques, dans son écriture… Une écriture, celle de Pessoa, comme celle de Barral se faisant son biographe…

Nicolas Barral : Ecrire

Pessoa, découvre-t-il en même temps que son personnage de journaliste stagiaire, était tantôt un poète parfois mystique, tantôt un idéologue de la modernité et d’une forme de futurisme littéraire, tantôt encore un penseur disciple d’Oscar Wilde.

Nicolas Barral : la poésie

Pessoa était écrivain multiforme, un être totalement « intranquille », comme l’indique le titre d’un de ses livres… L’approche de cet écrivain, dans ce livre-ci, est telle qu’il en résulte, par la grâce du talent, tranquille lui, de Barral, une sorte de portrait sans ostentation, le journal éclaté d’une vie sans événements, une addition de souvenirs vrais ou faux…

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C’est un livre étonnant que nous offre Nicolas Barral. Un livre qui parle d’écriture, d’abord et avant tout, au travers d’une approche humaniste d’un auteur sublime, un écrivain disant « les bouquins me jugent ». Un écrivain qui nous est raconté au travers, finalement, d’un anti-portrait réalisé par petites touches quotidiennes.

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Entre rêve et réalité, dès l’enfance, Fernando Pessoa s’est créé des univers très différents les uns des autres, tant au niveau de ses thématiques que de ses styles. Proche de Wilde, mais défenseur, à une époque, de la dictature, cultivant ainsi mille papillons de la mémoire, attiré comme Baudelaire par le gouffre, proche du « je est autre » rimbaldien, exilé à lui-même, mystique parfois, réaliste aussi, résolument moderne dans le paysage littéraire du début du vingtième siècle, Pessoa avait le génie de l’intelligence.

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Certes, on peut être quelque peu dérouté par cet album qui, sous l’alibi d’une approche biographique d’un être exceptionnel, se révèle aussi être une démarche poétique extrêmement personnelle de la part de Nicolas Barral.

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Le résultat de tout cela étonne, déroute, oui… Mais il est d’une totale réussite ! En rendant un hommage extrêmement vivant à un écrivain universel et essentiel !

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Intranquille Monsieur Pessoa (auteur : Nicolas Barral – éditeur : Dargaud – septembre 2024 – 136 pages)